II. AUDITIONS

Audition de Jean LARDIN, président, et Pierre BURBAN, secrétaire général, de l'union professionnelle artisanale (UPA) (mardi 14 septembre 2010)

Sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l' audition de Jean Lardin, président, et Pierre Burban, secrétaire général, sur le projet de loi n° 713 (2009-2010) portant réforme des retraites dont Dominique Leclerc est le rapporteur .

Dominique Leclerc, rapporteur. - Après vous avoir entendus récemment sur la philosophie générale de la réforme des retraites, nous portons grand intérêt à la position de l'UPA sur le projet de loi qui sera prochainement soumis au Sénat et notamment sur la pénibilité et sur le dispositif des carrières longues.

Jean Lardin, président de l'UPA. - J'ai eu effectivement l'occasion de vous dire le soutien de l'UPA à l'allongement de la durée d'activité et au recul à soixante-deux ans de l'âge légal de la retraite : ce report est nécessaire pour des raisons démographiques, nous prenons nos responsabilités en l'acceptant pour tel.

Sur la pénibilité, l'UPA est dans une position quelque peu originale puisque, si nous nous plaçons naturellement d'un point de vue patronal, nous n'oublions pas que la plupart de nos membres ont été longtemps des salariés. C'est pourquoi nous aurions préféré que la négociation sur la pénibilité ait lieu en tant que telle, plutôt qu'adossée à la réforme des retraites, et nous souhaitons qu'elle ne se traduise pas par une augmentation des charges patronales.

D'une manière générale, nous pensons que la pénibilité doit être prévenue, via l'amélioration des conditions de travail, et que les pathologies qui lui sont liées doivent être appréciées au cas par cas par un médecin, plutôt que par secteur d'activité. Rien ne serait pire que d'établir une pénibilité par branche d'activité, par exemple pour le BTP. Comme électricien, je sais d'expérience que des personnes sont en pleine santé dans cette branche, tout comme d'autres sont affectées par leur tâche : la situation est très variable. Une pénibilité appliquée à un secteur d'activité comme le BTP, ce serait une double peine : d'abord la cotisation supplémentaire, ensuite l'image dégradée pour le secteur, qui serait étiqueté comme « pénible », alors que nous travaillons depuis au moins vingt ans à renforcer son attractivité et à renforcer la prévention.

Les difficultés des polypensionnés, ensuite, concernent la plupart de nos cotisants et la séparation entre public et privé n'a pas beaucoup de sens : les cas sont très nombreux où, au moment de prendre sa retraite d'artisan ou de commerçant, une personne a quelques années à valider qu'elle a passées comme agriculteur relevant de la MSA, comme fonctionnaire, comme salarié du privé ou comme indépendant. Et les caisses imposent, dans le calcul des vingt-cinq meilleures années, des règles qui jouent trop souvent en la défaveur des retraités, ce qui se traduit par des pensions inférieures à ce qu'ils avaient calculé. Chaque caisse doit jouer le jeu dans le calcul des vingt-cinq meilleures années, il faut réparer l'injustice faite aux retraités : le Premier ministre et le ministre du travail se sont engagés dans ce sens en nous recevant.

Pour les carrières longues, l'UPA est favorable à la poursuite du dispositif adopté en 2003 par la réforme Fillon : ce dispositif va arriver à son terme dans quelques années à peine. Il faut le maintenir, c'est une juste reconnaissance du travail accompli par ceux qui ont commencé à travailler très tôt.

Enfin, l'UPA souhaite un élargissement de l'assiette de la cotisation vieillesse, au-delà des seuls éléments liés au travail et à l'emploi. Le nombre d'heures travaillées a baissé en 2009, mais le nombre de pensions à verser augmente, avec l'allongement de la durée de la vie : à ce rythme, on va dans le mur, il faut élargir l'assiette des cotisations.

Dominique Leclerc, rapporteur. - Alain Vasselle reviendra sur la question des ressources de l'assurance vieillesse. Cependant, dès lors que les retraites sont contributives, il est normal que les charges sociales y afférentes reposent sur l'emploi et le travail : le reste relève de la solidarité nationale.

Le phénomène des « polypensionnés » se généralise et il est vrai que les caisses, en calculant les pensions au prorata des années travaillées dans chaque régime, pénalisent les cotisants : nous prenons acte de votre demande légitime d'une prise en compte plus fidèle de la réalité. La fusion, dans le cadre du régime social des indépendants (RSI), des régimes obligatoires de base et complémentaires des commerçants et des artisans, va dans le bon sens. Le projet de loi, du reste, prévoit une meilleure information des cotisants, qui disposeront d'une évaluation précise de leurs droits à pension. Que pensez-vous de ces avancées ?

La réforme du RSI, avec la création de l'interlocuteur social unique, a provoqué d'importantes difficultés dans le recouvrement des cotisations : comment expliquez-vous cette évaporation, qui s'élèverait à plusieurs milliards par an ?

Vous évoquez enfin votre préférence pour une approche individualisée de la pénibilité, avec l'intervention d'un médecin. C'est réaliste dans les secteurs d'activité que vous représentez. Cependant, pensez-vous que la médecine du travail puisse faire face à la charge de travail qu'on lui demanderait ainsi ?

Alain Vasselle, rapporteur général. - A propos de la pénibilité, seriez-vous favorable au renforcement des contrôles et des sanctions à l'égard des entreprises qui n'investissent pas suffisamment pour adapter les postes de travail aux normes européennes relatives à la sécurité des salariés ? C'est une demande forte des syndicats, et il est dans l'intérêt de tous que les salariés travaillent dans de bonnes conditions de sécurité.

Vous souhaiteriez voir élargie l'assiette des cotisations ; à quelles sources de financement pensez-vous ? Imaginez-vous un basculement complet sur la CSG ? Faut-il étendre l'assiette de la CSG ?

J'aimerais connaître aussi votre opinion sur ce débat qui agite l'opinion, entre ceux qui prétendent qu'un accroissement des prélèvements suffirait à financer les retraites et ceux qui tiennent pour certain qu'il faut également augmenter la durée d'activité, donc reculer l'âge du départ à la retraite. Qu'en pensez-vous ? Les mesures financières proposées n'ont pas un rendement qui réponde aux besoins : il faut trouver 45 milliards d'euros.

Enfin, seriez-vous favorable à un changement de système de retraites dans notre pays ? Faut-il s'y préparer ?

Yves Daudigny. - Vous estimez insuffisante l'assiette des cotisations. Quelles propositions faites-vous pour l'élargir ? Le Gouvernement prévoit des recettes nouvelles. Pensez-vous qu'il faille aller plus loin ? Êtes-vous favorable à une augmentation des prélèvements obligatoires ?

Jean Lardin. - La médecine du travail pourrait-elle assumer la charge liée à l'évaluation de la pénibilité ? En l'état actuel, je ne le pense pas. Au sein du Conseil économique et social, j'ai constaté que les rapports sur la médecine du travail se suivent et que les problèmes demeurent : les réformes proposées, par la nécessité du consensus, ne vont pas au-delà de mesures économiques insuffisantes, alors qu'il faudrait aller bien plus loin, en ouvrant les fonctions à la médecine de ville par exemple, ou en réformant de fond en comble la médecine du travail. Il faudrait en effet, la conforter, voire réhabiliter son autorité.

Sur le RSI, je veux rappeler le défi qu'a représenté la fusion des trois régimes, bien avant que l'Etat n'engage la RGPP ; c'était une opération très risquée et courageuse, qui n'a pas plu aux gestionnaires des petites caisses et qui n'est pas encore parvenue à son terme. Le regroupement informatique des trois anciennes caisses est un travail colossal, qui demande des moyens importants.

Quant à l'« évaporation » de recettes que vous évoquez, elle n'est pas de notre fait.

Pierre Burban, secrétaire général de l'UPA. - Je m'inscris même en faux contre le terme d'évaporation. Le RSI est entré en vigueur le 1er janvier 2008, nous rencontrons certes des difficultés, mais les problèmes d'informations ne représentent qu'un dossier sur dix, c'est très peu pour la fusion de tels fichiers. Les problèmes se règlent progressivement mais j'attire votre attention sur le fait qu'ils se posent aussi au régime général, car ils concernent des cas complexes, liés par exemple au changement de statut ou à des difficultés lors de l'immatriculation. Ensuite, si l'interlocuteur social unique (ISU) fait faire des gains de productivité, ces gains ont été anticipés : le nombre d'agents a été réduit avant même que les effets de la réforme soient effectifs, comme cela ressort des conventions d'objectifs et de gestion entre l'Etat et l'Acoss, d'une part, l'Etat et le RSI, d'autre part. On peut donc dire que les difficultés actuelles sont en grande partie liées au manque de préparation de la réforme.

Dominique Leclerc, rapporteur. - Je faisais référence au rapport de la Cour des comptes, constatant que les difficultés de recouvrement, liées à l'informatique, atteindraient deux milliards. Il nous paraît inconcevable que l'informatique occasionne un tel décalage : la fusion n'est-elle pas l'occasion pour vous de reprendre la maîtrise du dossier dans son ensemble, avec le calcul, le recouvrement et la liquidation des pensions ?

Jean Lardin. - Le recouvrement a été confié à l'Urssaf parce que les caisses n'avaient pas les moyens informatiques de remplir cette mission : nous avons choisi la moins mauvaise des solutions.

L'UPA est-elle favorable à plus de contrôles et de sanctions pour l'application des règles européennes de sécurité au travail ? Dans l'idéal oui, mais en pratique, il ne faut pas oublier que la France a été l'un des tous derniers pays à transposer la directive européenne de 1991 : la transposition a eu lieu en 1994, pour une obligation dès 1996, alors que la mobilisation du million d'entreprises concernées exige un travail de longue haleine. Il faut faire passer le message, mais prenons garde à ne pas multiplier des contrôles qui pourraient se retourner contre l'objectif poursuivi. C'est un peu comme pour la pénibilité, où les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à s'entendre, les salariés demandant une réparation, alors que le patronat, dont l'UPA, soulignait la nécessité d'améliorer les conditions de travail, de prévenir les accidents.

Sur l'élargissement de l'assiette des cotisations, l'UPA n'a pas de solution miracle. Notre tâche est d'abord d'alerter sur le risque de voir cette assiette devenir insuffisante. Nous n'avons rien contre la CSG, nous étions même minoritaires pour soutenir sa mise en place, mais il faut être très prudent s'agissant de l'augmenter. Après que l'Etat a mobilisé l'économie pour sauver les banques de la crise financière, le temps n'est-il pas venu pour les banques et les grandes entreprises, maintenant qu'elles vont bien, de contribuer davantage à l'effort ? La réforme Fillon devait permettre de conserver l'équilibre jusqu'en 2012. L'échéance du déficit est arrivée plus tôt et nous sommes au pied du mur. Pourquoi ne pas prendre en charge l'effort que l'Etat fournit pour les retraites ou aider ceux qui n'ont pas assez cotisé ? Quant à changer de système de retraites, nous sommes prêts à discuter de tout, dès lors que l'objectif demeure l'entraide entre générations et un système pérenne, pour garantir durablement les retraites.

Alain Vasselle, rapporteur général. - Et dans le débat entre l'augmentation des cotisations et l'allongement de la durée d'activité, quelle est votre position ?

Jean Lardin. - La question de l'âge légal du départ à la retraite ne peut être débattue sans dire à quels droits permet d'accéder le relèvement des bornes actuelles. Nous préférerions travailler prioritairement sur l'allongement de la durée de cotisation. Ce levier est cependant insuffisant aujourd'hui pour équilibrer les comptes. C'est pourquoi nous acceptons le relèvement de l'âge légal à soixante-deux ans. Nous assumons cette position responsable, je le dirai comme tel demain, lors de notre congrès.

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