Article 2 - Fixation du prix de vente au public par l'éditeur

I - Le texte de la proposition de loi

Cet article pose l'obligation pour l'éditeur de fixer un prix de vente pour chaque offre commerciale concernant un livre numérique.


• S'inspirant de la loi du 10 août 1981 en faisant référence à « toute personne établie en France qui édite », le premier alinéa de cet article vise également l'édition à compte d'auteur et l'autoédition. Ce terme paraît donc préférable car plus large que celui « d'éditeur » 6 ( * ) qui aurait renvoyé à l'article L. 132-1 du code de la propriété intellectuelle. Cet alinéa fixe clairement le champ d'application de cette obligation, en ne l'imposant qu'aux seuls éditeurs établis en France. Ce principe d'établissement en France vise à restreindre le champ d'application de la loi au territoire national dans le respect du droit communautaire.

Au titre de ce dernier, une entreprise effectuant de la vente au détail de livres numériques est considérée comme établie en France, s'il y existe une infrastructure pour exercer cette activité et que sa participation à la vie économique de la France a un caractère stable et continu.

Jurisprudence communautaire

Selon la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), le caractère « temporaire » de l'exercice d'une activité de prestation de services dans l'État membre d'accueil 7 ( * ) doit être apprécié non seulement en fonction de la durée de la prestation, mais également en fonction de sa fréquence, périodicité ou continuité, et la notion « d'établissement » au sens du traité implique la possibilité pour un ressortissant communautaire de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d'un État membre autre que son État d'origine.

Le critère décisif aux fins de l'application du chapitre du traité relatif aux services à une activité économique est donc l'absence de caractère stable et continu de la participation de l'intéressé à la vie économique de l'État membre d'accueil 8 ( * ) .

Précisons que le lieu de taxation des services fournis à des personnes non assujetties est :

- soit celui où le prestataire a établi le siège de son activité économique ;

- soit celui où est situé un de ses établissements stables si le service est effectué par celui-ci 9 ( * ) .

Le fait donc que le service de facturation d'une entreprise se trouve dans un autre État que celui de l'établissement stable pèse peu sur la notion d'établissement et sur la taxation du service fourni.

Cependant, à compter du 1 er janvier 2015 , les prestations de services fournies par voie électronique seront taxées sur le lieu de l'acheteur.

Par ailleurs, le premier alinéa de l'article 2 de la proposition de loi précise que le prix ainsi fixé par l'éditeur est un prix de vente au public , c'est-à-dire le prix de vente au consommateur final, qu'il s'agisse d'une personne physique ou d'une collectivité. En effet, la loi n'a pas vocation à viser le prix de cession à un intermédiaire ; elle permettra à l'éditeur de garder la maîtrise du prix au client final.

Cette disposition est cependant limitée à l'édition d'un livre numérique en vue de sa diffusion commerciale , à l'exclusion donc d'une diffusion gratuite. Il s'agit ainsi d'éviter toute ambigüité sur les obligations qui incomberaient à des éditions numériques de textes sans visée commerciale (publications universitaires, éditions critiques produites par une bibliothèque etc.).

Précisons que cette notion ne figure pas dans la loi de 1981. Cependant, compte tenu de la multiplicité déjà observée des modes de diffusion gratuits de textes sur l'Internet (travaux de chercheurs, littérature « grise » etc.), il semble utile de le préciser.

Cet alinéa pose également une obligation de publicité du prix , dans la même logique que celle prévalant pour la loi du 10 août 1981, et renvoie à un décret les modalités qui s'imposeront aux éditeurs pour le marquage des prix.

Précisons que les mesures envisagées dans ce décret font peser des obligations sur deux acteurs :

- l'éditeur, qui doit fixer un prix et le communiquer au détaillant ;

- le détaillant, qui, en contact avec le public, est le plus à même d'en assurer la publicité sur son site.

L'objectif est que ces obligations soient les plus fluides et les moins contraignantes pour chacun de ces deux acteurs. Dans ce cadre, d'après les informations fournies à votre rapporteur par le ministère de la culture et de la communication, la piste consistant à inscrire le prix dans le fichier lui-même doit être écartée car elle contraindrait les détaillants à des opérations beaucoup trop lourdes en cas de changement de prix. L'avantage de la diffusion numérique est justement de pouvoir avoir une grande réactivité sur le critère de prix des livres et il n'est pas à exclure que les variations de prix soient beaucoup plus fréquentes que dans l'univers papier.

C'est pourquoi, il conviendra de mettre en place le système le plus transparent possible pour les détaillants. La solution la plus simple serait de demander à l'éditeur (ou à son prestataire de distribution) de tenir à jour une base de données en ligne associant les identifiants des livres numériques à leurs prix.

Le détaillant pourrait alors en toute sécurité mentionner les prix des livres sur son site de vente en ligne en interrogeant automatiquement et en temps réel ladite base de données.


• Le deuxième alinéa précise que ce prix « peut différer en fonction du contenu de l'offre, de ses modalités d'accès ou d'usage ». En effet, l'offre de vente se rapportant à un livre numérique présente un caractère hybride dans la mesure où elle inclut à la fois du contenu et des services associés à ce contenu qui viennent en préciser l'accès et l'usage (logiciel de lecture, mesures techniques de protection, possibilité de copie, etc.). Le prix d'une oeuvre donnée peut donc varier en fonction de l'un de ces paramètres, le couple contenus/services définissant une offre.

Les trois critères permettant de fixer des prix différents pour un même livre sont donc les suivants :

- le contenu de l'offre : un livre n'aura pas le même prix s'il est proposé au sein d'une offre réunissant d'autres livres que s'il est vendu isolément ;

- les modalités d'accès à l'offre : le prix peut différer suivant que le livre est accessible et consultable en ligne sur identification, ou qu'il est téléchargé sur le disque dur de l'acheteur pour pouvoir être consulté hors ligne ;

- les modalités d'usage de l'offre : le prix peut enfin différer en fonction des plus ou moins grands usages permis par les mesures techniques de protection (les « DRM »), notamment le nombre de copies privées que l'utilisateur peut réaliser à partir d'un fichier.


• Le troisième alinéa tend à exclure de ce dispositif certains types d'offres afin notamment de ne pas interférer avec le modèle économique des éditeurs scientifiques et techniques proposant de longue date des produits spécifiques à un public professionnel, notamment à des bibliothèques universitaires ou à des organismes de recherche. En effet, ces acteurs sont à la fois éditeurs et détaillants et les prix qu'ils fixent font en fait l'objet de larges négociations commerciales.

Afin de restreindre cette exclusion du cadre général de la régulation, les deux critères doivent être observés simultanément :

- le premier critère se rapporte au contenu de l'offre et comporte lui-même une alternative ; l'offre doit concerner :

. soit une « licence d'accès aux bases de données ». Précisons qu'en application de la directive européenne du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données, l'article L. 112-3 du CPI : « on entend par base de données un recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen. » Par ailleurs, l'emploi du terme de « licences » renvoie directement à une notion de propriété littéraire et artistique ;

. soit être « composite ». Les offres « composites » réunissent, par exemple, des livres numériques, des publications périodiques et semi-périodiques et des bases de données ;

- le second critère concerne la finalité de l'offre : elle doit être proposée à des fins « d'usage collectif ou professionnel ».

Ainsi, un livre inclus dans une offre « composite » mais proposée au grand public resterait soumis à la disposition du premier alinéa ; il en est de même d'un livre inclus dans une offre destinée à un usage collectif ou professionnel, mais non composite (c'est-à-dire constituée seulement de livres numériques au sens de l'article premier).

II - La position de votre commission


Pour l'essentiel, votre commission soutient ce dispositif qui doit permettre d'éviter des pertes de valeur comparables à ce qui a pu être observé dans d'autres secteurs de la culture , notamment celui de la musique, ou dans celui du livre numérique dans les pays anglo-saxons.

En effet, ainsi que l'avait souligné M. Bruno Patino dans son rapport précité, le risque d'une « concurrence nouvelle » entre les détenteurs de droits et les détenteurs d'accès et de réseaux est avéré. Cette nouvelle forme de concurrence ne peut manquer de bouleverser la chaîne traditionnelle de valeurs dans le secteur du livre en substituant une logique de « flux » à une logique fondée sur la valeur de l'oeuvre. La défense de la propriété intellectuelle et la maîtrise, par l'éditeur, de la fixation du prix public de vente selon des modalités garantissant le respect de ce prix par les détaillants constituent deux conditions impératives pour le développement de l'économie du livre numérique et pour l'existence d'une diversité de circuits de vente parmi lesquels la librairie pourra tenir sa place.

Ainsi qu'il a été dit dans la première partie du présent rapport, votre commission juge nécessaire que, comme pour le livre papier, l'éditeur soit le garant de la préservation d'une valeur du livre assurant une rémunération équitable de l'ensemble des acteurs de la filière . À défaut, la création et la diversité culturelle ne seraient plus garanties.

Parallèlement, ce cadre juridique doit inciter l'ensemble des professionnels à créer, sereinement mais rapidement, les conditions du développement d'une offre légale de livres numériques attractive et facile d'accès pour les lecteurs.


• Toutefois, le texte proposé nécessite certains aménagements :

- Ainsi, au premier alinéa de cet article, l'amendement adopté par votre commission précise que le principe de fixation du prix de vente au public s'applique « pour tout type d'offre à l'unité ou groupée ». Il s'agit ainsi de satisfaire partiellement aux objectifs visés par le dernier alinéa de l'article 3, dont l'utilité ne sera alors plus avérée, afin d'éviter que des offres groupées ne viennent vider de sa substance le dispositif proposé par la présente proposition de loi ;

- Au deuxième alinéa, votre commission a apporté une amélioration rédactionnelle ;

- Le troisième alinéa pose des difficultés d'une autre nature , liées tant à la complexité de définir les cas méritant une dérogation au principe de fixation du prix de vente au public par l'éditeur, qu'à l'équilibre à trouver entre deux objectifs :

. préserver les modèles existants dans l'économie de l'information qui est, pour le moment, la seule à avoir une existence significative dans l'univers numérique ;

. dans le même temps, pour des raisons légitimes au regard des objectifs en termes d'économie de la création, permettre aux libraires de pouvoir être des acteurs à part entière de la commercialisation du livre numérique aux collectivités. Tel était d'ailleurs l'esprit qui animait la loi du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs.

La difficulté consiste donc à exclure du champ d'application de la loi les acteurs de l'édition scientifique et technique tout en ménageant une place aux libraires comme intermédiaires pour d'autres offres de livres.

Or, la définition très large du terme de « licences » par le CPI pourrait tendre à comprendre dans les « bases de données » toute offre groupée de livres numériques pour peu que ces livres soient organisables méthodiquement et accessibles individuellement.

Par ailleurs, si la notion « d'usage collectif » au sens du présent texte était rapprochée de celle d'utilisation collective figurant au 2° de l'article L. 122-5 du CPI pour limiter l'exception au titre de la copie privée, cette acception pourrait s'avérer trop large, cet alinéa désignant tout ce qui n'est pas destiné à une diffusion au strict et seul bénéfice de l'individu qui utilise l'oeuvre, ou son cercle de famille.

Cette rédaction pourrait sans doute prêter à interprétations, sans qu'un autre consensus puisse, à ce stade, et compte tenu des délais impartis pour l'examen du texte, être trouvé entre les acteurs concernés.

C'est pourquoi votre commission juge nécessaire que ces notions soient définies et interprétées en cohérence avec les objectifs visés par la proposition de loi. À cette fin, elle a adopté un amendement renvoyant à un décret les conditions et modalités d'application de l'article 2.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 6 Par commodité, votre rapporteur emploie néanmoins le terme d'éditeur dans le présent rapport.

* 7 Au sens de l'article 50, troisième alinéa, du Traité CE.

* 8 Cf. CJCE, 13 février 2003, Commission c/ Italie, aff. C-131/01.

* 9 Cf. directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA.

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