TRAVAUX DE COMMISSION

I. AUDITION DU MINISTRE

Réunie le mercredi 26 mai 2010 sous la présidence de Muguette Dini, présidente, puis de Catherine Procaccia, vice-présidente, la commission procède à l' audition d' Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, sur le projet de loi n° 446 (2009 2010) complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008.

Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. - Ce texte complète la loi du 20 août 2008, qui a réformé les critères de représentativité des syndicats en mettant fin à la présomption irréfragable de représentativité, en vigueur depuis les lendemains de la guerre. Désormais, les syndicats fondent leur représentativité sur l'élection, les salariés désignent ceux qui les représentent pour négocier les accords les concernant : c'est un progrès essentiel, tant la démocratie est indissociable de l'élection.

Cependant, la voix des salariés des entreprises de moins de onze salariés n'est pas prise en compte dans l'évaluation de la représentativité des syndicats, puisque les très petites entreprises (TPE) n'ont pas l'obligation d'organiser des élections professionnelles. Les partenaires sociaux signataires de la position commune d'avril 2008, à savoir le Medef, la CGPME, la CGT et la CFDT, avaient prévu à l'origine de mettre en place par la suite un mécanisme pour prendre en compte la position des salariés des TPE, et la loi du 20 août 2008 a renvoyé le sujet à une loi ultérieure. Une négociation entre les cinq centrales, le Medef, la CGPME et l'UPA devait aboutir avant le 30 juin 2009 : elle n'a pas abouti, le Gouvernement le regrette.

Le 20 janvier dernier, cependant, l'UPA et quatre syndicats de salariés adressaient une lettre au Gouvernement demandant que les salariés des TPE soient pris en compte ; c'est cette lettre que le Gouvernement a prise comme base pour ce projet de loi.

Les salariés des TPE représentent 20 % des salariés du privé, soit quatre millions de personnes, qui ne sont jamais consultés sur la représentativité de syndicats pourtant chargés de négocier les accords de branche qui les concernent directement. Les accords de branche eux-mêmes perdent de la valeur dès lors qu'on ne s'assure pas de la représentativité de ceux qui les négocient. Priver des salariés du droit d'expression au prétexte qu'ils travaillent dans une très petite entreprise, c'est comme si l'on privait des citoyens du droit de vote à l'élection présidentielle au prétexte qu'ils habitent dans un très petit village.

La loi de 2008 a donc prévu des règles transitoires, dans l'attente de celles qui permettront de mesurer la représentativité des syndicats en 2013. Il faut donc, d'ici là, organiser la prise en compte de tous les salariés, y compris ceux des TPE, par des élections.

Lors du sommet social du 15 février dernier, le Président de la République a fixé deux échéances : une loi pour cette année et une consultation électorale dès la fin 2012.

La réforme que je vous propose est simple, pragmatique, sans idéologie, et elle fait confiance à la négociation collective.

En premier lieu, elle institue la mesure de l'audience des syndicats de salariés auprès des salariés des TPE. L'Etat organisera tous les quatre ans un scrutin auprès des quatre millions de salariés concernés. Par souci de souplesse et pour qu'il ne représente pas une charge nouvelle pour l'entreprise, nous prévoyons un vote électronique ou par correspondance. Tous les syndicats qui présenteront des candidats au premier tour des élections professionnelles pourront mesurer leur audience dans les TPE.

Cette consultation se fera sur les sigles de syndicats. Certains auraient préféré une élection avec des candidats identifiés mais on ne peut désigner de candidats qu'à la condition qu'ils siègent ensuite dans une instance. Nous n'avons pas affaire ici à des fonctions, il n'y aura qu'une mesure de l'audience. D'où cette élection par sigles qui permettra de mesurer le poids électoral de chaque syndicat, par branche et au niveau interprofessionnel, en prenant en compte l'expression de tous les salariés.

Le secteur agricole dispose déjà, avec les élections aux chambres d'agriculture, d'un bon outil pour mesurer la représentativité des syndicats ; le secteur agricole y étant attaché, nous prévoyons de nous en tenir à ces élections aux chambres d'agriculture pour mesurer l'audience des syndicats agricoles.

En second lieu, ce texte renvoie à la négociation collective la possibilité de mettre en place des commissions paritaires pour les salariés des TPE. Les signataires de la lettre du 20 janvier 2010 ont demandé des commissions paritaires régionales, des discussions sont engagées entre partenaires sociaux. De telles commissions existent depuis la loi du 4 mai 2004 pour de nombreuses entreprises et dans l'artisanat depuis 2001 ; elles ont toujours dépendu de la négociation collective et de la volonté des partenaires sociaux. Des commissions paritaires existent ainsi dans le Gers, dans le Lot, en Loir-et-Cher ; elles réunissent des organisations patronales interprofessionnelles et des organisations de salariés. Les commissions paritaires pour les TPE auraient des attributions plus limitées, sans pouvoir, par exemple, négocier des accords.

Enfin, ce texte reporte de deux ans les élections prud'homales, pour éviter d'organiser la même année des élections professionnelles différentes, dont les résultats pourraient être contradictoires. Ce report donne aussi du temps à la réflexion. J'ai reçu hier le rapport de Jacky Richard sur l'avenir des élections prud'homales ; nous allons prendre le temps d'examiner les pistes qu'il propose. Les élections prud'homales coûtent 90 millions, mais la participation est toujours plus faible, à un point tel qu'on peut s'interroger sur leurs modalités.

Alain Gournac, rapporteur. - Monsieur le ministre, j'ai cinq questions à vous poser.

Peut-on garantir le secret et la fiabilité du vote électronique ou par correspondance ?

Quel est, ensuite, l'échelon territorial pertinent pour la commission paritaire ? Comment recevrez-vous des amendements qui préciseraient le rôle des commissions, et notamment le fait qu'elles ne seront titulaires d'aucun pouvoir de contrôle dans l'entreprise ?

Pensez-vous que l'heure soit venue d'ouvrir le dossier de la représentativité patronale ?

Quelles sont les préconisations du rapport de Jacky Richard ?

Enfin, ne pensez-vous pas que le Haut Conseil du dialogue social pourrait s'exprimer sur la mesure de l'audience syndicale auprès des salariés des TPE, ou sur les moyens de garantir le secret du vote ?

Annie David. - Je ne pense pas que l'on puisse mesurer la représentativité avec des élections sur sigles. Vous donnez l'exemple des habitants d'un petit village, qui seraient privés de vote à l'élection présidentielle ; mais avec votre texte, vous ne faites que leur proposer de voter pour un parti, qui désignerait ensuite le maire ! Voter pour un sigle n'est pas satisfaisant ; il serait bien préférable de voter pour des candidats.

Je regrette aussi que les commissions paritaires ne soient pas obligatoires. Elles sont actuellement déjà facultatives. Qu'apporte donc de plus ce texte aux quatre millions de salariés des TPE ?

Pour les agriculteurs, vous allez mesurer l'audience syndicale à partir des élections aux chambres d'agriculture, mais les seuils pour déterminer la représentativité nationale ne sont-ils pas plus exigeants lors des élections agricoles ? Le mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), par exemple, me semble se heurter à de tels seuils et il est dommage qu'il ne soit pas mieux pris en compte !

Vous déplorez, comme nous, l'abstention grandissante aux élections prud'homales, mais la tendance touche aussi les élections politiques sans, cependant, qu'on remette en cause leur légitimité. Vous allez examiner les pistes du rapport Richard, j'espère que vous écarterez celle qui mène à une élection à deux degrés - sur le modèle des sénatoriales... - car les salariés des TPE n'auraient alors plus aucune possibilité d'être représentés.

Raymonde Le Texier. - Les quatre millions de salariés des TPE seront appelés à voter pour des sigles, avant que des candidats ne soient désignés, lesquels pourront être issus de métiers et d'environnements professionnels sans rapport avec ceux des TPE : ce n'est pas du tout motivant. Le discours lénifiant qui présente la toute petite entreprise comme une organisation familiale harmonieuse a de beaux jours devant lui !

Nous regrettons aussi que les commissions paritaires ne soient pas obligatoires : elles sont déjà facultatives. En quoi ce texte représente-t-il un progrès ?

Enfin, le report des élections prud'homales me semble un pur cavalier législatif.

Catherine Procaccia. - Comme élue, je suis également choquée de l'élection en fonction de sigles : ce n'est guère mobilisateur et, comme le dit Raymonde Le Texier, on risque de voir finalement désignés des négociateurs de grandes centrales syndicales, dont le métier n'a pas grand-chose à voir avec les TPE et qui ne sont pas décisionnaires. Les régionales ont confirmé les défauts du scrutin de liste, qui éloigne les candidats du terrain, et on ne fait là qu'aller dans ce mauvais sens.

S'agissant des prud'homales, pourquoi se contenter maintenant de repousser la date des élections, au lieu d'envisager une réforme plus large, sur la base du rapport de Jacky Richard ?

Enfin, même si je ne suis pas favorable à des commissions paritaires obligatoires, ne peut-on pas envisager une troisième voie, par exemple une expérimentation pendant quelques années, avec une forte incitation ? Et s'agissant du mode d'élection, je ne me prononcerai pas a priori contre un scrutin à deux degrés, qui peut représenter un progrès sur le plan de la participation.

Eric Woerth, ministre. - Les outils techniques existent pour garantir la fiabilité et le secret du scrutin électronique ou par correspondance ; nous avons opté pour ces techniques parce qu'elles sont simples et qu'elles évitent que l'élection ne devienne une charge pour l'entreprise. Si un chef d'entreprise veut organiser le scrutin, il pourra le faire, mais des outils seront aussi disponibles pour alléger sa tâche.

Pourquoi adopter ce texte dès maintenant ? Mais parce que le calendrier est serré : nous devons constituer une liste électorale de quatre millions d'électeurs, passer un appel d'offres pour ce faire, laisser du temps aux organisations syndicales pour qu'elles puissent s'organiser et faire campagne. Tout cela prend du temps.

Les commissions paritaires sont régionales ; nous avons préféré cet échelon car des commissions locales paraissent moins appropriées, mais on peut aussi imaginer des commissions à un niveau géographique différent, au cas par cas. Tel est le sens de l'article 6. Le Parlement aura toute latitude pour préciser les missions et la composition de ces commissions paritaires, étant entendu qu'elles auront un rôle généraliste, consistant d'abord à examiner si les accords de branche et interprofessionnels sont bien appliqués dans les TPE. Le paternalisme a ses limites, et sans aller dans le sens des grandes entreprises comme Renault ou Areva et sans délier les liens personnels qui peuvent s'établir entre l'employeur et ses salariés, il s'agit d'organiser et de faire vivre le dialogue social dans la petite entreprise.

Enfin, je vous confirme que le dossier de la représentativité patronale n'est pas à l'ordre du jour.

Alain Gournac, rapporteur. - C'est dommage !

Eric Woerth, ministre. - Chaque chose en son temps...

Le rapport de Jacky Richard envisage trois scénarios pour l'avenir des élections prud'homales. D'abord, le maintien du suffrage universel assorti de mesures facilitant le vote, comme le vote électronique, pour enrayer l'abstention ; cependant, Jacky Richard remarque qu'on n'a jamais consacré autant de moyens qu'aux dernières élections prud'homales, pour une participation qui n'a jamais été aussi faible. Deuxième scénario, la désignation des conseillers prud'hommes à partir de l'audience syndicale consolidée mesurée en 2013 ; l'obstacle serait alors juridique, puisque ce serait faire de l'appartenance à un syndicat un filtre pour l'accès à la fonction de conseiller prud'homme, alors que rien n'oblige à être syndiqué pour être conseiller. Troisième scénario, une élection à deux degrés, avec un corps électoral composé de tous les délégués du personnel et de représentants des TPE, ce qui aurait l'avantage de représenter un nombre d'électeurs important, et de garantir une forte participation électorale.

Nous allons expertiser ces pistes. Les élections prud'homales coûtent cher, plus cher par électeur que l'élection présidentielle ...

Annie David. - Elles se déroulent pendant le temps de travail, alors que la présidentielle a toujours lieu le dimanche !

Eric Woerth, ministre. - Je parle des seuls coûts d'organisation : 4,77 euros par électeur prud'homal, contre 4,73 euros par électeur présidentiel.

S'agissant du Haut Conseil au dialogue social, je crois effectivement utile de l'associer au processus.

D'une manière générale, ce texte ne vise pas à doter les TPE de délégués du personnel ni à assurer une représentation syndicale dans les TPE, mais à veiller à ce que les syndicats soient plus représentatifs, en tenant compte des salariés des TPE. Dans une négociation, on se demande toujours ce que pèse un négociateur, et le meilleur critère, en démocratie, demeure l'élection. Mais la représentativité est bien ici le seul enjeu : c'est pourquoi une élection en fonction du sigle suffit, plutôt qu'une élection pour des candidats qui, de surcroît, n'auraient pas de rôle précis à jouer puisque leur élection ne serait liée à aucune fonction.

En fait, les commissions paritaires répondent à une autre demande, formulée dans la lettre du 20 janvier dernier. Je sais que le Medef et la CGPME craignent une politisation dans les TPE, mais ce texte ne vise en rien à faire intervenir des élus syndicaux dans la vie de ces entreprises ; il a pour seul objectif d'améliorer la représentativité générale des syndicats.

Les commissions paritaires sont facultatives et leur rôle sera non pas de trancher des différends au sein des entreprises, mais d'examiner les conditions d'application des accords de branche et interprofessionnels, de contribuer à la négociation en faisant bien prendre en compte certaines spécificités des TPE.

Les seuils de représentativité dans les élections aux chambres d'agriculture ne me paraissent pas spécifiques, mais je vais vérifier ce point.

Enfin, nous repoussons les prud'homales de deux ans pour la bonne raison que nous ne sommes pas prêts et qu'il faut, comme je l'ai dit, lancer toute une procédure en amont.

Patricia Schillinger. - Les délégués seront élus pour quatre ans. Comment ce délai est-il compatible avec la rotation rapide des salariés dans les TPE, avec les contrats aidés, avec les salariés en congé ?

Gisèle Printz. - Combien ces élections coûteront-elles et qui les paiera ?

Eric Woerth, ministre. - Le corps électoral est fixé à un moment donné avant le scrutin, comme pour les autres élections, et il n'y aura pas de « délégués ». Les commissions paritaires seront composées de représentants syndicaux désignés par les organisations représentatives.

Le coût d'organisation est évalué à 20 millions ; l'Etat paiera, car c'est à lui qu'il revient d'organiser les élections et de garantir leur impartialité. Ces 20 millions s'ajouteront aux 90 millions des élections prud'homales, ce qui donne à réfléchir quand on sait que la représentativité des syndicats sera établie en 2013. La question des prud'homales n'est certainement pas que financière : quand la participation au vote atteint difficilement 25 %, c'est la légitimité même des élus qui est fragilisée.

Catherine Procaccia, vice-présidente. - La représentativité syndicale sera connue en 2013 et vous envisagez un dialogue avec les partenaires sociaux sur la réforme des élections prud'homales. Comptez-vous négocier avec les syndicats représentatifs actuels, ou bien en tenant compte de la représentativité connue en 2013 ?

Eric Woerth, ministre. - Nous allons négocier avec les syndicats qui sont reconnus représentatifs aujourd'hui. Quant à la réforme des élections prud'homales, elle relève de la loi.

Raymonde Le Texier. - S'il s'agit seulement de mesurer la représentativité des syndicats, pourquoi le Medef et la CGPME ont-ils quitté la table des négociations ? Qu'avez-vous donc édulcoré dans le texte que vous nous proposez ?

Eric Woerth, ministre. - Effectivement, il n'y avait pas de quoi quitter la table des négociations, même si l'application des nouvelles règles de la démocratie sociale ne va pas de soi. Ce texte est dans le droit fil de la loi d'août 2008 et veut asseoir la démocratie sociale sur les élections. Les partenaires sociaux ont demandé des commissions paritaires : elles figurent dans ce texte et le débat parlementaire pourra en préciser le contenu.

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