ARTICLE 7 ter
(Art. L. 621-7 et L. 621-7-1 du code monétaire et financier)

Transparence des positions nettes à la baisse

Commentaire : le présent article, introduit par l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, propose de confier à l'Autorité des marchés financiers (AMF) le soin de préciser, dans son règlement général, les mesures d'information de l'Autorité et du marché sur les positions courtes afférentes à des instruments financiers.

I. LA FAIBLE TRANSPARENCE DES POSITIONS À LA BAISSE

Un investisseur peut détenir une position nette à l'achat sur une valeur dont il anticipe la hausse du cours - il est alors dit « long » - ou une position à la vente - dite « courte » - lorsqu'il parie à la baisse. Les positions courtes procèdent en particulier des ventes à découvert mais pas seulement , puisqu'une position nette vendeuse peut également être constituée via des produits dérivés (options de vente) ou des produits structurés.

A. UNE TRANSPARENCE DES VENTES À DÉCOUVERT PRÉVUE PAR LE SEUL RÉGIME EXCEPTIONNEL DÉCIDÉ EN SEPTEMBRE 2008

Ainsi que cela a été exposé dans le commentaire de l'article 2 du présent projet de loi, les ventes à découvert (« short selling ») consistent, pour un investisseur, à anticiper la baisse du cours d'une valeur et à vendre à terme des titres qu'il a en général préalablement empruntés et dont il est dès lors, en droit français, propriétaire, pour les racheter à échéance, les restituer à l'emprunteur initial et réaliser une plus-value (minorée du coût de l'emprunt) en cas de baisse effective du cours .

L'emprunt des titres et l'engagement de les livrer dans le délai fixé par le règlement général de l'AMF, qui est de trois jours de bourse à compter de la transaction ( cf . commentaire de l'article 7 quater du présent projet de loi), permettent à l'acheteur de se prémunir contre le risque de non-livraison. Une pratique dénommée « vente nue » (« naked short selling ») s'est cependant développée et consiste à céder des titres en J sans disposer de la
provision ni des titres à livrer dans le délai de livraison 171 ( * ) .

Dans cette situation, la motivation spéculative de l'investisseur est claire : en l'absence de livraison, le vendeur espère que le cours des titres diminuera et qu'il pourra les racheter ultérieurement à un prix sensiblement inférieur à celui auquel il les a cédés sans les détenir. Il ne sera alors en mesure d'honorer son engagement de livraison auprès de l'acquéreur que lors du rachat de ces titres, sans qu'il ait eu de coût d'emprunt à supporter.

Les ventes à découvert ont cependant une utilité puisqu'elles peuvent, par exemple, être mises en oeuvre à des fins de couverture d'un portefeuille de titres ou de revenus futurs dans la devise considérée (et dont une baisse du taux de change est escomptée). Elles participent également à la circulation des titres, donc à leur liquidité, et au processus de formation et de découverte des prix dans le cadre de l'arbitrage « directionnel » d'actions.

Elles peuvent enfin contribuer à freiner la constitution d'une bulle spéculative à la hausse en exerçant un mouvement inverse. En revanche, lorsque ces ventes à découvert sont réalisées « à nu » sans respect de l'engagement de livraison, ou deviennent massives sous l'influence des paris directionnels, elles peuvent amplifier la tendance baissière d'un titre et donc une forme de spéculation.

De même, les ventes à découvert peuvent, dans des cas extrêmes, accompagner une stratégie de spéculation auto-réalisatrice fondée sur la diffusion de fausses informations . Le mécanisme est simple : la vente à découvert est associée à la diffusion de rumeurs négatives et non vérifiables, exerçant une pression à la baisse du cours qui accroît la probabilité de gain.

Les ventes à découvert, et au-delà les positions vendeuses nettes sur des titres (dites « positions courtes »), ne sont cependant soumises à aucune obligation permanente et générale de transparence à l'égard du régulateur et du marché.

Les mesures exceptionnelles d'encadrement des ventes à découvert sur quinze sociétés financières cotées, décidées par l'Autorité des marchés financiers (AMF) le 19 septembre 2008 ( cf . supra commentaire de l'article 2) et prolongées à trois reprises depuis, prévoient cependant une obligation spécifique d'information de l'AMF et du marché pour les positions courtes supérieures à 0,25 % du capital de ces sociétés 172 ( * ) .

B. LES ÉVOLUTIONS ENVISAGÉES AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE

Les régimes nationaux de transparence des positions vendeuses et de limitation des ventes à découvert ne font aujourd'hui l'objet d'aucune harmonisation européenne et peuvent donc donner lieu à des arbitrages réglementaires. Des propositions, qui doivent également traiter la question des contrats d'échange sur défaut ( credit default swaps - CDS), ont dès lors été inscrites dans l'ambitieux programme de révision de la législation communautaire sur les services financiers, précisé dans une communication de la Commission européenne du 6 juin 2010.

Dans cette perspective, la direction générale du marché intérieur a lancé une consultation publique sur les ventes à découvert, clôturée le 10 juillet dernier. Parmi les principaux axes envisagés figurent :

- la possibilité pour les régulateurs nationaux de prendre des mesures d'urgence selon des principes harmonisés, et à terme coordonnées par la future Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) ;

- un régime européen de divulgation des positions nettes à la baisse ;

- un encadrement des ventes à découvert nues. Il s'agirait, de façon analogue à ce que proposait le rapport du groupe de place constitué par l'AMF fin 2008 et selon un principe de localisation ou de traçabilité des titres (dit « locate rule »), d'autoriser les ventes à découvert à condition que le vendeur ait préalablement emprunté le titre, conclu un accord d'emprunt ou soit en mesure de prouver qu'il pourra disposer des titres au moment du règlement-livraison. La Securities and Exchange Commission (SEC), autorité de régulation boursière des Etats-Unis, a déjà pris des mesures similaires fin 2008, au point culminant de la crise financière. Votre commission a adopté un dispositif semblable à l'article 7 quater du présent projet de loi ;

- et le champ des possibles exemptions, en particulier pour les teneurs de marché (activités dites de « market making »).

Cette consultation s'est également appuyée sur un rapport du Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières (CERVM, CESR en anglais), publié début mars 2010 à l'issue d'une consultation publique et qui propose un cadre pour un régime paneuropéen de publication des positions courtes sur les instruments financiers cotés en Europe. Il recommande ainsi une publication des positions nettes mais couvrant toutes les expositions économiques aux titres, selon deux seuils : une communication au régulateur à compter de 0,2 % du capital , et au régulateur comme au marché à partir de 0,5 % du capital puis par pallier de 0,1 %.

La Commission européenne a présenté le 15 septembre 2010 sa proposition de règlement sur l'encadrement des ventes à découvert et de certains aspects des CDS , qui est conforme à ces orientations. Son entrée en vigueur est prévue pour le 1 er juillet 2012.

II. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article, introduit par la commission des finances de l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, propose de confier à l'AMF le soin de préciser, dans son règlement général, les mesures d'information de l'Autorité et du marché sur les positions courtes afférentes des instruments financiers cotés ou non « listés » sur un marché réglementé.

Il modifie ainsi le 6° du VII de l'article L. 621-7 du code monétaire et financier, relatif à la détermination, par le règlement général de l'AMF, des règles sur l'information de l'AMF et du public concernant les ordres et les transactions sur les instruments financiers cotés sur un marché réglementé. Ces règles devront ainsi également porter sur les « positions » afférentes à ces instruments , ce qui couvre implicitement les positions nettes vendeuses.

Cette mesure de transparence est étendue aux positions courtes sur les instruments financiers non « listés » sur des marchés réglementés , par exemple les actions cotées sur Alternext. Une modification identique est ainsi proposée à l'article L. 621-7-1 du code monétaire et financier, relatif à la faculté (et non à l'obligation) dont dispose l'AMF de fixer, dans son règlement général, les règles relatives à l'information de l'Autorité et du public concernant les ordres et les transactions sur les instruments financiers non admis aux négociations sur un marché réglementé.

L'Assemblée nationale a donc légitimement fait le choix d'inscrire le principe de cette information dans la loi, laissant au règlement général de l'AMF le soin de préciser les nombreuses mesures techniques d'application relatives, par exemple, aux modalités de calcul de l'exposition nette, à la divulgation de l'identité des intervenants, au périmètre des instruments financiers pris en compte ou aux seuils de déclaration.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteur est très favorable à tout ce qui permet de renforcer la transparence des positions courtes et des ventes à découvert . Elle paraît en effet s'imposer, ne serait-ce que par une sorte de « parallélisme des formes » avec le régime de déclaration des franchissements de seuil de détention du capital et des droits de vote (soit les positions « longues »), qui est une composante essentielle de la transparence des sociétés cotées.

Ainsi que cela a été évoqué plus haut, les ventes à découvert n'ont pas à être condamnées « en soi ». Néanmoins le fait qu'elles puissent, dans certaines conditions, alimenter une spéculation occulte susceptible d'amplifier la baisse d'un titre et donc de détruire de la valeur, ou d'intervenir dans une stratégie de manipulation de cours ou de diffusion de fausse information, justifie que le marché et les régulateurs soient pleinement informés de l'ampleur des positions courtes sur chaque valeur, qu'elles procèdent ou non d'une anticipation de la baisse.

Le présent article permet donc utilement d'habiliter l'AMF à fixer les modalités de publication des positions courtes de taille significative.

Au-delà de ce régime de publication, votre rapporteur estime que la Commission européenne et le CERVM, ou à défaut le régulateur français, devraient considérer l'opportunité de mettre en place une « uptick rule » que la Securities and Exchange Commission (SEC) avait appliquée de 1938 à 2007 aux Etats-Unis. Le principe de cette mesure est d'interdire les ventes à découvert sur les valeurs déjà orientée à la baisse , afin de limiter les phénomènes de spéculation auto-réalisatrice et d'emballement ponctuellement déconnectés des fondamentaux économiques.

Une autre voie consisterait à appliquer la même mesure que celle décidée par la SEC en février 2010, proche de l' « uptick rule » (et en ce sens appelée « alternative uptick rule ») mais plus adaptée à la complexité actuelle des marchés. Elle prévoit de n'autoriser les ventes à découvert sur les actions qui s'inscrivent en baisse de plus de 10 % sur une séance que si le prix proposé est supérieur à la meilleure offre de vente au niveau national .

Un tel dispositif supposerait cependant que le régulateur dispose d'une vision consolidée des prix proposés sur les différentes places de marché (bourses réglementées ou plates-formes alternatives), ce qui n'est aujourd'hui pas le cas compte tenu des imperfections de la directive sur les marchés d'instruments financiers. Cette directive devrait toutefois être révisée dans le courant du premier semestre de 2011.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article sans modification.


* 171 Au sens strict et communément accepté par les professionnels, la vente à découvert nue consiste à céder des titres en J sans donner lieu à livraison effective en J + 3, de manière accidentelle (impossibilité technique d'emprunter les titres entre J et J + 3) ou délibérée (non-respect de l'engagement de livraison en connaissance de cause). La vente se traduit alors par un suspens de livraison.

* 172 Le communiqué de l'AMF du 19 septembre 2008 prévoit notamment que « toute personne détenant une position économique nette à la baisse supérieure à 0,25 % du capital de l'une des sociétés concernées, doit en informer l'AMF (service de la surveillance du marché) et le marché, au plus tard en J + 1, par tout moyen approprié ».

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