B. PRÉSERVER LES DROITS DES CRÉANCIERS ANTÉRIEURS

1. L'opposabilité de l'affectation aux créanciers antérieurs

Dans sa version initiale, le projet de loi prévoyait que la déclaration d'affectation du patrimoine professionnel n'était opposable qu'aux créanciers dont les droits étaient nés postérieurement à son enregistrement.

En conséquence, l'ensemble du patrimoine de l'entrepreneur, affecté et non affecté, demeurait le gage de l'ensemble des créanciers dont les droits étaient nés antérieurement à l'affectation, que ces droits aient ou non pour origine l'activité professionnelle, étant entendu qu'en tout état de cause les sûretés antérieurement constituées n'étaient pas remises en causes par l'affectation. Les créances en cours n'étaient pas concernées par l'affectation.

Cependant, l'Assemblée nationale a préféré prendre la position inverse, avec l'avis favorable du rapporteur de sa commission des affaires économiques, saisie au fond, Mme Laure de la Raudière, et malgré l'avis défavorable du Gouvernement.

Une telle disposition permettrait à un entrepreneur individuel de réduire unilatéralement et de façon imprévisible le gage de ses créanciers tant professionnels que personnels, sans droit d'opposition.

2. Un doute constitutionnel

On peut s'interroger sur la constitutionnalité d'une telle disposition au regard du principe de la liberté contractuelle, qui résulte de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et du droit, reconnu par le Conseil constitutionnel, au maintien de l'économie des conventions légalement conclues, qui en découle. Récemment encore, dans sa décision n° 2009-592 DC du 19 novembre 2009 portant sur la loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, le Conseil a rappelé son considérant de principe en la matière, selon lequel « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 ».

L'opposabilité de l'affectation aux créanciers antérieurs et donc aux contrats en cours porterait manifestement atteinte aux contrats conclus entre ceux-ci et les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée, sans que l'on soit assuré que la seule protection du patrimoine personnel des entrepreneurs puisse nécessairement constituer un motif d'intérêt général suffisant.

Votre commission a estimé qu'il existait un doute constitutionnel.

3. Un aléa dans les relations économiques

Lorsque l'on évoque les créanciers des entrepreneurs individuels, on pense en premier lieu aux banques. Les établissements de crédit sont souvent des partenaires incontournables des artisans et des commerçants, tant pour le financement de l'activité, notamment au moment de sa création, que pour des nécessités de trésorerie.

Cependant, la plupart des organisations professionnelles entendues par votre rapporteur ont fait état de leur doute, voire de leur hostilité, à ce que l'affectation produise des effets à l'égard des créances en cours. En effet, les créanciers des entrepreneurs sont aussi souvent des fournisseurs, d'autres petits entrepreneurs, qui n'exigent pas les garanties que prennent les banques mais qui verraient de façon imprévisible le gage de leurs créances réduit.

Au surplus, le comportement des établissements de crédit consistant à minimiser le risque de défaut de l'emprunteur en prenant, si nécessaire, des garanties d'un montant au moins équivalent voire supérieur aux sommes prêtées, l'opposabilité de l'affectation aux contrats de crédit en cours ne semble pas de nature à renforcer la confiance entre les entrepreneurs et les banques. La possible affectation à tout moment pourrait être perçue comme un « risque » nouveau, nécessitant des garanties encore plus lourdes.

Enfin, le parallélisme avec l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée veut que les créances antérieures de l'entrepreneur individuel restent personnelles.

Aussi votre commission considère-t-elle que l'opposabilité de l'affectation du patrimoine professionnel aux créances en cours comporte trop de risques, d'effets pervers et d'effets d'aubaine injustifiés. Dans l'intérêt même des entrepreneurs à qui s'adresse le projet de loi, il est nécessaire de revenir à l'esprit de la rédaction initiale. En outre, ceci assurerait un parallélisme bienvenu, notamment en cas de cumul des deux dispositifs, avec les effets de la déclaration d'insaisissabilité, qui n'est opposable qu'aux créanciers professionnels postérieurs.

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