Rapport n° 256 (2009-2010) de Mme Annie DAVID , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 3 février 2010

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N° 256

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 février 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de Mme Annie DAVID, M. Guy FISCHER, Mme Isabelle PASQUET, M. François AUTAIN, Mmes Gélita HOARAU, Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, M. Michel BILLOUT, Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, M. Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, M. Robert HUE, Mme Marie-Agnès LABARRE, M. Gérard LE CAM, Mme Josiane MATHON-POINAT, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Mmes Mireille SCHURCH, Odette TERRADE, MM. Bernard VERA et Jean - François VOGUET visant à supprimer la fiscalisation des indemnités journalières versées aux victimes d' accident du travail , à instaurer la réparation intégrale des préjudices subis par les accidentés du travail et à intégrer le montant des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles versé par les entreprises dans leur chiffre d' affaires soumis à l' impôt sur les sociétés ,

Par Mme Annie DAVID,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mme Jacqueline Chevé, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-François Mayet, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, René Vestri, André Villiers.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

194 (2009-2010)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Une part essentielle de notre droit social, les assurances sociales, trouve son origine dans la loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités dans les accidents du travail, adoptée après dix-huit ans de débats. Par cette loi, le régime de l'indemnisation des accidents du travail est passé d'une responsabilité individuelle de l'employeur pour faute à une présomption d'imputabilité du fait du risque encouru par le travailleur .

Le législateur a alors accepté l'autonomie juridique du travail par rapport au champ d'application du code civil devenu, au fil des ans, inadapté en l'espèce. Conçu pour un monde principalement rural et artisanal, le régime de responsabilité adopté en 1804 se révélait de fait incapable de saisir la réalité du monde industriel. La complexification des modes de production, le machinisme et la séparation des tâches rendaient peu claire l'imputabilité des actes. En conséquence, avant la loi, « 88 % des accidents restaient à la charge des ouvriers, 68 % relevant d'un cas fortuit ou de force majeure, 20 % de la faute de l'ouvrier et 12 % (...) de la faute de l'employeur » 1 ( * ) . C'est donc d'abord une injustice, celle tenant à la quasi-impossibilité de prouver la faute de l'employeur, qu'est venue corriger la loi de 1898.

Mais cette loi ne s'est pas contentée d'adapter le droit aux circonstances, elle a opéré une évolution fondamentale : la mutualisation du risque social. La présomption d'imputabilité de l'accident, puis de la maladie professionnelle 2 ( * ) , repose non sur un renforcement de la responsabilité individuelle de l'entrepreneur mais sur une mutualisation du risque 3 ( * ) . C'est en effet l'ensemble des employeurs qui est appelé à cotiser pour faire face aux demandes d'indemnisation. L'assurance patronale se substitue donc au régime de responsabilité civile.

C'est à partir de ce modèle qu'a été donné un contenu concret à l'Etat providence 4 ( * ) . La sécurité sociale, issue du programme du Conseil national de la Résistance 5 ( * ) , repose également sur la mutualisation des risques sociaux, c'est-à-dire des risques de perte de revenu non imputables à une cause particulière, par opposition aux risques imputables au travail que sont la maladie, le chômage, les charges familiales et la vieillesse. Le choix fait à l'époque de préserver la spécificité du régime d'indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), qui a été intégré en tant que tel à la sécurité sociale 6 ( * ) , a en quelque sorte cristallisé son évolution.

La loi de 1898 constitue en effet un compromis entre les tenants d'une législation sociale protectrice et les partisans de la liberté économique. La grande transformation de l'économie dans la première moitié du XX e siècle a conduit à une intervention croissante de l'Etat et à une extension progressive du champ des risques sociaux couverts et de leur taux, mais le compromis initial n'a jamais été remis en cause. L'équilibre fondamental demeure : présomption d'imputabilité d'un côté, évitant des démarches légales longues et coûteuses et, de l'autre côté, réparation forfaitaire, et non intégrale, du dommage. La loi du 30 octobre 1946 a néanmoins introduit la gestion paritaire du risque, auparavant assumée par les seuls employeurs, et transféré la responsabilité des versements aux victimes à la sécurité sociale.

Le régime des AT-MP, à l'origine favorable aux salarié(e)s, a ainsi perdu progressivement de son intérêt du fait du caractère forfaitaire de l'indemnisation et de l'évolution du droit des victimes. La couverture intégrale des risques sociaux par les autres régimes de la sécurité sociale et l'assouplissement des modalités de mise en cause de la responsabilité civile par la jurisprudence ont alors conduit plusieurs acteurs, dont les associations de victimes, à demander la réparation intégrale des préjudices 7 ( * ) .

Cette option, écartée par les partenaires sociaux dans leur accord de 2007 sur l'évolution de la branche, semble trouver une nouvelle actualité à la suite de la fiscalisation partielle des indemnités journalières servies par le régime AT-MP en application de l'article 85 de la loi de finances pour 2010.

La présente proposition de loi « visant à supprimer la fiscalisation des indemnités journalières versées aux victimes d'accident du travail, à instaurer la réparation intégrale des préjudices subis par les accidentés du travail et à intégrer le montant des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles versées par les entreprises dans leur chiffre d'affaires soumis à l'impôt sur les sociétés », déposée par le groupe CRC-SPG, propose ainsi d'apporter d'importantes réformes au régime en vigueur.

I. LE RÉGIME ACTUEL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET DES MALADIES PROFESSIONNELLES

Le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles est un régime de type assurantiel, les cotisations patronales assurant 72 % des revenus de la branche. Il en résulte, pour elle, un relatif dynamisme financier : elle est la seule branche de la sécurité sociale à avoir accumulé, dans les années quatre-vingt-dix, des excédents, les déficits actuels étant principalement dus à la rétractation conjoncturelle de la masse salariale.

Cependant, l'écart entre l'indemnisation offerte par le régime AT-MP et les autres formes d'indemnisation des préjudices corporels, spécialement depuis la loi du 5 juillet 1985 relative aux victimes d'accidents de la route 8 ( * ) qui a prévu l'indemnisation intégrale par les assurances des préjudices subis, ainsi que le scandale de l'amiante, ont entraîné une contestation de son efficacité. Face à la dénonciation de l'inadéquation de l'indemnisation automatique et forfaitaire des victimes, des réformes de la branche ont été mises en oeuvre. Par ailleurs, une fiscalisation partielle des indemnités journalières servies au titre de la branche a été décidée dans le cadre de la loi de finances pour 2010.

A. UNE INDEMNISATION AUTOMATIQUE ET FORFAITAIRE

Le régime de mutualisation du risque, qui constitue la base du régime des AT-MP, a été remis en cause comme insuffisamment protecteur et réparateur. Des réformes ont été engagées pour répondre à ces critiques.

1. Un principe remis en cause

En marge de la présomption d'imputabilité de l'accident au travail et de la mutualisation du risque entre les employeurs, la loi du 9 avril 1898 a maintenu une part de responsabilité civile « classique » en cas de faute inexcusable, tant du salarié que de l'employeur. Cette exception, a priori limitée, s'est révélée, concernant la responsabilité de l'employeur, de plus en plus attractive en raison de l'évolution de la jurisprudence.

En effet, la reconnaissance progressive, par la jurisprudence, de différents éléments constitutifs du dommage au-delà du préjudice physique - préjudice d'agrément, préjudice esthétique, pretium doloris , ainsi que préjudice professionnel -, aboutit à la possibilité d'une réparation intégrale du dommage devant les tribunaux. Or, celle-ci n'est pas possible dans le cadre du régime des AT-MP, qui n'offre qu'une réparation forfaitaire calculée selon des barèmes arrêtés par les partenaires sociaux, sauf à invoquer devant les tribunaux une faute inexcusable de l'employeur. Cependant, cette procédure reste longue et douloureuse pour les salarié(e)s concerné(e)s.

Par ailleurs, la volonté de prévention, qui constitue l'un des fondements du régime AT-MP et justifie le régime de bonus-malus qui, appliqué aux cotisations patronales, les fait augmenter ou baisser selon le nombre d'accidents survenus dans l'entreprise, a été jugée insuffisante puisqu'incapable de prévenir l'exposition des salarié(e)s à l'amiante.

Dans ce contexte, la Cour de Cassation a affirmé, en février puis avril 2002 9 ( * ) , que l'employeur a « une obligation de sécurité de résultat » et que le « manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable » . On pouvait en attendre le remplacement progressif du régime AT-MP par un retour total à la responsabilité civile. De nombreuses réformes de la branche sont néanmoins intervenues pour répondre aux différents reproches opposés.

2. Des réformes de la branche

Parallèlement aux critiques formulées à la suite de la loi du 5 juillet 1985 et à l'affaire de l'amiante, plusieurs rapports ont étudié les perspectives d'évolution du régime : les rapports Dorion de 1991, Masse de 2001, Yahiel de 2002 et Laroque de 2004 se sont ainsi penchés sur l'éventuelle indemnisation intégrale du préjudice résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

Si les partenaires sociaux ont refusé cette évolution, plusieurs réformes ont été mises en oeuvre par voie législative ou de conventions d'objectifs et de gestion de la branche 2004-2006 (prolongée par un avenant en 2007-2008) et 2009-2012. A la suite du rapport Dorion, un mécanisme de reconnaissance des maladies professionnelles a ainsi été mis en place pour remédier au faible nombre de pathologies auparavant indemnisées. La branche contribue également, depuis 2001, au financement des fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante et verse à l'assurance maladie une compensation liée à la sous-déclaration des maladies professionnelles.

Tirant les conclusions de ces différents rapports, l'accord interprofessionnel du 12 mars 2007 relatif à la prévention, à la tarification et à la réparation des risques professionnels s'est engagé à « améliorer la réparation des victimes » sans aller jusqu'à la réparation intégrale. Deux axes ont été privilégiés. D'une part, 400 millions d'euros supplémentaires seront ainsi consacrés, au cours de la période 2009-2010, à l'indemnisation, notamment au travers d'un remboursement amélioré des frais médicaux et de la mise en oeuvre d'une majoration pour tierce personne. D'autre part, la politique en faveur de la prévention a été renforcée, au travers d'une réforme de la tarification des risques mise en application depuis le 1 er janvier 2010 destinée à inciter plus efficacement à la limitation des risques, ainsi que de mesures tendant à éviter la désinsertion professionnelle.

B. UNE FISCALISATION PARTIELLE

Les indemnités journalières servies par le régime AT-MP s'élèvent à 60 % du salaire journalier antérieur pendant les vingt-huit premiers jours d'arrêt de travail et à 80 % à partir du vingt-neuvième jour. Elles sont versées pendant la durée de l'arrêt de travail, soit jusqu'à la guérison du récipiendaire, soit jusqu'à la consolidation de son incapacité et la constitution d'une rente d'invalidité.

L'article 85 de la loi de finances pour 2010 a modifié l'article 80 quinquies du code général des impôts en supprimant l'exonération d'impôt sur le revenu dont bénéficiaient jusqu'alors les indemnités journalières allouées aux victimes d'accidents du travail. Depuis le 1 er janvier 2010, celles-ci sont donc imposables suivant les règles applicables aux traitements et salaires, comme le sont les autres indemnités journalières valant revenu de substitution versées par les organismes de sécurité sociale, notamment les indemnités journalières maladie et maternité.

Cette imposition, applicable aux indemnités versées à partir du 1 er janvier 2010 devrait produire environ 135 millions d'euros .

1. L'initiative de l'Assemblée nationale

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010 à l'Assemblée nationale, le rapporteur général de la commission des finances, Gilles Carrez, a pris l'initiative, avec le soutien du Gouvernement, de modifier le régime fiscal des indemnités journalières perçues par les victimes d'un accident du travail, considérant que les indemnités journalières servies par la branche AT-MP s'analysent comme un revenu de substitution et non comme une indemnisation.

Néanmoins, après débat, seule a été fiscalisée la part des indemnités journalières pour accident du travail correspondant à 50 % du gain journalier de base pris en référence pour calculer les indemnités journalières pour maladie 10 ( * ) . Cette disposition a été présentée comme permettant de ne fiscaliser que la partie de l'indemnité journalière correspondant au revenu de remplacement et non celle correspondant à la compensation du préjudice subi par la victime.

En effet, l'indemnité journalière versée en cas d'arrêt maladie correspond à 50 % du gain journalier de base antérieur du salarié. Selon l'Assemblée nationale, cette différence de dix points, puis de trente points, entre le montant des indemnités journalières-maladie et des indemnités journalières-accident du travail correspondait à l'indemnisation du préjudice subi par la victime d'un accident du travail ; la fraction de 50 % constituerait un revenu de remplacement, par analogie au régime applicable en matière d'arrêt maladie. En conséquence, cette disposition avait pour but de « préciser très clairement qu'il s'agit de fiscaliser la seule fraction correspondant au revenu de substitution » 11 ( * ) .

2. La position du Sénat

Le Sénat s'est rallié à cette proposition qu'il a considéré comme équilibrée dans la mesure où :

- le régime applicable aux indemnités journalières allouées aux personnes atteintes d'une affection comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse n'est pas modifié : ces indemnités demeurent exonérées d'impôt sur le revenu ;

- de même, elle ne concerne pas les prestations et rentes viagères versées aux victimes d'accidents du travail, qui resteront également exclues de l'assiette de l'impôt sur le revenu en application de l'article 81 du code général des impôts ;

- enfin, le dispositif permet de ne fiscaliser qu'une partie des indemnités journalières-accident du travail, à savoir la partie pouvant être analysée comme le revenu de remplacement du salarié.

Pour des raisons techniques tenant à la difficulté d'établir la base d'imposition, le Sénat a néanmoins proposé une fiscalisation de 50 % de l'ensemble des indemnités journalières perçues au titre de la branche AT-MP, sans distinguer entre part assimilable à un revenu de substitution et part assimilable à l'indemnisation d'un préjudice. La commission mixte paritaire a confirmé le vote de la disposition adoptée par le Sénat.

II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI

La proposition de loi s'assigne un triple objectif :

- revenir sur la fiscalisation opérée par la loi de finances pour 2010 ;

- garantir le niveau le plus élevé de réparation pour les victimes des accidents du travail et des maladies professionnelles ;

- inciter les entreprises à oeuvrer en matière de prévention.

A. LA SUPPRESSION DE LA FISCALISATION

Selon la sociologue du travail Danièle Linhart, directrice de recherche au CNRS, auditionnée par votre rapporteure, la fiscalisation participe d'une évolution du rapport au travail qui tend à intégrer le risque comme part intégrante du travail. En effet, l'inadaptation progressive du modèle taylorien de production aux réalités économiques incite les employeurs à demander aux salarié(e)s de s'auto-organiser, la faculté d'adaptation devenant même une condition de l'employabilité. Le plus employable est le plus adaptable, c'est-à-dire celui prêt à prendre le plus de risques. Il est donc logique que les indemnités perçues au titre d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle soient présentées comme un revenu de substitution et non pas comme la réparation d'un dommage. Dans la mesure où cette organisation du travail privilégie la prise de risque individuelle au détriment des formes collectives de travail qui assuraient jusqu'à présent la protection des travailleurs, il est à craindre une accentuation de la mise au chômage des salarié(e)s les plus âgé(e)s, qui sont vu(e)s comme les moins adaptables, et une augmentation du nombre d'accidents du travail.

De même, l'historien Robert Castel, a souligné lors de son audition, que cette fiscalisation participe de la transformation, depuis le milieu des années soixante-dix, des droits inconditionnels reconnus aux salarié(e)s, ici l'indemnisation du préjudice subi à l'occasion du travail, en aides conditionnelles comme le revenu de solidarité active (RSA). La logique marchande de la contrepartie est ainsi insensiblement réintroduite dans le cadre de l'Etat providence et altère sa nature. La notion de subordination elle-même, intégrée au droit afin de permettre l'application de la loi du 9 avril 1898 qui nécessitait la caractérisation de la relation de salariat, se trouve en quelque sorte renforcée par cette augmentation des devoirs pesant sur les salarié(e)s.

Les auteurs de la proposition de loi partagent ces analyses et estiment nécessaire de revenir sur une mesure dont l'impact symbolique est supérieur à l'utilité réelle pour les finances publiques . La fiscalisation participe, pour eux, d'un mouvement d'érosion progressive des droits sociaux qui accompagne le déclin des formes d'organisation collective du travail. Face à l'individualisation croissante des tâches, qui est une des causes reconnues du mal-être au travail, les auteurs considèrent qu'il est important de renforcer la protection des salarié(e)s. On peut craindre en effet que la pression tendant à une prise de risque toujours plus grande les pousse à commettre des fautes qui leur seront ensuite imputées. La fiscalisation, même partielle, des indemnités journalières introduit une confusion entre revenu de remplacement et compensation d'un préjudice, et aboutit en outre à limiter le montant de la compensation perçue par les victimes : il conviendrait dès lors de la supprimer.

B. L'INDEMNISATION TOTALE DU PRÉJUDICE SUBI

Les auteurs de la proposition de loi envisagent également le passage à la réparation intégrale des dommages causés par les accidents du travail et les maladies professionnelles. A cette fin, ils proposent de la prévoir explicitement dans le code de la sécurité sociale, ainsi que de réévaluer la rente servie en cas d'incapacité permanente aussi bien que les indemnités journalières. Dans les deux cas, le maintien intégral du salaire est prévu, augmenté d'une compensation du taux d'incapacité si celui-ci est permanent.

Ce dispositif conduit à dépasser le compromis de 1898. Les auteurs estiment en effet que, bien qu'avancé pour l'époque et porteur d'une évolution fondamentale en matière de droit social, le passage d'un régime fondé sur la responsabilité à un régime fondé sur la mutualisation du risque, est aujourd'hui obsolète. Le compromis entre une indemnisation rapide, car reposant sur la présomption d'imputabilité du dommage ou de la maladie au travail, et un montant forfaitaire, ne peut plus être envisagé de la même façon dès lors que la jurisprudence a admis l'obligation de résultat de l'employeur en matière de santé au travail et ouvert largement les conditions de recevabilité d'une demande de réparation intégrale au titre de sa responsabilité civile. On ne peut en effet admettre que les victimes d'un même préjudice soient indemnisées différemment selon l'auteur de celui-ci et, particulièrement, que la relation de subordination dans laquelle se trouvent les salarié(e)s les conduise à être moins indemnisé(e)s que les victimes d'un dommage corporel survenu hors du travail.

C. LE MAINTIEN DU MONTANT DES COTISATIONS PATRONALES DANS L'ASSIETTE DE L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent également agir en faveur d'une meilleure prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ainsi, afin d'inciter les entreprises à oeuvrer efficacement dans le domaine de la prévention des accidents, ils souhaitent que le taux de sinistralité d'une entreprise ait une conséquence immédiate et directe sur le montant de son chiffre d'affaires en réintégrant les cotisations versées par les entreprises dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés. En effet, ces cotisations sont considérées comme une charge déductible au regard du paiement de l'impôt, ce qui peut aboutir au résultat paradoxal qu'une entreprise qui enregistre un taux élevé d'accidents du travail en son sein voit baisser son impôt sur les sociétés.

*

* *

Conformément à l'accord politique passé entre les présidents de groupes pour ce qui concerne l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour du Sénat sur proposition d'un groupe d'opposition ou minoritaire, votre commission des affaires sociales a décidé de ne pas adopter le texte de cette proposition de loi, afin qu'elle soit débattue, en séance publique, dans la rédaction initiale voulue par ses auteurs.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er - (article 85 de la loi n° 2009-1673 de finances pour 2010) - Suppression de la fiscalisation des indemnités journalières versées au victimes d'accident du travail

Objet : Cet article tend à supprimer la fiscalisation des indemnités journalières adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2010.

I - Le dispositif proposé

Cet article supprime l'article 85 de la loi de finances pour 2010 afin de revenir à l'état antérieur du droit et à la non-fiscalisation des indemnités servies au titre de la branche AT-MP.

II - La position de votre rapporteure

Votre rapporteure considère que la fiscalisation des indemnités du travail aboutit à diminuer les sommes perçues par les victimes de dommages causés par le travail, ce que ne subissent pas les autres victimes de dommages dont les rentes et indemnités sont exonérées de l'impôt sur le revenu en application de l'article 885 K du code général des impôts. Instaurer une telle inégalité revient à nier le caractère de dommage au préjudice subi par les salarié(e)s qui se trouvent pourtant en situation de subordination par rapport à l'employeur et n'ont eu, de ce fait, pas d'autre choix que de participer aux activités qui ont été la cause de leur préjudice.

De surcroît, la fiscalisation des indemnités journalières servies au titre de la branche AT-MP est contraire à la position, plusieurs fois exprimée, de la commission des affaires sociales du Sénat qui s'est opposée à cette mesure quand elle était proposée par sa commission des finances.

Votre rapporteure estime par ailleurs qu'il serait symboliquement important de montrer l'attachement du Sénat à la protection des salarié(e)s au moment où leurs droits sociaux sont progressivement érodés et où augmente le phénomène de mal-être au travail.

III - La position de votre commission

Votre commission maintient l'appréciation du Sénat sur le dispositif équilibré d'imposition voté en décembre 2009 et qui ne s'applique qu'à une partie des indemnités journalières servies et non aux rentes permanentes. Elle souligne que le Conseil constitutionnel a validé cette disposition qui tient compte de la double nature des indemnités journalières et que les partenaires sociaux n'ont pas estimé que la mesure avait un effet sur le fonctionnement de la branche AT-MP. Elle est donc défavorable à cet article.

Article 2 (art. L. 410-1(nouveau) du code de la sécurité sociale) - Réparation intégrale des préjudices causés par un accident du travail ou une maladie professionnelle

Objet : Cet article tend à insérer dans le code de la sécurité sociale un article additionnel prévoyant la réparation intégrale des préjudices causés par un accident du travail ou une maladie professionnelle.

I - Le dispositif proposé

Cet article tend à insérer en tête du Livre IV du code de la sécurité sociale consacré aux accidents du travail et maladies professionnelles, un chapitre nouveau composé d'un article unique posant le principe d'une indemnisation intégrale des préjudices causés par un accident du travail ou une maladie professionnelle.

II - La position de votre rapporteure

Votre rapporteure estime que l'écart entre l'indemnisation intégrale due au titre de la responsabilité civile et l'indemnisation forfaitaire servie par le régime AT-MP n'a plus de justification autre que financière. L'évolution du droit et de la jurisprudence a en effet singulièrement réduit l'avantage que représentait pour les salarié(e)s la présomption d'imputabilité qui légitimait la réparation forfaitaire. La présomption d'imputabilité peut également s'analyser, ce que tend à montrer la jurisprudence de la Cour de Cassation, comme une conséquence de l'autorité patronale à laquelle sont soumis les salarié(e)s et qui découle du contrat de travail.

Dès lors, il est parfaitement possible de la maintenir tout en allant au bout de la logique assurantielle amorcée par la loi de 1898 et adoptée pour les autres branches de le sécurité sociale. En effet, il n'y a pas lieu de prévoir une indemnisation partielle dès lors que le risque est mutualisé entre les employeurs. L'indemnisation intégrale étant la seule forme de réparation réellement juste face au préjudice subi, c'est elle qu'il faut retenir puisqu'aucun impératif d'intérêt général ne s'y oppose.

III - La position de votre commission

Votre commission a déjà eu l'occasion d'aborder à plusieurs reprises la question du passage à un régime de réparation intégrale au titre de la branche AT-MP 12 ( * ) . Elle ne peut que rappeler les arguments alors avancés : « le passage à la réparation intégrale devrait (...) faire peser sur les salariés de nouvelles exigences de preuve, ce qui ne serait pas nécessairement à leur avantage » ; plus encore, pareille mesure, si elle était imposée par le législateur, risquerait « d'affaiblir le paritarisme dans la gestion de la branche AT-MP » et ce, alors même que les partenaires sociaux ont écarté l'idée de la réparation intégrale dans leur accord du 12 mars 2007 ; enfin, le coût de cette mesure paraît prohibitif étant donné le déficit de la branche AT-MP.

Votre commission est donc défavorable à cet article.

Article 3 (art. L. 431-1 du code de la sécurité sociale) - Précision des préjudices compris dans l'indemnisation et précision des personnes admises au bénéfice d'un dédommagement au titre du préjudice moral

Objet : Cet article énumère les préjudices indemnisés par la branche dans le cadre d'une réparation intégrale et précise les personnes bénéficiaires d'une indemnisation en cas de décès de la victime.

I - Le dispositif proposé

Cet article introduit un nouvel alinéa 4 bis dans l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale qui précise les prestations servies par le régime AT-MP. Cet alinéa se compose de deux parties :

- la première reprend les différents types de préjudices dégagés par la jurisprudence et ouvrant droit à indemnisation dans le cadre d'une réparation intégrale ;

- la seconde précise qu'en cas de décès, les ayants droit visés aux articles L. 434-7 et suivants du même code, ainsi que les ascendants et descendants qui ne bénéficient pas d'une rente, ont droit à une réparation au titre du préjudice moral.

II - La position de votre rapporteure

Votre rapporteure estime nécessaires ces précisions dans la logique de l'article précédent. La réparation des différents préjudices mentionnés correspond à l'indemnisation intégrale envisagée comme l'un des scénarios possible par le rapport Laroque de 2004 pour un coût estimé de 3 milliards d'euros. Même si ce coût peut paraître important eu égard au budget de la branche AT-MP, environ 10 milliards d'euros dont 7,3 milliards de prestations directes, votre rapporteure souligne que le fait de faire peser ces dépenses sur la branche est un choix de nature politique qu'elle assume. En effet, en l'absence de prise en charge par la branche, les différents préjudices, et singulièrement ceux liés au recours à une tierce personne ou aux aménagements résultant d'une incapacité permanente, sont supportés par les départements au titre des prestations compensatrices du handicap. Sont donc pris en charge par la collectivité nationale des coûts qui relèveraient, dans le cadre d'un contentieux de la responsabilité civile, de l'employeur. Il s'agit là d'une dépense que l'ensemble des citoyens n'a pas à supporter et les départements à budgéter car elle ne relève pas, par nature, de la solidarité nationale.

Votre rapporteure reconnaît toutefois que la rédaction de cet article pourrait être précisée pour viser non pas les types de préjudices indemnisés mais la nature des différents frais pris en charge.

III - La position de votre commission

Votre commission est défavorable à cet article qui n'est que l'application du principe de la réparation intégrale auquel elle s'oppose en dehors d'un accord entre partenaires sociaux.

Article 4 (art. L 434-2 du code de la sécurité sociale) - Utilisation pour le calcul des rentes du véritable taux d'incapacité, dit aussi « taux médical »

Objet : Cet article tend à remplacer le calcul des rentes à partir d'un taux minimal par le véritable taux d'incapacité, dit aussi « taux médical ».

I - Le dispositif proposé

Cet article modifie les deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article L. 434-1 du code de la sécurité sociale relatif au mode de calcul des rentes servies par le régime AT-MP au titre d'une incapacité permanente. Il supprime la référence au taux minimal d'incapacité fixé à 10 % par l'article R. 434-1 du code. Dès lors, toute incapacité permanente ou cumul d'incapacités permanentes ouvrent droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité. Est également supprimée par cet article la possibilité de moduler la rente en fonction de la gravité de l'incapacité.

II - La position de votre rapporteure

Votre rapporteure estime cet article cohérent avec l'objectif d'une réparation intégrale. Il n'y a, en effet, pas de différence de nature entre un taux d'incapacité inférieur ou supérieur à 10 %, qui justifie l'octroi d'une rente au-delà de ce seuil, et son absence en deçà.

Une première estimation, par la branche AT-MP, du coût de cette mesure l'établit à environ 2,98 milliards d'euros, résultant à hauteur de 2,2 milliards de la suppression de la possibilité de moduler le taux de la rente en fonction de la gravité de l'incapacité. Il s'agit là d'un choix politique que votre rapporteure assume, tout en admettant que la rédaction de cet article pourrait utilement être précisée.

III - La position de votre commission

Votre commission est défavorable à cet article , qui porterait l'indemnisation en France à un niveau qui n'existe dans aucun pays européen, en raison de son coût prohibitif.

Article 5 (art. L. 433-2 du code de la sécurité sociale) - Augmentation du montant des indemnités journalières

Objet : Cet article fixe le montant des indemnités journalières au salaire net journalier perçu.

I - Le dispositif proposé

Cet article modifie l'article L. 433-2 du code de la sécurité sociale relatif au calcul de l'indemnité journalière. Il en propose une nouvelle rédaction qui fixe le montant de l'indemnité au salaire net journalier par opposition au système actuel qui prévoit que les indemnités sont de 60 % du salaire journalier de base jusqu'au vingt-huitième jour et de 80 % au-delà, en application de l'article R. 434-1 du même code.

II - La position de votre rapporteure

Votre rapporteure est favorable à cet article qui est cohérent avec la volonté d'indemnisation intégrale. Une première estimation de son coût par la branche AT-MP l'établit à environ 160 millions d'euros.

III - La position de la commission

Votre commission est défavorable à cet article qui substitue, de manière inopportune, le législateur à la négociation entre les partenaires sociaux gestionnaires de la branche.

Article 6 (art. 39 du code général des impôts) - Maintien du montant des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles versées par les employeurs dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés

Objet : Cet article tend à maintenir les cotisations versées au titre de la branche AT-MP dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés.

I - Le dispositif proposé

Cet article modifie l'article 39 du code général des impôts relatif à l'assiette de l'impôt sur les sociétés pour y maintenir les cotisations dues au titre du régime AT-MP.

II - La position de votre rapporteure

Votre rapporteure estime que la réintégration, dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés, des 10 milliards d'euros de cotisations versées au titre du régime AT-MP aurait pour vertu d'augmenter les recettes de l'Etat, et donc de participer à la compensation des sommes déjà versées par les départements en raison de la non-réparation intégrale du préjudice par le régime AT-MP. Par ailleurs, cette mesure serait de nature à renforcer l'incitation, pour les entreprises, à adopter des mesures de prévention.

III - La position de la commission

Votre commission est défavorable à cet article qui vient contrarier les décisions prises par les partenaires sociaux gestionnaires du régime en matière de tarification et risque d'avoir de nombreux effets pervers en rendant le contentieux plus avantageux que la cotisation au régime.

Article 7 - Gage

Objet : Cet article gage les dépenses résultant de la proposition de loi.

I - Le dispositif proposé

Cet article entend gager les pertes de recettes et les dépenses résultant de la proposition de loi sur les revenus du patrimoine et les revenus des placements, visés respectivement par les articles L. 136-6 et L. 136-7 du code de la sécurité sociale.

II - La position de votre rapporteure

Votre rapporteure est favorable à cet article qui fait peser les conséquences financières d'une meilleure indemnisation des victimes du travail sur les revenus du capital qui bénéficient d'une fiscalité allégée.

III - La position de la commission

Par cohérence avec sa position sur l'ensemble des articles de la proposition de loi, votre commission est défavorable à cet article . Elle souligne par ailleurs que les augmentations de dépense de plus de 6 milliards d'euros résultant de la proposition de loi ne peuvent être gagées.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 3 février 2010 , sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis d' Annie David sur la proposition de loi n° 194 rectifié (2009-2010), présentée par elle-même et plusieurs de ses collègues, visant à supprimer la fiscalisation des indemnités journalières versées aux victimes d' accident du travail , à instaurer la réparation intégrale des préjudices subis par les accidentés du travail et à intégrer le montant des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles versé par les entreprises dans leur chiffre d'affaires soumis à l' impôt sur les sociétés .

Annie David, rapporteure, a rappelé qu'en matière d'indemnisation des accidentés du travail, la première loi, votée après une vingtaine d'années de débat parlementaire, remonte à 1898 pour répondre à l'insécurité sociale subie alors par les travailleurs, tant les conditions d'embauche et de travail étaient difficiles. D'autres lois ont suivi, dans le même objectif, jusqu'à la création de la sécurité sociale en 1946. Or, on constate désormais l'effritement du système social, qui explique le dépôt de cette proposition de loi par le groupe CRC-SPG. Son objectif est triple :

- d'une part, revenir sur la fiscalisation partielle des indemnités journalières versées en cas d'accident du travail qui vient d'être votée en loi de finances pour 2010 ;

- d'autre part, améliorer le montant des indemnisations servies dans cette hypothèse ;

- enfin, pour favoriser la prévention des accidents, soumettre à l'impôt sur les sociétés les cotisations patronales accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), qui en sont aujourd'hui exonérées.

La fiscalisation des indemnités journalières consiste à intégrer, dans le revenu imposable des personnes victimes d'un accident du travail, la moitié des sommes qui leur sont versées par la branche AT-MP de la sécurité sociale. Ces indemnités correspondent à 60 % du salaire journalier jusqu'au vingt-huitième jour de l'arrêt de travail et à 80 % au-delà ; leur versement s'interrompt dès lors que la victime est pleinement rétablie ou qu'une incapacité permanente est reconnue, ce qui entraîne le versement d'une rente. Pendant plusieurs années, la commission s'est opposée au principe de fiscalisation proposé, au cours des derniers débats budgétaires, par la commission des finances. Selon Annie David, rapporteure, c'était avec raison et il faut regretter que le Sénat s'y soit finalement rallié en décembre dernier.

En effet, au-delà même de l'amputation de revenu qui en résulte pour les victimes, la fiscalisation marque une nouvelle étape dans la mutation du rapport au travail : elle accrédite l'idée que l'indemnité journalière est une mesure de maintien du revenu, et non l'indemnisation d'un préjudice. En témoigne le fait que les rentes et indemnités versées aux victimes de dommages autres que professionnels ne sont pas imposables en application de l'article 885 K du code général des impôts. En affirmant que les indemnités journalières, par opposition aux rentes, ne constituent pas une compensation mais un revenu, on affirme aussi que le risque fait partie du travail du salarié et qu'il doit l'assumer tant que le dommage causé n'est pas irrémédiable.

Qui plus est, cette évolution remet en cause le fondement même de la loi de 1898 qui, en remplaçant la notion de responsabilité par celle de risque, avait permis :

- aux salariés, de bénéficier d'une présomption d'imputabilité de l'accident au travail, ce qui leur évite d'avoir à faire la preuve de la responsabilité de l'employeur et permet une indemnisation rapide ;

- aux employeurs, de s'assurer collectivement contre le risque lié aux accidents et de verser des compensations d'un montant moins élevé : le préjudice subi est en effet réparé forfaitairement, et non pas intégralement comme c'est le cas lors d'une condamnation en responsabilité civile.

Or, s'il est logique que seul l'employeur cotise au régime AT-MP, puisque c'est lui qui fait assumer un risque au salarié, le fait de fiscaliser les indemnités journalières reporte une part du risque sur le salarié, en oubliant le lien de subordination qui le lie à son employeur.

Cette évolution n'est, à son sens, pas acceptable, dans la mesure où elle ne fait qu'accentuer l'érosion progressive des droits des salariés résultant de la mutation des modèles de production, qui conduit à faire peser sur les salariés la responsabilité de s'auto organiser, et donc d'être adaptables, réactifs et disposés à prendre des risques. Cette incitation à la prise de risque, au moment où les formes collectives de travail les plus protectrices disparaissent, aboutit nécessairement à des accidents et à une augmentation du mal-être au travail. Ce faisant, on revient aussi sur l'inconditionnalité des droits sociaux, au profit d'une logique de contrepartie.

Pour ces motifs, la proposition de loi souhaite rétablir l'exonération fiscale des indemnités journalières, leur fiscalisation n'ayant d'ailleurs qu'un rendement attendu faible, soit 135 millions d'euros.

Au-delà de cette mesure, le texte propose aussi d'améliorer l'indemnisation des accidents du travail car, contrairement à une image trop souvent véhiculée par la presse, les victimes d'AT-MP sont moins bien indemnisées que les autres :

- tout d'abord, d'autres lois, et plus particulièrement celle du 5 juillet 1985 relative aux victimes d'accidents de la route, sont allées au bout de la logique assurantielle et ont prévu une réparation intégrale, et non pas forfaitaire, du préjudice. Ceci aboutit au paradoxe qu'un accident de trajet domicile-travail sera indemnisé forfaitairement et qu'un accident de la route le sera intégralement, alors que les préjudices peuvent être les mêmes ;

- par ailleurs, les critères de mise en cause de la responsabilité civile ont été progressivement assouplis. A la suite du drame de l'amiante, la Cour de cassation a jugé, en 2002, que l'employeur a « une obligation de sécurité de résultat » et que le manquement à cette obligation présente le caractère d'une faute inexcusable. Dès lors, une réparation intégrale est possible pour la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle à condition de se tourner vers les tribunaux pour engager la responsabilité civile de l'employeur.

L'intérêt du régime des AT-MP s'en trouve nécessairement amoindri et la cohérence, autant que la justice, voudrait que l'on abandonne l'indemnisation forfaitaire pour passer à une indemnisation intégrale du préjudice. De nombreux rapports ont été écrits sur cette question depuis 1991 mais les partenaires sociaux n'ont pas retenu l'indemnisation intégrale pour des raisons de coût. La proposition de loi soutient donc le choix politique d'établir la réparation intégrale du préjudice, dès le stade des indemnités journalières.

Annie David, rapporteure, a ensuite indiqué que son rapport écrit distinguera clairement sa position et celle de la commission dans l'hypothèse où, en vertu de l'accord politique conclu entre les présidents de groupe, la commission déciderait de ne pas adopter de texte afin que le débat s'ouvre, en séance publique, sur la version initiale de la proposition de loi.

Elle a ensuite détaillé le contenu des sept articles :

- l'article 1 er propose de supprimer la fiscalisation des indemnités journalière telle que prévue par l'article 85 de la loi de finances pour 2010 ;

- l'article 2 pose le principe de la réparation intégrale du préjudice subi au titre d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ;

- l'article 3 précise les différents types de préjudices indemnisés par le régime AT-MP afin d'aboutir à une compensation intégrale, y compris le préjudice moral subi par la famille. Le coût de cette mesure a été évalué par le rapport Laroque de 2004 à 3 milliards d'euros. Ce coût peut paraître important, rapporté au budget de la branche AT MP -environ 10 milliards dont 7,3 milliards de prestations directes- mais il faut rappeler qu'aujourd'hui les différents préjudices, et singulièrement ceux liés au recours à l'aide d'une tierce personne ou aux aménagements résultant d'une incapacité permanente, sont supportés par les départements au titre des prestations compensatrices du handicap. Or, il n'est pas légitime que la collectivité nationale assume des charges qui relèveraient, dans le cadre d'un contentieux de la responsabilité civile, de l'employeur ;

- l'article 4 prévoit que le calcul des rentes se fera à partir du taux réel d'incapacité. Il supprime donc, d'une part, la référence actuelle au taux minimal d'incapacité de 10 %, au-dessous duquel aucune rente n'est due, d'autre part, la possibilité pour la caisse de moduler la rente. Dès lors, toute incapacité permanente ou cumul d'incapacités permanentes ouvriraient droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité. Le coût de cette mesure est estimé à 2,98 milliards d'euros, dont 2,2 milliards résultant de la suppression de la possibilité de moduler le taux de la rente en fonction de la gravité de l'incapacité ;

- l'article 5 fixe le montant de l'indemnité journalière au niveau du salaire net perçu, et non plus à 60 % ou 80 % du salaire journalier de base. Le coût de cette disposition est estimé à 160 millions d'euros ;

- l'article 6 tend à réintégrer, dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés, les 10 milliards d'euros de cotisations versés au titre du régime AT-MP et qui sont, pour l'instant, exclus de l'assiette de l'impôt. Ceci aurait pour vertu d'augmenter les recettes de l'Etat et donc de participer à la compensation des sommes déjà versées par les départements en raison de la non-compensation intégrale du préjudice par le régime AT-MP. Par ailleurs, cette mesure serait de nature à renforcer l'incitation, pour les entreprises, à adopter des mesures de prévention. Elle est susceptible de rapporter au budget de l'Etat jusqu'à 2 milliards d'euros par an ;

- enfin, l'article 7 gage les conséquences financières liées à la proposition de loi par un accroissement de la taxation sur les revenus du capital qui bénéficient d'une fiscalité allégée.

Gérard Dériot a indiqué comprendre la démarche des auteurs de la proposition de loi mais a indiqué que la mesure de fiscalisation à 50 % des indemnités journalières répond à un souci d'une certaine moralisation, en réponse à la disparité entre le régime applicable aux indemnités servies par la branche AT-MP, d'une part, et par la branche maladies, d'autre part. De fait, l'indemnité journalière n'est pas la compensation du préjudice subi mais bien un revenu de substitution en raison de l'absence de travail. L'impact de la fiscalisation sera de toute façon limité car un grand nombre de victimes appartiennent à des foyers non imposables. Concernant le choix de l'indemnisation forfaitaire, il ne convient pas de le remettre en cause dans la mesure où il résulte de la négociation entre partenaires sociaux.

Catherine Procaccia a souligné qu'elle avait voté sans enthousiasme la fiscalisation des indemnités journalières car la commission des affaires sociales s'était toujours opposée à une telle mesure. Cependant, après la validation de cette disposition par le Conseil constitutionnel, et à peine trois mois après le vote de la loi de finances, il n'est pas opportun de revenir sur cette mesure.

Par ailleurs, la volonté de réintégrer les cotisations au régime AT-MP dans la base de l'impôt sur les sociétés relève, à son sens, d'une vision archaïque des relations de travail. Il est excessif de faire porter sur l'employeur la présomption de responsabilité et de l'imposer de surcroît : il n'est pas contestable qu'un nombre important d'accidents de travail ou de trajet résultent en fait de l'imprudence du salarié.

Sylvie Desmarescaux a déclaré ne pas partager les conclusions de ce rapport, par ailleurs excellemment présenté. La fiscalisation partielle des indemnités journalières constitue une mesure de justice au regard des arrêts maladie et ne pénalisera qu'à la marge les salariés. En matière de responsabilité, il faut aussi se garder de considérer que ce sont toujours les entreprises ou les collectivités territoriales qui sont en faute.

Claude Jeannerot a souligné le paradoxe résultant du fait d'avoir uniformisé le statut fiscal des indemnités journalières servies par les différentes branches de la sécurité sociale mais pas celui des rentes. Cela indique en fait que les indemnités journalières versées au titre des accidents du travail constituent bien la réparation d'un préjudice.

Jean-Pierre Godefroy a insisté sur le fait que la commission des affaires sociales s'était toujours opposée à la fiscalisation des indemnités journalières. Les partenaires sociaux se sont également prononcés contre cette mesure car elle entraînera nécessairement de nouvelles négociations dans lesquelles le patronat n'est pas prêt à s'engager. Il a déclaré douter de la faiblesse effective de l'impact de la mesure sur les revenus des salariés victimes. Par ailleurs, la différence de traitement entre les victimes d'accidents du travail et les autres, qui perçoivent une indemnisation intégrale, n'est pas justifiable.

La commission des affaires sociales devrait, à son sens, adopter la suppression de la fiscalisation, par cohérence avec sa position passée constante, et accepter que s'ouvre le débat sur l'indemnisation intégrale des victimes des accidents du travail. Les 3 milliards que coûterait cette indemnisation correspondent exactement au transfert auquel la branche se trouve contrainte, du fait de la sous-déclaration des accidents et de l'indemnisation des victimes de l'amiante. Ces charges ne devraient pas lui incomber et elle serait alors en mesure d'indemniser intégralement les victimes à budget constant.

Isabelle Pasquet a considéré à son tour que les indemnités journalières constituent la compensation d'un préjudice et pas un revenu. En effet, elles ne prennent pas en compte les revenus réels et, notamment, les primes. Concernant la question de la responsabilité, on constate dans les faits que l'employeur est le plus souvent à l'origine du dommage et il incombe, de toute façon, au législateur de protéger le plus faible, c'est-à-dire le salarié.

Jacky Le Menn a jugé que le problème de fond est de savoir si les indemnités journalières sont un revenu ou la compensation du préjudice subi.

Catherine Procaccia a répondu que le Conseil constitutionnel a tranché cette question et reconnu le caractère mixte des indemnités journalières servies par la branche AT-MP.

Jacky Le Menn a estimé néanmoins qu'il faut décider qui doit supporter le risque lié au travail. On ne peut considérer que le salarié est dans la même position que l'employeur de ce point de vue.

Yves Daudigny a affirmé l'intérêt de la proposition de loi pour lutter contre l'érosion progressive des droits des salariés, partageant en cela les analyses de ses collègues du groupe socialiste.

Alain Milon a fait observer que, concrètement, le médecin qui traite une personne ayant subi un accident du travail ne se préoccupe pas du préjudice mais des soins à apporter. Ce n'est que plus tard que d'autres médecins se prononcent sur l'incapacité. Il y a donc bien une logique différente derrière les indemnités journalières et la rente.

Gérard Dériot a insisté sur le fait que les indemnités journalières ne rentrent pas dans le cadre de l'indemnisation. La fiscalisation partielle est une évolution nécessaire et son impact sera nécessairement faible en raison de la progressivité de l'impôt sur le revenu dont 50 % des foyers sont d'ailleurs exonérés.

Jean-Pierre Cantegrit a signalé qu'en pratique, pour les accidents de travail de courte durée, les employeurs individuels préfèrent souvent maintenir l'intégralité du salaire. Dès lors, la fiscalisation du revenu est logiquement maintenue.

Jean-Pierre Godefroy a estimé que de telles pratiques sont une des causes de la sous-déclaration des accidents du travail. Celle-ci fait peser sur la branche maladie des dépenses qui ne lui incombent pas et ne permet pas la mise en oeuvre de mesures de prévention.

En fait, la fiscalisation des indemnités journalières résulte de la volonté du Gouvernement de trouver des ressources fiscales nouvelles. La même logique est à l'oeuvre dans le décret récent qui impose la prise en compte du seul salaire de base pour l'établissement du montant de la retraite anticipée servie par le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcataa), contrairement à la jurisprudence de la Cour de cassation. L'allocation servie étant de 65 % du salaire de référence, ce décret aboutira en pratique à empêcher les salariés de prendre leur préretraite. Il convient de réfléchir à des mesures plus efficaces et moins socialement injustes pour trouver des ressources fiscales.

Bernard Cazeau a déclaré que la question de l'imposition est un point secondaire. La législation a une portée compensatoire qui tient compte de la détresse des victimes et de la longueur des procédures de décisions d'indemnisation. Il s'agit donc d'un problème politique et c'est pour cette raison qu'il votera pour l'adoption de la proposition de loi.

Patricia Schillinger a fait part de son expérience personnelle et du caractère compensatoire des indemnités journalières. Celui-ci s'oppose à ce qu'il y ait une fiscalisation même partielle.

Jean Desessard a indiqué qu'il votera également pour la proposition de loi.

Annie David, rapporteure, s'est réjouie de la richesse des échanges qui montre que tous ont le souci de permettre une indemnisation adéquate des accidents du travail même si les principes ne sont pas les mêmes. Si l'on affirme que la fiscalisation est une mesure d'équité, il faut en conclure que la part compensatrice du préjudice dans les indemnités journalières n'est que de 10 % du salaire dans les vingt-huit premiers jours, ce qui est fort peu. S'agissant de la responsabilité des salariés dans certains accidents, il convient de se défier des cas individuels et de se référer au cas général qui montre effectivement la responsabilité de l'employeur. Elle a indiqué à Sylvie Desmarescaux que si un salarié est responsable d'un accident, cela exonère l'employeur.

Sylvie Desmarescaux a précisé qu'il faut toujours prendre en compte la dimension humaine de tels drames. Les départements assurent de toute façon la compensation du préjudice lorsqu'il y a incapacité ou handicap.

Annie David, rapporteure, a rappelé que la législation, en matière d'indemnisation des victimes, a évolué et que le régime des accidents du travail indemnise aujourd'hui moins bien comparativement. Certes, les différents préjudices sont compensés pour les victimes des accidents du travail mais il faut savoir à qui il revient de payer. Il n'y a pas de raison que les départements le fassent à la place des employeurs.

La commission a ensuite examiné les deux amendements déposés par les membres du groupe socialiste sur cette proposition de loi.

A l'article 3 (précision des préjudices compris dans l'indemnisation et précision des personnes admises au bénéfice d'un dédommagement au titre du préjudice moral), Annie David, rapporteure, a donné un avis favorable à l'amendement n° 1 dont la rédaction paraît techniquement mieux adaptée.

La commission n'a pas adopté cet amendement.

A l'article 4 (utilisation pour le calcul des rentes du véritable taux d'incapacité, dit aussi « taux médical »), en dépit de l'avis favorable de son rapporteur à l'amendement n° 2 tendant à élargir le champ de la mesure proposée, la commission n'a pas adopté cet amendement.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de ne pas établir de texte pour la proposition de loi. En conséquence, le débat portera, en séance publique, sur le texte tel que déposé par ses auteurs.

* 1 Rémi Pellet, L'entreprise et la fin du régime des accidents du travail et des maladies professionnelles, Droit social, n° 4, avril 2006, p. 402.

* 2 Depuis la loi du 25 octobre 1919.

* 3 Cette voie avait déjà été ouverte par le Conseil d'Etat qui avait mis en place un régime de responsabilité sans faute de l'Etat employeur au titre des accidents du travail dans son arrêt Cames du 21 juin 1895.

* 4 François Ewald, L'Etat providence et la philosophie du droit, Grasset, 1986.

* 5 Le programme adopté le 15 mars 1944 prévoit, parmi les mesures à mettre en oeuvre après la Libération, « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'Etat ».

* 6 Par la loi n° 45-2426 du 30 octobre 1946.

* 7 Cf. le dernier Livre Blanc de la Fnath, du 13 janvier 2010.

* 8 Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant a l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation.

* 9 Cass. soc. 28 février 2002, SA Eternit industrie c./veuve Hammou et a. et Cass. soc. 11 avril 2002, Edrissi c./Sté Camus industrie.

* 10 Sous-amendement déposé par la députée Marie-Anne Montchamp.

* 11 Rapport n° 1967 de Gilles Carrez, fait au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale, sur le projet de loi de finances pour 2010.

* 12 Cf. Rapport d'information n° 37 tome I (2005-2006) - 26 octobre 2005 de Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy, « Le drame de l'amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l'avenir », fait au nom de la mission commune d'information.

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