ARTICLE 5 - Norme annuelle de progression des dépenses de l'Etat

Commentaire : le présent article fixe une norme de progression nulle en volume applicable au périmètre élargi des dépenses de l'Etat, assortie d'une norme de progression nulle en valeur des mêmes dépenses, hors pensions et charge de la dette.

I. LA NORME ACTUELLE ET SES LIMITES

A. LA NORME « ZÉRO VOLUME ÉLARGI »

1. Un périmètre élargi...

A compter de la loi de finances pour 2008 (n° 2007-1822 du 27 décembre 2007), le Gouvernement a entendu étendre le périmètre sur lequel était mise en oeuvre la norme d'évolution des dépenses de l'Etat. Alors que cette norme n'intéressait que les dépenses du budget général hors remboursements et dégrèvements et hors recettes en atténuation de la charge de la dette, son application a donc été élargie aux prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et de l'Union européenne et aux affectations de taxes à des opérateurs, lorsque ces affectations venaient en substitution de crédits budgétaires.

Cette norme de dépense « élargie » a été consacrée par l'article 5 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 (n° 2009-135 du 9 février 2009).

2. ... mais des points de fuite nombreux

Si la norme de dépense « élargie » a indiscutablement contribué à contenir la progression des dépenses de l'Etat ( cf. infra ), elle présentait néanmoins un certain nombre d'insuffisances et de « points de fuite ».

S'agissant tout d'abord du mode de calcul de la norme , la comparaison des dépenses d'une année sur l'autre exigeait des retraitements destinés à rapprocher des périmètres de dépenses similaires . Bien que ces retraitements soient explicités dans une charte de budgétisation annexée à chaque projet de loi de finances, des débats n'ont pas manqué de surgir sur l'opportunité de prendre ou de ne pas prendre en compte tel ou tel type d'opération, et le calibrage des mesures de périmètre a pu viser délibérément à minorer les dépenses prises en compte dans le champ de la norme . En 2009, selon la Cour ces comptes, les opérations abusivement traitées en mesures de périmètre ont ainsi conduit à diminuer de 2,56 milliards d'euros le montant des dépenses à prendre en compte pour le calcul de la norme élargie ( cf . encadré). Inévitables d'un point de vue technique, ces ajustements et les controverses qu'ils suscitent n'ont donc contribué ni à la lisibilité ni à la fiabilité de la norme de dépense.

Des mesures de périmètre inopportunes

Plusieurs ajustements opérés par l'administration et mentionnés dans l'exposé des motifs du PLF pour 2009 ont eu pour effet de réduire le montant des dépenses prises en compte. Certaines opérations sont à juste titre écartées, par exemple les loyers budgétaires ou les transferts de compétences aux collectivités territoriales, parce qu'elles sont neutres pour l'Etat, l'évolution des dépenses étant équilibrée par une évolution comparable des recettes.

D'autres exclusions, en revanche, ne paraissent pas justifiées et les dépenses correspondantes devraient être réintégrées dans le calcul de l'évolution des dépenses :

- les subventions de 1,20 et 0,14 Md€ versées aux établissements publics AFITF et OSEO, qui sont des dépenses de l'Etat ;

- la dotation de l'Etat au fonds national des solidarités actives (FNSA) pour contribuer au financement du revenu de solidarité active (RSA). Il a été indiqué que cette dépense nouvelle serait compensée, d'ailleurs partiellement, à hauteur de 0,4 Md€) par l'absence d'indexation de la prime pour l'emploi (PPE). Une absence d'indexation ne constituant pas une recette budgétaire, la mesure n'est pas neutre au regard du solde et doit donc être comptabilisée pour mesurer l'évolution des dépenses constatées. Les crédits ont, d'ailleurs, été utilisés pour payer la prime de Noël des allocataires du RSA et de l'API ;

- la charge supplémentaire d'intérêts (0,35 Md€ en 2009) qui résulterait pour l'Etat de la reprise de la dette du FFIPSA (8 Md€). En effet, non seulement la dette reprise correspondait à des charges constituées parce que l'Etat n'a pas rempli ses obligations financières à l'égard du fonds, mais la dette du FFIPSA a été intégralement remboursée au 31 décembre 2008. Rien ne justifie que les intérêts aujourd'hui à la charge de l'Etat, attachés aux emprunts contractés pour rembourser la dette du fonds, ne soient pas pris en compte pour évaluer l'évolution des dépenses. Il devra d'ailleurs en être ainsi pour de futures reprises de dettes ;

- la contribution de 0,473 Md€ au financement de l'audiovisuel public pour compenser la suppression de recettes publicitaires. Cette mesure n'a pas eu pour contrepartie la réaffectation au budget de l'Etat d'une recette fiscale perçue par les établissements bénéficiaires et elle constitue donc une charge nette.

Si on réintègre les sommes correspondant aux opérations précitées, le montant des dépenses constatées augmente de 2,56 Md€.


Source : rapport de la Cour des comptes sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat exercice 2009 - mai 2010.

Ensuite, et pour élargie qu'elle soit, la norme de dépenses ne couvre pas un certain nombre de « dépenses » de l'Etat, entendues au sens large. Il en va tout d'abord ainsi des dépenses portées par les comptes spéciaux , que le Gouvernement exclut de la norme en raison des risques de double comptabilisation entre dépenses budgétaires et dépenses des comptes. Si ces risques existent, il était néanmoins possible de les circonscrire en comptabilisant les dépenses des CAS nettes des versements du budget général, opération qui n'apparaît guère plus complexe que certaines mesures subtiles de périmètre.

Les remboursements et dégrèvements d'impôts sont également exclus de la norme, alors qu'ils représentaient un montant global de crédits de plus de 90 milliards d'euros en 2010. Ces dépenses répondent, il est vrai, à une logique de recettes et sont, comme tels moins aisément pilotables que la dépense budgétaire au sens strict. A contrario , l'on peut légitimement se poser la question de l'inclusion dans la norme de dépenses du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, notre contribution au budget communautaire dépendant de paramètres institutionnels que nous ne maîtrisons que très indirectement et ne pouvant, par conséquent, être pilotée annuellement.

Parmi les « points de fuite » de la norme, on citera enfin la non-comptabilisation :

1) des dépenses fiscales , alors même que leur dynamisme vide en grande partie de sa portée l'exercice de rétablissement de l'équilibre des finances de l'Etat ;

2) des dépenses des opérateurs de l'Etat financées par des ressources extrabudgétaires , dont un des exemples symptomatiques peut être trouvé dans l'affectation à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie de plus de 500 millions d'euros de taxe générale sur les activités polluantes, afin de financer la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

L'Etat a enfin été prompt à considérer que certaines dépenses substantielles ne devaient pas être incluses dans la norme qu'il s'était donnée, en raison de leur caractère « exceptionnel » . Ainsi des crédits ouverts dans le cadre du Plan de relance, qui répondaient à une dégradation sans précédent de la conjoncture, appelant des mesures de soutien à l'investissement et à la consommation d'une ampleur incompatible avec le respect de la stabilisation en volume des dépenses de l'Etat. Ainsi également, et de manière plus contestable, des « investissements d'avenir » prévus par la loi de finances rectificative pour 2010 du 9 mars 2010 (n° 2010-237), et financés par des crédits « décaissés » en dehors de la norme de dépense alors même que les modalités retenues conduiront, pendant plusieurs années, à des flux financiers en direction des opérateurs, qui seront juridiquement des flux de trésorerie.

B. LA NORME À L'ÉPREUVE DES FAITS

Au-delà des défauts « de conception » de la norme de dépense, peuvent être identifiés deux principales insuffisances apparues au gré de son application. Ces insuffisances tiennent au caractère global de l'outil, qui autorise le recyclage d'économies de constatation , ainsi qu'à sa vocation purement programmatique .

1. Des économies de constatation recyclables

La norme de dépense fait « un tout » des dépenses du budget général et des prélèvements sur recettes et s'exprime en volume, c'est-à-dire par rapport à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation. Ces deux caractéristiques ont entraîné, en 2009 comme en 2010, un phénomène de recyclage d'importantes économies de constatation, nonobstant le respect des plafonds de la programmation triennale.

En 2009 , le budget de l'Etat a subi une forte pression à la hausse des prélèvements sur recettes. Le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne a ainsi connu une forte progression entre 2008 et 2009, passant de 18,7 milliards d'euros à près de 19,99 milliards d'euros (+ 6,9 %). L'écart à la prévision élaborée en LFI fut également substantiel (1,096 milliard d'euros, soit + 5,8 %). De même, entre 2008 et 2009, le prélèvement sur recettes au profit des collectivités territoriales a augmenté, hors mesure FCTVA du plan de relance, de 2,3 % à périmètre constant (+1,183 milliard d'euros), pour s'établir à 52,35 milliards d'euros. L'augmentation par rapport à la prévision de LFI était moindre, de l'ordre de +0,2 % (102 millions d'euros). Au total, l'on s'aperçoit donc que l'Etat a dû, pour tenir la norme de dépense, « absorber » une hausse des prélèvements sur recettes de 2,5 milliards d'euros par rapport à 2008 et de 1,2 milliard d'euros par rapport à la LFI.

Dans le même temps, le budget général a bénéficié, en 2009, d'une économie substantielle sur la charge d'intérêts de la dette, qui s'est établie à 37,62 milliards d'euros au lieu des 44,45 milliards d'euros en 2008, soit une économie « de constatation » de 6,83 milliards d'euros par rapport à l'exécution 2008 et de 5,3 milliards d'euros par rapport à la prévision de LFI.

Cette marge de manoeuvre a été utilisée par le Gouvernement dans le cadre du collectif d'hiver 2009 , où 2 milliards d'euros de crédits complémentaires ont été ouverts afin de résorber la plupart des dettes de l'Etat à l'égard de la Sécurité sociale, de remettre à niveau certaines interventions à caractère social (1,3 milliard d'euros) et d'ouvrir des crédits complémentaires pour le financement des dépenses liées à la grippe A (0,6 milliard d'euros), du plan exceptionnel de soutien à l'agriculture et de l'acquisition du terrain et les études préalables à la construction du nouveau Palais de justice de Paris (88 millions d'euros).

Les mêmes causes entraîneront vraisemblablement les mêmes effets en 2010 , où les hypothèses d'inflation ont été sérieusement révisées à la baisse, pour s'établir à 1,2 %, alors que les plafonds et la norme avaient été construits sur une hypothèse d'1,75 %. Selon sa propre analyse de la situation, le Gouvernement a donc adopté une attitude particulièrement vertueuse en s'astreignant à respecter la norme « zéro volume » dans un contexte de baisse de l'inflation, et ce sans y être obligé par la programmation triennale. L'équation est néanmoins plus complexe. De fait, la baisse importante de l'inflation permet à nouveau au Gouvernement d'enregistrer « automatiquement » des économies substantielles par rapport aux anticipations ayant servi de support à la construction du budget pluriannuel et de la loi de finances initiale. De telles économies concernent, en 2010, les dépenses de pensions, en baisse de 1,6 milliard d'euros par rapport au cadrage pluriannuel, la charge de la dette, en recul de 2,7 milliards d'euros par rapport au montant prévu dans le budget pluriannuel, les crédits de la mission « Défense », en baisse de 0,6 milliard d'euros et les concours de l'Etat aux collectivités territoriales, dont la progression est indexée sur l'inflation.

Bénéficiant d'une marge globale de 5,7 milliards d'euros, le Gouvernement a néanmoins, dans le cadre de la construction du PLF pour 2010, réalloué 4 milliards d'euros aux missions supportant les effets de la crise économique , ainsi qu'à des dépenses discrétionnaires.

2. Une vocation seulement programmatique

Une ambiguïté persiste sur les finalités de la norme de dépense et sur ce qu'il convient de comparer par son truchement. Initialement, la norme de dépense a été conçue comme un instrument de pilotage des finances de l'Etat, donc comme un outil de construction des projets de loi de finances permettant de comparer, d'une année sur l'autre, les prévisions de dotations budgétaires pour s'assurer qu'elles respectaient un certain rythme d'évolution. Dans cette perspective, la norme de dépenses s'appréciait de loi de finances de l'année n à projet de loi de finances de l'année n +1.

L'expérience a néanmoins démontré qu'elle pouvait revêtir une autre signification, et s'apparenter à un instrument d'évaluation des efforts réellement accomplis pour tenir la dépense. Votre rapporteur général s'est efforcé de promouvoir cet usage en comparant, à l'occasion de l'examen des projets de loi de règlement, la progression des dépenses en norme élargie d' exécution de l'année n -1 à exécution de l'année n .

Calculer l'évolution des dépenses « élargie » en exécution a permis d'établir que, si la norme était toujours respectée en prévision, elle l'était moins en réalisation :

1) de loi de finances pour 2007 à projet de loi de finances pour 2008, la règle du zéro volume était respectée, mais d'exécution 2007 à exécution 2008, la progression réelle des dépenses aura été de 0,5 % ;

2) de loi de finances pour 2008 à projet de loi de finances pour 2009, la règle du zéro volume était à nouveau respectée, mais d'exécution 2008 à exécution 2009, la progression réelle des dépenses aura été de 0,3 % en retranchant les effets du Plan de relance, mais de 4,8 % en les intégrant au calcul.


L'évolution de la dépense en norme élargie de l'exécution 2008 à l'exécution 2009,
avec et hors effets du Plan de relance

(en millions d'euros)

R&D = remboursements et dégrèvements et PSR = prélèvements sur recettes
Source : commission des finances, d'après la Direction du budget

Enfin, le Gouvernement lui-même aura été tenté de « jouer » sur les bases de calcul de la norme de dépense lorsque son respect menaçait d'être compromis . Ainsi de l'année 2009, où l'effondrement de l'hypothèse d'inflation à 0,4 % a rendu singulièrement plus complexe la tenue de l'objectif zéro volume, et a conduit le Gouvernement à proposer une méthode de calcul « innovante » de la norme. Lors de l'examen du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2009, l'exécutif a ainsi pu soutenir qu'il convenait de recalculer la norme à partir de l'exécution 2008, et non de la prévision . De fait, l'exécution 2008 ayant connu une augmentation importante de la charge de la dette (+4 milliards d'euros), elle constituait un « point haut » à partir duquel il était plus facile de demeurer « dans les clous » de la norme l'année suivante : de 1,2 % de LFI 2008 à LFI 2009, la progression de la norme tombait à 0,0 % d'exécution 2008 à LFI 2009.

Au total, ces observations démontrent que si des intentions louables ont présidé à l'élaboration de la norme de dépense élargie, les défauts de conception initiale dont elle a pâti et le contexte économique « tourmenté » dans lequel elle a trouvé à s'appliquer en ont réduit la portée.

II. UNE NORME PLUS ÉLABORÉE, DES GARANTIES SUPPLÉMENTAIRES

Le présent article définit une norme de progression des dépenses de l'Etat plus sophistiquée , et que l'on pourrait qualifier d'outil « à double détente ».

A. UNE NORME DE PROGRESSION « À DOUBLE DÉTENTE »

1. Le « zéro volume », le « zéro valeur » et leur articulation

Si la nouvelle norme de dépense s'applique à un périmètre identique à celui de la norme actuellement en vigueur, elle se décline néanmoins en deux sous-objectifs distincts. Le présent article dispose donc que :

1) « la progression annuelle des crédits du budget général de l'Etat et des prélèvements sur recettes est, à périmètre constant, au plus égale à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation » . Il s'agit de la reprise de la norme « zéro volume » telle que nous la connaissons aujourd'hui ;

2) « Hors charge de la dette et hors contributions aux pensions des fonctionnaires de l'Etat, ces crédits et prélèvements sur recettes sont stabilisés en valeur à périmètre constant » . Cette norme « zéro valeur » appliquée aux dépenses hors charges de pensions et de la dette constitue donc la principale innovation proposée par le présent article. Elle aboutit à contenir ces dépenses à 274,8 milliards d'euros par an, en euros courants, sur la période .

Pour l'application de la norme « zéro valeur », et au sens de la nomenclature budgétaire , les contributions aux pensions des fonctionnaires de l'Etat s'entendent des contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions », imputées sur les crédits de titre 2, soit 35,057 milliards d'euros en LFI pour 2010. La charge de la dette s'entend des crédits inscrits au programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'Etat » de la mission « Engagements financiers de l'Etat », soit 42,45 milliards d'euros en LFI pour 2010.

On comprend d'emblée que la vertu principale d'un tel dispositif sera d'empêcher le recyclage en dépenses nouvelles d'économies de constatation, tel qu'il a pu se produire en 2009 ou en 2010 . Dans la mesure où les dépenses hors dette et pensions seront stabilisées en valeur, tout redéploiement au profit de ces dépenses constituerait, en effet, une infraction à la norme. Dans ces conditions les éventuelles économies de constatation sur la charge de la dette ou les économies attendues de la réforme des retraites sur les dépenses de pensions des fonctionnaires contribueront à l'amélioration du solde .

Le rapport annexé au présent projet de loi fournit d'intéressantes précisions sur les modalités d'application de cette norme à double détente et d'articulation du « zéro valeur » et du « zéro volume », en particulier si les hypothèses d'inflation, de charge de la dette et de dépenses de pensions étaient amenées à évoluer en cours de programmation.

Ainsi, ce rapport dispose que « quelles que soient ces hypothèses, les plafonds de dépenses résultant des normes "0 volume" et "0 valeur hors dette et pensions" seront respectés, la règle la plus contraignante des deux étant retenue pour chaque année » . Cela emporte :

1) qu'en cas d'inflation modérée, susceptible de dégager des marges de manoeuvre sur la charge de la dette, l'application du zéro valeur interdira tout redéploiement et aboutira à une diminution de la dépense globale en volume . Ce cas de figure, exactement inverse des phénomènes constatés en 2009 et 2010, devrait se produire en 2011 puisque le Gouvernement indique que « les crédits diminueront en euros constants de près de 0,2 % » ( cf. infra ) ;

2) en cas de forte inflation et de hausse de la charge de la dette et des pensions, c'est alors la règle du zéro volume qui prévaudra : il conviendra donc de comprimer les dépenses hors dette et pensions , et donc de les faire diminuer en valeur, pour tenir l'objectif global de stabilisation en euros constants. Le rapport annexé indique donc que, dans cette hypothèse, « les plafonds des crédits des missions seraient révisés à la baisse de manière à respecter la norme "0 volume". »

Ce rapport précise que les ajustements nécessaires « seraient opérés conformément au cadrage fixé par le Premier ministre au début de la procédure budgétaire. En cas de révision à la baisse de l'hypothèse d'inflation, ils se feraient prioritairement par la révision à la baisse des plafonds des missions comprenant des dotations dont l'évolution est directement corrélée au niveau de l'inflation , en vertu notamment de mécanismes d'indexation prévus par une disposition juridique » . Il est en revanche muet sur les arbitrages qu'il conviendrait d'opérer en cas de poussée inflationniste impliquant de réduire les dotations des missions hors charge de la dette et de pensions.

2. Le schéma global d'évolution des dépenses

La traduction chiffrée de ces nouveaux principes fait ressortir une stabilisation des dépenses hors dette et pensions à 274,84 milliards d'euros par an , tandis que la charge de la dette progresserait d'environ 4,3 milliards d'euros par an (+10 %) et les dépenses de pensions de 1,5 milliard d'euros en moyenne annuelle entre 2010 et 2013 (+4 %). ( cf . diagramme et tableau).


Evolution des crédits, à champ constant, sur les périmètres de la norme

Source : rapport annexé au présent projet de loi.


Evolution des dépenses en valeur et en volume au sens de la norme élargie

(en millions d'euros, à périmètre constant)

Source : commission des finances, d'après le rapport annexé au présent projet de loi.

Selon le rapport annexé, la mise en oeuvre du zéro valeur combiné au zéro volume constitue « un effort inédit et un infléchissement marqué par rapport aux budgets précédents. En effet, pour les lois de finances initiales 2006 à 2010, les crédits du budget général et prélèvements sur recettes désormais soumis au "0 valeur" ont progressé en moyenne d'environ 2,9 milliards d'euros par an , là où ils seront désormais stabilisés sur 3 ans » ( cf . schéma). L'effort est, au demeurant, présenté comme d'autant plus important que le zéro valeur « s'impose à des dépenses qui connaissent une tendance spontanée à la hausse » , notamment en raison de mécanismes d'indexation automatique des prix ou des prestations (allocations logement, minima sociaux), d'une augmentation structurelle du nombre de bénéficiaires d'interventions servies par l'Etat (allocation adulte handicapé et exonérations de cotisations sociales), ou encore de l'incidence pluriannuelle de décisions déjà prises (investissements ou contrats de projet Etat-régions).


Progression annuelle, à champ constant, des crédits du budget général (hors charge de la dette et pensions) et des prélèvements sur recettes sur la période 2006-2013

(en milliards d'euros)

Source : rapport annexé au présent projet de loi.

B. QUEL IMPACT POSTE PAR POSTE ?

Le tableau qui suit calcule la progression moyenne annuelle des principaux postes de dépenses inclus dans la normé élargie.


Progression moyenne annuelle des postes de dépenses

(en millions d'euros, à périmètre constant)

Source : commission des finances, d'après le rapport annexé au présent projet de loi.

1. Les évolutions à la hausse : charge de la dette, pensions et prélèvement européen

Les évolutions à la hausse intéressent :

1) la charge de la dette , qui progresse en moyenne de 4,25 milliards d'euros par an (+10 %). Selon l'Agence France Trésor, cette hausse serait imputable, pour 3 milliards d'euros à l'accroissement de l'encours de la dette (effet volume), et pour 1 milliard d'euros à l'évolution des taux d'intérêt sur la période ;

2) les dépenses de pensions , qui augmentent de 1,51 milliard d'euros par an en moyenne (+4,3 %) ;

3) le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne qui, contrairement aux charges de pensions et de la dette, est inclus dans le périmètre d'application du « zéro valeur ». Ce prélèvement augmenterait de 482 millions d'euros par an sur la période (+2,7 %). Cette dépense n'est que très indirectement maîtrisable par le Gouvernement puisqu'elle résulte de la procédure budgétaire communautaire, et donc des arbitrages négociés entre le Parlement européen et le Conseil, sur la base des propositions formulées par la Commission. Votre rapporteur général observe que le rythme de progression retenu par le Gouvernement est relativement optimiste , puisque le prélèvement sur recettes exécuté a progressé de 8,9 % entre 2007 et 2008, puis de 6,8 % de 2008 à 2009. De surcroît, la Commission a demandé à la France d'accroître sa participation au budget communautaire de 6 % en 2011, et ce bien que les Etats membres aient fait part de leur détermination à imposer au budget communautaire les mêmes contraintes qu'aux budgets nationaux.

2. Les dépenses de personnel

Afin de respecter la norme, tous les autres postes de dépenses seraient donc appelés à diminuer . Les dépenses de rémunérations diminueraient ainsi de 120 millions d'euros en moyenne par an par rapport à 2010 (-0,1 %). Cette inflexion, mérite d'être soulignée, car votre rapporteur général a déjà eu l'occasion de montrer que, nonobstant les suppressions de postes intervenant dans le prolongement de la RGPP, la masse salariale de l'Etat continuait de progresser sous l'effet du glissement vieillesse-technicité et des mesures générales ou catégorielles . Deux leviers sont mobilisés pour atteindre cet objectif :

1) les diminutions de postes résultant des réformes structurelles décidées dans le cadre de la RGPP. Ce sont ainsi 100 000 départs à la retraite qui ne devraient pas être remplacés sur la période 2011-2013, soit environ 31 600 ETP en 2011, 33 000 ETP en 2012 et 33 100 ETP en 2013. Selon le rapport annexé au présent projet de loi, « ce niveau correspond à la poursuite du non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux sur l'ensemble des trois années de la programmation, selon des prévisions de départ à la retraite qui s'élèvent à environ 62 000 ETP en 2011, 63 200 ETP en 2012 et 62 600 ETP en 2013 » ;

2) les mesures de modération salariale décidées par le Gouvernement, qui prennent la forme d'une absence de revalorisation du point fonction publique en 2011 .

Selon la direction du Budget, les économies brutes (hors retour catégoriel aux agents) des suppressions d'emplois prévues pendant la période de programmation seraient de 837 millions d'euros en 2011, 853 millions d'euros en 2012 et 845 millions d'euros en 2013, soit un total de 2,535 milliards d'euros .

3. Les « autres dépenses » : fonctionnement et intervention

Les « autres dépenses » du budget général font l'objet d'une présentation globalisée dans le schéma d'évolution proposé par le Gouvernement, de sorte qu'il n'est pas toujours possible de connaître la trajectoire prévue pour chaque catégorie . Ces dépenses, qui comprennent principalement les dépenses de fonctionnement, d'intervention et d'investissement, connaîtraient une baisse moyenne de 376 millions d'euros par an par rapport à leur niveau de 2010 (0,3 %). La baisse par rapport à leur croissance tendancielle n'est en revanche chiffrée que pour les dépenses d'intervention, votre rapporteur général n'ayant pu obtenir du Gouvernement une évaluation de ce tendanciel au cours des dernières années pour l'ensemble des catégories de dépenses.

S'agissant des dépenses de fonctionnement (titre 3), le rapport annexé au présent projet de loi réaffirme l'objectif de 10 % de réduction sur la période, avec une inflexion de 5 % dès 2011. Il précise que cet objectif s'applique à une assiette de 18,3 milliards d'euros, qui n'inclut donc pas les subventions pour charges de service public versées aux opérateurs. Par ailleurs, il convient de retrancher de cette assiette les crédits de fonctionnement de la mission « Défense » (7,8 milliards d'euros en 2010), traités globalement dans le cadre de la loi de programmation militaire, ainsi que les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat » relatifs à la vie politique cultuelle et associative (0,2 milliard d'euros en 2010), en raison du ressaut lié à l'organisation des élections de 2012.

Selon le rapport annexé, « retraitée de ces éléments, l'assiette des crédits de fonctionnement sur laquelle portent les efforts de productivité retenus pour la programmation du budget triennal s'élève à près de 10,3 milliards d'euros » . L'économie de 5 % en 2011 est donc censée s'élever à 500 millions d'euros. Elle ne sera toutefois que de 200 millions d'euros , « compte tenu de l'évolution des moyens inéluctables et de la mise en oeuvre de moyens nouveaux - à hauteur d'environ 0,3 milliard d'euros en 2011 (notamment pour l'organisation des G8 et G20 sous présidence française, le respect des engagements pris sur la mission « Justice », etc. » . Au total, les économies de fonctionnement prévues en 2011 atteignent donc 0,47 % des dépenses de fonctionnement, au sens du titre 3 de la LOLF, soit dix fois moins que ce que laissait entendre une lecture « intuitive » des annonces gouvernementales.

Les économies de fonctionnement et leur assiette en 2011

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après le rapport annexé au présent projet de loi

Ces économies seront, selon le Gouvernement, permises par la poursuite des réformes de structure résumées dans l'encadré qui suit.

La baisse des dépenses de fonctionnement

Réduire de 10% en trois ans les crédits de fonctionnement de l'État et de ses opérateurs ne peut se faire sans réorganisation : un tel niveau de réduction excède en effet, très largement, les marges naturelles que pourraient mobiliser les administrations en l'absence de réformes. Les économies programmées reposent, ainsi, sur un champ très vaste :

- elles portent sur les fonctions support comme les fonctions métiers ;

- elles concernent les crédits destinés à l'ensemble de l'État. Ainsi, par souci d'exemplarité, la réduction des dépenses visera tout particulièrement certains avantages individuels comme les voitures ou les logements de fonction, dont les critères d'attribution sont sensiblement durcis ;

- elles tendent à diminuer les prix des achats de l'Etat (grâce à la nouvelle politique des achats) et à en maîtriser les volumes (mètres carrés occupés, mutualisation des moyens, etc.) ; en matière immobilière en particulier, la réduction des surfaces utilisées par les agents publics pour converger vers la norme de 12 mètres carrés par poste a déjà permis de réduire le parc immobilier de 184 000 mètres carrés depuis 2007 ; un objectif de réduction des surfaces de 500 000 mètres carrés supplémentaires d'ici fin 2012 a été fixé à France Domaine ;

- elles s'appuient, comme les réductions d'effectifs, sur des chantiers interministériels de réformes (création du Service des achats de l'Etat, ou de l'Opérateur National de Paye). Des initiatives interministérielles complémentaires couvrent également la fonction logistique (constitution de marchés multiservices, mutualisations), la fonction systèmes d'information (convergence vers des standards d'organisation plus élevés) ;

- une fraction des économies, enfin, découle mécaniquement de la diminution des effectifs de l'État (sur le champ des dépenses directement variables avec les effectifs, correspondant à des coûts dits « environnés »).

Au-delà, il appartiendra à chaque ministère de définir son propre plan d'action pour réduire ses dépenses de fonctionnement, parfois en révisant en profondeur son organisation et ses procédures « métiers » (par exemple, le ministère de l'intérieur réduira ses dépenses de fonctionnement « métiers » par la diminution des dépenses de propagande électorale). Les efforts de productivité demandés à l'État ayant été étendus à l'ensemble de ses opérateurs sur la période de programmation, leurs dépenses de fonctionnement courant diminueront de 10% sur la période.

Source : rapport annexé au présent projet de loi

Contrairement aux dépenses de fonctionnement, les dépenses d'intervention (titre 6) voient leur trajectoire clairement définie par le rapport annexé au projet de loi. On lit ainsi :

1) que les crédits des interventions de guichet seront quasiment stabilisés sur la période de programmation, atteignant 37 milliards d'euros en 2011, 37,5 milliards d'euros en 2012 et 38,0 milliards d'euros en 2013. Compte tenu de la forte progression spontanée de ces dépenses, « cette stabilisation nécessitera des réformes dont les économies attendues sont [par rapport à la tendance] de l'ordre de 1,7 milliards d'euros en 2011, puis 2 milliards d'euros en 2012 et 2013 » . Dans l'état actuel des choses, cette annonce paraît purement cosmétique ;

2) que les crédits des interventions dites « discrétionnaires » s'élèveront, au prix de « réformes ambitieuses » à 21,3 milliards d'euros en 2011, 20,2 milliards d'euros en 2012 et 19,1 milliards d'euros en 2013, soit une réduction, par rapport à la LFI 2010, respectivement de 3 %, 8 % et près de 13 %. Encore faudrait-il que ces réformes soient crédibles pour que l'on puisse prendre ces chiffres au sérieux.

Le détail des mesures sous-tendant ces économies ne fait pas l'objet d'une présentation consolidée, les membres du cabinet du ministre du budget ayant indiqué à votre rapporteur général qu'il serait fourni dans les projets annuels de performances. On voit donc qu'il y a loin de la coupe aux lèvres. En ce qui concerne la maîtrise des dépenses d'intervention et de fonctionnement, l'écart s'est creusé entre les martiales annonces du Gouvernement et la réalité plus nuancée de cette programmation.

4. Les taxes affectées

Deux mouvements de recettes sont enfin comptabilisés dans la norme de dépense en application de la charte de budgétisation, pour un montant total de 70 millions d'euros. Il s'agit :

1) de l'affectation à Voies navigables de France d'une fraction additionnelle de la taxe hydraulique (30 millions d'euros) ;

2) de l'affectation de 40 millions d'euros de taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles à un fonds pour l'installation des jeunes agriculteurs, inscrit au budget de l'Agence de services et de paiement.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Nos collègues députés ont, en commission des finances, adopté deux amendements au projet de loi, ayant reçu un avis favorable du Gouvernement. Le premier a consisté à viser non les crédits du budget général mais ses dépenses. Cette distinction, pour sémantique qu'elle puisse paraître, emporte des conséquences significatives. En effet, la référence faite aux crédits du budget général dans la version initiale de l'article rappelle la vocation programmatique de la norme de dépense, qui s'apprécie, selon l'interprétation constante du Gouvernement, entre la loi de finances initiale de l'année n et le projet de loi de finances de l'année n+1 .

Or, selon votre rapporteur général, le fait de se référer aux dépenses du budget général étend l'application de la norme à l'exécution budgétaire , les dépenses effectivement mises en oeuvre étant retracées en loi de règlement . Cet amendement renvoie donc aux deux lectures et usages que l'on peut faire de la norme de dépense, selon qu'on y voit un instrument de prévision ou de contrôle a posteriori :

1) apprécier la norme de dépense entre la LFI n et le PLF n+1 recouvre une dimension clairement programmatique. C'est l'usage gouvernemental de cet instrument ;

2) apprécier la norme de dépense entre l'exécution n-1 et l'exécution n , comme le préconise votre rapporteur général, consiste à porter un regard rétrospectif et complémentaire sur ce qu'aura été la progression effective des dépenses . S'il est alors trop tard pour « corriger le tir », dans la mesure où les budgets sont exécutés, ces comparaisons peuvent néanmoins être porteuses de leçons pour les lois de finances à venir. Plus encore, la comparaison de réalisation à réalisation fait obstacle à toute manipulation ou simplement à toute présentation d'opportunité dans tous les Gouvernements sont naturellement friands.

En second lieu, la commission des finances de l'Assemblée nationale a souhaité faire figurer au sein de l'article le montant global que ne pourraient dépasser les crédits compris dans l'enveloppe « zéro valeur ». Ce montant, soit 274,8 milliards d'euros, ne figurait en effet que dans le rapport annexé au projet de loi.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre commission des finances salue la mise en oeuvre d'une norme de dépense plus exigeante, de nature à circonscrire les effets d'aubaine constatés par le passé.

Des points restent cependant à préciser.

A. UNE NORME À PRÉCISER

Dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale la première phrase du présent article prévoit que « la progression annuelle des dépenses du budget général de l'État et des prélèvements sur recettes est, à périmètre constant, au plus égale à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation ».

Cette rédaction présente une ambiguïté. En effet, elle donne l'impression que ce qui importe, c'est l'évolution des dépenses par rapport à l'année précédente, et non leur niveau. Ainsi, on pourrait craindre qu'un gouvernement, après avoir laissé les dépenses déraper en début de période, les stabilise ensuite en volume, et affirme qu'il respecte la norme, alors même que l'on partirait d'un niveau plus élevé.

La commission des finances a donc adopté un amendement convertissant cette règle en plafonds annuels, afin d'ôter toute ambiguïté.

Pour que la norme puisse être utilisée en cours d'année comme instrument de pilotage de la dépense, il faut que, pour chaque année, elle soit convertie en euros courants. Cette conversion s'effectuerait sur la base de ma prévision d'indice des prix à la consommation associée au projet de loi de finances de l'année concernée (comme c'est déjà le cas pour les dépenses des lois de programmation militaires).

B. DES INTERROGATIONS PERSISTANTES

Plusieurs interrogations persistent néanmoins sur les déterminants de la trajectoire proposée. Les débats devront donc, en premier lieu, permettre de bénéficier d'une présentation consolidée des mesures d'économies permettant d'infléchir la progression des dépenses d'intervention dans des proportions aussi significatives que celles qui sont évoquées dans le rapport annexé.

Il appartiendra également au Gouvernement d'indiquer au Parlement quelle sera l'évolution des dépenses d'investissement de l'Etat sur la période 2011-2013. Rien n'est réellement dit de cette évolution, alors même qu'une baisse substantielle (-12 %) des crédits de titre 5 est observée entre 2010 et 2011.

Sur le plan de la méthode enfin, il est regrettable que le Gouvernement persiste à présenter des documents ne permettant pas une reconstitution exhaustive et consolidée de l'ensemble des chiffrages proposés .

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi rédigé.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page