PRÉSENTATION DE L'AVIS DE MME CHRISTIANE HUMMEL

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MERCREDI 8 SEPTEMBRE 2010

La commission entend la présentation de l'avis de Mme Christiane Hummel, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le projet de loi n° 675 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.

Mme Christiane Hummel , rapporteure de la délégation . - Vous nous avez saisis pour connaître les conséquences de ce projet de loi sur les droits des femmes et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. La première chose qui m'a sauté aux yeux est que ce projet est fait pour les femmes, contre la burqa et le niqab, sans que jamais cependant les femmes soient évoquées dans le texte. Je me suis demandée pourquoi. Sans me voiler la face, je vais essayer d'en comprendre les raisons. Nous pensons qu'il s'agit de donner suite au rapport du Conseil d'État, qui ne laissait pas de doute sur l'inconstitutionnalité d'une mesure d'interdiction du voile intégral, mais laissait ouverte la possibilité juridique d'une interdiction de la dissimulation du visage au nom des valeurs républicaines qui inspirent notre contrat social. Le gouvernement a choisi de s'engager dans cette voie qui permet d'aboutir aux mêmes effets qu'une interdiction directe du voile intégral.

C'est un choix courageux, même si l'on peut regretter qu'il conduise à la disparition du mot « femmes ». Nous savons qu'il existe un risque contentieux. Nous avons entendu beaucoup de femmes, dont Mme Jeannette Bougrab, présidente de la Halde, qui a affirmé sans ambages que « La liberté et l'égalité de la femme, la protection de certaines jeunes femmes au nom de nos valeurs communes valent de prendre des risques juridiques ». Oui, pour que les promesses d'égalité républicaine qui sont au coeur de notre contrat social soient tenues à l'égard des femmes musulmanes dans notre pays, il faudra prendre des risques.

Quelles sont les raisons que nous pourrions invoquer, a contrario, pour laisser faire ? On nous dit que le phénomène reste marginal. Mme Anne Gotman, chercheuse au CNRS, nous a ainsi fait observer qu'étaient avant tout concernées des jeunes femmes d'un réel niveau intellectuel qui déclarent que si elles ne mettaient pas le voile, on ne les écouterait pas. A quoi Mme Brougrab a répondu : « Sur ce texte je ne négocie pas ; je déplore de ne pas vivre comme je veux dans certains quartiers car l'État de droit n'est plus appliqué ». Autre argument : la liberté de s'habiller comme on l'entend n'est-elle pas une liberté élémentaire et la rue n'est-elle pas le lieu où peut s'exercer le mieux cette liberté ? L'interdiction, enfin, ne risque-t-elle pas de stigmatiser la communauté musulmane et n'aura-t-elle pas pour effet d'exclure des femmes de l'espace public et de jeter dans l'enfermement celles qui refusent de s'y soumettre ?

Ces arguments comportent tous une part de vérité, mais nous pouvons les réfuter un à un. Quel libre arbitre s'exprime donc dans le choix de l'exclusion ? « Ces deux mots, esclavage et droit, sont contradictoires », disait Rousseau. Autrement dit, la tradition républicaine exclut la liberté de ne pas être libre. Quelle est la liberté religieuse qui conduirait à cette sorte de négation de soi qu'est le voile intégral ? Comme l'écrivait dans la presse Sihem Habchi, présidente de « Ni putes Ni soumises », « La burqa, c'est le bout du bout de l'exclusion », et comme l'affirmait Jeannette Bougrab au cours de son audition, « Au nom d'une liberté religieuse, on ne peut exclure la moitié de l'humanité ».

Stigmatisation de la communauté musulmane ? Mais le port du voile intégral, importé en Europe par les courants salafistes de l'islam, est manifestement une de ces pratiques sectaires qui atteignent toutes les religions et que le souci de la démocratie oblige à endiguer, sans que la masse des fidèles y voie la moindre attaque contre leur religion. Le président de la fédération Mosaïc lui-même écrit : « Nous disons à ceux qui sont choqués par la burqa qu'ils ont raison de l'être : être choqué par la burqa, c'est respecter l'islam, c'est respecter la femme ». Aucune religion monothéiste ne peut édicter des préceptes et des règles contraires au droit des femmes et qui asservissent l'individu. Nos auditions nous ont enseigné que, derrière la burqa, vient la violence et la prise en mains par les extrémistes. Là est la différence avec les autres signes d'appartenance religieuse : derrière la burqa, la charia, la loi islamique, est déjà là.

Enfin, comment justifier, en arguant de possibles effets pervers de la loi sur quelques femmes qui la refuseraient, l'abstention du législateur à l'égard d'une pratique manifestant de façon radicale l'enfermement de la femme et son retranchement hors de la communauté citoyenne ?

Arte a déprogrammé « La cité du mâle » à la suite de menaces. Au journaliste du Monde qui l'interrogeait sur ce qu'elle préconisait, Sihem Habchi répond : « Il ne faut surtout pas abandonner les quartiers. Il n'y aura pas de miracle si on ne met pas en oeuvre l'égalité hommes-femmes à tous les niveaux ».

La société postule l'existence d'une relation entre ses membres et la fluidité de cette relation est une condition de l'harmonie sociale. Nous savons tous, par les drames et les génocides qui ont jalonné le dernier siècle, ce qu'il advient quand se répand la négation de l'autre en tant qu'être. Ce que je vous dis aujourd'hui, c'est aussi par le regard que je vous le transmets. C'est par le regard que l'on échange, aussi, avec autrui (M. Sueur approuve). C'est parce que nous discutons à visage découvert que nous nous comprenons mieux. C'est pourquoi il faut rejeter ce refus de l'autre que manifeste le port du voile intégral, et lutter pour le maintien du lien élémentaire nécessaire entre les membres de la communauté française.

La rupture d'égalité qu'introduit le voile entre les femmes et les hommes n'est pas acceptable. Depuis un peu plus d'un siècle, la France a emprunté un double chemin, celui de l'affirmation de la laïcité de sa République et celui de l'égalité entre les hommes et les femmes. Les femmes savent que ce chemin est ardu : écartons ce qui le rend plus abrupt encore.

C'est pour toutes ces raisons que nous avons approuvé la prohibition de la dissimulation du visage dans l'espace public et les pénalités qui accompagnent son entrée en vigueur. Nous apprécions tout ce qui peut faciliter l'accompagnement et l'information, comme la faculté de remplacer l'amende par un stage de citoyenneté. Le délai de six mois avant l'entrée en vigueur nous paraît de même justifié, dès lors qu'il doit faciliter les efforts d'explication des nouvelles dispositions. Il est bon, également, que les structures publiques ou associatives puissent prendre le relais pour faire connaître les prescriptions de la loi. La délégation vous demande donc d'approuver ce projet de loi, en tenant compte des recommandations dont je vais vous donner lecture.

« La délégation aux droits des femmes considère que le projet de loi, en interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public en vue de conforter les règles essentielles à la pérennité du contrat social républicain, doit présenter les meilleures garanties possibles de sécurité juridique au regard de la Constitution et des conventions internationales auxquelles la France est partie.

« Elle considère en outre que, même si le dispositif du projet de loi ne se réfère pas explicitement à l'objectif d'assurer la dignité de la femme et l'égalité entre les femmes et les hommes, l'interdiction de dissimuler son visage dans l'espace public aura bien pour effet de prohiber le port du voile intégral, libérant ainsi les femmes du carcan de la burqa ou du niqab sur le territoire de la République. Ceci implique une claire définition des espaces concernés.

« La délégation considère enfin que le dispositif d'interdiction mis en place est assorti de modalités de mise en oeuvre telles que le délai ménagé pour son entrée en vigueur, ou la possibilité pour le juge d'imposer l'obligation d'accomplir un stage de citoyenneté qui sont de nature à permettre aux femmes concernées d'être pleinement informées des exigences de la loi. Elle insiste sur la nécessité que les structures publiques ou associatives intéressées prennent très vite, avec les moyens nécessaires, le relai de la procédure législative afin de faire savoir et d'expliquer les intentions du législateur et les prescriptions de la loi.

« Par ailleurs, la répression de la dissimulation forcée du visage complète très utilement les dispositions pénales hétérogènes permettant jusqu'à présent la répression des pressions exercées sur les femmes afin de les soumettre à l'obligation de porter le voile intégral. Cette disposition a pour objectif de créer un effet dissuasif utile sur les comportements répréhensibles. »

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