Rapport n° 128 (2010-2011) de M. Patrice GÉLARD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 novembre 2010

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N° 128

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi constitutionnelle de M. Yvon COLLIN et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République ,

Par M. Patrice GÉLARD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. François Zocchetto , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; M. Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. Elie Brun, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Pierre Fauchon, Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mme Jacqueline Gourault, Mlle Sophie Joissains, Mme Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

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Sénat :

58 (2010-2011)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 24 novembre 2010, sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président, la commission des lois a examiné le rapport de M. Patrice Gélard sur la proposition de loi constitutionnelle 58 (2010-2011), présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République .

La commission a partagé les préoccupations exprimées par les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle. Néanmoins, elle estime qu'une telle proposition n'est pas le vecteur le plus adapté pour la réforme de l'article 45 de la Constitution. En effet, elle implique, aux termes de l'article 89 de la Constitution, une adoption par voie référendaire. Seul un projet de loi constitutionnelle peut être soumis au Parlement convoqué en Congrès. Or, un sujet comme celui-ci, de nature plus institutionnelle que politique, se prête moins à une consultation populaire qu'à une adoption par le Congrès, selon une procédure d'ailleurs retenue pour la quasi-totalité des réformes constitutionnelles conduites sur la base de l'article 89.

Aussi, la commission a-t-elle décidé, à ce stade, de ne pas établir de texte et d'adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi dans l'attente de son examen éventuel lors d'une prochaine révision constitutionnelle.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi de la proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE).

Ce texte tend à compléter l'article 45 de la Constitution afin d'écarter les dispositions tendant à donner le « dernier mot » à l'Assemblée nationale en cas d'échec de la commission mixte paritaire -ou de rejet par l'une des deux assemblées du texte élaboré par la CMP- lorsque le Parlement se prononce sur des projets de loi ou des propositions de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales.

La disposition proposée a pour objet d'interdire que des modifications importantes touchant aux collectivités territoriales soient adoptées sans tenir compte des positions du Sénat, voire contre son avis. Elle repose sur trois arguments constitutionnels et une considération de circonstance :

- aux termes de l'article 24 de la Constitution, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » ;

- depuis la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, l'article 39 de la Constitution prévoit que « les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat » ;

- d'ores et déjà, l'accord du Sénat est requis pour les lois organiques qui le concerne (article 46 de la Constitution) ainsi que pour les projets ou propositions de loi constitutionnels (article 89 de la Constitution).

-l'examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales adopté par le Parlement le 17 novembre 2010 aurait, selon les auteurs de la proposition de loi, « démontré que de profonds désaccords peuvent exister entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur des points majeurs et des dispositions particulièrement importantes touchant à l'organisation et au fonctionnement des collectivités territoriales . En toute logique, un texte comme celui-ci, ayant un tel impact sur l'organisation territoriale de la République et, au-delà, sur la vie de tous les citoyens, doit recueillir l'assentiment du Sénat ».

Votre commission partage la volonté exprimée par M. Yvon Collin de défendre le rôle éminent du Sénat dans le domaine des collectivités territoriales. Elle n'estime pas injustifiée l'exigence d'un accord des deux assemblées pour l'adoption de textes concernant à titre principal l'organisation des collectivités territoriales. Cependant elle considère que la procédure référendaire qu'implique nécessairement une proposition de loi constitutionnelle n'est pas la plus adaptée.

*

* *

Depuis 1958 1 ( * ) , les deux tiers des 3.203 lois ont été adoptées dans le cadre de la navette sans qu'il soit nécessaire de provoquer l'intervention d'une commission mixte paritaire ; 22,17 % des textes ont été votés à l'issue d'une CMP et 11,11 % ont donné lieu au dernier mot à l'Assemblée nationale .

Ces divergences, certes en nombre limité, portent néanmoins sur les textes les plus sensibles et, en particulier, sur ceux intéressant l'Etat et les collectivités territoriales.

Néanmoins tel n'est pas toujours le cas. Parmi les premières lois de décentralisation, la loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat a été adoptée sur la base du texte établi par la CMP. Parmi les apports du Sénat, il convient de signaler l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre (art. 2) ou encore l'affirmation du principe d'un transfert par « bloc de compétences » 2 ( * ) . De même la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale n° 99-586 du 12 juillet 1999 a donné lieu à un accord à l'issue de la CMP.

Ainsi, sur la base de l'expérience et de l'expertise acquises dans le domaine des collectivités territoriales, les positions défendues par le Sénat sont susceptibles d'emporter l'adhésion malgré les clivages politiques.

Plusieurs principes fondamentaux promus par le Sénat ont d'ailleurs été inscrits dans le titre XII de la Constitution à la faveur de la révision du 18 mars 2003 et encadrent désormais l'évolution du droit dans le domaine des collectivités territoriales.

Ainsi, la mission de représentation des collectivités territoriales assignée au Sénat par l'article 24 de la Constitution ne s'arrête pas au seul mode d'élection des sénateurs mais s'exprime aussi dans l'influence qu'il exerce sur la législation intéressant ces questions.

Le principe d'un accord entre les deux assemblées pour l'adoption de tels textes permettrait de garantir ce rôle.

Par ailleurs, à l'occasion des débats parlementaires concernant la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, la notion d'« organisation » des collectivités territoriales a été précisée et circonscrite. Elle recouvre le choix du nom des collectivités territoriales, la détermination des règles relatives à leurs organes et à leurs actes, ainsi que la fixation de leurs limites territoriales. Elle ne comprend pas, en revanche, les modes de scrutin.

L'exigence d'un accord entre les deux assemblées pourrait constituer le prolongement de la priorité d'examen reconnue au Sénat par la révision du 28 mars 2003.

Au demeurant, le Sénat a déjà envisagé, à l'occasion de cette révision, une modification des dispositions de l'article 45, tout en y renonçant par souci de compromis.

Ainsi votre commission avait proposé que la loi organique relative aux ressources financières des collectivités territoriales soit votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Elle reprenait une disposition de la proposition de loi constitutionnelle, présentée par le Président Christian Poncelet et plusieurs de ses collègues, relative à la libre administration des collectivités territoriales 3 ( * ) selon laquelle l'Assemblée nationale n'aurait pu avoir le « dernier mot » pour l'adoption des lois organiques fixant la liste, l'assiette et les modalités de recouvrement des recettes fiscales propres des collectivités territoriales.

Cependant, votre commission estime qu'une proposition de loi constitutionnelle n'est pas le vecteur le plus adapté pour cette réforme. En effet, elle implique, aux termes de l'article 89 de la Constitution, une adoption par voie référendaire . Seul un projet de loi constitutionnelle peut être soumis au Parlement convoqué en Congrès. Or, un sujet comme celui-ci, de nature plus institutionnelle que politique, se prête moins à une consultation populaire qu'à une adoption par le Congrès, selon une procédure d'ailleurs retenue pour la quasi-totalité des réformes constitutionnelles conduites sur la base de l'article 89 (à l'exception de l'introduction du quinquennat par la loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000).

*

* *

Aussi, au bénéfice de ces observations, votre commission a-t-elle décidé, à ce stade, de ne pas établir de texte et d'adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi dans l'attente de son examen éventuel lors d'une prochaine révision constitutionnelle.

EXAMEN EN COMMISSION LE MERCREDI 24 NOVEMBRE 2010

M. Jean-Jacques Hyest , président. - Nous allons examiner le rapport de M. Patrice Gélard sur la proposition de loi constitutionnelle présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République.

M. Patrice Gélard , rapporteur. - Cette proposition de loi constitutionnelle ne comprend qu'un seul article : « Les lois concernant l'organisation des collectivités territoriales sont adoptées en termes identiques par les deux assemblées ». Nos collègues du RDSE répondent ainsi à nos collègues députés, qui, dans la réforme des collectivités territoriales, n'ont pas suffisamment tenu compte de la position du Sénat. Jusqu'à présent, seules les lois constitutionnelles et les lois organiques concernant le Sénat sont soumises à cette obligation, mais aucune loi ordinaire ne contredit le principe que le dernier mot revient à l'Assemblée nationale.

On comprend la logique de ce texte, qui complète la réforme de 2003 où le constituant a décidé que les lois concernant l'organisation des collectivités territoriales viendraient sur le bureau du Sénat en premier. En effet, nous examinons ces lois en premier, mais l'Assemblée nationale continue d'avoir le dernier mot.

Cependant, cette proposition aurait peu de chance d'aboutir. D'abord, elle devrait être adoptée en termes identiques par les deux assemblées puis être soumise au référendum par le président de la République, ce qui aurait peu de chance d'être fait sur une question aussi technique.

C'est pourquoi, quel que soit l'intérêt de ce texte, je vous propose en conséquence le renvoi en commission : nous garderions ainsi cette proposition, en attendant un prochain projet de loi de révision constitutionnelle.

M. Jacques Mézard . - Le renvoi en commission ne nous satisfait pas, car nous voulons faire passer le message que vous avez bien reçu. Notre argument est identique à celui que nous avons utilisé pour démontrer l'irrecevabilité de la loi portant réforme des collectivités territoriales.

M. Nicolas Alfonsi . - L'article 89 de la Constitution laisse-t-il le choix au président de la République de soumettre à référendum une proposition de loi constitutionnelle adoptée en termes identiques par les deux assemblées ?

M. Patrice Gélard , rapporteur. - Il doit la soumettre à référendum, mais il est libre du calendrier.

M. Jean-Jacques Hyest , président. - Quand bien même nous adopterions la proposition, nous n'obtiendrions jamais un vote conforme à l'Assemblée nationale. N'oublions pas qu'en 2003, nous avions obtenu de haute lutte la primauté d'examen des lois relatives à l'organisation des collectivités territoriales, grâce à l'engagement sans faille de mon prédécesseur, M. Garrec. Nous voulons donner tout son sens à la mission constitutionnelle du Sénat dans la représentation des collectivités territoriales, mais je crois que nous ne gagnerions pas à l'adopter en séance publique. Mieux vaut, avec le renvoi en commission, garder ce texte pour la prochaine révision constitutionnelle.

M. François Zocchetto . - Cette proposition de loi constitutionnelle est très intéressante, en confirmant le rôle du Sénat, représentant des collectivités territoriales. Elles ont besoin de stabilité et de cette forme de consensus qui s'exprime par l'accord des deux assemblées. Cependant, je comprends les réserves de notre rapporteur. Nous devons faire progresser le débat, d'autant que bien des élus locaux pensent que la Constitution prévoit déjà l'accord des deux assemblées pour tout ce qui touche à l'organisation des collectivités territoriales.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - J'accepte le renvoi en commission, tout en étant défavorable à ce texte qui rogne sur la primauté de l'assemblée élue au suffrage universel direct. Si l'on appliquait le principe que vous défendez, les collectivités territoriales devraient se prononcer elles-mêmes sur tous les textes les concernant. Or, les élus n'ont même pas été consultés sur la loi relative aux collectivités territoriales ! La véritable réforme à prendre, ce serait d'élargir la représentativité du Sénat et de renforcer les libertés locales, ainsi que le rôle du Parlement : voilà qui mériterait un vrai débat.

M. Jean-Pierre Sueur . - Nous n'ignorons pas que quand notre commission décide le renvoi, cela signifie généralement...

M. Jean-Jacques Hyest , président. - Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Pierre Sueur . - Nous nous abstiendrons à ce stade, car nous considérons devoir débattre de cette question au sein de notre groupe même avant la séance publique.

La motion COM-1 tendant au renvoi en commission de la proposition de loi est adoptée.


* 1 Statistiques jusqu'au 30 septembre 2010.

* 2 Sur les sept lois, du premier grand « train » de la décentralisation, quatre ont donné lieu au dernier mot de l'Assemblée nationale (loi n° 82-213, loi n° 83-636, loi n° 83-663, loi n° 86-29) tandis que 3 ont fait l'objet d'un accord au terme de la CMP (loi n° 82-594, loi n° 82-595, loi n° 83-8).

* 3 N° 402 (Sénat, 2001-2002).

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