B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

Votre commission a souscrit à l'ensemble des modifications introduites par l'Assemblée nationale . Les amendements qu'elle a intégrés dans le texte du projet de loi s'inscrivent dans le prolongement des positions prises par les députés. Elle estime par ailleurs que le succès de la réforme dépendra pour une large part de la capacité de la profession d'avocat à s'adapter au rôle accru que le texte confie à la défense ainsi que de la mobilisation par les pouvoirs publics des moyens financiers nécessaires.

1. Des modifications destinées à conforter l'équilibre auquel l'Assemblée nationale est parvenue

Les amendements adoptés par votre commission visent principalement deux objectifs.


Conforter les droits de la personne gardée à vue

Votre commission a souhaité préciser que la valeur probante des déclarations de la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction implique qu'elle ait pu s'entretenir avec son conseil et être assistée par lui, alors que le texte du projet de loi présente ces deux conditions comme alternatives (article premier A).

De même, elle a indiqué que le procureur de la République compétent pour assurer le contrôle de la garde à vue pouvait être celui en charge du dossier ainsi que le procureur de la république du ressort dans lequel la garde à vue est exécutée. Le texte issu de l'Assemblée nationale prévoyait la compétence de l'un ou de l'autre. Or, un double contrôle constitue une garantie pour la personne gardée à vue (article premier).

La commission a par ailleurs souhaité améliorer les droits pour la personne gardée à vue de faire informer un tiers : elle a permis ainsi au majeur incapable de faire aviser son curateur ou son tuteur et à la personne de nationalité étrangère de faire contacter les autorités consulaires (article 3).

Elle a, en outre, donné un caractère obligatoire à la disposition selon laquelle la personne gardée à vue dispose pendant son audition des effets personnels nécessaires au respect de sa dignité.

Elle a enfin prévu, à l'initiative de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, que la fouille intégrale ne serait possible que si la fouille par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique ne peuvent pas être réalisées.


L'exercice des droits de la défense

Votre commission des lois a souhaité clarifier deux questions touchant, d'une part, au conflit d'intérêts, d'autre part, à la police des auditions.

En premier lieu, elle a prévu qu'en présence d'un conflit d'intérêts , il appartiendrait à l'avocat de faire demander la désignation d'un autre avocat. En cas de divergence d'appréciation entre l'avocat et l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République, celui-ci saisirait le bâtonnier aux fins de désignation d'un autre défenseur (article 5).

En second lieu, il n'est pas apparu opportun à votre commission de faire état dans la loi, comme le fait le texte proposé par l'Assemblée nationale pour l'article 7, d'éventuelles perturbations des auditions par l'avocat, sauf à faire apparaître ces comportements, pourtant inadmissibles, comme une modalité possible de défense. Il est préférable de rappeler que l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire a seul la direction de l'audition à laquelle il peut mettre un terme en cas de difficulté. Dans cette hypothèse, le procureur de la République pourrait informer, s'il y a lieu, le bâtonnier qui déciderait de désigner un autre avocat (article 7).

Enfin, s'agissant des dispositions de l'article 12 permettant au juge des libertés et de la détention ou au juge d'instruction, en matière de terrorisme, de décider que la personne gardée à vue sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d'avocats habilités, la commission a prévu que les avocats inscrits sur cette liste seraient désignés, plutôt qu'élus, par le Conseil national des barreaux, selon des modalités définies par son règlement intérieur.


Une clarification des conditions dans lesquelles intervient la mesure privative de liberté

L'article 11 bis du projet de loi tend à inscrire dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation, qui considère que le placement en garde à vue d'une personne suspectée d'une infraction n'est obligatoire que lorsqu'il paraît nécessaire de la maintenir sous la contrainte à la disposition des enquêteurs. Corrélativement, dès lors que l'officier de police judiciaire n'estime pas nécessaire de maintenir l'intéressé à sa disposition, la garde à vue ne saurait se justifier. Votre commission a toutefois souhaité expliciter cette jurisprudence, en précisant, dans chacune des hypothèses visées (appréhension de l'intéressé par une personne privée, placement en cellule de dégrisement, retenue pendant le temps nécessaire aux épreuves de dépistage), que la personne qui n'est pas placée en garde à vue alors même qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction doit être informée de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie avant son éventuelle audition.

Par ailleurs, la commission a précisé que la retenue douanière ne pourrait être prolongée de 24 heures supplémentaires par le procureur de la République que lorsque les nécessités de l'enquête douanière le justifient (article 14 bis ).

2. Un défi pour la profession d'avocat

Plusieurs dispositions du projet de loi entraîneront une charge supplémentaire pour le parquet - généralisation du principe de la présentation de la personne gardée à vue au procureur de la République, possibilité pour ce dernier de décider de reporter, de manière motivée, l'assistance de l'avocat pendant les auditions...

Les officiers et les agents de police judiciaire devront se familiariser avec les nouvelles règles procédurales. Ils ont su montrer à la faveur des réformes précédentes de la garde à vue leur capacité à s'adapter tout en préservant l'efficacité de l'enquête.

Cependant, de tous les auteurs de la chaîne pénale, les avocats sont sans doute ceux pour lesquels le projet de loi aura les conséquences les plus significatives.

La profession d'avocat, par sa forte mobilisation, a largement contribué à la présente réforme. Il n'en reste pas moins que la mise en oeuvre des dispositions de la loi impliquera un effort d'adaptation considérable des barreaux, en particulier en province.

D'après les estimations de M. Jean-Marie Delarue, actuellement 25 à 30 % seulement des personnes gardées à vue demandent à s'entretenir avec un avocat . Cette proportion est toutefois susceptible de s'accroître avec les nouveaux droits ouverts par le projet de loi. En outre, l'avocat autorisé à assister à l'audition de son client devra rester sur place plus longtemps et s'organiser également en fonction du rythme des auditions pouvant s'échelonner sur 48 heures avec des temps d'interruption plus ou moins longs.

Comme le relevait le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Philippe Gosselin, la moyenne nationale du nombre de gardes à vue par avocat passe de 12,2 à 18 si l'on exclut Paris -où exercent 40 % des avocats français. Cette moyenne nationale est dépassée de 50 % dans vingt départements (27 gardes à vue ou plus par avocat) et de 100 % dans douze départements (36 gardes à vue ou plus par avocat).

Cette contrainte d'effectifs peut être redoublée par une contrainte géographique. A titre d'exemple, en Mayenne, il faut compter entre Laval et les deux brigades de gendarmerie les plus éloignées, au nord (Pré-en-Pail) et, au sud (Renazé), respectivement 65 et 50 kms. M. Bernard Boulliou, bâtonnier de Laval, a souhaité que les gardes à vue puissent être regroupées à Laval -seule commune du département à compter un commissariat-, à Mayenne et à Château-Gontier, sièges, chacune, d'une compagnie de gendarmerie.

Cependant, le regroupement des gardes à vue, en particulier au chef-lieu de compagnie provoquerait une rupture d'égalité de nos concitoyens devant le service public. Il serait susceptible de remettre en cause le maillage territorial de la gendarmerie qui constitue une garantie forte de sécurité notamment dans les zones rurales.

3. Le coût de la réforme

L'application de la réforme exigera des moyens financiers que l'étude d'impact accompagnant le projet de loi initial semble largement sous estimer.


Les moyens matériels des commissariats et brigades de gendarmerie

Comme l'a souligné le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, les commissariats et les brigades de gendarmerie ne possèdent généralement pas de local où peut se dérouler l'entretien de la personne avec l'avocat -en pratique, il faut libérer un bureau déjà occupé au détriment des conditions de travail des enquêteurs. Lorsque, par exception, un tel local existe, il ne garantit pas les conditions de confidentialité 29 ( * ) . Le constat est le même s'agissant du nombre, très insuffisant, de salles destinées à l'examen médical.

L'étude d'impact évalue à 74,8 millions d'euros l'impact financier pour le ministère de l'intérieur. Or, d'après les informations communiquées à votre rapporteur par le général Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale, le coût pour la gendarmerie (230.000 gardes à vue en 2010) de la rénovation des infrastructures représenterait un investissement initial de 58,7 millions d'euros- auxquels s'ajoutent 5,73 millions d'euros de fonctionnement annuel, hors coût de formation.

Ce montant comprend :

- la création de locaux dédiés aux entretiens du gardé à vue avec sa défense (16,6 millions d'euros et 2,3 millions d'euros d'équipement mobilier) ;

- la mise en place d'un dispositif de visioconférence -en substitution de la présentation de la personne au procureur de la République aux fins de prolongation de la garde à vue- (23,3 millions d'euros d'investissement et 3,5 millions d'euros de fonctionnement) ;

- l'amélioration des cellules de rétention (pour 6.000 chambres de sûreté : 20,5 millions d'euros d'investissement et 0,43 million d'euros de fonctionnement).

Ces estimations reposent sur une mutualisation des moyens au sein de 2.308 sites (la gendarmerie comprenant 3.400 implantations).

Votre rapporteur ne dispose pas des données chiffrées correspondant à ces dépenses pour les commissariats de police. Il y a tout lieu de penser, compte tenu de la part prédominante de la police dans la mise en oeuvre des mesures de garde à vue, que les moyens requis par ces services dépassent ceux envisagés par la gendarmerie.


• L'aide juridictionnelle

Selon l'étude d'impact, le coût pour le budget de l'aide juridictionnelle sur la base de 500.000 gardes à vue par an serait compris entre 44,5 et 65,8 millions d'euros (TTC) en année pleine. Cette évaluation prend en compte non seulement le maintien d'une rétribution à l'acte pour chaque mission d'assistance, au tarif actuel, mais aussi une indemnité d'astreinte en contrepartie des sujétions nouvelles qu'implique la réforme pour l'exercice des droits de la défense.

La rétribution de l'acte sera financée, comme tel est le cas aujourd'hui, par une dotation « garde à vue » versée par l'Etat, dont le montant est déterminé en fonction d'une prévision du nombre de missions d'assistance à accomplir au cours de l'année. Cette dotation peut être réajustée en cours d'année en fonction de la consommation de crédits. En outre, chaque barreau qui aura conclu avec le tribunal de grande instance un protocole « permanence de garde à vue » percevra une dotation complémentaire destinée à permettre aux barreaux d'allouer aux avocats de permanence de garde à vue un complément à leur rétribution de base, dit « indemnité d'astreinte » et dont le montant sera arrêté par le barreau.

Cependant l'évaluation faite par l'étude d'impact ne prend pas en compte le coût de l'intervention de l'avocat dans les gardes à vue décidées en matière de criminalité organisée ni dans les retenues douanières.

Il est vrai que, selon le Gouvernement, le projet de loi contribuera à une baisse de 25 % du nombre des gardes à vue - soit 155 000 mesures en moins. Toutefois la suppression de l'audition libre par l'Assemblée nationale devrait limiter cet impact.

Selon votre rapporteur, la réduction du nombre de mesures résultera peut-être moins des dispositions, certes plus encadrées, du code de procédure pénale que d'une application mesurée de la garde à vue. Certains des interlocuteurs de votre rapporteur, y compris parmi les policiers, ont ainsi estimé qu'en l'état du droit il serait possible de diminuer de moitié le nombre de gardes à vue. 30 ( * )

Ainsi, la réforme de la garde à vue devra s'accompagner d'un effort de formation auprès de tous ceux chargés de la mettre en oeuvre afin que les pratiques, elles aussi, évoluent.

*

* *

Votre commission a adopté le projet de loi ainsi rédigé.


* 29 Une caméra de surveillance était même installée dans l'un des locaux visités par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

* 30 A titre d'exemple, actuellement, à la suite d'une rixe, tant les auteurs que les victimes sont appréhendés puis placés en garde à vue même pour un temps très court.

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