II. AUDITION DE M. PHILIPPE MILLS, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANCE TRÉSOR (27 JANVIER 2010)

M. Jean Arthuis , président, a rappelé que si les « investissements d'avenir » seront de 35 milliards d'euros, l'Etat doit également bénéficier en 2010 de 13 milliards d'euros de remboursements de la part des banques et racheter 9 milliards d'euros de titres, de sorte que l'augmentation des émissions par rapport au montant prévu par la loi de finances initiale pour 2010 n'est que de 13 milliards d'euros. Ces 35 milliards d'euros ne seront pas immédiatement dépensés par les administrations publiques, mais attribués dans un premier temps par l'Etat à divers opérateurs. Par ailleurs, ils comprennent 15,5 milliards d'euros de crédits dits « non consomptibles », qui seront déposés auprès du Trésor et dont les opérateurs ne percevront que le produit de la rémunération, à un taux qui reste à déterminer. On peut s'interroger sur l'impact que l'emprunt national est susceptible d'avoir sur l'écart de taux d'intérêts entre la France et ses principaux partenaires.

M. Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor, a estimé que si les investisseurs et les agences de notation se sont surtout intéressés en 2008 et 2009 aux évolutions macroéconomiques, ils accorderont au cours des prochaines années une importance croissante aux finances publiques et au calendrier de leur consolidation. L'Irlande, la Grèce, l'Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni ont vu leurs conditions de financement se détériorer, du fait de leurs perspectives en matière de croissance du produit intérieur brut (PIB) et de dette publique, voire de la dégradation de leur notation par les agences internationales. Aucun de ces Etats ne s'est toutefois trouvé dans l'incapacité de réaliser les émissions prévues. Bien que son écart de taux avec l'Allemagne ait augmenté, la France reste l'un des émetteurs les plus solides. Ainsi, l'agence Moody's considère que parmi les Etats dits « AAA », c'est-à-dire les mieux notés, la France appartient à la catégorie la plus fiable, celle des Etats « résistants » (comme l'Allemagne et le Canada), les Etats-Unis et le Royaume-Uni étant considérés comme « résilients », et l'Espagne comme « vulnérable ». Les conditions de financement de la France se sont améliorées en 2009 : le taux moyen pondéré à moyen et long termes est passé de 4,13 % en 2008 à 2,95 % en 2009, et celui des bons du Trésor à taux fixe (BTF) à trois mois de 3,59 % en 2008 à 0,62 % en 2009. Il existe une forte demande des investisseurs pour la dette publique française, détenue pour un tiers par des résidents, un tiers par des investisseurs de la zone euro et un tiers par des investisseurs hors zone euro. Le montant annuel des émissions de l'Etat est en forte augmentation : de 97,5 milliards d'euros en 2007, il est passé à 128,5 milliards d'euros en 2008 et 165 milliards d'euros en 2009, et devrait être de 188 milliards d'euros en 2010. Cette évolution provient de l'augmentation des émissions à refinancer, du plan de relance et de la dégradation de la situation économique. Ce montant de 188 milliards d'euros est supérieur de 13 milliards d'euros à celui prévu par la loi de finances initiale pour 2010. Les émissions devraient cependant être en 2010 significativement inférieures à celles de l'Allemagne, estimées à au moins 207 milliards d'euros. Cet écart est indispensable : si, de manière exceptionnelle, la France a réalisé autant d'émissions que l'Allemagne en 2009, les investisseurs risqueraient de percevoir très négativement la persistance d'une telle situation.

En 2010, sur les 35 milliards d'euros d' « investissements d'avenir », 30 milliards seraient déposés par les opérateurs sur le compte du Trésor, ce qui permettrait de réduire d'autant les émissions de BTF, et seulement 5 milliards seraient dépensés. La dette et le déficit au sens du traité de Maastricht augmenteraient de respectivement 5 et 2,5 milliards d'euros, et le déficit de l'Etat au sens de la comptabilité budgétaire serait accru de 35 milliards d'euros. Les dotations non consomptibles, de 15,5 milliards d'euros, correspondent à une ressource de trésorerie pérenne pour l'Etat, qui rémunérera les opérateurs à un taux déterminé au cas par cas.

Mme Nicole Bricq a souligné qu'en 2010, le montant global de cette rémunération est évalué à 500 millions d'euros, le projet de loi de finances rectificative prévoyant de réduire à due concurrence les dépenses de fonctionnement de l'Etat.

M. Jean Arthuis , président, a jugé le recours aux crédits non consomptibles « astucieux ».

M. Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor, s'est félicité de ce que le projet de loi de finances rectificative prévoie le recours aux marchés plutôt qu'à la souscription de particuliers, ainsi que le dépôt des fonds levés sur le compte du Trésor. Les investisseurs suivront avec attention la conférence sur les finances publiques du 28 janvier, la publication du programme de stabilité la semaine prochaine, et les décisions prises au sujet des retraites les mois suivants.

M. Jean Arthuis , président, a déduit des propos de l'intervenant qu'en 2010 l'emprunt national accroîtra la dette publique de 5 milliards d'euros, impliquera d'émettre 22 milliards d'euros supplémentaires à moyen et long termes, et permettra de réduire les émissions à court terme de 30 milliards d'euros. Toujours en 2010, le supplément de dépenses sera de 5 milliards d'euros, dont seulement 2,5 milliards seront pris en compte par la comptabilité nationale. Sur les 35 milliards d'euros d' « investissements d'avenir », 15,5 milliards correspondront à des dotations non consomptibles. Il s'est demandé si le Gouvernement dispose d'un échéancier, même approximatif, des décaissements par les opérateurs.

M. Philippe Mills a indiqué ne pas disposer d'un tel échéancier. Les hypothèses actuellement retenues correspondent cependant à des dépenses de 5 milliards d'euros en 2010 puis en 2011.

M. Jean-Pierre Fourcade s'est interrogé sur l'impact qu'une reprise de l'inflation serait susceptible d'avoir sur la charge d'intérêt des obligations assimilables du Trésor (OAT) indexées sur l'inflation, sur l'articulation de l'emprunt national et du prélèvement sur le produit de cession de titres d'Electricité de France (EDF) qui contribue actuellement au financement de l'opération campus et sur la nécessité ou non d'indiquer aux marchés dès 2010 la stratégie de réduction du déficit public.

M. Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor, a estimé que les OAT indexées sur l'inflation sont par nature volatiles, mais qu'elles permettent à l'Etat de se financer à des conditions légèrement plus favorables. Il n'y a pas lieu d'ajuster le mécanisme de financement de l'opération campus par les titres d'EDF, de même nature que celui prévu par le projet de loi de finances rectificative pour les dotations non consomptibles. Dans ce dernier cas, plusieurs cas de figure sont envisageables. Si ces dotations ont vocation à disparaître d'ici dix ou quinze ans, on pourrait rémunérer les dépôts en fonction du taux des OAT de même maturité. Dans le cas contraire, on pourrait retenir un taux fixe correspondant à celui actuellement constaté pour les émissions d'OAT à quinze ans (actuellement de l'ordre de 4 %), ou un taux variable chaque année égal à celui observé pour les émissions d'OAT de maturité un peu plus courte. La périodicité du versement des intérêts reste également à déterminer. Le Gouvernement doit indiquer dès à présent sa stratégie de désendettement, afin de ne pas décevoir les marchés.

M. Jean-Jacques Jégou s'est interrogé sur la fiabilité des agences de notation et sur les perspectives d'évolution des taux d'intérêt. Les finances sociales sont dans une situation difficile, du fait en particulier de la situation des retraites, et de la récession de 2009, qui a réduit la masse salariale de manière probablement durable.

M. Philippe Adnot s'est demandé ce qu'il adviendrait de la rémunération des fonds des universités déposés sur le compte du Trésor, si elles se trouvaient dans l'incapacité de dépenser ce produit.

Mme Nicole Bricq s'est interrogée sur la nature des 500 millions d'euros de crédits de paiement devant être annulés en 2010 pour compenser la charge d'intérêt suscitée par l'emprunt national. Le recours aux dotations non consomptibles aura pour effet de rendre plus difficile le contrôle de la dépense publique par le Parlement.

M. Jean-Paul Alduy s'est demandé pourquoi la dette des collectivités territoriales ne préoccupe pas davantage les commentateurs.

MM. Jean Arthuis , président, et Philippe Adnot , ont exprimé leur crainte que la diminution du pouvoir fiscal des collectivités territoriales suscite une dégradation de leurs conditions de recours à l'emprunt.

M. Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor, a estimé que les insuffisances des agences de notation mises en évidence par la crise financière concernent non la fiabilité d'émetteurs, comme les Etats, mais celle de produits. Les agences appliquent une méthodologie relativement fiable dans le cas des Etats, même si cette fiabilité peut varier d'une agence à l'autre. Par ailleurs, la notation effectuée par ces agences n'est, pour les investisseurs, qu'un critère parmi d'autres.

Les taux d'intérêt ne peuvent qu'augmenter, mais ce risque a déjà été provisionné dans la loi de finances initiale pour 2010, de sorte que l'aléa sur la charge d'intérêt est à la baisse.

M. Jean Arthuis , président, a souligné que les banques centrales ont fortement accru la liquidité mondiale.

M. Philippe Mills a indiqué que, selon le consensus des économistes, les banques devraient réduire les liquidités en 2010, et augmenter leurs taux début 2011 (et non fin 2010, comme le consensus l'envisageait auparavant). L'AFT va aider l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (ACOSS) à se financer en 2010, en émettant pour son compte, de manière exceptionnelle, 12 milliards d'euros de titres à court terme. Les investisseurs examineront avec attention les décisions qui seront prises en ce qui concerne les pensions, et en particulier l'augmentation éventuelle de l'âge légal de départ à la retraite.

M. Jean Arthuis , président, a souligné l'impact que des décisions politiques concrètes sont susceptibles d'avoir sur les taux d'intérêt. Il s'est interrogé sur la pertinence de maintenir la scission de la dette publique entre, notamment, celle de l'Etat, gérée par l'AFT, et celle de la Sécurité sociale, gérée par l'ACOSS et la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).

M. Jean-Jacques Jégou a rappelé que, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, la commission a adopté un amendement tendant à accroître le produit de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 20 milliards d'euros.

M. Philippe Mills a estimé que la distinction entre la dette sociale et celle de l'Etat doit être maintenue. En effet, les investisseurs se conforment à des règles en matière de diversification de leurs actifs. La dette de la CADES étant classée dans une catégorie différente de celle des Etats, sa fusion avec celle de l'Etat aurait pour effet de renchérir le coût de cette dernière. Tel serait également le cas si les investisseurs considéraient la dette de la CADES comme une dette implicite de l'Etat français.

M. Jean Arthuis , président, a considéré que cette distinction traduit une certaine naïveté de la part des investisseurs.

M. Philippe Mills a rappelé que les campus d'excellence seront soumis à une période probatoire avant de se voir attribuer une dotation en capital non consomptible.

En réponse à des demandes de précisions de M. Adrien Gouteyron et Mme Nicole Bricq , il a ajouté que cette période probatoire sera de trois ans (2011-2013). Les 500 millions d'euros de rémunération des 15,5 milliards d'euros de dotations non consomptibles devant être versés aux opérateurs en 2010 ont été calculés sur la base d'une hypothèse de taux de rémunération de 4 %, pendant trois trimestres.

M. Jean Arthuis , président, a souligné que la réduction à due concurrence des dépenses de fonctionnement de l'Etat remet en cause les crédits prévus par la loi de finances pour 2010, adoptée il y a seulement un mois.

M. Jean-Paul Alduy s'est interrogé sur la capacité des universités à dépenser les sommes qui leur seront allouées.

M. Philippe Mills a estimé que les investisseurs considèrent que les collectivités territoriales sont globalement bien gérées et bénéficient de la garantie implicite de l'Etat, ce qui contribue à expliquer leurs bonnes conditions de financement.

M. Jean Arthuis , président, s'est interrogé sur la rémunération éventuelle des banques dans le placement des émissions de l'emprunt national.

M. Philippe Mills a indiqué que l'Etat ne recourt qu'exceptionnellement à la syndication, les émissions se faisant presque toujours par adjudication, de sorte que les banques ne seront en pratique pas rémunérées.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page