B. UNE REPRISE PAR LA CADES D'UNE AMPLEUR SANS PRÉCÉDENT

Dans les documents fournis à votre rapporteur, ainsi que dans l'exposé des motifs et l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi organique, il est indiqué que la reprise de dette pourrait atteindre environ 130 milliards d'euros, soit presque autant que la dette transférée, depuis sa création, à la Cades, et largement plus que la dette que celle-ci a encore la charge d'amortir, soit environ 90 milliards .

Ces 130 milliards comprennent l'intégralité des déficits du régime général et du FSV pour 2009 et 2010, le déficit prévisionnel de l'assurance maladie pour 2011 et les déficits prévisionnels de la branche vieillesse (Cnav et FSV) de 2011 à 2018. La réforme des retraites prévoit en effet un retour à l'équilibre de la branche vieillesse en 2018 et tous les déficits qu'il est prévu d'enregistrer d'ici là sont pris en compte par le traitement de la dette annoncé.

Le Gouvernement répartit cette dette en trois ensembles :

- la dette de crise , estimée à 34 milliards d'euros pour 2009 et 2010 ;

- la dette structurelle , d'un montant également évalué à 34 milliards pour 2009, 2010 et 2011 au titre de la seule maladie ;

- les déficits de l'assurance vieillesse (Cnav et FSV) de 2011 à 2018, soit 62 milliards.

Un tel scénario impliquerait un transfert de dette à l'Acoss de l'ordre de 68 milliards d'euros en 2011, puis d'une dizaine de milliards chaque année jusqu'en 2018 .

C. UN PLAN DE FINANCEMENT DIVERSIFIÉ

C'est sur la base de l'analyse qu'il fait des différentes composantes de la dette que le Gouvernement présente son plan de financement qui comporte en conséquence trois aspects :

- la dette de crise sera refinancée grâce à l'allongement de la durée de vie de la Cades , dont le terme devrait passer de 2021 à 2025 ; cet allongement de quatre années de la durée d'amortissement de la dette sociale constitue l'objet principal du présent projet de loi organique ;

- la dette structurelle sera financée grâce à l'affectation à la Cades de 3,2 milliards de recettes nouvelles ; ces recettes, au nombre de trois, devraient concerner le secteur des assurances ;

- les déficits de l'assurance vieillesse seront, pour leur part, financés grâce à la mobilisation au profit de la Cades des actifs - soit une trentaine de milliards d'euros, hors soulte des industries électriques et gazières - et de la recette - environ 1,5 milliard d'euros par an - du fonds de réserve pour les retraites.

1. Un allongement de quatre ans de la durée de vie de la Cades

La possibilité d'allonger la durée de vie de la Cades était l'une des options présentées à la commission de la dette sociale.

Elle nécessite au préalable de lever le verrou posé par le législateur dans la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005, à savoir l'impossibilité de transférer de nouvelles dettes à la Cades sans lui affecter parallèlement les ressources nécessaires pour y faire face. C'est l'objet de l'article premier du présent projet de loi organique.

Fort heureusement, celui-ci ne remet pas en cause le principe fixé en 2005. La position très affirmée de la commission de la dette sociale sur ce point a sans doute permis qu'il en soit ainsi. Votre commission estime elle aussi indispensable que la règle édictée en 2005 continue à s'appliquer car, même en période de crise, il n'est pas admissible de reporter sur les générations futures des dépenses que l'on peut qualifier de « courantes ».

Au motif que la dette de crise est avant tout liée à un « choc de recettes », l'article premier du projet de loi prévoit donc une dérogation au principe de non-allongement de la durée d'amortissement de la Cades. Mais celle-ci est d'abord limitée à la seule loi de financement pour 2011 ; en outre, elle ne devra pas entraîner un allongement de plus de quatre ans de la durée de vie de la Cades soit, compte tenu des prévisions actuelles, une fin de vie de la caisse en 2025.

Il s'agit, pour le Gouvernement, d'atténuer par ce biais le coût de la reprise de la dette accumulée, soit 80 milliards à la fin 2011. Celui-ci aurait en effet nécessité, sans allongement de la durée de vie de la caisse, un doublement au moins des recettes qu'il est aujourd'hui prévu d'affecter à la Cades.

Ces quatre années supplémentaires permettent donc de transférer à la caisse environ 34 milliards d'euros de dette sans accroissement des ressources qui lui sont affectées. Pour le Gouvernement, il s'agit de « partager le contrecoup de la crise sur un horizon de quinze ans, durée qui reste cohérente avec l'horizon de vie des générations qui ont bénéficié collectivement des prestations servies pendant les années concernées par la dette » 1 ( * ) .

En dépit de ce contexte exceptionnel, votre commission tient à réaffirmer son attachement au principe adopté en 2005 tendant à empêcher tout nouveau report des déficits sociaux sur les générations futures. C'est la raison pour laquelle elle a décidé de compléter l'article premier du présent projet de loi afin de prévoir que si la conjoncture économique s'améliore, le Gouvernement devra revenir à une durée d'amortissement de la dette sociale proche de la situation actuelle .

2. Des recettes inédites

Le Gouvernement a décidé d'affecter à la Cades le produit de la réduction de certaines niches sociales et fiscales plutôt que de procéder à des hausses d'impôts, afin « pour des questions d'équité intergénérationnelle et de justice sociale, de faire supporter par les générations actuelles d'actifs et de retraités le poids des déficits structurels des années 2009 et 2010, sans pour autant mettre en péril une reprise économique encore fragile » 2 ( * ) .


Nouvelles recettes concernant le secteur des assurances

- l'assujettissement à la taxe sur les conventions d'assurance (TCA) des « contrats santé responsables », aujourd'hui exonérés, à un taux réduit de 3,5 % au lieu de 7 %, de manière à sauvegarder leur spécificité. Le rendement serait de 1,1 milliard pour 2011 ;

- la taxation forfaitaire des sommes placées dans la réserve de capitalisation des sociétés d'assurance - qui ne sont pas aujourd'hui fiscalisées - apportant, sur la seule année 2011, 1,4 milliard ;

- une taxation aux prélèvements sociaux des compartiments euros des contrats d'assurance-vie multi-supports au fur et à mesure des encaissements plutôt qu'au moment du dénouement du contrat, à l'instar des règles en vigueur pour les contrats d'assurance-vie en euros. Le surcroît de recettes attendues serait de 1,6 milliard en 2011, pour décroître ensuite dans le temps.

Ces mesures de recettes ne figurent pas dans le présent projet de loi mais devraient être éclatées entre les projets de loi de financement de la sécurité sociale et de finances pour 2011. Elles sont censées rapporter 3,2 milliards d'euros en 2011 et assurément moins les années suivantes.

En effet, la taxation des réserves de capitalisation des sociétés d'assurance est une « mesure à un coup », même si le Gouvernement envisage de répartir son produit entre les exercices 2011 et 2012 ; l'anticipation des prélèvements sociaux sur les compartiments euros des contrats d'assurance-vie rapportera certes en 2011 environ 1,6 milliard d'euros, mais bien moins ensuite car la recette s'effritera naturellement, sans compter les éventuels arbitrages auxquels procéderont les épargnants. Seule la taxation des contrats d'assurance santé responsables aura une certaine pérennité, mais cette mesure pose d'autres questions qui feront l'objet de débats dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Au total, ces recettes soulèvent donc une interrogation majeure dans la mesure où elles n'offrent pas les garanties de stabilité et de dynamisme nécessaires à la garantie d'un processus de remboursement sécurisé et pérenne de la dette sociale . Le ministre l'a d'ailleurs lui-même reconnu lors de son audition devant votre commission, comme dans le courrier qu'il a fait parvenir à votre rapporteur où il indique : « il conviendra de prévoir dans la loi de financement un mécanisme permettant de garantir les ressources de la Cades sur le long terme. Dans cette perspective, le schéma de reprise de dette retient l'apport de recettes nouvelles à partir de 2013, que ce soit par la suppression de nouvelles niches fiscales et sociales ou, à défaut, par une hausse progressive de la CRDS ».

Ce constat état posé, votre commission, encouragée par les propos tenus devant elle par Patrice Ract-Madoux, président du conseil d'administration de la Cades, et Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, a conclu à la nécessité d'inscrire, dans la loi organique, une clause de garantie de recettes pour la Cades . Cela signifie que chaque année, la loi de financement devra assurer le respect de la règle d'affectation des recettes nécessaires au remboursement des dettes sociales reprises. Si les recettes affectées par le Gouvernement ne permettent pas le respect de cette règle, il faudra que la loi de financement prévoie une augmentation, par exemple de la CRDS pour, le cas échéant, combler la différence.

3. La mobilisation du fonds de réserve pour les retraites

Dès la présentation du projet de loi de réforme des retraites, la possibilité de l'utilisation du fonds de réserve pour les retraites, soit par le biais de sa recette - une partie du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital, soit environ 1,5 milliard d'euros par an -, soit par le biais de ses actifs, a été évoquée.


Le fonds de réserve des retraites et le remboursement de la dette sociale
(Extrait du dossier de presse sur la réforme des retraites)

« Dans tous les pays où existent des fonds de réserve dédiés au financement des retraites, le principe est de constituer des réserves quand les régimes de retraite sont en excédent et de les utiliser en période de déficit. Le cas français constitue donc une anomalie : le FRR accumule des réserves alors que les régimes de retraite sont confrontés à des déficits importants depuis 2005 : 21,2 milliards d'euros de déficit cumulé pour la Cnav entre 2005 et 2009 et 9,3 milliards d'euros de déficit prévisionnel pour 2010.

« La crise a encore accentué le caractère peu logique de cette situation en augmentant fortement le niveau des déficits. La réforme des retraites permettra de ramener progressivement le système à l'équilibre d'ici 2018. Dans cet intervalle, se pose la question du financement des déficits que vont continuer à accumuler les régimes de retraite.

« Le Gouvernement propose donc d'utiliser les ressources du fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour financer l'intégralité des déficits du régime général et du FSV pendant la période de montée en charge de la réforme. Les régimes de retraite ont connu une accélération de vingt ans de leurs déficits : il est donc logique de mobiliser plus tôt que prévu le FRR dont le calendrier de décaissement devait débuter en 2020.

« Le FRR continuera à exister et à assurer sa mission de gérer ses actifs de la même façon qu'aujourd'hui. La propriété des actifs du FRR qui s'élevaient fin 2009 à 33,3 milliards d'euros et sa recette constituée d'une partie du prélèvement social de 2 % sur les revenus du capital (1,4 milliard d'euros en 2009) seront transférées à la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Le FRR gérera ses actifs pour le compte de la Cades. Grâce à ces ressources, la Cades pourra reprendre les déficits des régimes de retraite entre 2011, année de démarrage de la réforme, et 2018, année du retour à l'équilibre. Au total, sur la période 2011-2018, la mobilisation du FRR permettra d'apporter une solution à la dette accumulée des régimes de retraite.

« Cette solution présente deux avantages essentiels. D'une part, elle allège la contrainte financière du régime général pendant la phase de montée en charge de la réforme. D'autre part, elle évite de faire peser sur le FRR une obligation de liquidation rapide de ses actifs. En effet, la Cades émettra des obligations pour lui permettre de reprendre chaque année les déficits vieillesse comme elle le fait pour chaque reprise de dette depuis sa création en 1996. Elle remboursera ces emprunts grâce à la recette pérenne du FRR qui lui sera affectée et aux transferts de ressources en provenance du FRR, transferts qui auront lieu au fur et à mesure de la cession des actifs du fonds.

« Le FRR est donc utilisé conformément à sa vocation initiale de financement des retraites. Il accompagne les autres mesures décidées dans le cadre de la réforme, en attendant qu'elle produise tous ses effets. En l'absence de cette mobilisation du FRR, il aurait été nécessaire d'augmenter les impôts pour pouvoir financer les déficits accumulés par la Cnav, ce qui aurait nui à l'emploi et au pouvoir d'achat. »

Depuis, la proposition du Gouvernement s'est affinée ; ses modalités concrètes devraient, pour l'essentiel, figurer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Outre l'affectation à la Cades de la recette qu'il percevait jusqu'alors liée au prélèvement de 2 % sur les revenus du capital, le FRR versera chaque année à la caisse 2,1 milliards d'euros prélevés sur ses actifs. Selon les estimations du Gouvernement, le FRR pourra, avec un tel objectif, continuer à exercer ses activités de placement jusqu'en 2024, date à laquelle ses actifs résiduels seront transférés à la Cades.

Ces deux catégories de recettes devraient permettre, comme le ministre l'a confirmé devant votre commission, de transférer 62 milliards de dettes à la Cades et de financer ainsi l'amortissement des déficits de la branche vieillesse sur la période 2011-2018.

L'examen du présent projet de loi organique n'étant qu'un élément de l'édifice mis en place par le Gouvernement pour la reprise - sans précédent - de 130 milliards d'euros de dette sociale, votre commission restera très vigilante sur les mesures annoncées et nécessaires qui seront proposées et votées au cours des prochaines semaines.


* 1 Courrier de François Baroin à Alain Vasselle, 30 août 2010.

* 2 Cf. courrier précité.

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