EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er - Champ d'application de la loi : définition du livre numérique

I - Le droit en vigueur

En l'état actuel du droit, seul le livre « papier » fait l'objet d'une définition. Et encore faut-il relever que la seule définition légale du livre existant à ce jour est une définition fiscale , issue à l'origine de l'instruction du 30 décembre 1971 (3C-14-71), le livre papier bénéficiant du taux de TVA réduit. Celle-ci définit le livre comme « un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d'une oeuvre de l'esprit d'un ou plusieurs auteurs en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture. Cet ensemble peut être présenté sous la forme d'éléments imprimés, assemblés ou réunis par tout procédé, sous réserve que ces éléments aient le même objet et que leur réunion soit nécessaire à l'unité de l'oeuvre (...) ».

Parmi les ouvrages répondant à cette définition du livre, le texte identifiait notamment les ouvrages traitant de lettres, de sciences, les guides culturels et touristiques, les méthodes de musique, livrets ou partitions d'oeuvres musicales pour piano ou chant. Inversement, les annuaires, les catalogues, les guides contenant des listes d'hôtels ou de restaurants, les guides de villes et les guides à caractère essentiellement publicitaire, les albums à colorier ou les « simples partitions qui diffusent le texte et la musique d'une chanson » ne répondaient pas à la définition fiscale du livre et ne pouvaient donc bénéficier du taux réduit de TVA.

Ainsi, le tribunal de commerce de Paris a estimé, dans un jugement du 31 mai 2002, que les « guides contenant des listes d'hôtels ou de restaurants, guides de villes et guides à caractère essentiellement publicitaire » n'étaient pas considérés comme des livres au sens de ces dispositions.

Cette définition a été modifiée par l'instruction fiscale du 12 mai 2005 , afin de substituer à la notion centrale de contenu rédactionnel, celle d'apport éditorial, ce qui a modifié le champ d'application de la loi précitée de 1981. Ce texte a donc élargi la définition du livre, afin d'y intégrer, notamment, les ouvrages qui, bien que dépourvus de contenu rédactionnel au sens strict, constituent néanmoins des oeuvres de l'esprit en raison du travail éditorial qu'ils impliquent (sélection de données, mise en forme, présentation, indexation, etc.).

Dorénavant, les annuaires et répertoires portant sur un secteur particulier ou les guides touristiques entrent dans cette nouvelle définition du livre. Il en va de même pour les recueils de photographies, les catalogues d'exposition ou les répertoires d'oeuvres, même lorsqu'ils ne sont assortis d'aucun commentaire. Enfin, les partitions musicales, qu'elles comportent ou non des paroles, ainsi que les cartes géographiques et atlas, ou encore les albums de coloriage, sont également considérés comme des livres.

II - Le texte de la proposition de loi

L'article 1 er a pour objet de préciser le périmètre de la loi et, par conséquent, de définir le livre numérique.

En effet, le développement des technologies numériques entraîne une rapide évolution des modes de création, de production et de diffusion du livre, rendant nécessaire la définition de l'objet même du présent texte.

Or, ce dernier intervient dans un contexte de marché encore embryonnaire ; il n'a pas pour ambition - ce serait d'ailleurs prématuré - de viser l'ensemble des biens et/ou services qui naîtront à l'avenir et dont certains s'approcheront sans doute davantage d'oeuvres multimédias que de livres à proprement parler.

À l'heure actuelle, on observe encore une proximité entre le livre dit « papier » et le livre numérique (le « e-book »), même si ce dernier peut présenter des valeurs ajoutées fonctionnelles pour le lecteur. Ces enrichissements peuvent être suffisamment importants pour que l'on puisse parler d'un objet hybride.

C'est pourquoi la proposition de loi précise en quelque sorte le concept de « livre homothétique » évoqué, en janvier 2010, par le Président de la République lors de ses voeux au monde de la culture, en appliquant un principe de réversibilité.


• En effet, le premier alinéa de l'article prévoit que le texte s'appliquera non pas à l'ensemble des livres publiés sous format numérique mais uniquement à ceux qui présentent un contenu intellectuel - une « oeuvre de l'esprit » - et répondent à ce principe de réversibilité , c'est-à-dire qui sont soit déjà imprimés soit imprimables sans perte significative d'information.

Ce principe de réversibilité apparaît préférable à la notion de « livre numérisé » proposée par l'Autorité de la concurrence, dans son avis 09-A-56 du 18 décembre 2009 portant sur le livre numérique. En effet, des livres initialement publiés sous forme numérique mais pouvant être imprimés sont d'une nature identique à ceux initialement publiés sous forme imprimée et numérisés ultérieurement, et il importe donc de les viser également.

La référence à la notion de livre permet d'exclure les autres catégories d'oeuvres écrites, telles que la presse ou les revues.

Le texte prévoit que l'oeuvre concernée puisse être « créée par un ou plusieurs auteurs ». Cette possible pluralité des auteurs vise notamment à bien intégrer dans le dispositif les ouvrages incorporant des oeuvres de nature différente, c'est-à-dire textuelles et graphiques (telles que les livres illustrés et les bandes dessinées).

Précisons que les ouvrages de type dictionnaires ou guides sont des oeuvres collectives définies par le troisième alinéa de l'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle (CPI), qui mentionne très clairement les « divers auteurs participant » à leur élaboration. En outre, l'article L. 113-5 du CPI en précise le statut et investit des droits de l'auteur la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle a été éditée. Ces livres relèvent donc pleinement du champ d'application de la loi.

En faisant référence à un mode de commercialisation sous une « forme numérique », la proposition de loi vise à la fois les livres numériques disponibles en ligne mais également les livres numériques fixés sur un support (disque compact, clé USB, etc.).


• Dans la mesure où les évolutions technologiques sont de plus en plus rapides, le second alinéa de l'article confie au pouvoir réglementaire le soin de préciser les caractéristiques des livres numériques.

Ce décret devra préciser la nature et la portée des « éléments accessoires propres à l'édition numérique » qui peuvent compléter l'oeuvre principale dans sa version numérique. Il peut s'agir, par exemple, des variations typographiques et de composition, des modalités d'accès aux illustrations et au texte, tel que moteur de recherche associé, modalités de défilement ou de feuilletage des éléments contenus, ajouts textuels ou graphiques dans la mesure où ils restent accessoires.

D'après les informations d'ores et déjà fournies à votre rapporteur par le ministère de la culture et de la communication, le décret devrait préciser la nature du contenu du livre numérique afin d'exclure clairement du champ de la loi des programmes audio, vidéo ou des produits multimédia interactifs. Il pourrait faire référence à un contenu intellectuel notamment textuel et graphique destiné à la lecture. Mais, au-delà, pour votre rapporteur, la définition du livre numérique doit être suffisamment souple pour englober, par exemple, le cas d'un livre numérique assorti d'une courte interview de son auteur.

Le cas de la vente d'un livre numérique assorti d'un objet - tel qu'un livre sur le café accompagné d'une tasse à café, par exemple - pourra être traité dans le cadre de la vente à primes, régie par l'article 4 de la proposition de loi.

Précisons que cette dernière s'appliquera à l'ensemble des livres numériques répondant à la définition proposée par cet article, y compris à ceux qui auront été publiés antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la présente proposition de loi.

III - La position de votre commission

La définition du livre numérique s'avère délicate et néanmoins nécessaire.

Compte tenu des difficultés déjà rencontrées pour la définition du livre papier - et des problèmes de frontières, notamment avec les albums de coloriage, les partitions de musique, les cartes routières, etc. - ainsi qu'il a été mentionné précédemment, on peut certes s'attendre à ce que ces difficultés soient au moins aussi délicates avec le livre numérique.

Néanmoins, le recours au principe de réversibilité semble emporter l'adhésion d'une grande majorité des acteurs concernés.

Votre commission estime la rédaction proposée à la fois réaliste et équilibrée, en l'état actuel du marché. En effet, l'Autorité de la concurrence, dans son avis précité, a considéré que « compte tenu de la capacité limitée du droit de la concurrence à intervenir sur un marché naissant en l'absence de position établie, il peut être légitime, au nom de l'objectif de maintien de la diversité éditoriale, de chercher à limiter les risques d'une préemption rapide du marché par un acteur ou un petit nombre d'acteurs. »

Votre commission juge donc nécessaire que le législateur intervienne dès à présent pour accompagner le développement de ce marché naissant et évolutif. Le champ d'application de la régulation proposée est suffisamment circonscrit pour permettre à l'ensemble des acteurs de la filière de s'adapter aux mutations en cours et à venir, sans entraver l'innovation ni exclure d'éventuelles adaptations, d'autant qu'il est difficile d'apprécier à l'heure actuelle la variété des futurs produits.

Cet article détermine le champ d'application de la loi conformément à la recommandation de l'Autorité de la concurrence dans son avis précité. En effet, celle-ci a estimé qu'une « solution temporaire pourrait consister dans un premier temps à n'appliquer le texte qu'au livre numérisé, assorti le cas échéant de fonctionnalités supplémentaires permises par le support numérique. En effet, à ce jour, la très grande majorité des livres numériques proposés à la vente ou offerts gratuitement ne consiste qu'en une simple numérisation d'un livre papier avec, selon le cas, quelques enrichissements tels que des liens hypertexte, des recherches plein texte, qui ne dénaturent en rien l'oeuvre initiale. Une définition d'un tel contenu serait alors plus aisée et permettrait d'éviter que deux systèmes de prix, l'un imposé l'autre libre, coexistent pour un même contenu et ne conduisent à une éventuelle « cannibalisation » du livre papier par le livre numérique. L'éditeur resterait libre d'adopter des prix différents pour le livre papier et le livre numérisé. »

Le texte proposé s'inscrit donc scrupuleusement dans ce cadre.

Votre commission a adopté deux amendements de clarification rédactionnelle au premier alinéa. Il s'agit notamment :

- de lever toute ambigüité sur le fait que le texte vise le livre sous sa forme électronique et non pas le commerce électronique de livres ;

- de supprimer toute notion d'éventuelle chronologie entre édition sous forme imprimée et édition numérique , dans le cas où une oeuvre fait l'objet des deux types d'édition. Il ne doit pas y avoir d'ambigüité sur le fait qu'un livre numérique peut être édité avec ou sans édition papier, et dans le premier cas, il peut l'être avant, simultanément ou postérieurement à celle-ci.

Il est évident que, dans la plupart des cas, au moins pendant un certain temps, l'hypothèse la plus fréquente sera sans doute celle de la double édition. Néanmoins, la définition du livre numérique doit être suffisamment claire pour englober tous les cas de figure.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

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