C. UN RÉGIME FISCAL QUI FAIT L'OBJET DE CONTESTATIONS

1. Des avantages fiscaux indéniables

Les sociétés coopératives agricoles bénéficient de nombreux avantages fiscaux , tels que des exonérations totales ou partielles d' impôt sur les sociétés (IS) pour un montant estimé à 50 millions d'euros ; de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) 70 ( * ) pour un coût total de 10 millions d'euros ; des impôts issus de la suppression de la taxe professionnelle, à savoir la contribution économique territoriale (CET), composée de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ; d' impôt forfaitaire annuel (IFA) ; de la taxe sur les salaires 71 ( * ) ; de taxe d'apprentissage 72 ( * ) ; de droit d'enregistrement sur les mutations immobilières 73 ( * ) ; de taxe sur les bureaux en Île-de-France ...

Ce traitement favorable est notamment lié à la transparence fiscale , caractéristique des sociétés de personnes, impliquant que les adhérents soient imposés sur les revenus qu'ils perçoivent de la coopérative. Il constitue aussi la contrepartie des contraintes juridiques et administratives auxquelles sont soumises les coopératives agricoles.

Le tableau de la page suivante, issu d'informations transmises par la Direction de la législation fiscale à votre rapporteur spécial récapitule certaines de ces mesures, dont le coût total est estimé à 110 millions d'euros .

Exemples de mesures fiscales en faveur des coopératives

Objet de la mesure

Articles du CGI

Texte instaurant la mesure

Exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties des bâtiments affectés de manière permanente et exclusive à un usage agricole par les sociétés coopératives et leurs unions.

1382-6°

Loi du 5 août 1920

Exonération de taxe d'apprentissage au profit des coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA), des coopératives d'insémination artificielle et des coopératives d'approvisionnement et d'achat.

224-2-3°

Loi du 13 juillet 1925

Exonération de droits d'enregistrement au profit des :

- sociétés coopératives agricoles de céréales et leurs unions ;

- moulins coopératifs, coopératives de meunerie et de meunerie-boulangerie créés et fonctionnant sous le régime prévu par le titre II du livre V du code rural.

Toutefois, conformément à l'article 1020 du CGI, les acquisitions ou ventes immobilières effectuées par ces sociétés coopératives ne sont pas exonérées et sont soumises à une taxe de publicité foncière au taux de 0,60 %, majoré de la taxe additionnelle de 0,1 % perçue au profit de l'Etat.

1030

Loi du 15 août 1936

Exonération d'impôt sur les sociétés en faveur des sociétés coopératives agricoles d'approvisionnement et d'achat ainsi que leurs unions pour les opérations effectuées avec les sociétaires et à condition qu'elles fonctionnent conformément aux dispositions qui les régissent.

207-1-2°

Décret du 9 décembre 1948

Exonération d'impôt sur les sociétés en faveur des sociétés coopératives de production, de transformation, conservation et vente de produits agricoles, sauf pour les ventes effectuées dans un magasin de détail distinct de leur établissement principal ; les opérations effectuées avec des non-sociétaires ; les opérations de transformation portant sur les produits ou sous-produits autres que ceux destinés à l'alimentation de l'homme et des animaux ou pouvant être utilisés à titre de matières premières dans l'agriculture et l'industrie.

207-1-3°

Décret du 9 décembre 1948

Exonération de tout droit d'enregistrement des actes, pièces et écrits de toute nature concernant les sociétés coopératives d'insémination artificielle et d'utilisation de matériel agricole et leurs unions. Toutefois, conformément à l'article 1020 du CGI, les acquisitions ou ventes immobilières effectuées par ces sociétés coopératives ne sont pas exonérées et sont soumises à une taxe de publicité foncière au taux de 0,60 %, majoré de la taxe additionnelle de 0,1 % perçue au profit de l'Etat.

1031

Loi du 31 juillet 1949

Régime spécifique de taxe sur les salaires au profit des sociétés coopératives de culture en commun, des sociétés coopératives d'utilisation en commun de matériel agricole (CUMA) et des coopératives d'insémination artificielle.

53 bis annexe III

Décret du 8 octobre1955

Exonération d'imposition forfaitaire annuelle au profit des personnes morales exonérées d'impôt sur les sociétés.

223 septies

Loi du 27 décembre 1973

Exonération de CFE au profit des coopératives agricoles et de leurs unions lorsqu'elles emploient au plus 3 salariés ou qu'elles se consacrent à certaines activités (électrification, habitation ou aménagement rural, utilisation de matériel agricole, insémination artificielle, lutte contre les maladies des animaux et des végétaux, vinification, conditionnement des fruits et légumes, organisation des ventes aux enchères).

1451

Loi du 29 juillet1975

Abattement de 50 % de la base d'imposition à la CFE :

- des coopératives agricoles et unions de coopératives agricoles qui ne bénéficient pas de l'exonération prévue à l'article 1451 du CGI ;

- des coopératives ou unions de coopératives d'artisans ou de patrons bateliers et des coopératives maritimes dont le capital est détenu à concurrence de 20 % au moins et 50 % au plus par des associés non coopérateurs et des titulaires de certificats coopératifs d'investissement.

1468

Loi du 29 juillet 1975

Loi du 13 juillet 1992

Déduction en faveur des sociétés coopératives de consommation des boni provenant des opérations faites avec les associés et distribués à ces derniers au prorata de la commande de chacun d'eux.

214-1-1°

Lois codifiées du 15 octobre 1926

Déduction en faveur des sociétés coopératives ouvrières de production de la part des bénéfices nets qui est distribuée aux travailleurs dans les conditions prévues par la loi n° 78-763 du 19 juillet 1978.

214-1-2°

Lois codifiées du 20 juillet 1934

Exonération de taxe sur les bureaux en Île-de-France au profit des coopératives agricoles et de leurs unions à raison des seuls locaux de stockage (les locaux commerciaux et administratifs sont soumis à la taxe).

231 ter-
V-4°

Loi du 30 décembre 1998

Source : Direction de la législation fiscale

Les coopératives bénéficient aussi d' avantages non fiscaux , comme une garantie publique (garantie d'aval de premier rang par France AgriMer dans le cadre des emprunts qu'elles contractent auprès d'institutions bancaires). Cette situation contraste avec celle des sociétés de négoce, qui pour bénéficier de la même garantie ont dû créer une société de caution mutuelle.

Les négociants sont ainsi parmi les plus ardents opposants aux régimes fiscaux dérogatoires des coopératives, récemment remis en cause, non pas au titre des distorsions de concurrence induites par ces régimes, mais sur le fondement de la réglementation européenne sur les aides d'Etat , en France, en Espagne, en Italie ou, encore, en Norvège.

2. Les contentieux communautaires en cours

Plusieurs dossiers ayant trait à des dispositifs en faveur de coopératives sont aujourd'hui en cours d'examen au niveau communautaire et mettent en cause notamment la France .

La confédération française du commerce de gros et du commerce international (CGI), sous l'impulsion de la fédération du négoce agricole (FNA), a ainsi porté plainte en 2004 auprès de la Commission européenne à l'encontre de l'Etat français à propos de différents avantages, notamment fiscaux, accordés par la France aux coopératives agricoles. La CGI observe que les coopératives agricoles françaises bénéficient de nombreux avantages sous forme d'exonérations ou d'abattements de taxes et d'impôts ou de garantie d'Etat, et considère que ces avantages sont constitutifs d'aides d'Etat au sens du droit communautaire, « incompatibles avec le marché commun et illégales ».

Notifiée au Gouvernement français le 22 juillet 2004, cette plainte a suscité trois demandes d'informations de la Commission européenne, donnant lieu à trois réponses de la France en octobre 2004, avril 2006 et novembre 2009. Notre pays a fait notamment valoir les contraintes légales et réglementaires auxquelles sont soumises les coopératives, contraintes qui ont été largement reconnues au niveau communautaire dans le préambule du règlement (CE) n° 1435/2003 du Conseil du 22 juillet 2003 relatif au statut de la société coopérative européenne ainsi que dans la communication de la Commission européenne sur la promotion des sociétés coopératives en Europe, en date du 23 février 2004. Dans ses observations écrites, la France reprend d'ailleurs ces travaux communautaires pour étayer ses observations.

Les chiffrages fournies par le Gouvernement ne permettent pas de répondre pleinement à la Commission, en particulier sur la question de la proportionnalité du régime fiscal et sur la possibilité de ventiler le coût budgétaire des exonérations entre PME et grandes entreprises .

Mais en dépit de ces insuffisances, la Commission européenne n'a, pour l'instant , pas ouvert de procédure formelle d'examen à l'encontre des autorités françaises. Elle pourrait donc laisser la procédure en suspens , ou bien proposer à la France de simples «mesures utiles» pouvant aller de la modification (plus ou moins étendue) du régime fiscal des coopératives agricoles à sa suppression . A ce jour, la Commission européenne n'a toujours pas conclu dans un sens ou dans un autre son examen du régime français 74 ( * ) .

En 2008, la Cour de cassation italienne a saisi la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) d'une question préjudicielle sur le régime fiscal des coopératives de production italiennes. L'audience a eu lieu le 11 mars 2010 mais la CJUE n'a pas encore statué sur cette question préjudicielle. Sous réserve que la CJUE se déclare compétente, son arrêt sera doublement déterminant pour le dossier français :

- en termes de calendrier puisqu'une fois l'arrêt rendu, la Commission européenne pourrait statuer plus rapidement sur le dossier français ;

- sur le fond, la Commission devra tenir compte de l'arrêt pour définir la position qu'elle prendra sur les coopératives agricoles françaises.

Il conviendrait d' attendre le résultat de ces procédures avant de prendre une initiative, quelle qu'elle soit, en matière de réforme des avantages fiscaux accordés aux coopératives agricoles.


* 70 La TFPB, créée par la loi du 31 décembre 1973, frappe les propriétaires d'immeubles bâtis (en application, aujourd'hui, de l'article 1380 du code général des impôts). Il existe une exemption pour les « bâtiments ruraux », c'est-à-dire les bâtiments à usage agricole autres que les locaux d'habitation (article 1382-6-a du code général des impôts). Cette exemption bénéficie, pour leurs bâtiments ruraux, aux sociétés coopératives agricoles (article 1382-6-b du code général des impôts).

* 71 Les sociétés coopératives de culture en commun et les sociétés coopératives d'utilisation en commun de matériel agricole (CUMA) ne sont redevables de la taxe que pour les salaires alloués aux membres de leur personnel occupés dans leurs services administratifs et leurs ateliers de réparation.

* 72 La taxe (article 224 du code général des impôts) n'est pas réclamée aux sociétés et collectivités passibles de l'IS mais qui en sont intégralement exonérées. Seules sont assujetties les coopératives de production, transformation, conservation et vente de produits agricoles, ainsi que leurs unions (article 224 2 3° du code général des impôts).

* 73 Il s'agit de droits proportionnels (4,89 %) perçus, depuis la loi du 22 frimaire An VII, à l'occasion de certains actes juridiques soumis à la formalité de l'enregistrement. Deux types de coopératives agricoles sont soumis au taux réduit de 0,60 % du droit de mutation (auquel s'ajoute un prélèvement de 2,50 %) :

- les coopératives de blé ou de céréales ;

- les coopératives d'insémination artificielle (CIA) ou d'utilisation du matériel agricole (CUMA).

* 74 En décembre 2009, la Commission a toutefois conclu à l'incompatibilité de certaines dispositions du régime fiscal des coopératives agricoles espagnoles avec la réglementation européenne sur les aides d'Etat. Le gouvernement espagnol n'a pas fait appel. Cette décision est l'application d'une doctrine que la Commission avait déjà appliquée à propos des coopératives (non agricoles) norvégiennes dans le cadre d'une décision prise par l'Autorité de surveillance de l'Espace économique européen en juillet 2009. Cette décision de la Commission sur le régime fiscal des coopératives agricoles espagnoles pourrait constituer un précédent.

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