Rapport n° 315 (2010-2011) de M. François ZOCCHETTO , fait au nom de la commission des lois, déposé le 16 février 2011

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N° 315

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 février 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , relatif à la garde à vue,

Par M. François ZOCCHETTO,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. François Zocchetto , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Hubert Falco, Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mme Jacqueline Gourault, Mlle Sophie Joissains, Mme Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

2855 , 3040 , T.A. 597 et T.A. 3040

Sénat :

253 (2010-2011)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir entendu M. Michel Mercier, ministre de la justice, garde des sceaux , le mardi 15 février, la commission des lois, réunie le mercredi 16 février 2011 sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président , a examiné le rapport de M. François Zocchetto et a établi son texte sur le projet de loi n° 253 , adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la garde à vue .

M. François Zocchetto, rapporteur, a d'abord relevé les avancées contenues dans le projet de loi initial présenté par le Gouvernement, au premier rang desquelles le droit pour la personne gardée à vue de bénéficier, pendant son audition, de l'assistance d'un avocat. Il a également mentionné le rétablissement de l'obligation faite aux services de police de notifier à l'intéressé le droit de garder le silence ainsi que la faculté reconnue au défenseur d'accéder aux procès-verbaux d'audition de son client.

Le rapporteur a par ailleurs salué le travail accompli par l'Assemblée nationale, en particulier la suppression de l'« audition libre », l'introduction d'un délai de carence interdisant de débuter les auditions de la personne gardée à vue hors la présence d'un avocat pendant les deux heures suivant le placement en garde à vue et le droit donné à la victime d'être assistée par un avocat lors des confrontations lorsque la personne gardée à vue a demandé elle-même à bénéficier d'un tel droit.

La commission des lois a approuvé l'ensemble des modifications apportées par les députés et cherché à conforter l'équilibre entre le respect des libertés individuelles et les exigences liées à l'efficacité de l'enquête.

Elle a adopté 29 amendements de son rapporteur ainsi qu'un amendement présenté par Mme Nicole Borvo et les membres du groupe CRC tendant, pour l'essentiel, à conforter les droits de la défense :

- la valeur probante des déclarations de la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction impliquera qu'elle ait pu s'entretenir avec son conseil et être assistée par lui (article 1 er A) ;

- le contrôle de la garde à vue pourra être assuré par le procureur de la République en charge du dossier ainsi que par celui du ressort dans lequel la garde à vue est exécutée (article 1 er ) ;

- le droit de la personne gardée à vue de faire informer un tiers sera renforcé : le majeur incapable pourra faire aviser son curateur ou son tuteur et la personne de nationalité étrangère pourra faire contacter les autorités consulaires (article 3) ;

- la personne gardée à vue disposera de plein droit pendant son audition des effets personnels nécessaires au respect de sa dignité (article 9) ;

- la fouille intégrale ne sera possible que si la fouille par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique ne peuvent pas être réalisés (article 9) ;

- la personne se trouvant dans les locaux de police ou de gendarmerie à la suite d'une appréhension par une personne privée, d'un placement en cellule de dégrisement ou d'une opération de dépistage d'alcool ou de stupéfiants sera avisée de son droit de quitter ces locaux à tout moment avant d'être éventuellement entendue hors le cadre de la garde à vue (article 11 bis ) ;

- la prolongation de la retenue douanière par le procureur de la République devra être justifiée par les nécessités de l'enquête (article 14 bis ).

S'agissant des modalités d'intervention de l'avocat, la commission des lois a précisé deux points :

- en présence d'un conflit d'intérêts, il appartiendra à l'avocat de faire demander la désignation d'un autre avocat. En cas de divergence d'appréciation entre l'avocat et l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République, il reviendra au bâtonnier de désigner, le cas échéant, un autre défenseur (article 5) ;

- l'officier ou l'agent de police judiciaire aura seul la direction de l'audition à laquelle il pourra mettre un terme en cas de difficulté. Dans cette hypothèse, le procureur de la République informera, s'il y a lieu, le bâtonnier aux fins de désignation d'un autre avocat (article 7).

Votre commission a adopté le projet de loi ainsi rédigé.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer, en première lecture, sur le projet de loi relatif à la garde à vue adopté par l'Assemblée nationale le 25 janvier 2011.

L'exigence d'une réforme de la garde à vue découle directement de la décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré les articles 62, 63, 63-1, 63-4 (alinéas 1 er à 6) et 77 du code de procédure pénale contraires à la Constitution en repoussant au 1 er juillet 2011 la date d'effet de leur abrogation. Par ailleurs, la Cour de cassation, dans deux arrêts rendus le 19 octobre 2010 1 ( * ) , a jugé contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme le septième alinéa de l'article 63-4 et l'article 706-88 du code de procédure pénale relatifs aux régimes dérogatoires en matière de garde à vue tout en différant également les effets de cette jurisprudence au 1 er juillet 2011.

Avant même que ces décisions ne conduisent à légiférer dans un délai déterminé, le Parlement avait pris la pleine mesure de la nécessité de modifier en profondeur les règles relatives à la garde à vue.

En effet, les dispositions actuelles qui prévoient seulement un entretien de la personne gardée à vue avec son avocat préalablement à l'interrogatoire de police ne paraissent pas conformes au droit à l'assistance effective de l'avocat, y compris lors des auditions, posé par la Cour européenne des droits de l'homme. Le renforcement des droits de la défense semble d'autant plus justifié que, du fait de la place croissante prise par l'enquête au détriment de l'instruction préparatoire, une personne est désormais le plus souvent jugée, comme l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée, « sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci ».

Cette situation est particulièrement préoccupante alors que le nombre de gardes à vue a connu une très forte augmentation dans la période récente et que les modalités matérielles d'exécution de cette mesure appellent les critiques les plus sévères. Dans son rapport d'activité pour 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté observait ainsi que les cellules de garde à vue sont les « lieux les plus médiocres des locaux administratifs les plus médiocres » et que les conditions de dignité n'étaient respectées ni pour les personnes interpellées, ni pour celles qui y exercent leurs fonctions.

Notre assemblée, traditionnellement attentive au respect des libertés individuelles, a longuement débattu au cours de l'année passée de l'évolution de la garde à vue. A l'occasion du débat organisé, à l'initiative de M. Jacques Mézard, le 9 février 2010, sur la question orale relative au renforcement des droits des personnes placées en garde à vue, de l'examen le 24 mars 2010 et le 29 avril 2010 des propositions de loi présentées respectivement par M. Jacques Mézard 2 ( * ) et par Mme Alima Boumediene-Thiery et M. Jean-Pierre Bel 3 ( * ) , le Sénat s'est accordé sur l'impossibilité de maintenir le statu quo tout en discutant des orientations de la réforme. Par ailleurs, nos collègues MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel ont été chargés par votre commission de prolonger cette réflexion dans le cadre du groupe de travail sur l'enquête de l'instruction 4 ( * ) .

De même, le Gouvernement, reprenant pour partie les propositions de la commission présidée par M. Philippe Léger rendues publiques en 2009, a envisagé une modification profonde des règles de la garde à vue qui prenait place toutefois dans le cadre d'une refonte d'ensemble du code de procédure pénale.

L'obligation faite au législateur par le Conseil constitutionnel de fixer de nouvelles règles avant le 1 er juillet 2011 conduit à inscrire la réforme dans le cadre actuel de la procédure pénale.

L'intérêt porté à la garde à vue, l'intensité des débats qu'elle suscite bien au-delà du cercle habituel des acteurs de la chaîne pénale, ne s'expliquent pas seulement par un recours croissant à cette mesure.

En effet, la garde à vue est peut-être l'étape de la procédure pénale où se pose avec le plus d'acuité la question de la conciliation entre le respect des libertés individuelles et la « prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions , toutes deux nécessaires à la sauvegarde des droits et des principes de valeur constitutionnelle », selon les termes du Conseil constitutionnel 5 ( * ) .

D'une part, la garde à vue porte gravement atteinte à la liberté d'aller et de venir et à la présomption d'innocence. Comme l'observe le professeur Jacques Leroy 6 ( * ) , elle reconnaît aux enquêteurs non seulement le pouvoir de « garder sous leur vue » une personne qui n'est ni condamnée, ni mise en examen mais aussi de la soumettre à un véritable interrogatoire -les déclarations faites à cette occasion étant déterminantes dans la suite de la procédure.

D'autre part, la garde à vue apparaît pour les enquêteurs et pour beaucoup de magistrats comme indispensable à la manifestation de la vérité et à la lutte contre la délinquance ; il importe en effet que la police ou la gendarmerie puissent procéder à des vérifications matérielles « sans craindre que celui à l'encontre duquel existent une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction, profite de sa liberté d'action pour faire disparaître les éléments compromettants ou suborner des témoins. Une audition peut être longue et son efficacité sera réduite si elle est morcelée dans la durée » 7 ( * ) .

Si le projet de loi initial déposé par le Gouvernement marquait une nette avancée par rapport à l'état du droit en vigueur, les modifications introduites par l'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des lois et de son rapporteur M. Philippe Gosselin, ont certainement permis d'aboutir à un équilibre encore plus satisfaisant entre les différents objectifs que doit conjuguer le régime de la garde à vue. Les apports de votre commission s'inscrivent dans la même perspective : ils visent à garantir davantage les droits de la défense tout en préservant l'efficacité de l'enquête.

Le texte ainsi établi satisfait pour une large part les objectifs poursuivis par les deux propositions de loi sénatoriales précitées qui avaient fait l'objet d'un renvoi en commission.

*

* *

I. L'ÉTAT DU DROIT : UNE MESURE DE CONTRAINTE, CRÉATRICE DE DROITS

A. UNE ÉVOLUTION MARQUÉE PAR UN RENFORCEMENT DES DROITS DE LA PERSONNE GARDÉE À VUE

La garde à vue est apparue de manière officieuse, sinon illégale dans notre procédure pénale. En effet, sous l'empire de l'ancien code d'instruction criminelle, les pouvoirs d'investigation et de coercition appartenaient, sauf en cas de flagrance, aux seuls magistrats 8 ( * ) . Néanmoins, parallèlement au développement, en marge du droit, de l'enquête conduite par le parquet, la pratique de la garde à vue se répandit. Selon certains auteurs, la loi du 8 décembre 1897, en autorisant l'avocat à assister aux interrogatoires de son client lors de l'instruction préparatoire, aurait joué un rôle décisif : il s'est agi en effet pour le parquet et la police de « faire avant, sans la présence de l'avocat, ce qu'ils ne pouvaient plus faire une fois le juge d'instruction saisi : obtenir des aveux » 9 ( * ) . Un décret du 20 mai 1903 reconnaissant aux gendarmes un délai de 24 heures pour conduire la personne arrêtée devant le procureur de la République et une circulaire du ministère de l'intérieur du 23 septembre 1943 donnaient une base juridique très fragile à la garde à vue.

1. Un régime juridique d'abord caractérisé par une grande stabilité

Il revint au code de procédure pénale de 1958 de reconnaître le recours à la garde à vue dans le cadre de l'enquête de flagrance, de l'enquête préliminaire -dont l'existence était aussi consacrée- et de l'exécution d'une commission rogatoire.

Pendant 35 ans, le régime de la garde à vue a été marqué par une grande stabilité. Il tenait principalement en trois articles (articles 63, 64 et 77 du code de procédure pénale) :

- la garde à vue n'était pas réservée aux seuls suspects : toute personne, y compris un témoin , pouvait être contrainte à demeurer à la disposition de l'officier de police judiciaire si celui-ci l'estimait nécessaire ;

- la durée de la mesure était limitée à 24 heures renouvelable pour une même durée sur autorisation (et après présentation de l'intéressé dans le cadre de l'enquête préliminaire) du procureur de la République ou du juge d'instruction selon les cas ;

- quelques garanties étaient prévues comme la possibilité d'un examen médical ou l'obligation de préciser par procès-verbal les temps d'audition et de repos.

La portée du dispositif était cependant limitée dans la mesure où aucune des obligations pesant sur les services de police n'était prescrite à peine de nullité. La jurisprudence de la Cour de cassation n'admettait la nullité des actes de procédure que s'il était démontré que la recherche et l'établissement de la vérité s'en étaient trouvés viciés 10 ( * ) .

Jusqu'en 1993, les seules modifications apportées à ce régime concerneront la durée de la garde à vue allongée à quatre jours en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants (lois des 31 décembre 1971 et 9 septembre 1986).

2. Des modifications répétées au cours des deux dernières décennies

Depuis lors, plus d'une dizaine de lois se sont succédé. De même, alors que, de 1960 à 1993 la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne s'était prononcée sur la garde à vue qu'une soixantaine de fois, elle a rendu plus d'une centaine d'arrêts dans cette matière au cours des dix années suivantes (sans compter les décisions de la deuxième chambre civile puis, à compter du 1 er mars 2005, de la première chambre civile appelées à statuer sur la régularité de la garde à vue pour les étrangers en situation irrégulière avant leur placement en rétention administrative).

Trois facteurs ont joué un rôle dans ces évolutions :

- la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en application de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée par la France le 3 mai 1974. Ainsi la France fut condamnée dans l' affaire Tomasi (CEDH, 27 août 1992) : bien que ce fut sur le fondement de l'article 3 de la Convention (prohibition de traitements inhumains et dégradants) et pas encore sur celui de l'article 5 (obligation de présenter toute personne arrêtée ou détenue devant une autorité judiciaire), cette condamnation sous-entendait du moins l'insuffisance des contrôles exercés sur la garde à vue ;

- le développement constant de l'enquête au détriment de l'information impliquant en contrepartie un renforcement des droits reconnus au suspect ;

- enfin, l'envolée du nombre de gardes à vue.

Trois lois ont fixé pour l'essentiel le régime actuel : les lois n° 93-2 du 4 janvier 1993 et n° 93-1013 portant réforme de la procédure pénale et la loi n° 94-89 du 1 er février 1994 relative à la peine incompressible et au nouveau code pénal. Elles ont en effet posé quatre principes :

- l'exclusion de la garde à vue pour le simple témoin ;

- le renforcement du contrôle de l'autorité judiciaire avec, en particulier, l'obligation pour l'officier de police judiciaire d'aviser très rapidement le magistrat et l'obligation, en principe, de présenter la personne au magistrat avant toute décision de prolongation ;

- la reconnaissance de nouveaux droits à la personne placée en garde à vue (droit d'être examiné par un médecin, de prévenir un proche et, surtout, de s'entretenir avec un avocat) ;

- la possibilité d'annulation de la garde à vue en cas de violation d'une formalité substantielle portant atteinte aux intérêts de la personne.

Plusieurs textes sont venus par la suite conforter ces orientations. La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes a placé en tête du code de procédure pénale un article préliminaire qui détermine le cadre général dans lequel doit s'inscrire la garde à vue : « Les mesures de contrainte dont [la personne suspectée ou poursuivie] peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne ».

Ce texte a également avancé à la première heure l'intervention de l'avocat en garde à vue initialement fixée à la vingtième heure.

La loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 relative à l'équilibre de la procédure pénale a, quant à elle, étendu aux gardes à vue en matière criminelle l'obligation d'enregistrement audiovisuel qui valait seulement jusqu'alors pour la garde à vue des mineurs.

Sans doute les règles gouvernant la garde à vue ont-elles aussi connu les mouvements de balancier qui marquent la législation pénale. Il en est ainsi de l'obligation faite à la police, par la loi du 15 juin 2000, d'informer la personne qu'elle a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui seraient posées, supprimée par la loi n° 2003-231 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure. La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a, par ailleurs, étendu à l'ensemble des infractions de criminalité organisée visées par l'article 706-73 du code de procédure pénale -durée de la garde à vue, report de l'entretien avec l'avocat- les règles dérogatoires initialement limitées au terrorisme et au trafic de stupéfiants. La loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme a, sous certaines conditions, porté la durée de la garde à vue en matière de terrorisme à six jours.

B. LE DISPOSITIF ACTUEL

Le régime de la garde à vue est défini pour l'essentiel par les articles 36 à 65 du code de procédure pénale concernant l'enquête de flagrance . Ces dispositions sont applicables, sous réserve d'adaptations, à l'enquête préliminaire (article 77 du code de procédure pénale) et en commission rogatoire dans le cadre de l'information conduite par le juge d'instruction (article 154 du code de procédure pénale).

1. Une mesure privative de liberté

Toute personne « à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction » peut être placée, « pour les nécessités de l'enquête », en garde à vue par un officier de police judiciaire (articles 63 et 77 du code de procédure pénale). Cette mesure est possible pour tout crime ou délit puni d'une peine d'emprisonnement en cas de flagrance, et pour toute infraction dans le cadre de l'enquête préliminaire ou de l'information.

Le gardé à vue étant traité comme un suspect, il ne prête pas serment lorsqu'il est entendu, même sur commission rogatoire du juge d'instruction (article 77-2 du code de procédure pénale).

La durée de la garde à vue est de 24 heures au maximum. Cependant, ce délai peut être renouvelé pour une même durée, sur autorisation écrite du procureur de la République. En enquête de flagrance, celui-ci peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne concernée (article 63, alinéa 2). En revanche, en enquête préliminaire ou sur commission rogatoire, la présentation préalable est la règle et il ne peut y être dérogé qu'à titre exceptionnel et par une décision écrite et motivée du magistrat -procureur de la République ou juge d'instruction selon les cas (article 77, alinéa 2, et article 154, alinéa 2, du code de procédure pénale).

Le législateur a prévu des prolongations supplémentaires dans deux hypothèses prévues par le code de procédure pénale :

- pour les infractions de criminalité organisée (prévues par l'article 706-73), la garde à vue peut être prolongée de deux fois vingt-quatre heures . Lorsque la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l'issue de la première prolongation de « droit commun » le justifie, une seule prolongation de 48 heures peut être décidée (article 706-88 du code de procédure pénale). Ces prolongations sont autorisées sur requête du procureur de la République par le juge d'instruction lorsque la garde à vue a été prescrite sur commission rogatoire, et par le juge des libertés et de la détention en enquête de flagrance ou préliminaire ;

- en cas de risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste (ou lorsque les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement), la garde à vue peut être encore prolongée de deux fois 24 heures supplémentaires (article 706-88).

La garde à vue peut ainsi être portée jusqu'à six jours .

Prolongations possibles du délai initial de garde à vue de 24 heures 1

Prolongations successives de 24 heures

Textes

Cas

Durée totale
de la garde à vue

Prolongation selon les règles ordinaires

63, al. 2 ; 77, al. 2 ; 154, al. 2

48 heures

(2 jours)

Première prolongation supplémentaire

706-88, al. 1er

Infractions
de criminalité organisée
prévues par l'article 706-73

72 heures

(3 jours)

Deuxième prolongation supplémentaire

96 heures

(4 jours)

Troisième prolongation supplémentaire

706-88, al. 7

Infractions terroristes prévues par le 11° de l'article 706-73

120 heures

(5 jours)

Quatrième prolongation supplémentaire

144 heures

(6 jours)

1 Source : F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer -

Traité de procédure pénale, Economica

2. Une situation créatrice de droits

Les garanties apportées à la personne placée en garde à vue sont principalement de trois ordres :


Le contrôle de l'autorité judiciaire

Le procureur de la République, ou s'il s'agit d'une commission rogatoire, le juge d'instruction, doit être informé dès le début d'une garde à vue (article 63 et 77). Ainsi que l'a indiqué le Conseil constitutionnel, « la garde à vue mettant en cause la liberté individuelle dont, en vertu de l'article 66 de la Constitution, l'autorité judiciaire assure le respect, il importe que les décisions prises en la matière par les officiers de police judiciaire soient portées aussi rapidement que possible à la connaissance du procureur de la République [ou du juge d'instruction] afin que celui-ci soit à même d'en assurer le respect » 11 ( * ) . Le procureur de la République contrôle les mesures de garde à vue et visite les locaux de garde à vue chaque fois qu'il l'estime nécessaire et au moins une fois par an (article 41 du code de procédure pénale).


• Les droits de la personne gardée à vue

En premier lieu, la personne est immédiatement informée , dans une langue qu'elle comprend, de la nature de l'infraction sur laquelle porte l'enquête , des droits dont elle dispose ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue (article 63-1).

Sauf si le magistrat s'y oppose à la demande de l'officier de police judiciaire, la personne gardée à vue dispose également du droit de faire prévenir par téléphone une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et soeurs ou son employeur (article 63-2 du code de procédure pénale). Elle peut en outre, à sa demande, être examinée par un médecin (article 63-3).

Par ailleurs, la personne peut demander à s'entretenir pour une durée de 30 minutes avec un avocat , choisi ou désigné d'office par le bâtonnier dès le début de la garde à vue puis, le cas échéant, dès le début de la prolongation 12 ( * ) . Cependant, pour la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction relevant de la délinquance ou de la criminalité organisée, ce droit est reporté au début de chacune des deux prolongations supplémentaires -soit à l'issue de la 48 ème heure puis de la 72 ème heure -et, en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants, à l'issue de la 72 ème heure. Lorsqu'en matière de terrorisme, les circonstances permettent une garde à vue de 6 jours, l'entretien avec l'avocat est différé à la 96 ème heure et à la 120 ème heure.


• Le contrôle du déroulement de la garde à vue

Aux termes de l'article 64 du code de procédure pénale, le procès verbal d'interrogatoire de la garde à vue doit obligatoirement porter mention :

- de la durée de l'interrogatoire ;

- du repos dont a bénéficié la personne interrogée ;

- des heures auxquelles elle a pu s'alimenter ;

- des demandes qu'elle a faites en application des articles 63-2 à 63-4 et des suites qui leur ont été données ;

- du jour et de l'heure du début et de la fin de la mesure ;

- des motifs de la garde à vue.

Par ailleurs, la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 relative à l'équilibre de la procédure pénale a prévu l'enregistrement des auditions en garde à vue en matière criminelle 13 ( * ) .


• Le régime de nullité

Aux termes de l'article 802 du code de procédure pénale, seules les irrégularités ayant porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne peuvent entraîner la nullité des actes de procédure. Dans le cadre de la garde à vue, la Cour de cassation estime que certaines irrégularités et, en particulier, les retards de notification ou d'avertissement du magistrat « font nécessairement grief ».

De telles irrégularités emportent la nullité de la garde à vue ainsi que la nullité des actes dont elle est le support nécessaire.

II. UNE RÉFORME DEVENUE INDISPENSABLE

Plusieurs facteurs rendent aujourd'hui impérative une réforme de la garde à vue.

A. DES MODALITÉS D'APPLICATION CRITIQUABLES

1. Une très forte augmentation du nombre de gardes à vue

Le nombre des gardes à vue n'a cessé d'augmenter depuis 15 ans : de 275 698 en 1994, il atteint 336 718 en 2001, 530 994 en 2006, 562 083 en 2007, 577 816 en 2008, 580 108 en 2009. Il connaît un infléchissement en 2010 avec 523 059 placements en garde à vue 14 ( * ) .

Encore ces chiffres ne prennent-ils pas en compte les gardes à vue fondées sur une infraction au code de la route -174 244 en 2009- ni les mesures effectuées outre-mer -de l'ordre de 37 500. Ainsi, au total 792 293 gardes à vue ont été décidées en 2009.

Comme le relevait votre rapporteur lors de l'examen de la proposition de loi précitée tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue, « la très forte augmentation du nombre de gardes à vue au cours des dix dernières années ne permet plus d'éluder la question d'un recours abusif à cette mesure ».

L'atteinte portée à la liberté individuelle ne saurait, en vertu du principe de proportionnalité qui guide la procédure pénale, se justifier pour des faits d'une gravité limitée.

Sans doute, comme le note d'ailleurs le rapport d'activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour 2008, le choix de retenir le nombre de placements en garde à vue comme l'un des indicateurs de performance de la police et de la gendarmerie nationale n'est-il pas étranger à la progression du nombre de gardes à vue. A titre d'exemple, le calcul du taux d'efficacité du traitement procédural des violences urbaines rapproche le nombre de personnes faisant l'objet d'un placement en garde à vue avec celui des personnes ayant été interpellées dans le cadre d'opérations de rétablissement de l'ordre public à l'occasion de violences urbaines (la prévision pour 2009 portait ce taux à 85 %).

Le ministre de l'intérieur a néanmoins indiqué dans un entretien accordé à la presse 15 ( * ) que « dès 2010, dans le nouveau tableau de bord de la sécurité, le nombre de gardes à vue ne figure même plus comme simple information de l'activité des services ».

En outre, une note de service de la direction générale de la police nationale du 16 février 2010 a rappelé que la garde à vue n'est pas systématique et que « son application doit être adaptée aux circonstances de l'affaire et à la personnalité du mis en cause ».

2. Des conditions matérielles souvent déplorables

Le nombre de gardes à vue heurterait peut-être moins l'esprit public si ces mesures ne se déroulaient dans des conditions souvent déplorables. Dans son rapport d'activité pour 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait dressé un état des lieux très critique sur les locaux de garde à vue. En effet, tout en reconnaissant que des efforts de rénovation avaient été entrepris, il estimait que « la plupart des lieux de garde à vue restent dans un état indigne pour les personnes qui y séjournent, qu'elles soient interpellées ou qu'elles y exercent leurs fonctions(...). Si les mesures prises en 2003 par le ministre de l'intérieur permettent une nourriture régulière (et frugale) des personnes gardées à vue, il ne peut être encore question pour celles-ci de se laver, d'aller aux toilettes sans quémander l'autorisation (accordée ou non), le plus souvent de bénéficier de couverture (propre, de surcroît), a fortiori de s'occuper à quelque chose. Il est même parfois difficile d'attirer l'attention des agents chargés de la garde, en l'absence de dispositif d'appel et en dépit des systèmes de surveillance fréquents ».

Selon le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, cette situation tient à trois raisons principales :

- la conception des lieux (des cellules trop étroites ou dont les sièges sont insuffisants pour asseoir tous ceux qui y sont hébergés, des toilettes séparées -et trop souvent bouchées-) ;

- l'absence d'entretien lourd : les cellules les plus occupées sont aussi les plus négligées ;

- les dégradations : « ni sommeil ni appétit ni aucune activité possible : les personnes en garde à vue « se vengent » par la dégradation des locaux ».

Comme l'observait le rapport précité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, « alors qu'une des issues beaucoup plus fréquentes de la garde à vue est désormais la comparution devant le juge (procédure de comparution immédiate) ou devant le magistrat du parquet (par exemple pour la comparution pour reconnaissance de culpabilité -CRPC), il est raisonnable de penser que ces conditions ne facilitent pas la préparation de sa défense par la personne interpellée ».

B. UN RÉGIME JURIDIQUE RECONNU INCOMPATIBLE AVEC LES EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES ET CONVENTIONNELLES

Les déséquilibres du régime juridique de la garde à vue ont été mis en lumière par la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme , par la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 ainsi que par trois arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 octobre 2010. Les contrariétés entre le dispositif actuel et les exigences constitutionnelles et conventionnelles portent principalement sur les droits de la défense et les régimes dérogatoires .

1. L'assistance de l'avocat


• La décision du Conseil constitutionnel n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a estimé qu'il devait procéder à un réexamen d'ensemble des dispositions encadrant le recours de la garde à vue sur la base d'un changement de circonstances 16 ( * ) .

Les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1 er à 6, et 77 du code de procédure pénale, dont l'inconstitutionnalité était soulevée par les requérants, résultent pour l'essentiel de la loi du 4 janvier 1993 qui n'avait pas été soumise au Conseil constitutionnel. Cependant, le Conseil constitutionnel a rappelé que, dans sa décision du 11 août 1993, il avait déclaré conformes à la Constitution les modifications apportées aux conditions de placement d'une personne en garde à vue et à la prolongation de cette mesure, au contrôle de celle-ci par le procureur de la République et au droit de la personne gardée à vue d'avoir un entretien de 30 minutes avec un avocat. En outre, il a relevé que les modifications apportées postérieurement au régime de garde à vue avaient garanti une meilleure protection des droits de la personne gardée à vue.

Pour le Conseil constitutionnel, le changement de circonstances tient principalement à deux évolutions.

La première concerne le poids croissant de la phase policière dans la procédure pénale . Comme le rappelaient aussi nos collègues MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel dans leur rapport précité sur l'évolution du régime de l'enquête et de l'instruction, les ouvertures d'information représentent moins de 4 % des affaires poursuivies. Les commentaires au Cahier du Conseil constitutionnel soulignent que dans tous les autres cas, la décision de mise en oeuvre de l'action publique par le parquet fait passer directement de la phase de l'enquête policière à la phase de jugement. La mise en oeuvre du traitement dit « en temps réel » des infractions -pratique généralisée à l'ensemble du parquet à partir de 1995- a renforcé cette évolution : « cette pratique conduit à ce que la décision du ministère public sur l'action publique est prise sur le rapport de l'officier de police judiciaire, avant qu'il soit mis fin à la garde à vue » ; ainsi il peut en résulter que, « dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci ».

En second lieu, le Conseil constitutionnel a mis en avant la réduction progressive des exigences fixées par le législateur pour reconnaître la qualité d'officier de police judiciaire -qui seule habilite à placer en garde à vue. Ainsi entre 1993 et 2009, le nombre des fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire est passé de 25 000 à 53 000.

Ces deux facteurs conjugués ont conduit, selon le Conseil constitutionnel, à une banalisation de la garde à vue, « y compris pour les infractions mineures », et, en conséquence, à une forte augmentation du nombre de placements en garde à vue.

Au regard de ce changement de circonstances, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions du code de procédure pénale dont il était saisi portaient une atteinte excessive aux droits de la défense. Si ces droits ont d'abord été rattachés par le Conseil constitutionnel aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République 17 ( * ) , ils trouvent désormais leur fondement dans l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 18 ( * ) .

La disproportion entre, d'une part, l'objectif de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, la protection des droits de la défense apparaît d'abord dans le champ d'application de la garde à vue qui, sauf en matière de flagrance, peut concerner les contraventions ou les délits non punis d'une peine d'emprisonnement (défaut d'assurance, délits de presse ou certains délits au code de la consommation). De même, « toute garde à vue peut faire l'objet d'une prolongation de 24 heures sans que cette faculté soit réservée à des infractions présentant une certaine gravité » (considérant 27). Ainsi, comme le relève le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel « le simple fait que la même mesure de contrainte (mêmes conditions de placement en garde à vue, même durée, mêmes droits et même contrôle de l'autorité judiciaire) s'applique à l'assassin comme au débiteur de pension alimentaire à jour de ses obligations mais qui n'a pas déclaré son adresse à son ex conjoint souligne un problème aigu de proportionnalité »...

Ensuite, la disproportion tient à l' insuffisance des droits de la défense . Le Conseil constitutionnel constate que la personne interrogée, retenue contre sa volonté, n'a pas la possibilité de « bénéficier de l'assistance effective d'un avocat ». Il estime excessive cette restriction dès lors qu' « elle est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes ». S'il admet des exceptions au principe de l'assistance d'un avocat, le Conseil constitutionnel juge que le caractère général des dispositions du code de procédure pénale privant la personne gardée à vue de ce droit porte une atteinte disproportionnée aux droits de la défense et n'est pas conforme à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel s'abstient néanmoins d' « indiquer les modifications des règles de procédure pénale qui doivent être choisies pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée » mais il fixe au 1 er juillet 2011 le délai limite dans lequel le législateur doit procéder à cette mise en conformité.

A cet égard, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme fixe des orientations plus précises concernant en particulier le moment d'intervention de l'avocat et la portée de son assistance.


La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

- Le moment d'intervention de l'avocat

En premier lieu, reprenant un principe déjà affirmé dans un arrêt Murray c/Royaume-Uni du 8 février 1996, l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008 précise que la personne gardée à vue doit bénéficier de l'assistance d'un avocat dès « les premiers stades de l'interrogatoire de la police » (paragraphe 52).

Sans doute, aux termes de l'article 63-4 du code de procédure pénale, la personne peut-elle demander à s'entretenir avec un avocat éventuellement commis d'office dès le début de la garde à vue. Cependant, l'officier de police judiciaire n'a en la matière qu'une obligation de moyens : il n'a pas à « rendre effectif » l'entretien demandé, selon la formule de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Ainsi, si l'officier de police judiciaire a fait toutes les diligences utiles, retracées dans le procès-verbal, sans réussir à joindre l'avocat ou le bâtonnier ou si l'avocat joint ne se présente pas, la procédure ne sera pas annulée 19 ( * ) . Or, selon les principes constants de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, la protection des droits de l'Homme doit être « effective et concrète ».

- La portée de l'intervention de l'avocat

Dans l'arrêt Dayanan du 13 octobre 2009, la Cour exige que l'action des avocats s'exerce « librement » et permette à l'intéressé d'obtenir « la vaste gamme d'interventions propres aux conseils », à savoir « la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention » 20 ( * ) .

Dans l'arrêt Brusco contre France du 14 octobre 2010, la Cour a précisé que « la personne placée en garde à vue a le droit d'être assistée dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu'elle n'a pas été informée par les autorités de son droit de se taire ».

Jusqu'alors, la jurisprudence de la Cour n'avait pas requis la présence de l'avocat pendant les interrogatoires de la garde à vue. Elle avait seulement posé pour principe l'accès à un avocat. Les arrêts Dayanan et Brusco paraissent à cet égard impliquer des exigences supplémentaires même si les juges n'ont pas mentionné l'accès au dossier.

En droit français, l'avocat intervenant en garde à vue doit être informé « de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête » (article 63-4). Il peut s'entretenir avec la personne placée en garde à vue pour une durée n'excédant pas trente minutes dans des conditions garantissant la confidentialité de cet échange (article 63-4). Ainsi, si la présence de l'avocat constitue à la fois un soutien moral ou psychologique pour la personne ainsi qu'un des éléments du contrôle de la mesure, elle ne permet pas, en revanche, d'organiser une véritable défense : l'avocat n'a pas accès au dossier, il n'assiste pas aux auditions et ne peut prendre aucune initiative tant que la garde à vue est en cours, sinon déposer des observations écrites.


La Cour de cassation

Les dispositions du code de procédure pénale relatives à l'intervention de l'avocat dans le cadre de la garde à vue ont été déclarées contraires à l'article 6 de la Cour européenne des droits de l'homme par un des trois arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation 21 ( * ) .

La chambre criminelle a ainsi donné raison à l'interprétation faite par une chambre de l'instruction de l'article 6 de la Convention. L'annulation du procès-verbal de garde à vue et des auditions intervenues pendant celle-ci se justifiait par le fait que la personne gardée à vue n'a pas bénéficié de l'assistance de l'avocat « dans des conditions lui permettant d'organiser sa défense et de préparer avec [elle] les interrogatoires auxquelles cet avocat n'a pu, en l'état de la législation française, participer ».

2. Les régimes dérogatoires


• La jurisprudence du Conseil constitutionnel

Les modalités des régimes dérogatoires en matière de garde à vue ont été, à plusieurs reprises, jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a notamment considéré qu'il était « loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, mais à la condition que ces différences de procédures ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense » 22 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a plus particulièrement jugé que « le délai d'intervention de l'avocat au regard des infractions énumérées [...] [ne mettait] pas en cause le principe des droits de la défense mais seulement leurs modalités d'exercice », que cette différence de traitement « correspondait à des différences de situation liées à la nature de ces infractions » et que, de ce fait, « cette différence de traitement ne procédait donc pas d'une discrimination injustifiée » 23 ( * ) . Dans sa décision n°2004-492 DC du 2 mars 2004, le Conseil a ainsi considéré, s'agissant des dispositions fixant à la quarante-huitième heure la première intervention de l'avocat pour certaines des infractions énumérées par l'article 706-73 du code de procédure pénale, que « ce nouveau délai, justifié par la gravité et la complexité des infractions concernées, s'il modifiait les modalités d'exercice des droits de la défense, n'en remettait pas en cause le principe » (considérant n°32).

Dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil a rappelé qu'il avait examiné, dans sa décision du 2 mars 2004 précitée, les dispositions relatives à la garde à vue en matière de criminalité et de délinquance organisées et avait déclaré conformes le septième alinéa de l'article 63-4 et l'article 706-73 du code de procédure pénale. Il a estimé, en second lieu, qu'il n'y avait pas eu, en matière de lutte contre la criminalité organisée, contrairement au recours à la garde à vue de droit commun, un changement de circonstances de nature à justifier un réexamen de ces dispositions.


La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

Aucune décision de la Cour n'a à ce jour remis en cause le principe même de régimes dérogatoires en matière de garde à vue.

S'agissant du terrorisme, la Cour estime qu'« il incombe à chaque Etat contractant, responsable de la vie de sa nation, de déterminer si un « danger public » la menace, et, dans l'affirmative, jusqu'où il faut aller pour essayer de le dissiper. En contact direct et constant avec les réalités pressantes du moment, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur la présence du pareil danger comme sur la nature et l'étendue des dérogations nécessaires pour le conjurer [...]. Les Etats ne jouissent pas pour autant d'un pouvoir illimité en ce domaine. La Cour a compétence pour décider, notamment, s'ils ont excédé la « stricte mesure » des exigences de la crise [...] La prééminence du droit, l'un des principes fondamentaux d'une société démocratique, implique un contrôle judiciaire des atteintes de l'exécutif au droit individuel à la liberté, garanti par l'article 5 [de la Convention]. La Cour doit examiner la dérogation sur la base de ces éléments [...]. Elle note toutefois qu'il ne s'agit pas ici, pour l'essentiel, de l'existence du pouvoir de garder à vue des terroristes présumés pendant une période pouvant atteindre sept jours, [...] mais plutôt de son exercice sans contrôle judiciaire » 24 ( * ) .

Dans un arrêt Brogan 25 ( * ) , la Cour a admis qu'une infraction en matière de terrorisme pouvait justifier un délai plus long avant que la personne gardée à vue soit présentée devant un juge comme l'exige l'article 5 paragraphe 3 de la Convention 26 ( * ) .

Au regard de ces éléments, les prolongations exceptionnelles instaurées par le droit français en matière de criminalité organisée et de terrorisme, qui prévoient l'intervention d'un magistrat du siège à intervalle régulier, ne paraissent pas contraires à la jurisprudence de la Cour.

La question se pose en des termes différents s'agissant de la possibilité, pour certaines infractions, de repousser l'intervention de l'avocat à la quarante-huitième ou à la soixante-douzième heure. Sans doute la Cour admet-elle que « l'assistance d'un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police [puisse] être soumise à des restrictions pour des raisons valables ». Toutefois, « il s'agit, dans chaque cas , de savoir si la restriction litigieuse est justifiée et, dans l'affirmative, si, considérée à la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l'accusé d'un procès équitable, car même une restriction justifiée peut avoir pareil effet dans certaines circonstances » 27 ( * ) .


La jurisprudence de la Cour de cassation

Dans deux arrêts en date du 19 octobre 2010 28 ( * ) , la chambre criminelle de la Cour de cassation a tiré les conséquences de cette jurisprudence, en affirmant qu'il résultait de la Convention européenne des droits de l'homme que, « sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché , toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction [devait], dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat » .

Elle a estimé en conséquence que le régime dérogatoire prévu par le septième alinéa de l'article 63-4 et l'article 706-88 du code de procédure pénale était contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La mise en place d'un régime dérogatoire de garde à vue touchant à l'exercice des droits de la défense devrait ainsi être justifiée par une « raison impérieuse » qui ne saurait découler de la seule nature de l'infraction. Une appréciation in concreto au cas par cas s'avère nécessaire.

III. LE PROJET DE LOI : VERS UN NOUVEL ÉQUILIBRE, PLUS RESPECTUEUX DES DROITS DE LA DÉFENSE

Dans ses conclusions, le comité de réflexion sur la réforme du code pénal et du code de procédure pénale, présidé par M. Philippe Léger, avait recommandé en 2009 de modifier le régime de la garde à vue afin de renforcer la place de l'avocat tout en préservant l'efficacité de l'enquête. Il avait ainsi suggéré :

- la limitation du champ d'application de la garde vue aux délits et crimes punis d'une peine d'emprisonnement ;

- la possibilité d'un nouvel entretien avec l'avocat à la 12 ème heure, l'avocat ayant alors accès aux procès-verbaux des auditions de son client ;

- la présence possible de l'avocat aux auditions si la mesure de garde à vue est prolongée à l'issue de la 24 ème heure.

Le comité Léger avait estimé nécessaire de limiter l'application de ces règles plus protectrices aux gardes à vue de droit commun : les régimes spécifiques pour la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants et le terrorisme devaient être concernés « sous peine de rendre la justice dangereusement impuissante pour le traitement de ces formes graves de délinquance » -le comité avait cependant souhaité que l'arrivée de l'avocat intervienne en matière de trafic de stupéfiants non à la 72 ème heure mais à la 48 ème heure.

Par ailleurs, le Comité avait conçu un système de « retenue judiciaire » pour toute personne soupçonnée d'une infraction pour laquelle la peine d'emprisonnement est inférieure à cinq ans. Le procureur de la République serait avisé de cette mesure dont la durée maximale était fixée à six heures. La personne aurait eu le droit de s'entretenir avec un avocat dès la première heure. Si au cours de la retenue, il apparaissait que des investigations plus importantes devaient être menées, la mesure aurait été transformée en garde à vue -les heures écoulées étant alors décomptées du délai de garde à vue.

Sur la base, notamment, de ces propositions, le Gouvernement avait initialement envisagé de nouvelles règles pour la garde à vue dans le cadre de la réforme d'ensemble du code de procédure pénale. Le dispositif proposé présentait quelques avancées. Dès le début de la mesure, l'avocat pouvait obtenir, à sa demande, copie de la communication des procès-verbaux d'auditions. En cas de prolongation, la personne pouvait demander à être assistée par l'avocat lors des auditions. Lorsqu'un tel droit n'était pas exercé, l'enregistrement audiovisuel devenait possible en matière délictuelle sur décision de l'officier de police judiciaire ou du procureur de la République ou à la demande de la personne gardée à vue. Une « audition libre », d'une durée maximale de quatre heures, pouvait être décidée même lorsque « la personne a été appréhendée et ramenée par la contrainte dans les locaux du service de police judiciaire » à condition que la peine encourue ne soit pas supérieure à cinq ans.

Les décisions successives du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation ont imposé une réforme séparée et plus ambitieuse de la garde à vue.

A. UN DISPOSITIF INITIAL COMPORTANT DES AVANCÉES CERTAINES, ENCORE AMÉLIORÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le projet de loi vise à renforcer les garanties données à la personne gardée à vue mais aussi, selon les termes de l'exposé des motifs du texte présenté par le Gouvernement, à « maîtriser » le nombre de gardes à vue .

1. Définition et conditions de recours à la garde à vue (article 1er)


• L'« audition libre »
(articles 62-2 et 62-4 du code de procédure pénale)

Le projet de loi dans sa version initiale fixait expressément un cadre à l'audition libre d'une personne suspecte : hors les cas où celle-ci a fait l'objet d'un mandat de recherche ou a été conduite par la force publique dans les locaux des services de police, la nécessité de l'entendre sur les faits dont elle est soupçonnée n'imposait pas son placement en garde à vue dès lors que la personne consentait à être entendue librement -ce consentement exprès devant être recueilli par un officier ou un agent de police judiciaire et renouvelé à chaque nouvelle audition.

L'insuffisance des droits conférés au suspect entendu librement -défaut de notification des droits (en particulier celui de se taire), absence de l'avocat- a conduit l'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des lois, à supprimer ce dispositif.


• Définition
(article 62-3 du code de procédure pénale)

La garde à vue fait, pour la première fois dans le code de procédure pénale, l'objet d'une définition, précisée par les députés à l'initiative de leur commission des lois qui a regroupé dans une seule formule des éléments que le texte initial du Gouvernement avait intégré dans deux articles distincts (articles 62-3 et 62-6). Elle est présentée comme une « mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs », dès lors que cette mesure constitue l' unique moyen de parvenir à l'un des six objectifs suivants :

- permettre l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

- garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête ;

- empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

- empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille. Un amendement voté en séance publique à l'initiative de plusieurs membres du groupe SRCDG a également visé les pressions sur les « proches » des victimes ;

- empêcher que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être un coauteur ou complice ;

- garantir la mise en oeuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.

Le recours à la garde à vue est ainsi strictement encadré. La mesure présente un caractère subsidiaire . En outre, elle n'est possible, en matière délictuelle, que pour les cas dans lesquels une peine d'emprisonnement est encourue alors que cette condition n'est aujourd'hui requise ni dans le cadre de l'enquête préliminaire, ni dans celui de l'instruction.

Les motifs de la garde à vue doivent être communiqués par les enquêteurs au procureur de la République au moment où celui-ci est avisé de la mesure. Ils doivent aussi être mentionnés dans le procès-verbal récapitulatif de la garde à vue (articles 63 et 64 du code de procédure pénale).

2. Les modalités de contrôle de la garde à vue (article premier)

Conformément au droit en vigueur, le projet de loi, dans la version déposée à l'Assemblée nationale, confie au procureur de la République la responsabilité du contrôle de la garde à vue. Le magistrat apprécie si le maintien de la garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l'enquête et proportionnés à la gravité des faits dont la personne est soupçonnée. En outre, le procureur de la République assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue et peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté.

La commission des lois de l'Assemblée nationale, dans le texte qu'elle a adopté, a transféré, contre l'avis de son rapporteur, le contrôle de la garde à vue au juge des libertés et de la détention . Les partisans de cette modification ont en effet distingué la « gestion » de la garde à vue, confiée au parquet, et son contrôle qui, sur le fondement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, devrait revenir à un magistrat indépendant.

Les députés sont revenus sur cette position en séance publique en adoptant un amendement rétablissant le principe posé par le projet de loi initial.

3. La durée de la garde à vue et les conditions de prolongation (article 2)

Aux termes du texte du Gouvernement, seul un officier de police judiciaire peut, d'office ou sur instruction du procureur de la République, placer en garde à vue une personne lorsque les conditions prévues par la loi sont réunies. Il doit alors en informer le procureur de la République dès le début de la mesure.

La commission des lois a supprimé la référence au procureur de la République. Toutefois, en séance publique, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement afin de revenir au texte initial au motif que le procureur de la République, directeur de l'enquête, doit explicitement pouvoir demander un placement en garde à vue (nouvelle rédaction du I de l'article 63 du code de procédure pénale).

La durée de la garde à vue demeure fixée à 24 heures. La possibilité de prolongation pour une même durée, décidée par le procureur de la République, est désormais limitée aux crimes ou aux délits punis d'une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à un an (nouvelle rédaction du II de l'article 63 du code de procédure pénale).

Cette prolongation ne peut être accordée qu'après présentation préalable de la personne à ce magistrat, le cas échéant, par un moyen de communication audiovisuelle. Elle peut cependant, à titre exceptionnel , être accordée par une décision écrite et motivée, sans présentation préalable.

Les députés ont précisé par un amendement de leur rapporteur, adopté en séance publique, que l'heure du début de la mesure était fixée à l'heure à laquelle la personne a été appréhendée.

4. Les droits de la personne gardée à vue


• Le droit de se taire

Le projet de loi réintroduit dans le code de procédure pénale la notification du droit de se taire qui avait été instaurée par la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence. La personne est ainsi informée qu'elle a le choix, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire (II de l'article 63-1 du code de procédure pénale).

A l'initiative de M. Philippe Gosselin, rapporteur, les députés ont prévu, en séance publique, que cette notification devait intervenir en même temps que la notification des autres droits et non au début de l'audition.


• Le droit de faire prévenir un proche et l'employeur

En l'état du droit, la personne peut demander à faire prévenir soit son employeur, soit une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un parent en ligne directe. Désormais, elle pourra faire prévenir l'un et l'autre (I de l'article 63-1).


• Les modalités de notification

Les députés ont adopté en séance publique un amendement présenté par M. Noël Mamère et plusieurs de ses collègues afin de préciser que le recours à un formulaire écrit pour informer la personne gardée à vue ne peut avoir lieu que pour une information immédiate et ne dispense pas de l'intervention d'un interprète (I de l'article 63-1).


• Le procès-verbal

L'Assemblée nationale a approuvé deux modifications apportées par sa commission des lois, la première précisant qu'il est établi un procès-verbal unique décrivant le déroulement de la garde à vue, la seconde que les « circonstances insurmontables » justifiant un report des diligences qu'impliquent les droits de la personne gardée à vue doivent être mentionnées au procès-verbal (I de l'article 63-1).


• Le droit à l'assistance d'un avocat
(article 7)

Au-delà du droit de demander à s'entretenir avec son avocat au début de la garde à vue, le projet de loi accroît les droits de la défense à travers deux innovations marquantes :

- la consultation dès le début de la mesure du procès-verbal de notification de placement de la personne en garde à vue et de notification de ses droits ainsi que des procès-verbaux d'audition de la personne gardée à vue qui ont déjà été réalisés (article 63-4-1 du code de procédure pénale). Les députés ont adopté en séance publique un amendement présenté par M. Noël Mamère et plusieurs de ses collègues incluant dans ces documents le certificat médical établi par le médecin à la suite de l'examen auquel il a, le cas échéant, procédé ;

- le droit pour la personne gardée à vue à être assistée par son avocat lors de ses auditions dès le début de la mesure (article 63-4-2 du code de procédure pénale). Cependant, le projet de loi apporte un tempérament à ces droits en permettant à l'officier de police judicaire de demander au procureur de la République l'autorisation de ne pas faire droit, pendant une durée ne pouvant excéder douze heures, aux demandes de consultation du procès-verbal et d'assistance aux auditions. Cette dérogation ne peut être accordée que de manière exceptionnelle, selon une formulation reproduite du considérant 28 de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, lorsqu'elle apparaît indispensable, en considération des circonstances particulières de l'enquête, soit pour permettre le bon déroulement des investigations urgentes tenant au recueil ou à la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte immédiate aux personnes.

La commission des lois de l'Assemblée nationale a complété ce dispositif afin de prévoir un « délai de carence » de deux heures avant l'expiration duquel la première audition de la personne gardée à vue ne pourra commencer. Il s'agit en effet de renforcer l'effectivité du droit accordé à la personne gardée à vue en tenant compte de certains obstacles susceptibles de retarder l'arrivée de l'avocat (éloignement géographique, insuffisance des effectifs du barreau).

Elle a également complété la rédaction des motifs justifiant la dérogation aux droits nouveaux liés à la présence de l'avocat en exigeant, selon une terminologie inspirée de la Cour européenne des droits de l'Homme, des « raisons impérieuses » tenant aux circonstances de l'enquête.

Afin de tenir compte de l'introduction du délai de carence de deux heures, elle a aussi donné au procureur de la République la faculté d'autoriser l'officier de police judiciaire, pour les raisons identiques à celles retenues pour retarder l'assistance de l'avocat ou la consultation du procès-verbal, à commencer les auditions avant le début de l'audition.

En outre, la commission des lois de l'Assemblée nationale a intégré dans le texte qu'elle a élaboré un amendement du Gouvernement permettant, pour les infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement, un deuxième report -de la 12 ème heure à la 24 ème heure- de la présence de l'avocat lors des auditions. La décision est prise par le juge des libertés et de la détention statuant à la demande du procureur de la République.

En contrepartie, les députés ont adopté en séance publique un amendement du Gouvernement inscrivant dans l'article préliminaire du code de procédure pénale le principe, maintes fois rappelé dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, selon lequel aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne, en matière criminelle et correctionnelle, sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat ou être assistée par lui (article 1 er A).

- Le déroulement des auditions (article 63-4-3 du code de procédure pénale)

Le texte initial présenté par le Gouvernement prévoyait que l'avocat pouvait présenter des observations écrites à l'issue de l'entretien ou des auditions auxquelles il assiste, excluant ainsi toute intervention du conseil pendant l'audition elle-même. La commission des lois a jugé cette restriction incompatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme -qui reconnaît au suspect le droit de bénéficier de la « vaste gamme d'interventions qui sont propres à l'affaire »- ainsi qu'avec le renforcement nécessaire du caractère contradictoire de la procédure pénale. Elle a, en conséquence, ouvert à l'avocat le droit de poser des questions à la fin de l'audition -l'officier ou l'agent de police judiciaire pouvant toutefois « s'opposer aux questions de nature à nuire au bon déroulement de l'enquête ou à la dignité de la personne ». Elle a prévu que la question refusée serait portée au procès-verbal ; les députés ont toutefois indiqué en séance publique, à l'initiative de leur rapporteur, que seul le refus serait mentionné dans le procès-verbal.

La police des auditions a retenu l'attention des députés lors des débats en séance publique. Ainsi l'Assemblée nationale a adopté un amendement de M. Jean-Paul Garraud et plusieurs de ses collègues afin de permettre à l'officier de police judicaire d'informer le procureur de la République s'il estime que l'avocat perturbe le bon déroulement d'une audition. Ce magistrat peut alors aviser le bâtonnier aux fins de désignation d'un nouvel avocat.

Par ailleurs, en adoptant en séance publique un amendement présenté par M. Philippe Goujon et plusieurs de ses collègues, les députés ont souhaité régler les difficultés pratiques que susciterait la désignation d'un même avocat par plusieurs personnes placées concomitamment en garde à vue dans une même affaire. Dans ce cas, le procureur de la République d'office ou saisi par l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire peut demander au bâtonnier de désigner un autre défenseur (article 63-3-1 du code de procédure pénale).

- Le droit à l'assistance d'un avocat pour la victime (article 7 bis )

L'exigence d'équilibre entre les parties, rappelée par l'article préliminaire du code de procédure pénale, a conduit la commission des lois de l'Assemblée nationale à compléter le projet de loi (article 7 bis ) afin de donner à la victime, si elle est confrontée à une personne gardée à vue assistée d'un avocat lors de son audition, le droit d'être également assistée par un avocat (article 63-4-5 nouveau du code de procédure pénale).


• Le régime des fouilles
(article 9)

Alors que seule la question des investigations corporelles internes est actuellement réglée par le code de procédure pénale, le projet de loi fixe pour la première fois un cadre légal aux fouilles. Les fouilles à corps intégrales ne pourront désormais plus être décidées à titre de mesure de précaution ; elles devront être justifiées par les nécessités de l'enquête. En outre, les députés ont adopté un amendement présenté par les membres du Nouveau centre afin de prévoir que la personne peut demander à conserver au cours de son audition les objets dont le port ou la détention sont nécessaires au respect de sa dignité.

5. Les régimes dérogatoires (article 12)

Le texte présenté par le Gouvernement (article 12) excluait l'application des nouvelles règles introduites par le projet de loi pour les régimes dérogatoires en matière de délinquance et de criminalité organisée. Les décisions rendues le 19 octobre 2010 par la Cour de cassation, six jours après le dépôt du projet de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale, impliquaient de remanier ces dispositions. En effet, le régime dérogatoire prévu par le 7 ème alinéa de l'article 63-4 et à l'article 706-88 du code de procédure pénale a été jugé contraire à l'article 6 de la CEDH.

Aussi, la commission des lois de l'Assemblée nationale a-t-elle adopté une nouvelle rédaction de l'article 12 sur la base d'un amendement du Gouvernement. L'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue pourrait être reportée jusqu'à la 48 ème heure pour toutes les infractions visées à l'article 706-73 du code de procédure pénale, à l'exception du trafic de stupéfiants et du terrorisme pour lesquels elle pourrait être reportée à la 72 ème heure.

Ce report serait assorti d'une double condition :

- sur le fond, il devrait être subordonné à l'existence de « raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête » et avoir pour objet soit de permettre le recueil ou la conservation des preuves, soit de prévenir une atteinte aux personnes ;

- sur la compétence, le report serait décidé, en enquête préliminaire ou de flagrance, par le procureur de la République jusqu'à la 24 ème heure, par le juge des libertés et de la détention au-delà. Si une information judiciaire est ouverte, la décision relèverait du juge d'instruction. La décision du magistrat devrait être écrite et motivée.

Par ailleurs, en matière de terrorisme, le juge des libertés et de la détention pourrait décider que la personne sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d'avocats spécialement habilités à intervenir dans ce domaine. Le texte adopté par la commission des lois prévoyait que les avocats inscrits sur cette liste seraient élus par les membres du Conseil de l'ordre du barreau de Paris. Les députés ont voté en séance publique un amendement de leur rapporteur indiquant que l'élection serait faite par le Conseil national des barreaux.

6. Les autres régimes de privation de liberté


• Audition des témoins
(article 11)

Depuis l'adoption de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, le code de procédure pénale dispose expressément que les simples témoins ne peuvent pas être placés en garde à vue. L'article 11 du projet de loi propose de préciser les modalités selon lesquelles ils sont entendus : en cohérence avec les dispositions relatives aux contrôles d'identité (article 78-3 du code de procédure pénale), la rétention des témoins, strictement limitée au temps nécessaire à leur audition, ne pourrait en toute hypothèse excéder quatre heures. En outre, dès lors que l'audition du témoin ferait apparaître des indices permettant de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction, celui-ci ne pourrait être maintenu sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue, conformément aux principes dégagés par le Conseil constitutionnel.


• Caractère non systématique de la garde à vue dès lors que la personne n'est pas conduite par la force publique devant l'officier de police judiciaire
(article 11 bis )

L'Assemblée nationale a adopté en séance publique un amendement du Gouvernement afin de prévoir, comme le permet d'ores et déjà la jurisprudence de la Cour de cassation, que le placement en garde à vue ne doit pas intervenir systématiquement lorsqu'une personne n'a pas été conduite par la force publique devant l'officier de police judiciaire. Ce principe serait applicable lorsque la personne a fait l'objet :

- d'une interpellation au cours de l'enquête de flagrance en application des dispositions du code de procédure pénale :

-  d'une mesure de dégrisement en raison de son état d'ivresse en application des dispositions du code de la santé publique,

- des épreuves de dépistage et des vérifications prévues par le code de la route pour les contrôles d'alcoolémie ou d'usage de stupéfiants.


• La retenue douanière
(article 14 bis )

Le dispositif a été inséré par la commission des lois dans le projet de loi à la suite de la décision n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010 déclarant contraire à la Constitution le régime actuel de la retenue douanière.

Le texte adopté à la suite d'un amendement du Gouvernement aligne pour l'essentiel le régime de la retenue douanière sur celui retenu par le présent projet de loi pour la garde à vue s'agissant en particulier de la notification du droit de se taire et du droit à l'assistance d'un avocat.


Le « petit dépôt » (articles 13, 15 ter et 15 quater )

L'article 13 du projet de loi prévoyait d'ores et déjà d'adapter le régime du « petit dépôt » défini à l'article 803-3 du code de procédure pénale, afin de permettre, notamment, à l'avocat de demander à consulter le dossier de la procédure avant la présentation de la personne au procureur de la République ou au juge d'instruction.

Les députés ont par ailleurs adopté en séance publique deux amendements de M. Dominique Raimbourg sous-amendés par le Gouvernement afin de consacrer dans le code de procédure pénale la décision QPC n° 2010-80 du 17 décembre 2010 du Conseil constitutionnel qui impose de prévoir :

- d'une part, qu'en cas de dépôt faisant suite à une garde à vue, le magistrat devant lequel l'intéressé est appelé à comparaître doit être informé sans délai de l'arrivée de la personne dans les locaux de la juridiction ;

- d'autre part, que dans le cas où la garde à vue a été prolongée par le procureur de la République, la personne déférée doit être présentée dans un délai de 20 heures à la juridiction saisie ou, à défaut, au juge des libertés et de la détention.


Modalités d'exécution d'un mandat d'amener ou d'arrêt lors la personne recherchée est interpellée à plus de 200 kilomètres du juge mandant (article 15 bis )

Sur proposition du Gouvernement, les députés ont inséré dans le projet de loi un nouvel article 15 bis tendant à préciser, dans le respect des principes définis par la Cour européenne des droits de l'homme, les modalités d'exécution d'un mandat d'amener ou d'arrêt lorsque la personne recherchée est interpellée à plus de 200 kilomètres du juge mandant. Conformément à l'arrêt France Moulin contre France du 23 novembre 2010, les députés ont précisé que la personne interpellée dans de telles conditions devrait être présentée à un magistrat du siège - en l'espèce, le juge des libertés et de la détention - avant son transfèrement, et non plus au procureur de la République comme le prévoit actuellement le code de procédure pénale.


La garde à vue des mineurs (article 15)

L'article 15 du projet de loi procède enfin aux coordinations rendues nécessaires par le présent projet de loi au sein de l'ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, qui encadre de façon plus rigoureuse les conditions dans lesquelles un mineur peut être retenu (mineurs de 10 à 13 ans) ou placé en garde à vue (mineurs de 13 à 18 ans).

7. Mesures annexes

Soucieux de conjuguer au mieux droits de la personne gardée à vue et efficacité des enquêtes, les députés ont par ailleurs adopté un amendement de MM. Dominique Raimbourg et Jean-Jacques Urvoas, réécrit en séance publique sur proposition du Gouvernement, tendant à élargir la compétence territoriale des officiers de police judiciaire : aux termes de l'article 11 A du projet de loi, ceux-ci auraient désormais le faculté de se transporter dans le ressort des tribunaux de grande instance limitrophes du tribunal ou des tribunaux auxquels ils sont rattachés afin d'y poursuivre leurs investigations et de procéder à des auditions, perquisitions et saisies, non seulement dans le cadre d'une enquête de flagrance comme le code de procédure pénale le prévoit aujourd'hui, mais également dans le cadre de l'enquête préliminaire.

En outre, les députés ont souhaité que puissent être limités les placements en cellule de dégrisement. Sur proposition de son rapporteur, la commission des lois de l'Assemblée nationale a ainsi complété le code de la santé publique afin de prévoir que, dès lors qu'il n'est pas nécessaire de procéder à l'audition de la personne trouvée en état d'ivresse dans un lieu public immédiatement après qu'elle a recouvré la raison, elle peut être confiée à un tiers qui se porte garant d'elle (article 14 ter ).

Enfin, l'article 16 du projet de loi procède aux coordinations rendues nécessaires par le présent projet de loi au sein de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

Votre commission a souscrit à l'ensemble des modifications introduites par l'Assemblée nationale . Les amendements qu'elle a intégrés dans le texte du projet de loi s'inscrivent dans le prolongement des positions prises par les députés. Elle estime par ailleurs que le succès de la réforme dépendra pour une large part de la capacité de la profession d'avocat à s'adapter au rôle accru que le texte confie à la défense ainsi que de la mobilisation par les pouvoirs publics des moyens financiers nécessaires.

1. Des modifications destinées à conforter l'équilibre auquel l'Assemblée nationale est parvenue

Les amendements adoptés par votre commission visent principalement deux objectifs.


Conforter les droits de la personne gardée à vue

Votre commission a souhaité préciser que la valeur probante des déclarations de la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction implique qu'elle ait pu s'entretenir avec son conseil et être assistée par lui, alors que le texte du projet de loi présente ces deux conditions comme alternatives (article premier A).

De même, elle a indiqué que le procureur de la République compétent pour assurer le contrôle de la garde à vue pouvait être celui en charge du dossier ainsi que le procureur de la république du ressort dans lequel la garde à vue est exécutée. Le texte issu de l'Assemblée nationale prévoyait la compétence de l'un ou de l'autre. Or, un double contrôle constitue une garantie pour la personne gardée à vue (article premier).

La commission a par ailleurs souhaité améliorer les droits pour la personne gardée à vue de faire informer un tiers : elle a permis ainsi au majeur incapable de faire aviser son curateur ou son tuteur et à la personne de nationalité étrangère de faire contacter les autorités consulaires (article 3).

Elle a, en outre, donné un caractère obligatoire à la disposition selon laquelle la personne gardée à vue dispose pendant son audition des effets personnels nécessaires au respect de sa dignité.

Elle a enfin prévu, à l'initiative de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, que la fouille intégrale ne serait possible que si la fouille par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique ne peuvent pas être réalisées.


L'exercice des droits de la défense

Votre commission des lois a souhaité clarifier deux questions touchant, d'une part, au conflit d'intérêts, d'autre part, à la police des auditions.

En premier lieu, elle a prévu qu'en présence d'un conflit d'intérêts , il appartiendrait à l'avocat de faire demander la désignation d'un autre avocat. En cas de divergence d'appréciation entre l'avocat et l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République, celui-ci saisirait le bâtonnier aux fins de désignation d'un autre défenseur (article 5).

En second lieu, il n'est pas apparu opportun à votre commission de faire état dans la loi, comme le fait le texte proposé par l'Assemblée nationale pour l'article 7, d'éventuelles perturbations des auditions par l'avocat, sauf à faire apparaître ces comportements, pourtant inadmissibles, comme une modalité possible de défense. Il est préférable de rappeler que l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire a seul la direction de l'audition à laquelle il peut mettre un terme en cas de difficulté. Dans cette hypothèse, le procureur de la République pourrait informer, s'il y a lieu, le bâtonnier qui déciderait de désigner un autre avocat (article 7).

Enfin, s'agissant des dispositions de l'article 12 permettant au juge des libertés et de la détention ou au juge d'instruction, en matière de terrorisme, de décider que la personne gardée à vue sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d'avocats habilités, la commission a prévu que les avocats inscrits sur cette liste seraient désignés, plutôt qu'élus, par le Conseil national des barreaux, selon des modalités définies par son règlement intérieur.


Une clarification des conditions dans lesquelles intervient la mesure privative de liberté

L'article 11 bis du projet de loi tend à inscrire dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation, qui considère que le placement en garde à vue d'une personne suspectée d'une infraction n'est obligatoire que lorsqu'il paraît nécessaire de la maintenir sous la contrainte à la disposition des enquêteurs. Corrélativement, dès lors que l'officier de police judiciaire n'estime pas nécessaire de maintenir l'intéressé à sa disposition, la garde à vue ne saurait se justifier. Votre commission a toutefois souhaité expliciter cette jurisprudence, en précisant, dans chacune des hypothèses visées (appréhension de l'intéressé par une personne privée, placement en cellule de dégrisement, retenue pendant le temps nécessaire aux épreuves de dépistage), que la personne qui n'est pas placée en garde à vue alors même qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction doit être informée de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie avant son éventuelle audition.

Par ailleurs, la commission a précisé que la retenue douanière ne pourrait être prolongée de 24 heures supplémentaires par le procureur de la République que lorsque les nécessités de l'enquête douanière le justifient (article 14 bis ).

2. Un défi pour la profession d'avocat

Plusieurs dispositions du projet de loi entraîneront une charge supplémentaire pour le parquet - généralisation du principe de la présentation de la personne gardée à vue au procureur de la République, possibilité pour ce dernier de décider de reporter, de manière motivée, l'assistance de l'avocat pendant les auditions...

Les officiers et les agents de police judiciaire devront se familiariser avec les nouvelles règles procédurales. Ils ont su montrer à la faveur des réformes précédentes de la garde à vue leur capacité à s'adapter tout en préservant l'efficacité de l'enquête.

Cependant, de tous les auteurs de la chaîne pénale, les avocats sont sans doute ceux pour lesquels le projet de loi aura les conséquences les plus significatives.

La profession d'avocat, par sa forte mobilisation, a largement contribué à la présente réforme. Il n'en reste pas moins que la mise en oeuvre des dispositions de la loi impliquera un effort d'adaptation considérable des barreaux, en particulier en province.

D'après les estimations de M. Jean-Marie Delarue, actuellement 25 à 30 % seulement des personnes gardées à vue demandent à s'entretenir avec un avocat . Cette proportion est toutefois susceptible de s'accroître avec les nouveaux droits ouverts par le projet de loi. En outre, l'avocat autorisé à assister à l'audition de son client devra rester sur place plus longtemps et s'organiser également en fonction du rythme des auditions pouvant s'échelonner sur 48 heures avec des temps d'interruption plus ou moins longs.

Comme le relevait le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Philippe Gosselin, la moyenne nationale du nombre de gardes à vue par avocat passe de 12,2 à 18 si l'on exclut Paris -où exercent 40 % des avocats français. Cette moyenne nationale est dépassée de 50 % dans vingt départements (27 gardes à vue ou plus par avocat) et de 100 % dans douze départements (36 gardes à vue ou plus par avocat).

Cette contrainte d'effectifs peut être redoublée par une contrainte géographique. A titre d'exemple, en Mayenne, il faut compter entre Laval et les deux brigades de gendarmerie les plus éloignées, au nord (Pré-en-Pail) et, au sud (Renazé), respectivement 65 et 50 kms. M. Bernard Boulliou, bâtonnier de Laval, a souhaité que les gardes à vue puissent être regroupées à Laval -seule commune du département à compter un commissariat-, à Mayenne et à Château-Gontier, sièges, chacune, d'une compagnie de gendarmerie.

Cependant, le regroupement des gardes à vue, en particulier au chef-lieu de compagnie provoquerait une rupture d'égalité de nos concitoyens devant le service public. Il serait susceptible de remettre en cause le maillage territorial de la gendarmerie qui constitue une garantie forte de sécurité notamment dans les zones rurales.

3. Le coût de la réforme

L'application de la réforme exigera des moyens financiers que l'étude d'impact accompagnant le projet de loi initial semble largement sous estimer.


Les moyens matériels des commissariats et brigades de gendarmerie

Comme l'a souligné le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, les commissariats et les brigades de gendarmerie ne possèdent généralement pas de local où peut se dérouler l'entretien de la personne avec l'avocat -en pratique, il faut libérer un bureau déjà occupé au détriment des conditions de travail des enquêteurs. Lorsque, par exception, un tel local existe, il ne garantit pas les conditions de confidentialité 29 ( * ) . Le constat est le même s'agissant du nombre, très insuffisant, de salles destinées à l'examen médical.

L'étude d'impact évalue à 74,8 millions d'euros l'impact financier pour le ministère de l'intérieur. Or, d'après les informations communiquées à votre rapporteur par le général Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale, le coût pour la gendarmerie (230.000 gardes à vue en 2010) de la rénovation des infrastructures représenterait un investissement initial de 58,7 millions d'euros- auxquels s'ajoutent 5,73 millions d'euros de fonctionnement annuel, hors coût de formation.

Ce montant comprend :

- la création de locaux dédiés aux entretiens du gardé à vue avec sa défense (16,6 millions d'euros et 2,3 millions d'euros d'équipement mobilier) ;

- la mise en place d'un dispositif de visioconférence -en substitution de la présentation de la personne au procureur de la République aux fins de prolongation de la garde à vue- (23,3 millions d'euros d'investissement et 3,5 millions d'euros de fonctionnement) ;

- l'amélioration des cellules de rétention (pour 6.000 chambres de sûreté : 20,5 millions d'euros d'investissement et 0,43 million d'euros de fonctionnement).

Ces estimations reposent sur une mutualisation des moyens au sein de 2.308 sites (la gendarmerie comprenant 3.400 implantations).

Votre rapporteur ne dispose pas des données chiffrées correspondant à ces dépenses pour les commissariats de police. Il y a tout lieu de penser, compte tenu de la part prédominante de la police dans la mise en oeuvre des mesures de garde à vue, que les moyens requis par ces services dépassent ceux envisagés par la gendarmerie.


• L'aide juridictionnelle

Selon l'étude d'impact, le coût pour le budget de l'aide juridictionnelle sur la base de 500.000 gardes à vue par an serait compris entre 44,5 et 65,8 millions d'euros (TTC) en année pleine. Cette évaluation prend en compte non seulement le maintien d'une rétribution à l'acte pour chaque mission d'assistance, au tarif actuel, mais aussi une indemnité d'astreinte en contrepartie des sujétions nouvelles qu'implique la réforme pour l'exercice des droits de la défense.

La rétribution de l'acte sera financée, comme tel est le cas aujourd'hui, par une dotation « garde à vue » versée par l'Etat, dont le montant est déterminé en fonction d'une prévision du nombre de missions d'assistance à accomplir au cours de l'année. Cette dotation peut être réajustée en cours d'année en fonction de la consommation de crédits. En outre, chaque barreau qui aura conclu avec le tribunal de grande instance un protocole « permanence de garde à vue » percevra une dotation complémentaire destinée à permettre aux barreaux d'allouer aux avocats de permanence de garde à vue un complément à leur rétribution de base, dit « indemnité d'astreinte » et dont le montant sera arrêté par le barreau.

Cependant l'évaluation faite par l'étude d'impact ne prend pas en compte le coût de l'intervention de l'avocat dans les gardes à vue décidées en matière de criminalité organisée ni dans les retenues douanières.

Il est vrai que, selon le Gouvernement, le projet de loi contribuera à une baisse de 25 % du nombre des gardes à vue - soit 155 000 mesures en moins. Toutefois la suppression de l'audition libre par l'Assemblée nationale devrait limiter cet impact.

Selon votre rapporteur, la réduction du nombre de mesures résultera peut-être moins des dispositions, certes plus encadrées, du code de procédure pénale que d'une application mesurée de la garde à vue. Certains des interlocuteurs de votre rapporteur, y compris parmi les policiers, ont ainsi estimé qu'en l'état du droit il serait possible de diminuer de moitié le nombre de gardes à vue. 30 ( * )

Ainsi, la réforme de la garde à vue devra s'accompagner d'un effort de formation auprès de tous ceux chargés de la mettre en oeuvre afin que les pratiques, elles aussi, évoluent.

*

* *

Votre commission a adopté le projet de loi ainsi rédigé.

EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE PREMIER - DISPOSITIONS RELATIVES À L'ENCADREMENT DE LA GARDE À VUE

Article 1er A (art. préliminaire du code de procédure pénale) - Interdiction de condamnations fondées sur les seules déclarations d'une personne faites hors de la présence d'un avocat

Cet article, introduit en séance publique par un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale avec l'avis favorable de la commission, tend à interdire de prononcer une condamnation sur la base des seules déclarations faites par une personne qui n'a pu s'entretenir avec un avocat ou être assistée par lui.

Il complète à cette fin l'article préliminaire du code de procédure pénale qui fixe les principes essentiels de la procédure pénale : le champ d'application de cette disposition dépasse ainsi le seul cadre de la garde à vue pour concerner les différentes hypothèses dans lesquelles les déclarations d'une personne peuvent conduire à la mettre en cause dans la commission d'une infraction. Tel peut être le cas dans le cadre d'une audition par la police judiciaire à la suite d'une convocation.

Ce principe est directement inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans l'arrêt Salduz c/Turquie du 27 novembre 2008, a estimé qu'« il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes -faites lors d'un interrogatoire subi sans assistance possible d'un avocat- sont utilisées pour fonder une condamnation ».

Il importe de préciser la portée de ce principe.

En premier lieu, la règle ne vaut pas dès lors que la personne, comme l'a indiqué la Cour de Strasbourg dans un arrêt Yoldas c/Turquie du 23 février 2010, a renoncé de son plein gré , « de manière expresse ou tacite » , aux garanties d'un procès équitable à la condition, du moins, que cette renonciation soit entourée d'un minimum de garanties.

Ensuite, il résulte de la rédaction adoptée par les députés et de la mention du mot « seul » que si des déclarations faites sans que la personne ait pu s'entretenir avec un avocat ou être assistée par lui ne peuvent suffire à fonder une condamnation, elles peuvent néanmoins corroborer d'autres preuves . Des effets similaires s'attachent d'ailleurs dans notre droit aux déclarations du témoin anonyme (article 706-62 du code de procédure pénale) qui ne peuvent « seules » fonder une condamnation.

Preuves « non suffisantes » mais « corroborantes » : le principe répond-t-il aux exigences de la Cour européenne des droits de l'homme ?

Dans l'affaire Yoldas précitée, la Cour de Strasbourg constate que la juridiction de jugement a écarté les chefs d'accusation qui n'étaient corroborés ou étayés par aucun autre élément de preuve que les déclarations de l'intéressé et, partant, que les droits de la défense avaient été scrupuleusement respectés.

Par ailleurs, dans deux arrêts récents 31 ( * ) , la Cour de cassation ne casse pas les décisions qui annulent les gardes à vue tenues sans assistance d'avocat dès lors qu'elles  « n'ont pour seule conséquence que les actes annulés n'ont pas constitué des éléments de preuve fondant la décision de culpabilité du prévenu ». La Cour de cassation ne s'est pas prononcée, en revanche, sur des déclarations qui auraient corroboré d'autres éléments de preuves pour déterminer une condamnation.

Votre commission a considéré que la disposition introduite par l'article 1 er A instituait une réelle garantie dans les différentes hypothèses prévues par l'article 63-4-2 nouveau du code de procédure pénale (voir infra commentaire de l'article 7), ainsi que dans les régimes dérogatoires (article 12) et la retenue douanière (article 14 bis ), où l'assistance d'un avocat peut être reportée.

Afin de conforter cette protection, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur afin d'indiquer que la valeur probante des déclarations de la personne implique qu'elle ait pu s'entretenir avec son conseil et être assistée par lui, alors que le texte du projet de loi présente ces deux conditions comme alternatives.

Le principe posé par le présent article ne renforce pas seulement les droits de la défense, il s'inscrit aussi dans une évolution générale qui tend à privilégier un régime de preuves scientifiques et techniques plutôt que l'aveu.

Votre commission a adopté l'article 1 er A ainsi modifié .

Article premier (art. 62-2 et 62-5 [nouveaux] du code de procédure pénale) - Définition et modalités de contrôle de la garde à vue

Cet article tend à insérer deux nouveaux articles dans le code de procédure pénale afin de définir la garde à vue ainsi que ses conditions d'application et de contrôle.

Initialement, dans le texte déposé par le Gouvernement, cet article introduisait cinq nouveaux articles dans le code de procédure pénale (articles 62-2 à 62-6) posant le principe de l'audition libre, définissant la garde à vue ainsi que les conditions de recours à ces deux types de mesures. La suppression par la commission des lois de l'Assemblée nationale de l'audition libre et le regroupement au sein d'un même article (article 62-3) de dispositions présentées dans deux articles du code de procédure pénale (articles 62-3 et 62-6) a conduit à une simplification du dispositif proposé.

1. L'« audition libre »

Dans sa version initiale, le projet de loi insérait un article 62-2 instituant l'audition libre par les enquêteurs de la personne à l'encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Selon l'exposé des motifs comme de l'étude d'impact présentés par le Gouvernement, il s'agissait d'affirmer la priorité de l'audition libre d'un suspect et le caractère « subsidiaire » de la garde à vue. Ainsi la garde à vue n'aurait-elle plus été « la modalité privilégiée pour entendre un suspect. Elle ne constitue qu'une mesure de contrainte applicable au suspect si l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République estime que les conditions spécifiques de son application sont réunies ».

Depuis 2000, la jurisprudence de la Cour de cassation 32 ( * ) impose le placement en garde à vue dès lors que la personne est tenue sous la contrainte à la disposition des services de police et qu'elle est privée de la liberté d'aller et de venir. L'interpellation constitue une forme de contrainte et le suspect appréhendé dans ces conditions doit en principe être gardé à vue pour bénéficier des garanties qu'elle apporte.

Mais le placement systématique en garde à vue n'est pas sans inconvénient. Il peut conduire à allonger la privation de liberté en raison des différentes formalités -notification préalable des droits, entretien avec l'avocat s'il est demandé- précédant l'audition et des conditions dans lesquelles il est mis fin à la mesure (nécessité de solliciter les instructions du parquet sur les suites à donner à la procédure). Paradoxalement, les règles applicables aux témoins sont plus souples puisque ces derniers peuvent être retenus « le temps strictement nécessaire à leur audition » 33 ( * ) .

Néanmoins, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé qu' « aucun texte [n'imposait] le placement en garde à vue d'une personne qui, pour les nécessités de l'enquête, accepte (...) de se présenter sans contrainte aux officiers de police judiciaire afin d'être entendue et n'est à aucun moment privée de sa liberté d'aller et venir » 34 ( * ) .

M. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, a indiqué à votre rapporteur qu'environ la moitié des personnes mises en cause en 2010 avait été entendue sous le régime de l' audition libre .

Dans le projet gouvernemental, l'absence de contrainte se manifestait aux trois étapes du déroulement de l'audition :

- la personne devait s'être rendue librement dans les locaux du service de police judiciaire ; le texte écartait donc explicitement l'audition libre pour les personnes faisant l'objet d'un mandat de recherche 35 ( * ) ou ayant été conduites par la force publique dans les locaux du service de police judiciaire ;

- le consentement de la personne à son audition devait être recueilli après qu'elle a été informée de la nature et de la date présumée de l'infraction dont elle est soupçonnée ;

- la personne pouvait mettre un terme, à tout moment , à son audition. Ce droit devait lui être également notifié avant que le consentement à son audition ne soit recueilli. A chaque reprise de l'audition, le consentement de la personne devait de nouveau être recueilli.

L'information et le consentement de la personne étaient mentionnés dans le procès-verbal d'audition.

On peut s'étonner que ces dispositions, qui transcrivaient en les explicitant les termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, aient suscité les critiques convergentes de beaucoup d'acteurs de la chaîne pénale. Sans doute ces appréhensions sont-elles pour une large part liées à l'objectif -pourtant louable- assigné par le Gouvernement à l'audition libre : réduire le nombre de gardes à vue.

En effet, soit l'audition libre continue d'obéir à des conditions distinctes de celles retenues pour la garde à vue, au premier chef l'absence de contrainte, et il est difficile de comprendre comment elle pourrait contribuer à cette baisse. Soit elle ne répond plus précisément aux critères actuels et la nature de la mesure peut alors prêter à discussion.

L'équivoque a certainement été entretenue par le choix des termes du III de l'article 62-4 proposé par le Gouvernement aux termes desquels « la personne est considérée comme s'étant rendue librement dans les locaux du service ou de l'unité de police judiciaire lorsqu'elle s'y est présentée spontanément ou à la suite d'une convocation des enquêteurs ou lorsque, ayant été appréhendée, elle a accepté expressément de suivre l'officier ou l'agent de police judiciaire ». L'arrestation ne place-t-elle pas de facto la personne dans une situation de contrainte nonobstant l'acceptation de se rendre dans les locaux de la police judiciaire ?

L'audition libre ne paraît pas ainsi répondre stricto sensu au cadre fixé par la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle comporterait certains éléments de contrainte sans présenter, en contrepartie, les éléments de garantie nécessaires -possibilité de prévenir une tierce personne, assistance d'un avocat. La durée maximale de la mesure n'était pas précisée -cette lacune pouvant non seulement porter atteinte aux droits des personnes mais aussi affecter la sécurité juridique de la procédure dans son ensemble (en vertu de la jurisprudence traditionnelle en matière de « mise en examen tardive », un placement trop tardif en garde à vue pourrait conduire à l'annulation de tous les actes réalisés pendant la garde à vue et l'audition libre qui l'a précédée).

Le dispositif proposé ne paraissait pas davantage répondre aux exigences de la Cour de Strasbourg. En effet, l'audition libre visait « la personne à l'encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Or, ce critère correspond à une « accusation en matière pénale » au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme justifiant des protections identiques à celles retenues dans le cadre de la garde à vue.

L'insuffisance des garanties reconnues à la personne relevant du régime de l'audition libre a conduit, avec raison, les députés à supprimer ce dispositif.

2. Définition de la garde à vue

L'article 62-3 nouveau du code pénal définit pour la première fois la garde à vue. L'Assemblée nationale a fusionné au sein du même article la définition elle-même et les conditions cumulatives d'application de la garde à vue que le texte du Gouvernement avait présenté dans deux articles distincts (articles 62-3 et 62-6).

La garde à vue est caractérisée comme une « mesure de contrainte » permettant de maintenir un suspect à la disposition des enquêteurs. L'article 62-3 énonce par ailleurs trois conditions de fond à l'application de la garde à vue. La première est traditionnelle, les deux suivantes sont inédites.

D'abord, la garde à vue n'est applicable qu'à la « personne à l'encontre de laquelle il existe une raison ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit ». Alors que le texte du Gouvernement visait la « personne soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit », les députés sont ainsi revenus aux termes de l'actuel article 63 du code de procédure pénale. En outre, la référence aux « raisons plausibles » se trouve dans l'article 5, paragraphe 1, c de la Convention européenne des droits de l'homme. Selon la Cour européenne des droits de l'homme 36 ( * ) , « les soupçons sont plausibles lorsque les faits ou les renseignements sont propres à persuader un observateur objectif que l'individu en cause peut avoir commis l'infraction » 37 ( * ) .

La deuxième condition d'application de la garde à vue est nouvelle et se fonde sur le quantum de peine encourue : la mesure ne serait autorisée que lorsque la personne est soupçonnée d'un crime ou d'un délit passible d'une peine d'emprisonnement . Certes, aujourd'hui, en vertu du principe de proportionnalité et de l'équilibre requis entre le but recherché et le moyen employé, la garde à vue ne semble susceptible de s'appliquer que si l'infraction est passible d'une peine d'emprisonnement. Néanmoins, si l'article 67 du code de procédure pénale prévoit expressément cette condition pour l'enquête de flagrance, il n'en est pas ainsi en cas d'enquête préliminaire ou d'information -susceptible de viser toutes les infractions y compris les contraventions (articles 77 et 154).

En outre, alors que la garde à vue peut être justifiée actuellement pour les « nécessités de l'enquête » (articles 63 et 77 du code de procédure pénale), le recours à cette mesure ne devrait désormais être envisageable que s'il apparaît être l' « unique moyen de parvenir à au moins » l'une des six finalités énoncés par l'article 62-3 :

- permettre l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

- garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce dernier puisse apprécier la suite à donner à l'enquête ;

- empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

- empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ; les députés ont adopté, avec l'avis favorable de la commission et du Gouvernement, un amendement présenté par M. Apelito Albert Likuvalu tendant à ajouter à cette liste les proches de la victime ;

- empêcher que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être un coauteur ou complice ;

- garantir la mise en oeuvre des mesures destinées à faire cesser l'infraction.

La formule « l'unique moyen de parvenir » - qui souligne le caractère subsidiaire de la garde à vue -ainsi que les quatre derniers de ces objectifs sont directement inspirés des conditions dans lesquelles la détention provisoire peut être ordonnée ou prolongée.

Les deux premiers consacrent pour partie la jurisprudence.

Ainsi, selon la Cour de cassation, n'est pas nulle une garde à vue sollicitée par le procureur de la République uniquement pour que l'intéressé lui soit présenté, dès lors que cette présentation a pour objet de mettre le magistrat en mesure « d'apprécier la suite à donner aux investigations des enquêteurs » 38 ( * ) . En effet, cette situation se rattache aujourd'hui aux « nécessités de l'enquête ». Les six objectifs retenus pour encadrer la garde à vue devraient pour l'essentiel correspondre au champ d'application de cette mesure tout en en précisant le contenu.

Votre commission a adopté un amendement rédactionnel de son rapporteur afin de mieux distinguer la définition de la garde à vue des conditions auxquelles elle doit répondre.

3. Conditions de forme du placement en garde à vue

La définition de la garde à vue par le nouvel article 62-3 rappelle que cette mesure est décidée par l'officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire.


Une décision prise par l'officier de police judiciaire

Marquant la continuité avec l'état du droit, le texte proposé pour l'article 62-3 prévoit que seul l'officier de police judiciaire chargé de l'enquête a, en principe, qualité pour ordonner une garde à vue : il ne saurait déléguer ce pouvoir. En outre, contrairement à la prolongation de la garde à vue, subordonnée à l'autorisation, selon les cas, du procureur de la République, du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction, il peut décider du placement en garde à vue de son propre chef.

La Cour de cassation a, d'ailleurs, sur la base du pouvoir propre d'appréciation ainsi reconnu à l'officier de police judiciaire, estimé que les nécessités de l'enquête susceptibles de justifier aujourd'hui une garde à vue échappaient à tout contrôle juridictionnel.


Le contrôle de l'autorité judiciaire

Le pouvoir propre reconnu à l'officier de police judiciaire n'équivaut pas à un pouvoir discrétionnaire. Le projet de loi rappelle de manière expresse que la décision de placement en garde à vue est soumise au contrôle de l'autorité judiciaire.

En l'état du droit, ce contrôle est exercé selon les cas par le procureur de la République (articles 63, 1 er alinéa, et 77, 1 er alinéa) ou le juge d'instruction (article 154, 1 er alinéa) qui doivent, l'un comme l'autre, être informés par l'officier de police judiciaire dès le début de la garde à vue (voir infra commentaire de l'article 2 du projet de loi).

Dans sa rédaction initiale, le 1 er alinéa du nouvel article 62-5 applicable à l'enquête de flagrance et, par renvoi, à l'enquête préliminaire confirmait l'état du droit.

Cependant, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait adopté, contre l'avis de son rapporteur, M. Philippe Gosselin, un amendement de M. Philippe Houillon remplaçant le contrôle du procureur de la République par celui du juge des libertés et de la détention ou, à défaut, du président du tribunal de grande instance ou de son délégué.

Quelles sont les exigences de la Cour européenne des droits de l'homme dans cette matière ?

Selon la Cour, l'article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l'homme a pour objet d'assurer un contrôle juridictionnel à la « personne arrêtée ou détenue parce que soupçonnée d'avoir commis une infraction ». Un tel contrôle « doit fournir des garanties effectives contre le risque de mauvais traitements, qui est à son maximum durant cette phase initiale de détention, et contre un abus par des agents de la force publique ou une autre autorité des pouvoirs qui leur sont confiés et qui doivent s'exercer à des fins étroitement limitées et en stricte conformité avec les procédures prescrites » 39 ( * ) . Le contrôle juridictionnel doit répondre à trois exigences :

- la promptitude (la Cour a estimé que des périodes de détention de quatre jours et six heures comportaient violation de l'article 5, paragraphe 3, même dans le contexte spécial d'enquêtes sur des infractions terroristes 40 ( * ) ) ;

- le caractère automatique du contrôle (qui ne saurait être tributaire d'une demande formée par la personne privée de liberté) ;

- l'indépendance du magistrat à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale 41 ( * ) . Dans les arrêts Medvedyev , du 29 mars 2010, et Moulin c. France du 23 novembre 2011, la Cour a considéré que le procureur de la République ne répondait pas à cette double condition. Elle a ainsi estimé d'une part que du fait de leur statut, « les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat » au sens de l'article 5, paragraphe 3 » et, d'autre part, que l'exercice de l'action publique n'est pas compatible avec l'indépendance à l'égard des parties 42 ( * ) .

La Cour pose par ailleurs l'obligation pour le magistrat d'entendre personnellement l'individu traduit devant lui.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme implique que la personne gardée à vue soit présentée rapidement devant un magistrat du siège. Elle n'exige pas , en revanche, une présentation immédiate . Elle l'a indiqué expressément dans son arrêt de grande chambre Aquilina c. Malte du 24 avril 1999 (paragrahe 51) : « La Cour partage l'avis des parties selon lequel la comparution du requérant devant un magistrat deux jours après son arrestation peut passer pour avoir eu lieu « aussitôt » au sens de l'article 5 paragraphe 3 ». La Cour n'a déterminé de délai maximal pour la présentation devant un juge qu'en matière de procédure exceptionnelle : ce délai ne saurait dépasser quatre jours 43 ( * ) . Une durée de 4 jours et 6 heures a été censurée par une décision du 29 novembre 1988 Brogan et autres c. Royaume-Uni , concernant une affaire de terrorisme. Dans cet arrêt, la Cour a toutefois indiqué qu'un délai plus court devrait prévaloir en matière d'infractions de droit commun. Elle a, du reste, déjà constaté une violation pour un délai de 3 jours et 23 heures 44 ( * ) .

Au demeurant, comme l'a observé le ministre de la justice lors des débats à l'Assemblée nationale, dans les autres pays européens, l'intervention d'un juge au cours de la garde à vue n'intervient jamais dès le début de la privation de liberté, la mesure étant alors placée sous le seul contrôle de la police. Tel est le cas en Allemagne où, selon le rapport de la commission des lois sur l'évolution du régime de l'enquête et de l'instruction, la personne retenue doit être déférée devant un juge des enquêtes, au plus tard à l'achèvement du jour suivant son interpellation 45 ( * ) . En Belgique et au Danemark, le juge intervient après 24 heures, au Royaume-Uni après 36 heures.

Les dispositions du code de procédure pénale qui prévoient que la garde à vue ne peut être prolongée au-delà de 48 heures que pour les infractions de criminalité organisée avec l'accord du juge des libertés et de la détention semblent ainsi répondre aux exigences conventionnelles. Elles ont été validées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (considérant 26) qui a rappelé qu'au-delà de 48 heures de privation de liberté, l'article 66 imposait le contrôle d'un magistrat du siège. Elles ont, enfin, été confirmées par une décision de la Cour de cassation du 15 décembre 2010 qui, si elle a admis pour la première fois que le ministère public ne peut être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l'article 5, paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, estime que la libération d'une personne placée en garde à vue pour une durée de 25 heures est « compatible avec l'exigence de brièveté imposée » par la convention 46 ( * ) .

Il ne semble donc pas justifié, en droit, de remettre en cause un dispositif respectueux du cadre conventionnel et constitutionnel.

En outre, d'un point de vue pratique, le procureur de la République apparaît, bien davantage que le juge des libertés et de la détention, en mesure d'exercer un contrôle effectif sur le placement en garde à vue : d'une part, l'organisation du parquet et, en particulier, les permanences liées au traitement en temps réel des infractions lui permet d'être informé très rapidement de la mesure ; d'autre part, à ce stade de la procédure, il est sans doute mieux à même, comme directeur de l'enquête , d'apprécier la pertinence de la mesure.

La disposition adoptée en séance publique par les députés, à l'initiative du Gouvernement, maintient ainsi les prérogatives du procureur de la République tout en mentionnant explicitement l'intervention obligatoire du juge des libertés et de la détention en matière de prolongation de la mesure au-delà de la 48 ème heure et de report de l'intervention de l'avocat au-delà de la 12 ème heure.


L'autorité judiciaire territorialement compétente

Par coordination, l'amendement du Gouvernement adopté par les députés rétablit la précision relative au procureur de la République compétent pour assurer le contrôle de la garde à vue, que la commission des lois de l'Assemblée nationale avait supprimé.

Le code de procédure pénale ne précise pas aujourd'hui le magistrat territorialement compétent. Dans le silence des textes, l'information est donnée au procureur de la République en charge du dossier -en mesure d'apprécier le recours à la garde à vue au regard des nécessités de l'enquête- y compris lorsque la garde à vue est décidée hors de son ressort territorial. Dans ce dernier cas, néanmoins, le procureur de la République territorialement compétent est le plus à même de vérifier le déroulement de la garde à vue.

Le projet de loi ouvre expressément ces deux possibilités : le procureur de la République compétent serait celui sous la direction duquel l'enquête est menée ou celui du lieu d'exécution de la garde à vue. Votre commission a adopté un amendement de son rapporteur afin d'indiquer que le contrôle des deux procureurs peut être assuré de manière complémentaire et non alternative comme le laisse entendre la rédaction du projet de loi.


Les pouvoirs de contrôle du parquet

L'article 62-5 prévoit que le procureur de la République exerce un contrôle sur la nécessité et la proportionnalité de la mesure et, le cas échéant, de sa prolongation. Tel est le cas aujourd'hui bien que l'article 63 ne l'indique pas expressément.

L'effectivité du contrôle devrait être renforcée par le fait que l'information donnée au parquet devrait explicitement viser la qualification des faits reprochés à la personne -qualification qui, en l'état du droit, ne doit obligatoirement être communiquée que pour les personnes soupçonnées d'une infraction de criminalité organisée (voir infra commentaire de l'article 2).

Par ailleurs, le nouvel article 62-5 confie également au procureur de la République la « sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue ».

Enfin, comme l'indique actuellement le troisième alinéa de l'article 63, le procureur de la République peut ordonner que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté -le texte proposé pour le dernier alinéa de l'article 65 précisant que cette décision peut intervenir « à tout moment ».

Votre commission a adopté l'article premier ainsi modifié .

Article 2 (art. 63 et 63-1 du code de procédure pénale) - Conditions de forme de la garde à vue et durée de la mesure - Information de la personne gardée à vue sur ses droits

Le présent article tend à proposer une nouvelle rédaction des articles 63 et 63-1 du code de procédure pénale dont la rédaction a été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010. L'article 63 touche aux conditions de forme de la garde à vue et à la durée de la mesure. L'article 63-1 concerne la notification de ses droits à la personne gardée à vue.

L'article 63 dans sa nouvelle rédaction comporte trois paragraphes, le premier consacré aux conditions de forme de la garde à vue, les deux suivants à la durée de la mesure et à son mode de computation.

1. Les conditions de forme de la garde à vue


Un pouvoir propre de l'officier de police judiciaire

Sans modifier l'état du droit, le texte proposé pour le premier alinéa du I de l'article 63 explicite la compétence exclusive de l'officier de police judiciaire pour décider du placement en garde à vue. Par ailleurs, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement qui rétablit la faculté, figurant dans le projet de loi initial et supprimée par la commission des lois, pour le procureur de la République d'ordonner un placement en garde à vue.

Cette possibilité, d'ailleurs admise aujourd'hui bien que non transcrite dans le code de procédure pénale, est conforme au rôle de directeur d'enquête confié au procureur de la République. Elle est en outre cohérente avec l'un des objectifs assignés par le nouvel article 62-3 (voir supra commentaire de l'article premier) -garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête. Ainsi, comme l'a confirmé M. Robert Gelli, président de la Conférence nationale des procureurs, à votre rapporteur, la seule possibilité pour un procureur de la République d'obtenir le défèrement de la personne afin de la poursuivre par la voie d'une comparution immédiate est de demander son placement préalable en garde à vue.

Comme le relève l'exposé de l'amendement du Gouvernement, cette faculté ne remet pas en cause le rôle du parquet comme autorité de contrôle de la garde à vue : « de la même manière que le juge des libertés et de la détention est compétent pour placer en détention provisoire puis ordonner une remise en liberté si les nécessités de l'instruction ne justifient plus une telle mesure, le procureur de la République pourra ordonner un placement en garde à vue puis une levée de la mesure si elle n'est plus nécessaire ».


L'obligation d'information du procureur de la République

L'officier de police judiciaire doit informer le ministère public dès le début de la garde à vue (article 63 du code de procédure pénale). Selon le Conseil constitutionnel, « la garde à vue mettant en cause la liberté individuelle dont, en vertu de l'article 66 de la Constitution, l'autorité judiciaire assure le respect, il importe que les décisions prises en la matière par les officiers de police judiciaire soient portées aussi rapidement que possible à la connaissance du procureur de la République [ou du juge d'instruction] afin que celui-ci soit à même d'en assurer effectivement le contrôle » 47 ( * ) . Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, tout retard dans l'information donnée au procureur du placement en garde à vue, non justifié par des circonstances insurmontables , fait nécessairement grief à l'intéressé 48 ( * ) .

Cette information peut en pratique être donnée par tout moyen 49 ( * ) .

En l'état du droit, l'article 63 ne précise pas le contenu de cette information. Seul l'article 63-4, relatif à la présence de l'avocat au cours de la garde à vue, prévoit expressément que lorsque la personne placée en garde à vue est soupçonnée d'avoir commis l'une des infractions relevant de la délinquance ou de la criminalité organisée prévues par l'article 706-73, le procureur de la République doit être avisé de la qualification retenue en même temps que du placement en garde à vue.

La rédaction proposée pour le premier alinéa du I de l'article 63 reproduit le droit en vigueur sur l'obligation pour l'officier de police judiciaire d'informer le procureur de la République « dès le début de la mesure » tout en indiquant explicitement que cette information peut procéder de « tout moyen ». En revanche, il innove en précisant le contenu de cette information qui devra porter sur les motifs justifiant la mesure tels qu'ils sont définis par le nouvel article 62-3 ainsi que sur la qualification des faits qui a été notifiée à la personne. Le procureur de la République pourrait modifier cette qualification -la nouvelle qualification étant alors notifiée à la personne.


Durée de la garde à vue

Comme tel est le cas aujourd'hui, la durée de la garde à vue ne saurait excéder 24 heures et pourrait être prolongée pour 24 heures au plus .

Le projet de loi a cependant cherché à encadrer davantage les modalités de prolongation. En l'état du droit, cette prolongation fait l'objet d'une autorisation écrite du procureur de la République. En premier lieu, dans la nouvelle rédaction de l'article 63, la prolongation ne serait possible que si l'infraction dont la personne est soupçonnée est un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à un an et si la prolongation est l'unique moyen de parvenir à l'un des six objectifs définis à l'article 62-3. En outre, cette autorisation devrait aussi être motivée . Selon votre rapporteur, il reviendra au procureur de la république d'expliquer de manière précise les raisons de cette prolongation.

Par ailleurs, actuellement, en vertu de l'article 63, le procureur de la République, en enquête de flagrance, peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne garde à vue . En revanche, en enquête préliminaire (article 77, 2 e alinéa) ou sur commission rogatoire (article 154, 2 e alinéa), le principe est inversé : la présentation est la règle, le procureur de la République ne pouvant l'écarter qu'à titre exceptionnel et par une décision écrite et motivée. Le projet de loi propose d'appliquer ces dispositions à l'enquête de flagrance.

Enfin, la présentation pourrait se faire par un moyen de télécommunication audiovisuelle comme le permet déjà l'article 706-71 du code de procédure pénale (1 er alinéa).


Computation du délai

Le point de départ de la durée de la garde à vue est aujourd'hui déterminé par des solutions jurisprudentielles. En principe, la durée de la garde à vue se calcule à partir du moment où la personne a été appréhendée.

Ainsi, lorsque la garde à vue succède à une audition libre, la durée de celle-ci doit être imputée sur celle de la garde à vue 50 ( * ) (sauf lorsqu'un intervalle de temps sépare cette audition du placement en garde à vue) 51 ( * ) ; la solution inverse permettrait en effet qu'une personne soit maintenue dans les locaux de police judiciaire au-delà du délai maximal de la garde à vue au risque de favoriser un détournement de procédure. Par ailleurs, lorsque des gardes à vue successives sont prescrites pour les mêmes faits, la durée cumulée de ces gardes à vue ne peut dépasser le maximum légal 52 ( * ) . La solution est identique lorsque des gardes à vue sont prescrites pour des faits différents et qu'elles se suivent de manière continue 53 ( * ) . Elles sont en revanche considérées comme des mesures autonomes lorsqu'un intervalle de temps les sépare.

Le texte proposé par le projet de loi initial consacrait pour l'essentiel cette jurisprudence.

Il indiquait que la computation de la durée du délai de la garde à vue commençait soit à l'heure à laquelle la personne a été appréhendée avant son placement en garde à vue, soit à l'heure à laquelle a débuté la période d'audition libre lorsque le placement en garde à vue a été décidé au cours ou à l'issue de cette audition.

Les députés ont supprimé en séance publique, à l'initiative de leur rapporteur, cette dernière précision par cohérence avec la suppression du dispositif relatif à l'audition libre. Il n'en reste pas moins que la pratique de l'audition libre demeurant dans sa forme actuelle, l'indication donnée par le projet de loi présentait un intérêt. Sa suppression ne peut en tout cas pas être comprise comme mettant en cause la solution jurisprudentielle, protectrice de la liberté individuelle.

La disposition relative à la computation de la durée de la garde à vue à compter de l'heure à laquelle la personne a été appréhendée a été maintenue.

Par ailleurs, le dernier alinéa du III de l'article 63 prévoit que si une personne a déjà été placée en garde à vue pour les mêmes faits, la durée des précédentes gardes à vue s'impute sur la durée de la mesure.

3. Notification de ses droits à la personne gardée à vue

L'article 63-1 relatif à la notification de ses droits à la personne gardée à vue fait l'objet d'une rédaction plus claire et plus précise.


Modalités de la notification

Cette notification, comme tel est le cas aujourd'hui, est assurée par l'officier de police judiciaire ou sous le contrôle de celui-ci, par l'agent de police judiciaire. De même, elle doit intervenir dès le placement en garde à vue 54 ( * ) .

Dans la continuité du droit en vigueur, la notification doit être faite dans une langue comprise par la personne, le cas échéant au moyen de formulaires écrits. La jurisprudence admettait jusqu'à présent une notification par formulaire 55 ( * ) . Néanmoins, les députés ont adopté, avec l'avis favorable du rapporteur et sans que le Gouvernement s'y oppose, un amendement présenté par M. Noël Mamère et plusieurs de ses collègues, afin d'indiquer que le formulaire écrit auquel il peut être recouru pour une information immédiate ne doit pas conduire à faire l'économie de l'intervention ultérieure d'un interprète et d'une nouvelle notification, par cette voie, des droits de la personne placée en garde à vue. Votre commission a adopté un amendement de son rapporteur tendant à la réécriture de cette disposition

Par ailleurs, le projet de loi reprend la disposition actuelle selon laquelle si la personne est atteinte de surdité et qu'elle ne sait ni lire ni écrire, elle doit alors être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle. Un dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité peut aussi être utilisé.


Contenu de la notification

Cette notification porte sur des informations relatives, d'une part, à la mesure de contrainte elle-même et, d'autre part, aux droits dont bénéficie la personne.

En premier lieu, l'article 63-1 prévoit actuellement que l'intéressé est avisé de la nature de l'infraction sur laquelle porte l'enquête ainsi que de la durée de la garde à vue. La nouvelle rédaction proposée pour les 2 ème (1°) et 3 ème alinéas (2°) de l'article 63-1 apparaît plus précise : la personne serait d'abord informée qu'elle est placée en garde à vue , ce qui est déjà le cas en pratique. En outre, lui seraient notifiées non seulement la nature mais aussi la date présumée de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre.

Par ailleurs, la personne devra être informée :

- du droit de faire prévenir un proche et son employeur conformément à l'article 63-2 ;

- du droit d'être examinée par un médecin conformément à l'article 63-3 ;

- du droit d'être assistée par un avocat, conformément aux articles 63-3-1 à 63-4-3.

Si la teneur de ces droits a été substantiellement renforcée et sera examinée dans le cadre des articles correspondants du projet de loi, le principe de leur notification n'est pas nouveau.

En revanche, le champ des informations données à la personne serait élargi à un nouveau droit : celui, après avoir décliné son identité, de répondre aux questions posées ou de se taire lors des auditions .

Le droit de se taire a été consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme 56 ( * ) . Il avait déjà été introduit dans le code de procédure pénale par l'article 8 de la loi  du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence et aux droits des victimes -« la personne gardée à vue est également immédiatement informée qu'elle a le droit ne pas répondre aux questions qui lui seront posées par les enquêteurs »- puis reformulé par la loi du 4 mars 2002 modifiant la loi du 15 juin 2000 afin de ne plus mettre l'accent sur le seul droit de garder le silence -« la personne gardée à vue est également immédiatement informée qu'elle a le choix de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de se taire »- avant d'être abrogé par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

La suppression de l'obligation de notification ne signifiait pas pour autant que le droit ait été supprimé. Il se rattache en effet au droit fondamental auquel il est assimilé par la Cour européenne des droits de l'homme « de ne pas contribuer à sa propre incrimination » et constitue une protection de la présomption d'innocence, principe de base de notre procédure pénale.

Il n'en reste pas moins que l'absence de notification de ce droit porte atteinte aux intérêts de la personne gardée à vue et a été relevée comme l'une des failles du régime de la garde à vue par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (considérant 28). Le projet de loi rétablit cette notification dans une forme très proche de celle retenue par le législateur en mars 2002 tout en rappelant pour la personne gardée à vue l'obligation de décliner son identité.

Dans le texte proposé par le Gouvernement et adopté par la commission des lois, cette notification devait être faite au début de son audition. Un amendement adopté par les députés en séance publique à l'initiative de M. Philippe Gosselin et avec l'avis favorable du Gouvernement, a prévu que cette information devrait être faite avec la notification des autres droits, au début de la garde à vue .


Mention au procès-verbal

Le dernier alinéa du texte proposé pour le I de l'article 63-1 rappelle la disposition classique selon laquelle mention de l'information donnée à la personne gardée à vue est portée au procès-verbal et émargée par l'intéressé -si celui-ci refuse d'émarger, il en est fait mention.

En créant spécifiquement le procès-verbal « de déroulement de la garde à vue », la commission des lois de l'Assemblée nationale a, à l'initiative de Mme Delphine Batho mais contre l'avis de son rapporteur et du Gouvernement, entendu instituer un procès-verbal unique en remplacement des procès-verbaux multiples, pratique qui prévaut à la police nationale mais non, semble-t-il, à la gendarmerie.

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .

Article 3 (art. 63-2 du code de procédure pénale) - Droit de faire prévenir un tiers

Cet article tend à compléter l'article 63-2 du code de procédure pénale afin de renforcer le droit dont bénéficie la personne d'aviser un tiers.

En effet, en l'état du droit, la personne gardée à vue peut, à sa demande, faire avertir par téléphone de la mesure dont elle est l'objet :

- soit la personne avec laquelle elle vit habituellement ou l'un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et soeurs ;

- soit son employeur.

Cette alternative paraît excessivement restrictive car l'information de la famille et de l'employeur répondent à des considérations distinctes. Aussi le projet de loi prévoit-il de conjuguer ces deux facultés.

Pour le reste, le droit figurant à l'article 63-2 demeure encadré :

- hors l'employeur, le tiers susceptible d'être averti ne peut être que la personne avec laquelle elle vit habituellement ou un membre de la famille la plus proche. Votre commission a estimé utile de prendre en compte la situation du majeur incapable en lui permettant de prévenir son curateur ou son tuteur . De même, elle a souhaité que la personne de nationalité étrangère ait la faculté de faire contacter les autorités consulaires de son pays. Elle a adopté en conséquence deux amendements de son rapporteur ;

- l'information se fait nécessairement par l'intermédiaire de l'officier ou de l'agent de police judiciaire ;

- en outre, la demande de la personne gardée à vue peut être écartée « en raison des nécessités de l'enquête », par l'officier de police judiciaire, qui en réfère au procureur de la République chargé de décider, s'il y a lieu, d'y faire droit ;

- l'exercice de ce droit devrait intervenir, sauf en cas de circonstance insurmontable, au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a demandé à l'exercer. Le texte actuel de l'article 63-7 fait courir le délai de trois heures à compter du début de la garde à vue. Or, il peut arriver que la personne gardée à vue ne formule sa demande qu'au cours de la mesure, à un moment où le délai de trois heures à compter du placement en garde à vue serait écoulé.

La commission des lois de l'Assemblée nationale a prévu que la « circonstance insurmontable » justifiant qu'il ne soit pas fait droit à la demande du gardé à vue soit mentionnée au procès-verbal.

Votre commission a adopté l'article 3 ainsi modifié .

Article 4 (art. 63-3 du code de procédure pénale) - Droit d'être examiné par un médecin

Cet article tend à compléter l'article 63-3 du code de procédure pénale afin de préciser les garanties dont bénéficie la personne gardée à vue au titre de son droit d'être examinée par un médecin.

En l'état du droit, toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire. L'avant-dernier alinéa de l'article 63-3 prévoit que le certificat médical par lequel le médecin « doit notamment se prononcer sur l'aptitude au maintien en garde à vue » est versé au dossier. Ainsi, si l'examen porte principalement sur l'aptitude au maintien en garde à vue, il peut aussi porter sur d'autres points. Le texte proposé par le présent article pour compléter le premier alinéa de l'article 63-3 est plus explicite puisqu'il indique que le médecin se prononce non seulement sur l'aptitude au maintien en garde à vue mais aussi « procède à toutes constatations utiles ». Ainsi l'examen pourrait également concerner d'éventuels sévices dont la personne aurait été victime et permettre de lever le risque d'allégations calomnieuses sur le comportement des forces de l'ordre.

Par ailleurs, les députés ont adopté en séance publique un amendement présenté par M. Jean-Pierre Decool, sous-amendé par M. Claude Goasguen avec l'avis favorable de la commission et un avis de sagesse du Gouvernement, précisant que, sauf décision contraire du médecin, l'examen médical doit être pratiqué à l'abri du regard et de toute écoute extérieure afin de permettre le respect de la dignité et du secret professionnel. Cette disposition résulte des recommandations de l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES). Elle ne présente pas cependant de caractère contraignant. Le médecin pourrait toujours, en particulier pour des motifs tenant à sa sécurité personnelle, souhaiter être accompagné de l'agent ou de l'officier de police judiciaire.

Le texte proposé pour compléter le premier alinéa de l'article 63-3 rappelle aussi la formule figurant actuellement à l'article 63-1 selon laquelle les diligences résultant du droit d'être examiné par un médecin doivent être accomplies dans un délai de 3 heures « à compter du moment où la personne en a formulé la demande ». En l'état du droit, ce délai court à compter du début de la garde à vue.

Pour le reste, les dispositions de l'article 63-3 demeurent inchangées :

- à tout moment, le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire peut prescrire l'examen médical ;

- celui-ci est de droit si un membre de la famille le demande.

La poursuite de la garde à vue d'une personne dans des conditions qui sont, selon les constatations du médecin, incompatibles avec son état de santé porte nécessairement atteinte à ses intérêts 57 ( * ) .

Votre commission a adopté l'article 4 sans modification .

Article 5 (art. 63-3-1 [nouveau] du code de procédure pénale) - Droit à être assisté par un avocat

Cet article tend à insérer un article 63-3-1 dans le code de procédure pénale afin de poser le droit de la personne gardée à vue à être assistée d'un avocat et non plus seulement, comme le prévoit le droit en vigueur, à s'entretenir avec un avocat.

Le droit à être assisté par un avocat, qui constitue la principale avancée du présent projet de loi, recouvre le droit de s'entretenir avec l'avocat, défini par l'article 63-4, le droit pour l'avocat de consulter certains documents de la procédure (article 63-4-1), ainsi que le droit, reconnu à la personne gardée à vue, de demander que l'avocat assiste à ses auditions (article 63-4-2).

Le législateur a, pour la première fois, par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, prévu la présence de l'avocat en garde à vue sous la forme du droit donné à la personne de s'entretenir avec un avocat de son choix dès le début de la mesure, pour une durée ne pouvant excéder 30 minutes. Cette faculté, très discutée lors des débats au Parlement sur la loi de 1993, apparaît désormais très en retrait par rapport à l'évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. L'insuffisance de ce droit a déterminé la décision d'abrogation des dispositions de l'article 63-4 par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-142 QPC du 30 juillet 2010.

La Cour européenne des droits de l'homme a affirmé le droit pour la personne gardée à vue de « bénéficier de l'assistance d'un avocat et cela indépendamment des interrogatoires [qu'elle] subit » 58 ( * ) . Quant au Conseil constitutionnel, il a estimé que l'impossibilité pour la personne « alors qu'elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l' assistance effective d'un avocat » portait une atteinte disproportionnée aux droits de la défense dès lors « qu'elle est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes ».

Le texte proposé pour le premier alinéa de l'article 63-3-1 pose en conséquence pour principe que la personne peut, dès le début de la garde à vue, demander l'assistance d'un avocat. Comme tel est le cas aujourd'hui, les diligences que ce droit impose aux services de police devront être accomplies dès que la demande en est formulée : le délai de trois heures pour faire prévenir un tiers ou faire effectuer un examen médical n'est pas admis ici.

Comme l'article 63-4 le prévoit actuellement s'agissant du droit à l'entretien avec un avocat, la personne pourrait choisir elle-même l'avocat ou, si elle n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, de demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier.

Les députés ont longuement débattu en commission des lois puis en séance publique, sans pouvoir néanmoins s'accorder sur un texte, sur les conditions dans lesquelles pourrait être résolu un conflit d'intérêts lorsqu'un avocat est désigné pour assurer la défense de plusieurs personnes placées en garde à vue dans une même affaire. Ils ont cependant adopté un amendement présenté par M. Claude Bodin avec l'avis favorable de la commission et du Gouvernement afin de permettre au procureur de la République, d'office ou saisi par l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire, de demander au bâtonnier de désigner un autre défenseur lorsque l'avocat désigné assiste déjà une autre personne concomitamment placée en garde à vue dans la même affaire et que cette situation est susceptible de nuire au bon déroulement des investigations ou de rendre impossible l'audition simultanée de plusieurs suspects. L'enquête peut en effet commander le placement en garde à vue de plusieurs personnes impliquées dans la même affaire et leur audition simultanée.

Votre commission a adopté un amendement de son rapporteur visant à régler la question du conflit d'intérêts. La solution proposée laisse d'abord le soin à l'avocat, conformément au code de déontologie de cette profession, d'apprécier l'existence d'un conflit d'intérêts. Cependant, en cas de divergence d'appréciation sur ce point avec l'avocat, l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République saisirait le bâtonnier qui pourrait désigner un autre défenseur. Cet amendement maintient également, dans une rédaction simplifiée, la faculté pour le procureur de la République, à l'initiative, le cas échéant, de l'officier ou de l'agent de police judiciaire, de saisir le bâtonnier afin qu'il soit désigné plusieurs avocats commis d'office lorsqu'il est nécessaire de procéder à l'audition simultanée de différentes personnes placées en garde à vue.

Le droit à être assisté par un avocat serait exercé selon les modalités actuellement retenues par les deuxième et troisième alinéas de l'article 63-4 :

- le bâtonnier est informé de cette demande par tout moyen et sans délai. Votre commission a adopté un amendement de son rapporteur afin de prévoir de manière alternative, comme tel est d'ailleurs le cas en pratique aujourd'hui, l'information de l'avocat de permanence commis d'office par le bâtonnier ;

- l'avocat désigné est informé par l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête.

Votre commission a adopté l'article 5 ainsi modifié .

Article 6 (art. 63-4 du code de procédure pénale) - Entretien avec l'avocat

Cet article tend à proposer une nouvelle rédaction plus resserrée de l'article 63-4 relatif à l'entretien avec l'avocat, plusieurs des aspects traités par cet article étant désormais repris par d'autres articles du code de procédure pénale.

Le dispositif proposé s'articule autour de trois des dispositions actuelles de l'article 63-4 :

- l'avocat désigné dans les conditions fixées par l'article 63-4 peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien ;

- la durée de l'entretien ne peut excéder trente minutes ;

- en cas de prolongation de la garde à vue, la personne peut demander à s'entretenir de nouveau et dans les mêmes conditions avec un avocat dès le début de la prolongation.

Le projet de loi initial maintenait le dernier alinéa de l'article 63-4 du code de procédure pénale relatif au report de l'intervention de l'avocat dans les régimes relevant de la criminalité organisée. La commission des lois de l'Assemblée nationale a supprimé ces dispositions afin de tenir compte des décisions de la Cour de cassation du 19 octobre 2010 déclarant contraires à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ces mesures dérogatoires (voir infra commentaire de l'article 12).

Votre commission a adopté l'article 6 sans modification .

Article 7 (art. 63-4-1 à 63-4-4 [nouveaux] du code de procédure pénale) - Conditions de consultation du dossier par l'avocat et d'assistance de la personne gardée à vue lors des auditions

Cet article tend à insérer quatre nouveaux articles dans le code de procédure pénale afin de déterminer le cadre dans lequel l'avocat peut, d'une part, consulter le dossier de la personne gardée à vue et, d'autre part, assister celle-ci, à sa demande, lors des auditions.

1. L'accès au dossier

En l'état du droit, l'avocat n'a pas accès au dossier de la personne placée en garde à vue. Il n'est informé dans le cadre du droit de la personne de s'entretenir avec un conseil que « de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête » (article 63-4 du code de procédure pénale).

Le projet de loi ouvre pour la première fois la possibilité pour l'avocat d'accéder au dossier de la personne gardée à vue. Cet accès est néanmoins circonscrit à trois catégories de documents -en tout état de cause, à ce stade de la procédure, le contenu du dossier de la personne gardée à vue est nécessairement limité- :

- le procès-verbal constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés ;

- le certificat médical établi en application de l'article 63-3, cette précision résultant d'un amendement adopté par les députés en séance publique à l'initiative de M. Noël Mamère et plusieurs de ses collègues avec l'avis favorable du rapporteur et du Gouvernement ;

- enfin, les procès-verbaux d'audition de la personne qu'il assiste. Cette information revêt une portée effective lorsque l'avocat pour des motifs de circonstance ou de droit ne peut assister son client au début de l'audition (voir infra ).

Le cinquième alinéa du texte proposé pour le nouvel article 63-4-2 tend à permettre au procureur de la république, à la demande de l'officier de police judiciaire, de ne pas autoriser l'avocat à accéder aux procès-verbaux d'audition de la personne gardée à vue lorsqu'il a décidé de différer la présence de l'avocat lors des auditions pendant un délai maximal de 12 heures, dans les conditions prévues par le quatrième alinéa de l'article 63-4-2. La consultation du procès-verbal n'est toutefois, dans ce cas, que retardée. Elle n'est pas interdite.

Ainsi, comme l'avait souhaité nos collègues MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel dans leur rapport d'information consacré à la réforme de la procédure pénale 59 ( * ) , l'accès au dossier est limité aux éléments provenant de la personne mise en cause sans pouvoir concerner les autres aspects de la procédure. Notre collègue M. Robert Badinter relevait d'ailleurs lors du débat sur la question orale présentée par M. Jacques Mézard sur les droits des personnes placées en garde à vue, au Sénat, le 10 février 2010 : « l'obligation de communiquer la totalité du dossier ne vaut qu'au stade de la mise en examen, quand des charges suffisantes, et non une raison plausible de soupçonner qu'il ait commis une infraction, ont été réunies contre celui qui n'était jusque là qu'en garde à vue. Il s'agit alors d'un degré de gravité tout à fait différent et l'avocat, qui devient dans ce cas le défendeur à l'action publique, doit évidemment avoir accès à toutes les pièces du dossier en vertu du principe du contradictoire ».

Par ailleurs, la commission des lois de l'Assemblée nationale, à l'initiative de M. Philippe Goujon, a précisé que l'avocat ne pourrait demander ou prendre copie des documents qui lui sont communiqués.

2. Le droit pour la personne gardée à vue de se faire assister d'un avocat


Le principe

Dans la version initiale du projet de loi, l'article 63-4-2 posait le droit pour l'avocat d'assister aux auditions de la personne. La commission des lois de l'Assemblée nationale a opportunément reformulé la disposition comme un droit pour la personne gardée à vue de demander à l'avocat d'assister à ses auditions. Il importe en effet que ce droit soit laissé à l'initiative de l'intéressé et non de l'avocat.

Quelles obligations pèseraient en contrepartie pour les services de police ? Actuellement le droit donné au gardé à vue par l'article 63-4 de s'entretenir avec un avocat n'impose aux services de police qu'une obligation de moyens. Selon la jurisprudence, la police n'a pas à « rendre effectif » cet entretien 60 ( * ) . Satisfait ainsi à cette obligation l'officier de police judiciaire qui justifie avoir contacté, par tous moyens, mais en vain, le bâtonnier de l'ordre ou son délégataire dès la demande formulée par la personne gardée à vue 61 ( * ) . Par la suite, aucune disposition légale ou conventionnelle n'impose à l'officier de police judiciaire, selon la Cour de cassation, de différer l'audition de la personne qui fait l'objet de cette mesure 62 ( * ) .

Alors que le texte du Gouvernement était muet sur cette question, la commission des lois de l'Assemblée nationale, sans déterminer pour autant une obligation de résultat pour les services de police judiciaire, a prévu un « délai de carence » interdisant de commencer l'audition avant l'expiration d'un délai de deux heures suivant l'avis adressé à l'avocat choisi ou au bâtonnier de la demande formulée par la personne gardée à vue.

Au-delà de ce délai, l'audition pourra commencer sans la présence de l'avocat. En revanche, l'audition pourra commencer avant l'expiration de ce délai dès lors que l'avocat est présent. Votre commission a adopté un amendement de son rapporteur afin d'expliciter ce point.

En outre, ce délai de carence ne vaut que pour la première audition et non pour les auditions suivantes.

Le dispositif proposé fournit un point d'équilibre satisfaisant entre la volonté de garantir l'effectivité du droit nouveau reconnu au gardé à vue -ce qui implique de tenir compte notamment des délais matériels pour permettre en particulier au conseil de se déplacer- et les exigences de l'enquête qui ne sauraient s'accommoder de manoeuvres dilatoires.

Dans le cas où l'avocat se présenterait après l'expiration du délai de deux heures, une double garantie permettrait de conforter les droits de la défense :

- d'abord, l'audition, si elle est en cours, serait interrompue à la demande de la personne gardée à vue afin de lui permettre de s'entretenir avec lui dans les conditions prévues par l'article 63-4 (entretien d'une durée maximale de trente minutes dans des conditions préservant sa confidentialité). Dans ce cas, comme les députés l'ont prévu en adoptant en séance publique un amendement présenté par M. Dominique Raimbourg avec l'avis favorable de la commission mais défavorable du Gouvernement (au motif que cette précision n'aurait pas de caractère normatif), l'avocat pourrait consulter les éléments du dossier prévus par l'article 63-4-1 et notamment le procès-verbal de l'audition déjà engagée ;

- ensuite, si la personne ne demande pas à s'entretenir avec son conseil, l'avocat pourrait assister immédiatement à l'audition en cours.

Comme l'ont indiqué à votre rapporteur les représentants des syndicats de la police nationale, ce délai de carence de deux heures, souvent nécessaire pour accomplir les premières formalités liées au placement en garde à vue, ne devrait pas affecter l'efficacité de l'enquête.


Les exceptions

Le nouvel article 63-4-2 prévoit trois séries d'exceptions au principe de l'assistance d'un avocat lors des auditions : la première, introduite par la commission des lois de l'Assemblée nationale, concerne le délai de carence et permet de débuter immédiatement l'audition de la personne gardée à vue sans attendre l'expiration du délai de deux heures. Les deux suivantes permettent de différer la présence de l'avocat respectivement de 12 heures et de 24 heures, cette dernière exception ayant aussi été ajoutée par la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement ; elles ne remettent pas en cause cependant le droit à s'entretenir avec un avocat .

- Les exceptions permettant de supprimer le délai de carence ou de reporter la présence de l'avocat à la 12ème heure obéissent aux mêmes conditions.

En premier lieu, elles doivent répondre à une demande de l'officier de police judicaire et être autorisées par le procureur de la République.

Ensuite, cette double dérogation n'est possible que si elle « apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ». La référence aux « raisons impérieuses », empruntée à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, a été ajoutée par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Ces raisons impérieuses doivent elles-mêmes répondre à un double objectif :

- soit permettre le bon déroulement d'investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves ;

- soit prévenir une atteinte imminente aux personnes.

L'autorisation du procureur de la République devrait être écrite et motivée.

- L'exception permettant de reporter l'assistance de l'avocat de la 12 ème heure à la 24 ème heure.

Ce report qui ne peut intervenir qu'à la suite du premier report obéit à des conditions de forme distinctes : en effet, il doit procéder d'une demande du procureur de la République -et non de l'officier de police judiciaire- et être autorisé par le juge des libertés et de la détention qui statue par décision écrite et motivée.

Ce report doit, pour le reste, répondre à des conditions de fond identiques à celles du premier différé (raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête soit pour permettre le bon déroulement d'investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte imminente aux personnes).

Votre commission n'a entendu remettre en cause ni le principe d'un report de l'assistance d'un avocat dans les conditions strictement déterminées par le projet de loi, ni la compétence du procureur de la République pour l'autoriser jusqu'à la douzième heure. En pratique, le procureur de la République est, au début de la garde à vue, le magistrat le mieux informé du dossier et, à ce titre, le plus à même d'apprécier la pertinence des arguments de l'officier de police judiciaire. Le rôle confié au parquet constitue ainsi une garantie réelle pour la personne gardée à vue.

La décision du procureur de la République sera lourde de conséquences puisque, en vertu de l'article 1 er A, les déclarations recueillies hors de la présence de l'avocat ne pourront pas, seules, fonder une condamnation. L'autorisation écrite par le parquet devra, en conséquence, être sérieusement motivée.

Le différé du droit à l'assistance de l'avocat lors des auditions ne jouera, selon votre commission, que de manière exceptionnelle (l'étude d'impact estime que cette possibilité ne sera retenue que dans 5 % des cas). Une banalisation du report apparaîtrait en totale contradiction avec les intentions du législateur.


Les conditions d'intervention de l'avocat lors des auditions

Le projet de loi encadre les modalités d'intervention de l'avocat lors des auditions.

D'une part, l'avocat ne pourrait poser de questions qu' à l'issue des auditions . Le texte initial du Gouvernement prévoyait seulement de laisser à l'avocat la possibilité de présenter des observations écrites -jointes à la procédure- après chacun des entretiens préalables ou chacune des auditions.

Cependant la commission des lois de l'Assemblée nationale a estimé que la place ainsi donnée à la défense lors de l'audition de la personne gardée à vue -celle d'un « avocat taisant »- ne paraissait pas compatible avec les exigences de la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, depuis l'arrêt Dayanan , la Cour de Strasbourg rappelle le droit pour la personne mise en cause de bénéficier de toute la « vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil », à savoir « la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche de preuves favorables à l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention qui sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer ».

D'autre part, l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire pourrait s'opposer aux questions de nature à nuire au bon déroulement de l'enquête ou à la dignité de la personne . Le texte issu des travaux de la commission des lois prévoyait que mention de la question refusée serait portée au procès-verbal. En séance publique, les députés ont adopté un amendement du rapporteur avec l'avis favorable du Gouvernement afin d'indiquer que seul le refus serait porté au procès-verbal comme en cas de refus d'une question par le juge d'instruction (article 120 du code de procédure pénale). Comme l'avait relevé M. Philippe Gosselin, « on ne saurait demander à l'officier de police judiciaire qu'il enregistre l'intégralité des questions posées par l'avocat alors que cette exigence n'existe même pas pour le greffier du juge d'instruction, à ce stade de l'enquête . » En outre, l'avocat pourra toujours joindre le texte des questions refusées à ses observations écrites s'il l'estime nécessaire, comme l'ont précisé les députés en séance publique à l'initiative de leur rapporteur.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté en séance publique avec l'avis favorable de la commission et du Gouvernement un amendement présenté par M. Jean-Paul Garraud et plusieurs de ses collègues permettant de répondre à la situation où un avocat perturberait gravement le bon déroulement d'une audition ou d'une confrontation. Dans ce cas, laissé à l'appréciation de l'officier de police judiciaire, celui-ci en informe le procureur de la République qui peut aviser le bâtonnier aux fins de désignation d'un nouvel avocat choisi ou commis d'office.

L'audition dans le cadre d'une garde à vue ne peut se comparer à une audition dans le cabinet du juge d'instruction où la tension est moins forte car il est rare que l'interpellation vienne de se produire. En outre, le juge d'instruction représente l'autorité du magistrat ; il a le greffier à ses côtés et la solennité du palais de justice concourt à la tranquillité des débats. Enfin, les avocats ont pu consulter les dossiers et se préparer à l'audition.

Aucune de ces circonstances ne se trouvent réunies pendant la garde à vue. Il n'est donc pas inutile de fixer le cadre dans lequel doit se dérouler l'audition. Néanmoins, selon votre commission, le législateur ne doit pas stigmatiser la profession d'avocat en préjugeant d'un comportement incorrect.

Il lui est apparu préférable de rappeler, en adoptant un amendement de son rapporteur, que l'audition est menée sous la direction de l'officier de police judiciaire ou de l'agent de police judiciaire, lequel peut à tout moment, en cas de difficulté, y mettre un terme et en aviser immédiatement le procureur de la République. Ce dernier saisirait, s'il y a lieu, le bâtonnier aux fins de désignation d'un autre défenseur.

L'amendement proposé prévoit par ailleurs que l'avocat pourrait adresser ses observations au procureur de la République pendant la durée de la garde à vue.

Comme l'avait noté le rapport du groupe de travail de votre commission sur l'évolution du régime de l'enquête et de l'instruction 63 ( * ) , le rôle imparti à la défense en matière de garde à vue ne se confond pas avec celui qui lui revient dans le cadre du cabinet du juge d'instruction. Il importe de laisser les officiers de police judiciaire conduire leurs interrogatoires sauf à entraîner une certaine confusion entre la phase policière et la phase judiciaire de l'enquête.

Un nouvel article 63-4-4 rappelle par ailleurs l'obligation faite aujourd'hui à l'avocat par le cinquième alinéa de l'article 63-4 de ne faire état de son entretien auprès de quiconque pendant la garde à vue, et étend ce devoir de discrétion aux informations qu'il aurait recueillies en consultant les procès-verbaux et en assistant aux auditions.

Il est en outre précisé que cette interdiction est édictée « sans préjudice de l'exercice des droits de la défense ».

Cette disposition constitue la déclinaison, pour le Gouvernement, du principe posé par l'article 11 du code de procédure pénale selon lequel « sauf dans le cas où la loi en dispose autrement, et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète ».

La violation de ces règles peut entraîner pour l'avocat deux types de sanctions, pénales et disciplinaires :

- sur le plan pénal, l'avocat pourrait être poursuivi pour violation du secret professionnel (punie par l'article 226-13 du code pénal d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende) ou pour délit d'entrave à la justice prévu par l'article 434-7-2 du code pénal en cas de révélation volontaire d'informations issue d'une enquête « à des personnes qu'[il] sait susceptible d'être impliquées comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs, dans la commission de ces infractions, lorsque cette révélation est faite dans le dessein d'entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité ». Les peines de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende prévues par ce délit sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende si l'enquête « concerne un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement relevant des dispositions de l'article 706-73 du code de procédure pénale » ;

- sur le plan disciplinaire, aux termes de l'article 5 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, « l'avocat respecte le secret de l'enquête et de l'instruction en matière pénale en s'abstenant de communiquer, sauf pour l'exercice des droits de la défense, des renseignements extraits du dossier, ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une enquête ou une information en cours ». Des poursuites disciplinaires, susceptibles d'être engagées soit par le bâtonnier, soir par le procureur général pour la violation de cette règle sont soumises au conseil de discipline des avocats (institué depuis 2005 auprès de chaque cour d'appel) et, en cas d'appel, à la cour d'appel. Les peines disciplinaires peuvent aller de l'avertissement à l'interdiction d'exercer pendant une durée de trois ans ou plus, voire à la radiation.

Votre commission a adopté l'article 7 ainsi modifié .

Article 7 bis (art. 63-4-5 [nouveau] et art. 64-1 de la loi du 10 juillet 1991) - Droit de la victime à être assistée par un avocat en cas de confrontation avec la personne gardée à vue

Cet article a été introduit dans le projet de loi par la commission des lois à l'initiative de son rapporteur afin d'insérer dans le code de procédure pénale un nouvel article 63-4-5 permettant à la victime d'être assistée par un avocat lorsqu'elle est confrontée avec une personne gardée à vue elle-même assistée d'un avocat.

Cette disposition répond au principe de l'équilibre des droits des parties posé par l'article préliminaire du code de procédure pénale -« la procédure pénale doit (...) préserver l'équilibre des droits des parties »- conformément à la règle de l'égalité des armes fixée par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le droit ouvert à la victime est ainsi symétrique de celui reconnu au gardé à vue : la victime pourrait demander à être assistée par un avocat choisi par elle, ou par son représentant légal si elle est mineure, ou, à sa demande, désigné par le bâtonnier.

Dans le respect de l'équilibre des droits des parties, ce droit ne lui serait ouvert que si la personne gardée à vue est effectivement assistée par un avocat lors de la confrontation.

L'avocat pourrait, à sa demande, consulter les procès-verbaux d'audition de la personne qu'il assiste. Les dispositions du nouvel article 63-4-3 lui seraient applicables : il pourrait, à l'issue de chaque audition, poser des questions et présenter des observations écrites comportant, le cas échéant, les questions refusées par l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire.

Lors de l'élaboration de son texte, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement permettant à la victime qui choisirait d'être assistée par un avocat lors de la confrontation de bénéficier de l'aide juridictionnelle (article 64-1 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991).

Votre commission a adopté l'article 7 bis sans modification .

Article 8 (art. 63-5 du code de procédure pénale) - Respect de la dignité de la personne gardée à vue

Cet article tend à proposer une nouvelle rédaction de l'article 63-5 du code de procédure pénale afin de poser le principe du respect de la dignité de la personne lors du déroulement de sa garde à vue.

Les mesures de sécurité qui peuvent lui être imposées devront répondre à l'exigence de stricte nécessité .

Hormis le cas des investigations corporelles internes -traitées actuellement par l'article 63-5- la pratique des fouilles n'est réglée par aucune disposition autre que celles relevant des circulaires. Le présent article fixe pour la première fois le cadre d'ensemble du recours aux mesures de précaution tandis que les articles 63-6 et 63-7 insérés dans le code de procédure pénale par l'article 9 du présent projet de loi (voir infra ) précisent les conditions auxquelles doivent répondre la fouille de la personne gardée à vue.

Dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a rappelé que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation constituait un principe à valeur constitutionnelle .

S'il appartient au Conseil constitutionnel d'apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives qui, par elles-mêmes, y compris par leur insuffisance, porteraient atteinte à la dignité, en revanche, la « méconnaissance éventuelle de cette exigence dans l'application des dispositions législatives [relatives à la garde à vue] n'a pas, en elle-même, pour effet d'entacher ces dispositions d'inconstitutionnalité ». En revanche, le Conseil a souligné qu'il incombait aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que les mesures de garde à vue soient toujours mises en oeuvre dans le respect de la personne . En particulier, l'autorité judiciaire doit, d'une part, prévenir ou sanctionner les éventuels manquements à cette exigence au titre des compétences qu'elle tient du code de procédure pénale (contrôle et visite des lieux de garde à vue, régime des nullités, discipline des officiers de police judiciaire) ou du code pénal et, d'autre part, ordonner la réparation des préjudices qui auraient pu en résulter (considérant 20 de cette même décision).

Votre commission a adopté l'article 8 sans modification .

Article 9 (art. 63-6 à 63-8 [nouveaux] du code de procédure pénale) - Conditions applicables aux fouilles - Modalités selon lesquelles il est mis un terme à la garde à vue

Cet article vise à insérer trois articles au sein du code de procédure pénale, les deux premiers (articles 63-6 et 63-7) relatifs aux fouilles, le suivant (article 63-8) aux conditions dans lesquelles il est mis fin à la garde à vue.

1. Les règles applicables aux fouilles

Dans le cadre des travaux conduits par le groupe de travail de votre commission sur l'évolution de l'enquête et de l'instruction, les services de police judiciaire avaient regretté que l'état du droit ne fixe pas de cadre clair et précis aux mesures de précaution appliquées à la personne gardée à vue. Dans ces conditions, afin d'assurer leur sécurité mais aussi de couvrir leur responsabilité dans l'hypothèse où la personne mise en cause tenterait de porter atteinte à son intégrité physique, les forces de police tendent à observer, en la matière, une pratique maximaliste.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait relevé, dans son rapport d'activité pour 2008, que ces mesures de sécurité, à travers les fouilles et les confiscations qu'elles impliquent, peuvent être vécues comme une véritable humiliation par les personnes gardées à vue.

Comme le soulignait le président Robert Badinter lors du débat au Sénat le 9 février 2010, « lorsqu'on prive de ses lunettes une personne atteinte d'une déficience visuelle, elle flotte dans une espèce de brume, elle ne peut plus lire, ou difficilement, et elle se trouve placée dans une situation d'infériorité criante face à son interlocuteur ». L'atteinte à la dignité de la personne paraît aussi patente lorsque, pour des motifs tenant à la sécurité, une femme est obligée de retirer son soutien-gorge.

Selon le rapport précité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, « alors qu'une des issues beaucoup plus fréquentes de la garde à vue est désormais la comparution devant le juge (procédure de comparution immédiate) ou devant le magistrat du parquet (par exemple pour la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité - CRPC), il est raisonnable de penser que ces conditions ne facilitent pas la préparation de sa défense par la personne interpellée ».

L'article 9 distingue, pour la première fois, trois catégories de fouilles qui obéissent à des conditions différentes :

- les mesures destinées à s'assurer que la personne gardée à vue ne détient aucun objet dangereux (article 63-6) ;

- la fouille intégrale (article 63-7, premier alinéa) ;

- les investigations corporelles internes (article 63-7, deuxième alinéa).


Les mesures de sécurité

En pratique, ces fouilles reposent sur la palpation ou l'utilisation de moyens de détection électroniques. Le nouvel article 63-6 apporte deux avancées par rapport au droit en vigueur :

- il rappelle l'exigence d'un cadre réglementaire sous la forme d'un arrêté de l'autorité ministérielle compétente pour définir ces mesures de sécurité ;

- il fixe, sur le fondement du respect de la dignité de la personne, posé par l'article 63-5, le principe que ces mesures ne pourront pas consister en une fouille intégrale , c'est-à-dire une fouille à nu.

A l'initiative de M. Philippe Goujon, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait prévu que la personne gardée à vue pouvait demander à conserver certains effets intimes en contrepartie de la signature d'une décharge exonérant l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire de leur responsabilité pénale, civile ou administrative, au cas où elle utiliserait ces objets pour attenter à sa vie ou à son intégrité physique. En séance publique, les députés ont adopté un amendement présenté par M. Michel Hunault et les membres du Nouveau Centre, avec l'avis favorable de la commission et du Gouvernement, afin de prévoir que la personne peut demander à conserver les « objets dont le port ou la détention sont nécessaires au respect de sa dignité », sans retenir pour autant la possibilité de décharge aux services de police dont le caractère général s'accordait mal en effet avec les missions de surveillance mais aussi d'assistance qui leur incombent en matière de garde à vue.

Votre commission a jugé que cette garantie devait être renforcée et elle a prévu, en adoptant un amendement de son rapporteur, que la personne devait, en tout état de cause, disposer, au cours de son audition, de ses effets personnels.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté un amendement présenté par M. Michel Hunault et les membres du Nouveau Centre accepté par la commission et le Gouvernement, étendant expressément les dispositions de l'article 63-5 et l'interdiction de fouilles intégrales à titre de sécurité aux retenues décidées en cas de violation d'un contrôle judiciaire (article 141-4 du code de procédure pénale), en cas d'une interdiction décidée par le juge de l'application des peines (article 712-16-3), préalablement à la mise à exécution d'une condamnation (article 716-5) ou à la suite du défèrement dans les locaux d'une juridiction (article 803-3).


Les fouilles intégrales et les investigations corporelles internes

Une fouille intégrale ou des investigations corporelles internes ne seront possibles que lorsqu'elles sont indispensables pour l'enquête. En d'autres termes, si l'enquête n'implique pas la recherche d'un objet ou d'une substance que pourrait détenir le gardé à vue aucune de ces mesures ne serait possible. Ainsi, les fouilles à corps intégrales pour des motifs de sécurité seront prohibées.

L'article 63-7 précise en outre que la fouille intégrale doit être décidée par l'officier de police judiciaire , réalisée dans un espace fermé et, enfin, être faite par une personne de même sexe que celle faisant l'objet de la fouille.

Votre commission a adopté un amendement présenté par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC afin de préciser, à l'instar de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, que la fouille intégrale n'est possible que si la fouille par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique ne peuvent pas être réalisées.

Le dernier alinéa de l'article 63-7 reprend les dispositions actuelles de l'article 63-5 relatives aux fouilles corporelles internes selon lesquelles seul un médecin requis à cet effet peut procéder à de telles fouilles.

2. L'issue de la garde à vue

Le nouvel article 63-8 reprend les dispositions actuelles de l'avant-dernier alinéa de l'article 63 selon lesquelles la personne est, sur instruction du procureur de la République, soit remise en liberté, soit déférée devant ce magistrat (généralement en vue d'une comparution immédiate).

L'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis favorable du Gouvernement, un amendement du rapporteur précisant expressément que la décision concernant l'issue de la garde à vue relève du procureur de la République sous la direction duquel l'enquête est menée . Il précise également, conformément au cinquième alinéa de l'article 63-1 dans sa rédaction présente, que si la personne est remise en liberté à l'issue de la garde à vue sans qu'aucune décision n'ait été prise par le procureur de la République sur l'action publique, les dispositions de l'article 77-2 du code de procédure pénale doivent être portées à sa connaissance. Ces dispositions prévoient que « toute personne placée en garde à vue au cours d'une enquête préliminaire ou de flagrance qui, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la fin de la garde à vue, n'a pas fait l'objet de poursuites, peut interroger le procureur de la République dans le ressort duquel la garde à vue s'est déroulée sur la suite donnée ou susceptible d'être donnée à la procédure » -cette demande étant adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Ce dispositif a pour objet de ne pas laisser la personne dans l'incertitude sur la suite de l'enquête et les conséquences de la garde à vue.

Votre commission a adopté l'article 9 ainsi modifié .

Article 10 (art. 64 du code de procédure pénale) - Mentions obligatoires au procès-verbal

Cet article tend à proposer une nouvelle rédaction de l'article 64 du code de procédure pénale relative aux mentions que l'officier de police judiciaire doit obligatoirement porter dans le procès-verbal d'audition.

Actuellement, ce procès-verbal fait obligatoirement mention :

- de la durée des interrogatoires,

- du repos dont a bénéficié la personne interrogée,

- des heures auxquelles elle a pu s'alimenter,

- du jour et de l'heure du début et de la fin de la mesure,

- des demandes faites en application des articles 63-2 à 63-4 et des suites qui leur ont été données,

- des motifs de la garde à vue (nécessités de l'enquête ou raisons plausibles de soupçonner que la personne gardée à vue a commis ou tenté de commettre une infraction).

Ces mentions doivent être spécialement émargées par la personne en garde à vue. En cas de refus, il en est fait mention.

Le texte proposé pour l'article 64 adapte ces mentions obligatoires aux garanties renforcées dont disposerait la personne gardée à vue.

Figureraient ainsi :

- les motifs justifiant le placement en garde à vue (1°) ;

- la durée des auditions de la personne gardée à vue, du repos dont elle a bénéficié, les heures auxquelles elle a pu s'alimenter, le jour et l'heure du début et de la fin de la garde à vue (2°) ;

- le cas échéant, les auditions de la personne gardée à vue dans une autre procédure pendant la durée de la garde à vue (3°) ;

- les informations données, les demandes formulées et les suites qui leur ont été données (4°) ;

- le recours éventuel à une fouille intégrale ou à des investigations corporelles internes (5°).

Les mentions visées aux troisième et cinquième alinéas sont nouvelles. Comme tel est le cas aujourd'hui, ces mentions devraient être spécialement émargées par la personne gardée à vue. En cas de refus, il en serait fait mention.

Actuellement, les mentions et émargements relatifs à la durée de la garde à vue, des interrogatoires et du repos doivent également être reportés sur le registre spécial tenu dans le local de police.

La nouvelle rédaction de l'article 64 prévoit une obligation comparable en l'étendant également au recours à des fouilles intégrales ou des investigations corporelles internes.

Ce registre spécial pourra être tenu, le cas échéant, sous une forme dématérialisée.

Par ailleurs, ces mentions et émargements devront également être portés sur le carnet de déclarations lorsque les officiers de police judiciaire sont astreints à en tenir un.

Le procès-verbal qui est transmis à l'autorité judiciaire comporte seulement les mentions à l'exclusion des émargements.

Les brigades de gendarmerie tiennent en effet un tel carnet qui doit être présenté à toute demande des autorités judiciaires. Les officiers de police judiciaires et agents de police nationale sont également autorisés par le décret n° 83-936 du 21 octobre 1983 à utiliser un carnet de déclarations. La loi du 24 août 1993 a prévu que ce document, lorsqu'il existe, doit contenir les mentions et émargements relatifs à la garde à vue.

Comme aujourd'hui, les règles touchant aux procès-verbaux ne sont pas prescrites à peine de nullité et leur inobservation ne saurait par elle-même entraîner la nullité des actes de procédure lorsqu'il n'est pas démontré que la recherche de la vérité s'en est trouvée fondamentalement viciée 64 ( * ) .

Votre commission a adopté l'article 10 sans modification .

CHAPITRE II - DISPOSITIONS DIVERSES

Article 11 A (art. 18 du code de procédure pénale) - Compétence territoriale des officiers de police judiciaire

Le présent article, inséré par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur proposition de MM. Jean-Jacques Urvoas et Dominique Raimbourg, puis réécrit par un amendement du Gouvernement lors de l'examen du projet de loi en séance publique, est relatif à la compétence territoriale des officiers de police judiciaire.

En l'état du droit, l'article 18 du code de procédure pénale prévoit que les officiers de police judiciaire ont compétence dans les limites territoriales où ils exercent leurs fonctions habituelles. Lorsqu'ils sont mis temporairement à la disposition d'un service autre que celui dans lequel ils sont affectés, ils ont la même compétence territoriale que celles des officiers de police judiciaire du service d'accueil.

En cas de crime ou délit flagrant, ils peuvent toutefois se transporter dans le ressort des tribunaux de grande instance limitrophes du tribunal ou des tribunaux auxquels ils sont rattachés, afin d'y poursuivre leurs investigations et de procéder à des auditions, perquisitions et saisies.

Enfin, ils peuvent, sur commission rogatoire expresse du juge d'instruction ou sur réquisitions du procureur de la République prises au cours d'une enquête préliminaire ou d'une enquête de flagrance, procéder aux opérations prescrites par ces magistrats sur toute l'étendue du territoire national. Dans ce cas, ils sont tenus d'être assistés par un officier de police judiciaire territorialement compétent si le magistrat dont ils tiennent la commission ou la réquisition le décide. Le procureur de la République territorialement compétent en est informé.

Par ailleurs, avec l'accord des autorités compétentes de l'Etat concerné, les officiers de police judiciaire peuvent, sur commission rogatoire expresse du juge d'instruction ou sur réquisitions du procureur de la République, procéder à des auditions sur le territoire d'un Etat étranger.

Dans un premier temps, la commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité, contre l'avis du rapporteur et du Gouvernement, modifier cet article afin de prévoir que les officiers de police judiciaire pourraient avoir une compétence étendue à l'ensemble du territoire national, dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat - l'OPJ étant néanmoins tenu, lorsqu'il sort des limites territoriales de son rattachement, d'informer de sa venue le procureur compétent dans le département ainsi que le directeur de la police ou de la gendarmerie départementalement compétent.

Selon les auteurs de l'amendement, il s'agissait de faciliter la circulation des officiers de police judiciaire sur l'ensemble du territoire national et de les dispenser de faire appel à un officier de police judiciaire territorialement compétent lorsqu'ils sortent de leur territoire d'affectation.

Le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Philippe Gosselin, avait pour sa part considéré qu'il était nécessaire de maintenir une compétence territoriale des officiers de police judiciaire, sous peine d'affaiblir le contrôle des procureurs dans chaque ressort. Par ailleurs, il avait souhaité que les modifications introduites dans le projet de loi se limitent à la question de la garde à vue.

Lors de l'examen du projet de loi en séance publique, les députés ont modifié cet article, sur proposition du Gouvernement.

Ce dernier a rappelé que les procureurs et juges d'instruction, sous l'égide desquels les officiers de police judiciaire exercent leurs fonctions, disposaient d'une compétence d'attribution limitée au ressort territorial du tribunal de grande instance auquel ils sont rattachés. Dans ces conditions, le Gouvernement a fait valoir qu'il serait incohérent de prévoir une compétence nationale pour tous les officiers de police judiciaire. Ce dernier a par ailleurs rappelé que le code de procédure pénale permettait déjà aux officiers de police judiciaire de se déplacer sur l'ensemble du territoire, à condition d'y être autorisé par le juge d'instruction ou le procureur de la République - cette autorisation permettant aux magistrats d'exercer un contrôle sur le déroulement des enquêtes. Enfin, certains services ayant vocation à mener des enquêtes d'envergure nationale, tels que les offices centraux, disposent déjà d'une compétence nationale pour mener leurs investigations.

Le Gouvernement a néanmoins accédé en partie aux souhaits de la commission des lois, en déposant un amendement tendant à autoriser les officiers de police judiciaire à se transporter dans le ressort des tribunaux de grande instance limitrophes du tribunal ou des tribunaux auxquels ils sont rattachés afin d'y poursuivre leurs investigations et de procéder à des auditions, perquisitions et saisies, non seulement dans le cadre d'une enquête de flagrance comme le code de procédure pénale le prévoit aujourd'hui, mais également dans le cadre de l'enquête préliminaire .

Votre commission approuve ces dispositions qui permettront d'adapter plus facilement l'action des services de police et de gendarmerie aux bassins de délinquance auxquels ils sont confrontés.

Votre commission a adopté l'article 11 A sans modification .

Article 11 (art. 61 et 62 du code de procédure pénale) - Audition des témoins

Le présent article tend à adapter le régime d'audition des témoins dans le cadre des enquêtes de flagrance.

En l'état du droit, l'article 61 du code de procédure pénale dispose que l'officier de police judiciaire peut défendre à toute personne de s'éloigner du lieu de l'infraction jusqu'à la clôture de ses opérations.

L'article 62 de ce même code lui donne par ailleurs compétence pour appeler et entendre toute personne susceptible de fournir des renseignements sur les faits ou sur les objets et documents saisis.

Les personnes convoquées par l'officier de police judiciaire sont par ailleurs tenues de comparaître. De même, il peut contraindre à comparaître par la force publique les personnes présentes sur le lieu de l'infraction, qui sont mentionnées à l'article 61 précité. Enfin, il peut contraindre à comparaître par la force publique, avec l'autorisation préalable du procureur de la République, les personnes qui n'ont pas répondu à une convocation à comparaître ou dont on peut craindre qu'elles ne répondent pas à une telle convocation.

Au cours de l'audition, l'officier de police judiciaire dresse un procès-verbal de leurs déclarations. Les personnes entendues procèdent elles-mêmes à sa lecture, peuvent y faire consigner leurs observations et y apposent leur signature.

Par ailleurs, les agents de police judiciaire peuvent également entendre, sous le contrôle d'un officier de police judiciaire, toute personne susceptible de fournir des renseignements sur les faits en cause.

Enfin, depuis la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, l'article 62 du code de procédure pénale précise expressément que les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition : les simples témoins ne peuvent pas être placés en garde à vue .

Par sa décision n°2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article 62 du code de procédure pénale contraire à la Constitution , considérant qu'en l'état ses dispositions étaient indissociables de l'ensemble des règles relatives à la garde à vue.

Le présent article tend à introduire plusieurs modifications au sein de ces articles 61 et 62 du code de procédure pénale :

- tout d'abord, les quatre premiers alinéas de l'article 62 - relatifs aux prérogatives des officiers de police judiciaire et aux auditions de toutes les personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits ou sur les objets et documents saisis - seraient déplacés vers l'article 61 : l'article 62 serait désormais entièrement consacré aux circonstances dans lesquelles une personne peut être retenue dans le service de police ou l'unité de gendarmerie afin d'y être entendue, soit en tant que témoin, soit en tant que suspect (I et I bis ) ;

- par ailleurs, les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction - les simples témoins - ne pourraient être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée ne puisse excéder quatre heures . Ces dispositions constituent une mise en cohérence avec les dispositions applicables en matière de contrôle d'identité : dans un tel cas, la rétention de la personne qui refuse ou se trouve dans l'impossibilité de justifier de son identité doit être limitée au temps strictement exigé par l'établissement de l'identité, sans excéder quatre heures 65 ( * ) (article 78-3 du code de procédure pénale) ;

- enfin, l'article 62 du code de procédure pénale serait complété afin d'indiquer expressément que s'il apparaît, au cours de l'audition de la personne, qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement, cette personne ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue .

Une différence serait ainsi nettement établie entre la situation du témoin, qui ne pourrait être retenu que le temps nécessaire à son audition et en tout état de cause pour une durée maximale de quatre heures, et le suspect, qui devrait alors immédiatement être placé en garde à vue dès qu'apparaissent des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction afin de lui permettre de bénéficier des droits afférents. Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation 66 ( * ) , lorsque le placement en garde à vue interviendrait dans le prolongement immédiat de l'audition, la durée de celle-ci devrait continuer à être imputée sur celle de la garde à vue 67 ( * ) .

Votre commission a adopté l'article 11 sans modification .

Article 11 bis (art. 73 du code de procédure pénale ; art. L. 3341-2 du code de la santé publique [nouveau] ; art. L. 234-16 et L. 235-5 [nouveaux] du code de la route) - Possibilité d'entendre une personne en-dehors du cadre de la garde à vue

Cet article résulte d'un amendement du Gouvernement adopté par les députés en séance publique. Il a pour but de préciser que le placement en garde à vue n'est pas systématique lorsque la personne a fait l'objet d'une interpellation au cours d'une enquête de flagrance, d'une mesure de dégrisement, ou lorsqu'elle fait l'objet d'épreuves de dépistage et de vérifications prévues par le code de la route, dès lors qu'elle n'est pas contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs.

Mesure privative de liberté, la garde à vue est également une mesure créatrice de droits. De ce fait, la jurisprudence considère que si la seule circonstance qu'existent à l'encontre d'une personne « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction » ne suffit pas à rendre obligatoire son placement en garde à vue 68 ( * ) , en revanche, dès lors qu'une personne est tenue sous la contrainte à la disposition des services de police et qu'elle est privée de sa liberté d'aller et venir , elle doit être aussitôt placée en garde à vue et recevoir notification de ses droits, à peine de nullité 69 ( * ) .

Tirant les conséquences de cette jurisprudence liant l'exercice d'une contrainte à l'obligation du placement en garde à vue, le projet de loi prévoyait, dans son article premier, qu'une personne pouvait être entendue dans le cadre d'une audition libre dès lors qu'elle consentait à être entendue sur les faits dont elle est soupçonnée. Craignant de possibles atteintes aux droits de la défense, l'Assemblée nationale a toutefois supprimé ce dispositif (voir supra commentaire de l'article premier).

En l'état de la jurisprudence, le placement en garde à vue n'est toutefois obligatoire que lorsque la contrainte est dépourvue de tout autre fondement juridique . La garde à vue est ainsi entourée d'une « zone grise » de situations dans lesquelles la Cour de cassation considère que la contrainte exercée sur une personne est justifiée par des dispositions législatives particulières, ne rendant de ce fait pas nécessaire une mesure de garde à vue. Tel est le cas, notamment, lorsque la personne est retenue sur les lieux d'une perquisition en application des dispositions de l'article 56 du code de procédure pénale, lorsqu'elle est interdite de s'éloigner des lieux de l'infraction en application de l'article 61 du code de procédure pénale, ou lorsqu'elle est retenue pour contrôle d'identité en application de l'article 78-3 du code de procédure pénale, par exemple.

Le présent article tend à préciser, dans trois hypothèses distinctes, les circonstances permettant de ne pas placer une personne en garde à vue.

1. Arrestation de l'auteur d'une infraction flagrante (article 73 du code de procédure pénale)

L'article 73 du code de procédure pénale dispose que, « dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l'auteur et le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche » 70 ( * ) .

En pareille hypothèse, la jurisprudence considère que l'arrestation ou la détention n'est pas illégale lorsqu'une personne s'est assurée du délinquant jusqu'à ce que celui-ci soit remis entre les mains de l'officier de police, à condition que ce dernier en ait été avisé dans le meilleur délai que les circonstances permettent 71 ( * ) . L'auteur de l'infraction conduit par la force devant un officier de police judiciaire devra ensuite être placé en garde à vue avant d'être entendu 72 ( * ) .

Le I du présent article propose de compléter cet article 73 du code de procédure pénale, afin d'indiquer que lorsque la personne est présentée devant l'officier de police judiciaire en application de ces dispositions, son placement en garde à vue n'est pas obligatoire , même si les conditions de cette mesure sont réunies, dès lors que la personne n'est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs .

Ces dispositions ne seraient toutefois pas applicables lorsque la personne a été conduite par la force publique devant l'officier de police judiciaire : on peut en effet considérer qu'il existe dans ce cas une certaine continuité dans la contrainte (la personne ayant été appréhendée par la force publique est tenue de demeurer dans les locaux de police ou de gendarmerie où elle a été conduite, sauf avis contraire de l'officier de police judiciaire), - continuité qui n'existe pas nécessairement lorsque la personne a été amenée de force dans le service de police ou de gendarmerie par une personne privée et que l'officier de police judiciaire n'estime pas nécessaire de la contraindre à y demeurer.

2. Retenue en matière de répression de l'ivresse publique

En l'état du droit, l'article L. 3341-1 du code de la santé publique permet, « par mesure de police », de conduire, à ses frais, une personne trouvée en état d'ivresse dans un lieu public « au poste le plus voisin ou dans une chambre de sûreté pour y être retenue jusqu'à ce qu'elle ait recouvré la raison ».

La jurisprudence considère que la garde à vue n'est pas possible tant que la personne n'a pas recouvré sa lucidité 73 ( * ) . Corrélativement, l'intéressé ne saurait revendiquer, au cours de sa rétention, les droits des personnes gardées à vue 74 ( * ) . En revanche, la garde à vue devra être obligatoirement utilisée dès lors que la personne a retrouvé ses facultés intellectuelles, sauf si elle consent à être entendue 75 ( * ) .

Le II du présent article propose d'insérer un nouvel article L. 3341-2 dans le code de la santé publique afin d'inscrire cette jurisprudence dans la loi : lorsqu'il est mis fin à la rétention de chambre de sûreté de la personne, son placement en garde à vue n'est pas obligatoire, même si les conditions de cette mesure sont réunies, dès lors que la personne n'est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs.

Ces dispositions viendraient compléter celles introduites par l'article 14 ter du présent projet de loi, qui propose de modifier la rédaction de l'article L. 3341-1 du code de la santé publique précité afin d'indiquer, notamment, que lorsqu'il ne paraît pas nécessaire de procéder à l'audition de la personne immédiatement après qu'elle a recouvré la raison, cette dernière n'est pas nécessairement retenue dans le local de police ou de gendarmerie le plus voisin ou dans une chambre de sûreté, mais peut être placée sous la responsabilité d'une personne qui se porte garante d'elle (voir infra commentaire de l'article 14 ter ).

3. Retenue d'une personne pendant le temps nécessaire aux opérations de vérification de l'état alcoolique ou de dépistage de stupéfiants

En l'état du droit, les articles L. 234-4 et suivants et les articles L. 235-2 et suivants du code de la route confèrent aux officiers et agents de police judiciaire le droit de retenir une personne pendant le temps strictement nécessaire aux opérations de vérification de l'état alcoolique ou aux épreuves de dépistage de stupéfiants.

La contrainte ayant ici un fondement juridique, la jurisprudence considère qu'une mesure de garde à vue n'est pas nécessaire pendant le temps requis pour les vérifications et opérations de dépistage 76 ( * ) .

Le III du présent article tend à compléter le code de la route par deux nouveaux articles L. 234-18 77 ( * ) et L. 235-5, aux termes desquels, lorsqu'il a été procédé aux épreuves de dépistage et aux vérifications précitées, le placement en garde à vue de la personne n'est pas obligatoire, même si les conditions de cette mesure sont réunies, dès lors qu'elle n'est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs.

Les précisions apportées par votre commission des lois

Les dispositions introduites par le présent article ont suscité quelques inquiétudes de la part de certaines personnes entendues par votre rapporteur. Celles-ci ont notamment craint que cet article ne conduise à réintroduire le dispositif de l'audition libre que les députés ont pourtant souhaité supprimer, dans trois hypothèses où l'audition d'une personne suspectée ferait suite à une mesure de contrainte (appréhension par une personne privée, placement en cellule de dégrisement, retenue pendant le temps nécessaire aux épreuves de dépistage).

Votre commission estime que ces inquiétudes ne sont pas fondées. Les dispositions introduites par le présent article tendent en effet uniquement à inscrire dans la loi la jurisprudence précitée de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui n'oblige à placer une personne suspectée d'une infraction en garde à vue que lorsqu'il paraît nécessaire de la maintenir sous la contrainte à la disposition des enquêteurs . Corrélativement, dès lors que l'officier de police judiciaire n'estime pas nécessaire de maintenir l'intéressé à sa disposition (par exemple lorsque les faits sont simples ou de moindre gravité, ou encore lorsque la personne souhaite s'expliquer sur ceux-ci), la garde à vue ne saurait se justifier.

Votre commission a toutefois souhaité expliciter ce point et a adopté un amendement de son rapporteur tendant à préciser, dans chacune des hypothèses précitées, que la personne qui n'est pas placée en garde à vue alors même qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction doit être informée de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie avant son éventuelle audition.

Votre commission a adopté l'article 11 bis ainsi modifié .

Article 12 (art. 706-88 et 706-88-1 et 706-88-2 [nouveaux]) - Régimes dérogatoires

Le présent article tend à définir les modalités de garde à vue applicables en matière de criminalité organisée, de trafic de stupéfiants et de terrorisme.

1. Le droit en vigueur

En l'état du droit, issu pour l'essentiel des lois n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et n°2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, les personnes à l'encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont commis une infraction entrant dans le champ de l'article 706-73 du code de procédure pénale (voir encadré ci-dessous) peuvent se voir appliquer un régime dérogatoire en matière de garde à vue, dont les modalités sont définies à l'article 706-88 du code de procédure pénale :

- la durée de la garde à vue peut, si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction l'exigent, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de 24 heures chacune (portant donc la durée maximale à 96 heures ), à moins que la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l'issue des premières quarante-huit heures ne justifie qu'il soit procédé à une seule prolongation supplémentaire de 48 heures . Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée, par un juge du siège : juge des libertés et de la détention en enquête préliminaire ou de flagrance, juge d'instruction lorsqu'une information a été ouverte. La personne gardée à vue doit en principe être présentée au magistrat qui statue sur la prolongation préalablement à cette décision. Toutefois, la seconde prolongation peut exceptionnellement être autorisée sans présentation préalable de la personne en raison des nécessités des investigations en cours ou à effectuer.

En matière de terrorisme , la garde à vue peut faire l'objet d' une nouvelle prolongation supplémentaire de 24 heures, renouvelable une fois (ce qui porte la durée maximale de la garde à vue en matière de terrorisme à 144 heures , soit six jours ) s'il ressort des premiers éléments de l'enquête ou de la garde à vue elle-même qu'il existe un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement. Cette prolongation ne peut être décidée que par le juge des libertés et de la détention ;

- les droits de la personne gardée à vue pour l'une de ces infractions sont par ailleurs aménagés :

* si la personne est gardée à vue pour des faits d'enlèvement et de séquestration commis en bande organisée, pour crime ou délit aggravé de proxénétisme, pour crime de vol commis en bande organisée, pour crime aggravé d'extorsion ou pour délit d'association de malfaiteurs ayant pour objet la préparation d'un crime ou délit visé aux 1° à 14° de l'article 706-73 du code de procédure pénale, l'entretien avec l'avocat ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai de quarante-huit heures . Un nouvel entretien est possible à l'issue de la soixante-douzième heure.

En matière de trafic de stupéfiants et de terrorisme, le premier entretien avec l'avocat ne peut intervenir qu'à l'issue de la soixante-douzième heure . Un nouvel entretien est possible à l'expiration de la quatre-vingt seizième heure et de la cent-vingtième heure ;

* outre les dispositions de droit commun permettant à la personne gardée à vue d'être examinée par un médecin au cours des quarante-huit premières heures de la mesure, un examen médical est de droit au moment de la première prolongation supplémentaire (soixante-douzième heure), le médecin devant alors être désigné par le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin délivre un certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l'aptitude au maintien en garde à vue de la personne, qui doit être informée de son droit de demander un nouvel examen médical. En matière de terrorisme, la personne gardée à vue est obligatoirement examinée par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire dès le début de chacune des deux prolongations supplémentaires, celui-ci devant se prononcer sur la compatibilité de la prolongation de la mesure avec l'état de santé de l'intéressé ;

* enfin, en application de l'article 63-2 du code de procédure pénale, le droit de faire prévenir par téléphone un proche ou son employeur peut être refusé à la personne gardée à vue, à la demande de l'officier de police judiciaire et en raison des nécessités de l'enquête, par une décision du procureur de la République. En matière de terrorisme, cette dernière dispose de la possibilité de réitérer cette demande à compter de la quatre-vingt seizième heure de garde à vue.

Article 706-73 du code de procédure pénale

« La procédure applicable à l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement des crimes et des délits suivants est celle prévue par le présent code, sous réserve des dispositions du présent titre :

1° Crime de meurtre commis en bande organisée prévu par le 8° de l'article 221-4 du code pénal ;

2° Crime de tortures et d'actes de barbarie commis en bande organisée prévu par l'article 222-4 du code pénal ;

3° Crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-40 du code pénal ;

4° Crimes et délits d'enlèvement et de séquestration commis en bande organisée prévus par l'article 224-5-2 du code pénal ;

5° Crimes et délits aggravés de traite des êtres humains prévus par les articles 225-4-2 à 225-4-7 du code pénal ;

6° Crimes et délits aggravés de proxénétisme prévus par les articles 225-7 à 225-12 du code pénal ;

7° Crime de vol commis en bande organisée prévu par l'article 311-9 du code pénal ;

8° Crimes aggravés d'extorsion prévus par les articles 312-6 et 312-7 du code pénal ;

9° Crime de destruction, dégradation et détérioration d'un bien commis en bande organisée prévu par l'article 322-8 du code pénal ;

10° Crimes en matière de fausse monnaie prévus par les articles 442-1 et 442-2 du code pénal ;

11° Crimes et délits constituant des actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal ;

12° Délits en matière d'armes et de produits explosifs commis en bande organisée, prévus par les articles L. 2339-2, L. 2339-8, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense ;

13° Délits d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France commis en bande organisée prévus par le quatrième alinéa du I de l'article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France [aujourd'hui, ces délits sont définis à l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile] ;

14° Délits de blanchiment prévus par les articles 324-1 et 324-2 du code pénal, ou de recel prévus par les articles 321-1 et 321-2 du même code, du produit, des revenus, des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° à 13° ;

15° Délits d'association de malfaiteurs prévus par l'article 450-1 du code pénal, lorsqu'ils ont pour objet la préparation de l'une des infractions mentionnées aux 1° à 14° et 17° ;

16° Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie, prévu par l'article 321-6-1 du code pénal, lorsqu'il est en relation avec l'une des infractions mentionnées aux 1° à 15° et 17° ;

17° Crime de détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport commis en bande organisée prévu par l'article 224-6-1 du code pénal.

Pour les infractions visées aux 3°, 6° et 11°, sont applicables, sauf précision contraire, les dispositions du présent titre ainsi que celles des titres XV, XVI et XVII ».

2. Un dispositif partiellement incompatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

Les modalités des régimes dérogatoires en matière de garde à vue ont été, à plusieurs reprises, jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a notamment considéré qu'il était « loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, mais à la condition que ces différences de procédures ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense » 78 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a plus particulièrement jugé que « le délai d'intervention de l'avocat au regard des infractions énumérées [...] [ne mettait] pas en cause le principe des droits de la défense mais seulement leurs modalités d'exercice », que cette différence de traitement « correspondait à des différences de situation liées à la nature de ces infractions » et que, de ce fait, « cette différence de traitement ne procédait donc pas d'une discrimination injustifiée » 79 ( * ) . Dans sa décision n°2004-492 DC du 2 mars 2004, le Conseil a ainsi considéré, s'agissant des dispositions fixant à la quarante-huitième heure la première intervention de l'avocat pour certaines des infractions énumérées par l'article 706-73 du code de procédure pénale, que « ce nouveau délai, justifié par la gravité et la complexité des infractions concernées, s'il modifiait les modalités d'exercice des droits de la défense, n'en remettait pas en cause le principe » (considérant n°32).

Dans sa décision n°2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil a estimé, dans la mesure où, dans sa décision du 2 mars 2004 précitée, il avait examiné les dispositions relatives à la garde à vue en matière de criminalité et de délinquance organisées et avait déclaré conformes le septième alinéa de l'article 63-4 et l'article 706-73 du code de procédure pénale, « qu'en l'absence de changement de circonstances, depuis la décision du 2 mars 2004 susvisée, en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées, il n'y [avait] pas lieu [...] de procéder à un nouvel examen de ces dispositions ».

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme est pour sa part plus nuancée.

Cette dernière n'a, à ce jour, jamais remis en cause le principe même de l'existence de régimes dérogatoires en matière de garde à vue.

S'agissant du terrorisme, la Cour estime qu' « il incombe à chaque Etat contractant, responsable de la vie de sa nation, de déterminer si un « danger public » la menace, et, dans l'affirmative, jusqu'où il faut aller pour essayer de le dissiper. En contact direct et constant avec les réalités pressantes du moment, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur la présence d'un pareil danger comme sur la nature et l'étendue des dérogations nécessaires pour le conjurer [...] ».

Toutefois, la Cour considère que « les Etats ne jouissent pas pour autant d'un pouvoir illimité en ce domaine. La Cour a compétence pour décider, notamment, s'ils ont excédé la « stricte mesure » des exigences de la crise [...] La prééminence du droit, l'un des principes fondamentaux d'une société démocratique, implique un contrôle judiciaire des atteintes de l'exécutif au droit individuel à la liberté , garanti par l'article 5 [de la Convention]. La Cour doit examiner la dérogation sur la base de ces éléments [...]. Elle note toutefois qu'il ne s'agit pas ici, pour l'essentiel, de l'existence du pouvoir de garder à vue des terroristes présumés pendant une période pouvant atteindre sept jours, [...] mais plutôt de son exercice sans contrôle judiciaire » 80 ( * ) .

Dans un arrêt Brogan et autres c. Royaume-Uni en date du 29 novembre 1988, la Cour avait déjà reconnu que, sous réserve de l'existence de garanties suffisantes, le contexte du terrorisme en Irlande du Nord pouvait justifier l'augmentation de la durée de la période pendant laquelle les autorités peuvent, sans violer l'article 5 de la Convention, garder à vue un individu soupçonné de graves infractions terroristes avant de le traduire devant un juge. Considérant toutefois que le contrôle judiciaire de toute éventuelle atteinte arbitraire de l'Etat à la liberté des citoyens constitue un élément essentiel de la garantie posée par cet article 5, la Cour avait considéré que la difficulté, invoquée par le Gouvernement britannique, d'assujettir à un contrôle judiciaire la décision d'arrêter et détenir un terroriste présumé « ne saurait pour autant excuser, sous l'angle de cette disposition, l'absence complète de pareil contrôle exercé avec célérité ».

Au regard de ces éléments, les prolongations exceptionnelles instaurées par le droit français en matière de criminalité organisée et de terrorisme, qui prévoient l'intervention d'un magistrat du siège à intervalle régulier, paraissent conformes à la jurisprudence de la Cour.

La question se pose en des termes différents s'agissant de la possibilité, pour certaines infractions, de repousser l'intervention de l'avocat à la quarante-huitième ou à la soixante-douzième heure. Sur ce point, la Cour admet que « l'assistance d'un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police [peut] être soumise à des restrictions pour des raisons valables ». Toutefois, « il s'agit, dans chaque cas, de savoir si la restriction litigieuse est justifiée et, dans l'affirmative, si, considérée à la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l'accusé d'un procès équitable, car même une restriction justifiée peut avoir pareil effet dans certaines circonstances » 81 ( * ) . Pour la Cour européenne des droits de l'homme, les motifs tirés de la seule nature de l'infraction ne sauraient donc suffire pour justifier un report de l'intervention de l'avocat : celui-ci ne saurait être fondé, au cas par cas, que sur des motifs tirés des circonstances de chaque espèce.

Dans trois arrêts en date du 19 octobre 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation a tiré les conséquences de cette jurisprudence, en affirmant qu'il résultait de la Convention européenne des droits de l'homme que, « sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction [devait], dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat » 82 ( * ) .

3. Les conséquences tirées de cette jurisprudence par les députés

Les modifications nécessaires à la prise en compte de cette évolution de jurisprudence ont été introduites à l'Assemblée nationale par un amendement du Gouvernement, auquel la commission des lois puis les députés en séance publique ont apporté quelques ajustements.

Les cinq premiers alinéas de l'article 706-88 du code de procédure pénale ne seraient pas modifiés : seraient ainsi conservées les dispositions permettant que soient prolongées de quarante-huit ou de quatre-vingt seize heures supplémentaires les gardes à vue en matière de délinquance et criminalité organisée et de terrorisme - de telles prolongations devant en tout état de cause être autorisées par un magistrat du siège (juge des libertés et de la détention ou juge d'instruction en matière de criminalité organisée, juge des libertés et de la détention seul pour les nouvelles prolongations supplémentaires en matière de terrorisme). Les modalités relatives aux examens médicaux susceptibles d'être réalisés dans ce cadre ne seraient pas non plus modifiées.

Deux modifications essentielles seraient en revanche introduites, tenant d'une part aux modalités selon lesquelles l'intervention de l'avocat pourrait être reportée, et d'autre part à celles applicables à l'assistance d'une personne soupçonnée de terrorisme.

a) Sur la possibilité de différer l'intervention de l'avocat :

- dès lors que la garde à vue concerne une infraction entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 du code de procédure pénale, l'intervention de l'avocat ne pourrait plus être différée qu'en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction . Cette notion de « raisons impérieuses » ne pourrait être justifiée que par deux motifs : soit le report a pour objet de permettre le recueil ou la conservation des preuves, soit il tend à prévenir une atteinte aux personnes. En toutes hypothèses, le report devrait être justifié au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, et non en raison de la seule nature de l'infraction, conformément aux principes posés par la Cour de cassation dans son arrêt précité ;

- dans une telle situation, l'intervention de l'avocat continuerait à pouvoir être différée pendant une durée maximale de quarante-huit heures, sauf en matière de trafic de stupéfiants et de terrorisme où le report continuerait à pouvoir être autorisé jusqu'à la soixante-douzième heure ;

- l'autorité compétente pour autoriser un tel report serait :

* jusqu'à la fin de la vingt-quatrième heure , le procureur de la République , agissant d'office ou à la demande de l'officier de police judiciaire, en enquête préliminaire ou en enquête de flagrance ;

* au-delà de la vingt-quatrième heure , le juge des libertés et de la détention statuant à la requête du procureur de la République, dans ces mêmes cadres d'enquête ;

* en cas d'information judiciaire en revanche, le juge d'instruction serait, ab initio , compétent pour autoriser le report de l'intervention de l'avocat.

S'agissant de la possibilité de différer l'intervention de l'avocat lors d'une enquête préliminaire ou de flagrance portant sur une affaire de criminalité organisée ou de terrorisme, le projet de loi différerait ainsi du droit commun, qui, en l'état, prévoit que le procureur de la République peut décider de différer la présence de l'avocat au cours des douze premières heures de garde à vue, cette compétence étant transférée au juge des libertés et de la détention au-delà (voir le commentaire de l'article 7).

Dans tous les cas, la décision du magistrat, écrite et motivée, devrait indiquer la durée de report de l'intervention de l'avocat ;

- enfin, à partir du moment où il serait autorisé à intervenir, l'avocat disposerait de l'ensemble des droits prévus en matière de garde à vue de droit commun : droit à s'entretenir confidentiellement avec la personne gardée à vue pour une durée ne pouvant excéder trente minutes (nouvel article 63-4), droit de consulter le procès-verbal de notification du placement en garde à vue, le certificat médical ainsi que les procès-verbaux d'audition (nouvel article 63-4-1), droit à assister aux auditions (nouvel article 63-4-2, premier alinéa), droit de poser des questions (nouvel article 63-4-3).

b) Adaptation des modalités d'assistance de l'avocat en matière de terrorisme :

- sur un plan strictement formel, les règles particulières applicables en matière de garde à vue d'une personne soupçonnée de terrorisme (nouvelles prolongations supplémentaires, entretien avec un avocat, examen médical obligatoire, droit à demander à faire prévenir un proche) figureraient désormais dans un article ad hoc (article 706-88-1 nouveau du code de procédure pénale) ;

- les nouvelles prolongations supplémentaires continueraient à relever de la compétence exclusive du juge des libertés et de la détention ;

- enfin, un nouvel article 706-88-2 préciserait que, sur décision du juge des libertés et de la détention (saisi par le procureur de la République à la demande de l'officier de police judiciaire) ou du juge d'instruction, la personne gardée à vue pourrait se voir refuser la faculté de choisir librement son conseil : l'avocat serait, dans ce cas, désigné par le bâtonnier sur une liste d'avocats habilités. Les avocats inscrits sur cette liste seraient élus par le Conseil national des barreaux, dans des conditions précisées par décret (nombre d'avocats inscrits sur la liste, durée de validité, modalités de radiation).

De telles dispositions, introduites à l'initiative de M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, sont inspirées du droit espagnol, dont l'article 527 du code de procédure pénale prévoit que lorsque la personne est soumise à l'interdiction de communiquer, ce qui est le cas en matière de terrorisme, son avocat est désigné d'office par le « collège des avocats ». Elles se justifient par les enjeux soulevés par ce type de dossiers, et l'inquiétude, évoquée à plusieurs reprises devant le groupe de travail de la commission des lois consacré à l'équilibre de la procédure pénale 83 ( * ) , que certains avocats ne soient tentés dans cette matière de s'affranchir des règles strictes de la déontologie. La désignation d'un avocat sur une liste établie en fonction de critères objectifs permettrait d'apporter une réponse à ces inquiétudes.

Les précisions apportées par votre commission des lois

Votre commission souscrit pleinement aux modifications introduites par les députés, qui permettront d'adapter notre droit aux exigences posées par la Cour européenne des droits de l'homme sans pour autant remettre en cause les régimes dérogatoires de garde à vue, qui paraissent essentiels à la prévention et à la poursuite des infractions les plus graves.

Elle a toutefois adopté un amendement de son rapporteur tendant à prévoir que les avocats figurant sur la liste d'avocats habilités à intervenir en matière de terrorisme seront désignés, plutôt qu'élus, par le Conseil national des barreaux, selon des modalités définies par son règlement intérieur - le principe de l'élection retenu par les députés ne paraissant pas s'appliquer de façon adéquate au mode de fonctionnement du CNB.

Votre commission a adopté l'article 12 ainsi modifié .

Articles 13, 15 ter et 15 quater (art. 803-3 du code de procédure pénale) - Droits de la personne en cas de défèrement faisant suite à une garde à vue

Ces articles visent, d'une part, à introduire les coordinations rendues nécessaires par le présent projet de loi dans l'article 803-3 du code de procédure pénale, qui définit les modalités selon lesquelles une personne ayant fait l'objet d'un défèrement à l'issue de sa garde à vue peut être retenue avant de comparaître devant un juge, et, d'autre part, à tenir compte des réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-80 QPC du 17 décembre 2010.

1. Le dispositif du « petit dépôt »

En l'état du droit, la garde à vue peut prendre fin, soit à son terme légal (le cas échéant après une ou plusieurs prolongations), soit lorsque sa mainlevée a été décidée par l'officier de police judiciaire avec l'autorisation ou sur instruction du procureur de la République ou du juge d'instruction. La mainlevée peut alors être suivie, soit d'une mise en liberté (éventuellement accompagnée d'une convocation à comparaître devant le tribunal correctionnel), soit d'un défèrement devant le magistrat, le plus souvent en vue d'une comparution immédiate devant le tribunal correctionnel ou, lorsqu'une information est en cours, d'une première comparution qui pourra être suivie d'un contrôle judiciaire, d'une assignation à résidence avec surveillance électronique ou d'une détention provisoire.

Le défèrement devant le magistrat est rarement immédiat : il existe en effet toujours un délai de transfert vers le palais de justice et parfois un temps d'attente plus ou moins long tenant aux contraintes de service du magistrat. Parfois, également, il a été mis un terme à la garde à vue de plusieurs prévenus au même moment, mais ceux-ci ne peuvent comparaître devant le magistrat qu'à tour de rôle, imposant de ce fait un temps d'attente.

Face à de telles contraintes, certaines juridictions, comme celles de Paris, de Bobigny ou de Créteil, disposent d'un « petit dépôt » permettant de maintenir toute une nuit à la disposition de la justice les personnes déférées à l'issue de leur garde à vue.

La situation juridique des personnes privées de liberté dans ces conditions est définie aux articles 803-2 et 803-3 du code de procédure pénale, introduits par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité :

- en principe, toute personne ayant fait l'objet d'un défèrement à l'issue de sa garde à vue, à la demande du procureur de la République, doit comparaître le jour même (avant minuit) devant ce magistrat ou, en cas d'ouverture d'une information, devant le juge d'instruction saisi de la procédure. Il en est de même si la personne est déférée devant le juge d'instruction à l'issue d'une garde à vue au cours d'une commission rogatoire, ou si la personne est conduite devant un magistrat en exécution d'un mandat d'amener ou d'arrêt (article 803-2 du code de procédure pénale) ;

- toutefois, en cas de nécessité, la personne peut comparaître le jour suivant et peut être retenue à cette fin dans des locaux de la juridiction spécialement aménagés 84 ( * ) , à la condition que cette comparution intervienne au plus tard dans un délai de vingt heures à compter de l'heure à laquelle la garde à vue a été levée, à défaut de quoi l'intéressé doit être immédiatement remis en liberté (article 803-3 du code de procédure pénale).

Lorsqu'il est fait application de ces dispositions, la personne doit avoir la possibilité de s'alimenter et, à sa demande, de bénéficier des droits reconnus en garde à vue (faire prévenir un proche par téléphone, être examinée par un médecin, s'entretenir à tout moment avec un avocat désigné par elle ou commis d'office à sa demande).

L'identité des personnes retenues, leurs heures d'arrivée et de conduite devant le magistrat, ainsi que, le cas échéant, les informations relatives à l'exercice des droits précités font l'objet d'une mention dans un registre spécialement tenu à cet effet dans le local où ces personnes sont retenues et qui est surveillé, sous le contrôle du procureur de la République, par des fonctionnaires de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale.

L'ensemble de ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la personne a fait l'objet, en matière de délinquance ou criminalité organisée, d'une garde à vue ayant duré plus de soixante-douze heures : dans ce cas, la personne doit comparaître devant le magistrat le jour même de la fin de la garde à vue.

2. Un dispositif jugé conforme à la Constitution, sous deux réserves, par le Conseil constitutionnel

Saisi dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions de l'article 803-3 du code de procédure pénale conformes à la Constitution, sous deux réserves, dans sa décision n°2010-80 QPC du 17 décembre 2010.

Le Conseil a tout d'abord rappelé que « le principe de présomption d'innocence, proclamé par l'article 9 de la Déclaration de 1789, ne [faisait] pas obstacle à ce que l'autorité judiciaire soumette à des mesures restrictives ou privatives de liberté, avant toute déclaration de culpabilité, une personne à l'encontre de laquelle existent des indices suffisants quant à sa participation à la commission d'un délit ou d'un crime, [...] à la condition que ces mesures soient prononcées selon une procédure respectueuse des droits de la défense et apparaissent nécessaires à la manifestation de la vérité, au maintien de ladite personne à la disposition de la justice, à sa protection, à la protection des tiers ou à la sauvegarde de l'ordre public ». En l'espèce, le Conseil a considéré qu' « eu égard aux conditions, aux limites et aux garanties dont il a assorti la mise en oeuvre de cette mesure, le législateur [avait] adopté des dispositions propres à assurer la conciliation entre l'objectif de bonne administration de la justice et le principe selon lequel nul ne doit être soumis à une rigueur qui ne soit nécessaire ».

Néanmoins, le Conseil constitutionnel a formulé deux réserves d'interprétation :

- d'une part, il a relevé que « l'article 803-3 du code de procédure pénale se [bornait] à placer la surveillance du local dans lequel la personne est retenue sous le contrôle du procureur de la République ; que la protection de la liberté individuelle par l'autorité judiciaire ne serait toutefois pas assurée si le magistrat devant lequel cette personne est appelée à comparaître n'était pas mis en mesure de porter une appréciation immédiate sur l'opportunité de cette rétention ; que, dès lors, ce magistrat [devait] être informé sans délai de l'arrivée de la personne déférée dans les locaux de la juridiction » (considérant n°10) ;

- d'autre part, le Conseil constitutionnel a rappelé que, « si l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet, l'intervention d'un magistrat du siège est requise pour la prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures ; que, par suite, la privation de liberté instituée par l'article 803-3 du code de procédure pénale, à l'issue d'une mesure de garde à vue prolongée par le procureur de la République, méconnaîtrait la protection constitutionnelle de la liberté individuelle si la personne retenue n'était pas effectivement présentée à un magistrat du siège avant l'expiration du délai de vingt heures prévu par cet article » (considérant n°11).

3. Introduction des coordinations rendues nécessaires par le présent projet de loi (article 13 du projet de loi)

L'article 13 tend à introduire dans l'article 803-3 du code de procédure pénale précité les coordinations rendues nécessaires par le présent projet de loi :

- la référence aux dispositions relatives à l'entretien avec l'avocat (article 63-4 du code de procédure pénale) serait remplacée par la référence au nouvel article 63-3-1 du code de procédure pénale (créé par l'article 5 du projet de loi), qui définit les modalités de désignation et d'assistance de l'avocat (1°) ;

- il serait en outre précisé que l'avocat peut demander à consulter le dossier de la procédure (2°) ;

- enfin, par coordination avec les modifications introduites par l'article 12 du projet de loi, les personnes gardées à vue en matière de terrorisme (nouvel article 706-88-1 du code de procédure pénale) pendant plus de soixante-douze heures continueraient à ne pas pouvoir être retenues dans de telles conditions avant de comparaître devant un magistrat.

4. Introduction des modifications rendues nécessaires par la décision du Conseil constitutionnel

L'article 15 ter du projet de loi, introduit à l'initiative de M. Dominique Raimbourg, tend à transcrire à la lettre dans la loi le principe dégagé par le Conseil constitutionnel dans son considérant n°10 précité, aux termes duquel le magistrat devant lequel l'intéressé est appelé à comparaître (procureur de la République ou juge d'instruction) doit être informé sans délai de l'arrivée de la personne déférée dans les locaux de la juridiction, afin de permettre à ce magistrat de porter une appréciation immédiate sur l'opportunité de la rétention.

L'article 15 quater , également introduit sur proposition de M. Dominique Raimbourg, tend quant à lui à transcrire dans la loi le considérant n°11 de la décision précitée : ainsi, lorsque la garde à vue a été prolongée par le procureur de la République (cas des gardes à vue de droit commun, dont la durée maximale de vingt-quatre heures peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures supplémentaires sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République - voir supra commentaire de l'article 2), la personne retenue dans le « petit dépôt » devrait être effectivement présentée à la juridiction saisie, ou, à défaut, au juge des libertés et de la détention, avant l'expiration du délai de vingt heures.

Ces dispositions ne seraient en revanche pas applicables lorsque la garde à vue a été prolongée par le juge d'instruction (cas d'une garde à vue exécutée dans le cadre d'une commission rogatoire) ou par le juge des libertés et de la détention (cas des régimes dérogatoires) : dans ce cas, en effet, la personne gardée à vue aurait été mise en mesure d'être entendue par un magistrat du siège avant son défèrement.

Dans un souci de clarté formelle du présent projet de loi, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur tendant à regrouper au sein de l'article 13 les dispositions introduites aux articles 15 ter et 15 quater du projet de loi.

Par coordination, elle a supprimé les articles 15 ter et 15 quater .

Votre commission a adopté l'article 13 ainsi modifié .

Article 14 (art. 64-1, 65, 77, 78, 141-4, 712-16-3, 154, 627-5, 695-27, 696-10, 716-5, 812, 814, 865 et 880 du code de procédure pénale) - Coordinations

Le présent article procède à diverses coordinations rendues nécessaires par le présent projet de loi.

1. Enregistrement des interrogatoires des personnes placées en garde à vue pour crime

Depuis l'adoption de la loi n°2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, les interrogatoires des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisés dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire, font l'objet d'un enregistrement audiovisuel. Ces dispositions ne sont toutefois pas applicables lorsque la personne est gardée à vue pour un crime mentionné à l'article 706-73 du code de procédure pénale (voir supra encadré à l'article 12) ou prévu par les titres I er et II du livre IV du code pénal (atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et terrorisme), sauf si le procureur de la République ordonne l'enregistrement.

Par coordination avec les modifications introduites par le présent projet de loi, le 1° A du présent article tend à adapter la rédaction de cet article 64-1 afin de faire référence aux « auditions » de la personne de préférence à ses « interrogatoires ».

2. Abrogation de l'article 65 du code de procédure pénale

En l'état du droit, l'article 65 du code de procédure pénale dispose que « les mentions et émargements prévus par le premier alinéa de l'article 64, en ce qui concerne les dates et heures de début et de fin de garde à vue et la durée des interrogatoires et des repos séparant ces interrogatoires, doivent également figurer sur un registre spécial, tenu à cet effet dans tout local de police ou de gendarmerie susceptible de recevoir une personne gardée à vue.

« Dans les corps ou services où les officiers de police judiciaire sont astreints à tenir un carnet de déclarations, les mentions et émargements prévus à l'alinéa précédent doivent également être portés sur ledit carnet. Seules les mentions sont reproduites au procès-verbal qui est transmis à l'autorité judiciaire ».

Les dispositions de cet article étant reprises et complétées au II de l'article 64 du code de procédure pénale, tel que le modifie l'article 10 du présent projet de loi, le 1° du présent article procède, par coordination, à l'abrogation de l'article 65 du code de procédure pénale.

3.  Garde à vue dans le cadre d'une enquête préliminaire

A l'heure actuelle, l'article 77 du code de procédure pénale définit, dans des termes proches de ceux prévus à l'article 63 s'agissant de l'enquête de flagrance, les conditions dans lesquelles une personne peut être gardée à vue dans le cadre d'une enquête préliminaire.

Dans un souci de clarification, le 2° du présent article propose de supprimer ces dispositions ad hoc et de préciser que les dispositions des articles 62-3 à 64-1 relatives à la garde à vue dans le cadre de l'enquête de flagrance - tels qu'ils résultent des articles 1 er à 10 du présent projet de loi ainsi que du 1°A du présent article - sont applicables lors de l'enquête préliminaire.

4.  Audition des témoins dans le cadre de l'enquête préliminaire

L'article 78 du code de procédure pénale définit, dans des termes proches de ceux utilisés par l'actuel article 62 du code de procédure pénale s'agissant de l'enquête de flagrance, les conditions dans lesquelles sont entendus les témoins dans une enquête préliminaire.

Par coordination avec le transfert, prévu par l'article 11 du présent projet de loi, des dispositions relatives à l'audition des témoins dans le cadre de l'enquête de flagrance de l'article 62 à l'article 61 du code de procédure pénale, le 2° bis du présent article procède, au sein de l'article 78 de ce même code, à une modification de référence.

Votre commission a par ailleurs adopté un amendement de son rapporteur tendant à compléter ce même article 78 afin d'y introduire les mêmes modifications que celles proposées à l'article 11 du projet de loi s'agissant de l'audition des témoins :

- d'une part, la retenue de ces derniers, strictement limitée au temps nécessaire à leur audition, ne pourrait en toute hypothèse excéder quatre heures ;

- d'autre part, il serait explicitement prévu que, dès lors qu'apparaissent au cours de l'audition des raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction, celle-ci ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue (voir supra commentaire de l'article 11).

5.  Retenue d'une personne en cas d'inobservation d'obligations résultant d'une mesure de contrôle judiciaire ou d'obligations imposées dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un aménagement de peine

Les lois n°2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes ont ouvert la possibilité aux forces de police et de gendarmerie d'appréhender et de retenir une personne, pour une durée maximale de vingt-quatre heures, en cas de manquement, respectivement, aux obligations imposées par le juge de l'application des peines dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un aménagement de peine (article 712-16-3 du code de procédure pénale) ou à l'interdiction, imposée dans le cadre d'un contrôle judiciaire, de rencontrer la victime ou de paraître au domicile du couple (article 141-4 du code de procédure pénale). Dans le cadre de cette retenue, la personne bénéficie d'un certain nombre de droits reconnus à une personne gardée à vue.

Le 3° du présent article procède aux coordinations rendues nécessaires par le présent projet de loi, en précisant que la personne ainsi retenue bénéficie des droits reconnus aux articles 63-2 à 63-4 tels qu'ils résultent des articles 3 à 6 du présent projet de loi. Il prend également acte de l'abrogation de l'article 65 du code de procédure pénale, prévue par le 1° du présent article.

Il convient par ailleurs de rappeler qu'aux termes de l'article 9 du projet de loi, les dispositions relatives aux mesures de sécurité pouvant être imposées à une personne gardée à vue seront applicables aux personnes retenues en application des articles 712-16-3 et 141-4 précités (voir supra commentaire de l'article 9).

6. Garde à vue dans le cadre d'une information judiciaire

L'article 154 du code de procédure pénale définit, dans des termes proches de ceux prévus par l'article 63 dans le cadre de l'enquête de flagrance, les conditions dans lesquelles un officier de police judiciaire peut placer une personne en garde à vue dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire - le juge d'instruction étant alors compétent pour contrôler la mesure de garde à vue et éventuellement la renouveler pour une période de vingt-quatre heures supplémentaires.

Dans un souci de clarification, le 4° du présent article propose de renvoyer, pour l'ensemble des dispositions portant sur les gardes à vue exécutées dans le cadre d'une information judiciaire, aux dispositions prévues par les articles 62-3 à 64-1, tout en précisant, d'une part, que les attributions conférées au procureur de la République par ces articles sont alors exercées par le juge d'instruction, et, d'autre part, que lors de la notification de ses droits, la personne est informée que la garde à vue intervient dans le cadre d'une commission rogatoire.

7. Dispositions applicables en matière de coopération judiciaire

Le 5° du présent article procède aux coordinations et modifications de référence rendues nécessaires par le présent projet de loi au sein des articles du code de procédure pénale suivants :

- article 627-5, qui est relatif à l'exécution des arrestations aux fins de remise délivrées par la Cour pénale internationale ;

- article 695-27, qui est relatif à l'exécution d'un mandat d'arrêt européen par les autorités françaises ;

- article 696-10, qui est relatif à l'exécution d'une demande d'extradition.

8. Mesures nécessaires pour assurer l'exécution d'une peine d'emprisonnement ou de réclusion

L'article 716-5 du code de procédure pénale permet de retenir dans un local de police ou de gendarmerie pendant vingt-quatre heures une personne arrêtée en vertu d'un extrait de jugement ou d'arrêt portant condamnation, cette dernière pouvant bénéficier des droits reconnus à la personne gardée à vue.

Le 6° du présent article procède à une coordination rendue nécessaire par l'article 6 du projet de loi, qui modifie la rédaction de l'article 63-4 du code de procédure pénale.

9. Dispositions applicables dans certaines collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie

L'article 812 définit les conditions particulières dans lesquelles les dispositions relatives à la garde à vue, dans le cadre de l'enquête de flagrance, de l'enquête préliminaire et de l'information judiciaire, sont applicables en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et en Nouvelle Calédonie.

Le 7° du présent article propose de remplacer la référence aux articles 63, 77 et 154 par une référence plus générale aux « dispositions relatives à la garde à vue ».

Par ailleurs, les articles 814 et 880 du code de procédure pénale permettent à la personne gardée à vue dans certains territoires de la Nouvelle Calédonie, de Polynésie française, des îles Wallis et Futuna et de Mayotte d'être assistée par une personne autre qu'un avocat 85 ( * ) .

Le 8° et le 9° du présent article tendent à modifier la rédaction de ces articles afin, d'une part, de permettre à une telle personne d'exercer « les attributions dévolues à l'avocat par les articles 63-4 à 63-4-3 » et, d'autre part, de renvoyer aux dispositions du nouvel article 63-4-4, créé par l'article 7 du présent projet de loi, qui prévoit que « sans préjudice de l'exercice des droits de la défense, l'avocat ne peut faire état auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue ni des entretiens avec la personne qu'il assiste, ni des informations qu'il a recueillies en consultant les procès-verbaux et en assistant aux auditions ». Les manquements à de telles dispositions continueraient à être punis d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende, sans préjudice de l'application de l'article 434-7-2 du code pénal 86 ( * ) .

10. Modalités de l'examen médical en Polynésie française

L'article 813 du code de procédure pénale prévoit que, dans le territoire de la Polynésie française, en l'absence d'un médecin dans l'île où se déroule la garde à vue, l'examen médical prévu à l'article 63-3 est effectué par un infirmier diplômé ou, à défaut, par un membre du corps des auxiliaires de santé publique. En vertu de l'article 865, ces dispositions sont également applicables aux gardes à vue réalisées en matière de délinquance et de criminalité organisée et de terrorisme.

L'article 12 ayant inséré les dispositions particulières applicables aux gardes à vue en matière de terrorisme dans un article 706-88-1 ad hoc , le 10° procède à la coordination nécessaire en insérant cette référence au sein de l'article 865 du code de procédure pénale précité.

Votre commission a adopté l'article 14 ainsi modifié .

Article 14 bis (art. 323 et art. 323-1 à 323-10 [nouveaux] du code des douanes) - Retenue douanière

Le présent article, inséré par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur proposition du Gouvernement, tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n°2010-32 QPC du 22 septembre 2010 jugeant contraire à la Constitution le dispositif de la retenue douanière.

En l'état du droit, issu de la loi n°87-502 du 9 juillet 1987 dite « Aicardi » modifiant les procédures fiscales et douanières, l'article 323 du code des douanes permet à un agent des douanes ou de toute autre administration de constater les infractions aux lois et règlements douaniers.

Ceux qui constatent une infraction douanière ont le droit de saisir tous objets passibles de confiscation, de retenir les expéditions et tous autres documents relatifs aux objets saisis ainsi que de procéder à la retenue préventive des objets affectés à la sûreté des pénalités.

En cas de flagrant délit 87 ( * ) , ils peuvent procéder à la capture des prévenus. Le procureur de la République en est alors immédiatement. La durée de la retenue ne peut excéder vingt-quatre heures, sauf prolongation d'une même durée autorisée par le procureur de la République.

Pendant la retenue, le procureur de la République peut se transporter sur les lieux pour vérifier les modalités de la retenue et se faire communiquer les procès-verbaux et registres prévus à cet effet. S'il l'estime nécessaire, il peut désigner un médecin.

Les agents mentionnent, par procès-verbal de constat, la durée des interrogatoires et des repos qui ont séparé ces interrogatoires, le jour et l'heure du début et de la fin de la retenue. Ces mentions figurent également sur un registre spécial tenu dans les locaux de douane.

Enfin, cet article précise que, lorsque les personnes retenues sont placées en garde à vue au terme de la retenue, la durée de celle-ci s'impute sur la durée de la garde à vue.

Créée en 1987 sur le modèle de la garde à vue, la retenue douanière n'a, à l'inverse de cette mesure, jamais été réformée. En particulier, la personne retenue ne dispose pas de la possibilité de s'entretenir avec un avocat pendant les quarante-huit heures maximales de la rétention. A cet égard, la Cour de cassation a jugé que « si la durée de la retenue douanière [était] imputable sur celle de la garde à vue, aucune disposition légale [n'étendait] à la première le régime prévu pour la seconde par l'article 63-1 du code de procédure pénale » 88 ( * ) .

Dans sa décision n°2010-32 QPC du 22 septembre 2010, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution le dispositif de la retenue douanière, « considérant que le 3° de l'article 323 du code des douanes permet « la capture des prévenus » en cas de flagrant délit ; qu'il est applicable à tous les délits douaniers flagrants sans distinction selon leur gravité ; qu'il autorise l'interrogatoire d'une personne placée en retenue douanière par les agents des douanes ; qu'aux termes de l'article 336 du même code, « les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes ou de toute autre administration font foi... jusqu'à preuve contraire de l'exactitude et de la sincérité des aveux et déclarations qu'ils rapportent » 89 ( * ) ; que le 3° de l'article 323 ne permet pas à la personne retenue contre sa volonté de bénéficier de l'assistance effective d'un avocat pendant la phase d'interrogatoire ; qu'une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes ; qu'au demeurant, la personne en retenue douanière ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence ». Le Conseil a de ce fait jugé que, « dans ces conditions, la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ne [pouvait] être regardée comme équilibrée ; que, par suite, le 3° de l'article 323 du code des douanes [méconnaissait] les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et [devait] être déclaré contraire à la Constitution ».

Le présent article tire les conséquences de cette décision, d'une part, en abrogeant le 3. de l'article 323 du code des douanes précité, et, d'autre part, en introduisant dans le code des douanes dix nouveaux articles 323-1 à 323-10 destinés à réglementer cette mesure privative de liberté particulière.

Un nouvel article 323-1 définirait les circonstances dans lesquelles peut être décidée une retenue douanière : à la condition de flagrance - les enquêtes préliminaires continuant à ne pas pouvoir donner lieu à une retenue douanière - s'ajouteraient une condition de gravité de l'infraction (le délit devrait être puni d'une peine d'emprisonnement) et d'une condition tenant aux nécessités particulières de l'enquête , conformément aux exigences définies par le Conseil constitutionnel.

Un nouvel article 323-2 définirait la durée de la retenue douanière. Comme la garde à vue, cette mesure ne pourrait excéder vingt-quatre heures. Toutefois, cette durée pourrait être prolongée de vingt-quatre heures supplémentaires, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République. Le II de l'article 63 du code de procédure pénale serait applicable : la prolongation ne pourrait en principe être autorisée qu'après présentation de la personne au procureur de la République - cette présentation pouvant être réalisée au moyen de la visioconférence. Toutefois, à titre exceptionnel, elle pourrait être accordée sans présentation préalable (voir supra commentaire à l'article 2 du projet de loi).

En revanche, les motifs justifiant une telle mesure ne seraient pas explicités, contrairement à ce que prévoit l'article 1 er du projet de loi s'agissant de la garde à vue.

Votre commission a adopté un amendement de son rapporteur tendant à préciser explicitement que le renouvellement de la retenue douanière par le procureur de la République, pour une nouvelle période de vingt-quatre heures, devrait être justifié par les nécessités de l'enquête douanière .

Deux nouveaux articles 323-3 et 323-4 définiraient les modalités de contrôle de la retenue par l'autorité judiciaire - en l'espèce, le seul procureur de la République .

Ce dernier devrait être informé par tout moyen du début de la retenue douanière. Avisé de la qualification des faits, il pourrait modifier cette qualification qui serait alors notifiée à la personne. Enfin, lorsque la mesure de rétention devrait être exécutée dans un autre ressort que celui où l'infraction a été constatée, le procureur de la République en serait informé.

Par ailleurs, la retenue douanière serait explicitement placée sous le contrôle du procureur de la République, qui serait notamment chargé d'assurer la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne retenue. Ce magistrat aurait notamment compétence pour se transporter sur les lieux afin de vérifier les modalités de la retenue et se faire communiquer les procès-verbaux et registres prévus à cet effet.

Un nouvel article 323-5 énoncerait les droits dont bénéficie la personne faisant l'objet d'une retenue douanière.

De façon générale, la personne placée en retenue douanière bénéficierait des droits reconnus aux personnes gardées à vue : droit de faire prévenir un proche et son employeur, droit d'être examinée par un médecin et droit à être assisté par un avocat, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que celles prévues en matière de garde à vue. Dans ce cas, les attributions conférées à l'officier de police judiciaire en garde à vue seraient exercées par un agent des douanes.

L'article 323-5 prévoirait également la possibilité de différer l'assistance de l'avocat , en cas de contrebande de marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publiques ou de contrebande commise en bande organisée (dernier alinéa de l'article 414 du code des douanes) ou de blanchiment douanier (article 415 du code des douanes), ou encore en cas de délit connexe à une infraction relevant de la délinquance ou de la criminalité organisée (voir supra commentaire de l'article 12).

Dans ce cas, l'intervention de l'avocat serait différée dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article 706-88 du code de procédure pénale, tel qu'il est modifié par l'article 12 du projet de loi : compétence du procureur de la République jusqu'à la 24 ème heure, du juge des libertés et de la détention au-delà, nécessité de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou du recueil ou de la conservation des preuves, décision écrite et motivée précisant la durée pour laquelle l'intervention de l'avocat est différée.

Un nouvel article 323-6 préciserait les informations devant être notifiées à la personne placée en retenue douanière.

Celle-ci devrait ainsi être immédiatement informée, dans les conditions prévues à l'article 63-1 du code de procédure pénale (dans une langue comprise par la personne, au besoin au moyen de formulaires écrits, d'un interprète ou d'un interprète en langue des signes), et par un agent des douanes :

- de son placement en retenue ainsi que de la durée de la mesure et de la prolongation dont celle-ci peut faire l'objet ;

- de la nature et de la date présumée de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ;

- du fait qu'elle bénéficie des droits énoncés à l'article 323-5 du code des douanes, tel qu'il résulte du présent article (voir supra ) ;

- enfin, du fait qu'elle a le choix, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire.

Ces dispositions sont similaires à celles prévues en matière de garde à vue (voir supra commentaire de l'article 2).

Cette information serait portée au procès-verbal et émargée par la personne retenue. Un éventuel refus d'émargement y serait mentionné.

Un nouvel article 323-7 préciserait que les mesures de sécurité prévues en matière de garde à vue seraient applicables à la retenue douanière (respect de la dignité de la personne, droit de conserver, au cours de son audition, des objets dont le port ou la détention sont nécessaires au respect de sa dignité, caractère exceptionnel et précisément encadré des fouilles intégrales). En revanche, la retenue douanière ne pourrait en aucun cas donner lieu à des investigations corporelles internes.

Les mesures de sécurité susceptibles d'être imposées à la personne retenue seraient énumérées par arrêté du ministre chargé des douanes, les attributions conférées à l'officier de police judiciaire étant quant à elles exercées par un agent des douanes.

Un nouvel article 323-8 définirait les modalités applicables au procès-verbal de retenue douanière et au registre spécial tenu dans les locaux de douane susceptibles de recevoir une personne retenue, s'agissant notamment des informations tenues d'y figurer. Ces modalités seraient identiques à celles applicables en matière de garde à vue (article 64 du code de procédure pénale, tel qu'il résulte de l'article 10 du présent projet de loi).

Un nouvel article 323-9 définirait les règles applicables à l'issue de la retenue douanière. A l'issue de cette mesure, le procureur de la République pourrait ordonner que la personne soit présentée devant lui, devant un officier de police judiciaire ou un agent des douanes habilité à effectuer des enquêtes judiciaires, ou qu'elle soit remise en liberté.

Conformément au droit déjà applicable en la matière, si la personne retenue devait être placée en garde à vue au terme de la retenue douanière, la durée de celle-ci s'imputerait sur la durée de la garde à vue.

Enfin, un nouvel article 323-10 préciserait qu'en cas de flagrant délit douanier commis par un mineur, la retenue douanière se déroule dans les conditions prévues à l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, qui définit les conditions applicables à la garde à vue des mineurs (voir infra commentaire de l'article 15).

Le II procède enfin aux coordinations rendues nécessaires par le présent article aux articles 67 ter et 67 quater du code des douanes, qui sont relatifs à la retenue provisoire des personnes dans le cadre de l'application de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985.

Votre commission a adopté l'article 14 bis ainsi modifié .

Article 14 ter (art. L. 3341-1 du code de la santé publique) - Retenue d'une personne trouvée en état d'ivresse dans un lieu public

Le présent article, inséré par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur proposition de son rapporteur, tend à modifier le régime applicable à la mesure de retenue dont peut faire l'objet une personne trouvée en état d'ivresse dans les lieux publics.

En l'état du droit, l'article L. 3341-1 du code de la santé publique dispose qu' « une personne trouvée en état d'ivresse dans les rues, chemins, places, cafés, cabarets ou autres lieux publics, est, par mesure de police, conduite à ses frais au poste le plus voisin ou dans une chambre de sûreté, pour y être retenue jusqu'à ce qu'elle ait recouvré la raison ».

La jurisprudence a précisé que ces dispositions étaient applicables à l'individu circulant à pied comme à celui circulant à l'aide d'un véhicule 90 ( * ) . Par ailleurs, les personnes retenues en chambre de sûreté dans ces conditions ne bénéficient pas des droits accordés par le code de procédure pénale aux personnes gardées à vue 91 ( * ) .

L'article 11 bis du projet de loi tend à préciser les conditions dans lesquelles s'articule le placement en cellule de dégrisement ou en chambre de sûreté, qui est une mesure de police administrative, avec la mesure de garde à vue susceptible d'être décidée une fois que la personne a recouvré la raison. Aux termes du II de l'article 11 bis du projet de loi, le placement en garde à vue d'une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction n'est pas obligatoire, lorsqu'il est mis fin à la rétention en chambre de sûreté, dès lors que la personne n'est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs (voir supra ).

Lors de l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale, les députés ont par ailleurs souhaité mettre un terme aux placements systématiques en cellule de dégrisement, estimant que, dans certaines hypothèses, la personne trouvée en état d'ivresse dans un lieu public pourrait être confiée à la responsabilité d'un membre de sa famille ou d'un tiers de confiance.

Tel est l'objet du présent article, qui tend à modifier la rédaction de l'article L. 3341-1 du code de la santé publique précité :

- une personne trouvée en état d'ivresse dans les lieux publics devrait toujours, par mesure de police, être conduite à ses frais dans le local de police ou de gendarmerie le plus voisin ou dans une chambre de sûreté, afin d'y être retenue jusqu'à ce qu'elle ait recouvré la raison ;

- toutefois, dans le cas où il ne paraîtrait pas nécessaire de procéder à l'audition de cette personne immédiatement après qu'elle a recouvré la raison, celle-ci pourrait être placée par un officier ou un agent de police judiciaire sous la responsabilité d'une personne qui se porte garante d'elle.

Dans ce cas, le tiers de confiance serait éventuellement responsable des agissements commis par la personne trouvée en état d'ivresse sur la voie publique, jusqu'à ce cette personne ait recouvré la raison.

Votre commission a adopté l'article 14 ter sans modification .

Article 15 (art. 4 de l'ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante) - Retenue judiciaire et garde à vue des mineurs

Le présent article tend à apporter à l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, qui définit les modalités selon lesquelles un mineur peut être retenu ou gardé à vue, les modifications rendues nécessaires par le présent projet de loi.

Outre les contrôles d'identité, régis par les dispositions de droit commun énoncées à l'article 78-1 et suivants du code de procédure pénale, deux mesures de contrainte peuvent être exercées contre un mineur : la retenue judiciaire et la garde à vue.

Les mineurs de plus de treize ans 92 ( * ) peuvent être placés en garde à vue dans des conditions largement similaires à celles applicables aux majeurs, sous réserve des adaptations suivantes :

- aucune mesure de garde à vue ne peut être prolongée sans présentation préalable effective du mineur au procureur de la République ou au juge d'instruction du lieu d'exécution de la mesure ;

- dès le début de la mesure, l'officier de police judiciaire doit en informer les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur - sauf décision contraire du procureur de la République ou du juge chargé de l'information, qui peut décider de retarder cette information pour une durée ne pouvant excéder vingt-quatre heures, ou douze heures si la garde à vue ne peut faire l'objet d'une prolongation ;

- dès le début de la garde à vue, le mineur peut demander à s'entretenir avec un avocat. Cette demande peut également être formulée par ses représentants légaux, informés de ce droit lorsqu'ils sont avisés de la garde à vue ;

- enfin, les interrogatoires des mineurs placés en garde à vue font obligatoirement l'objet d'un enregistrement audiovisuel 93 ( * ) .

Des règles supplémentaires régissent la situation des mineurs de treize à seize ans gardés à vue :

- d'une part, la garde à vue d'un mineur âgé de treize à seize ans ne peut pas être prolongée lorsque l'infraction qu'il est soupçonné avoir commise ou tenté de commettre est punie d'une peine inférieure à cinq ans d'emprisonnement ;

- d'autre part, les mineurs de seize ans doivent obligatoirement être examinés par un médecin désigné par le procureur de la République ou le juge chargé de l'information.

En revanche, les mineurs âgés de seize à dix-huit ans peuvent se voir appliquer les régimes dérogatoires en matière de garde à vue lorsqu'ils existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'une ou plusieurs personnes majeures ont participé, comme auteurs ou complices, à la commission d'une infraction relevant de la délinquance ou de la criminalité organisée ou du terrorisme 94 ( * ) .

Si les dispositions relatives à la garde à vue ne sont applicables qu'aux mineurs âgés de plus de treize ans, un mineur de dix à treize ans peut quant à lui faire l'objet d'une retenue judiciaire 95 ( * ) , à titre exceptionnel, lorsqu'il existe des indices graves ou concordants laissant présumer qu'il a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et que cette mesure est justifiée par les nécessités de l'enquête. Dans ce cas, le mineur peut être retenu à la disposition d'un officier de police judiciaire, avec l'accord préalable et sous le contrôle d'un magistrat du ministère public ou d'un juge d'instruction spécialisés dans la protection de l'enfance ou d'un juge des enfants, pour une durée que ce magistrat détermine et qui ne saurait excéder douze heures. Cette retenue peut toutefois être prolongée à titre exceptionnel par décision motivée de ce magistrat pour une durée qui ne saurait non plus excéder douze heures, après présentation devant lui du mineur, sauf si les circonstances rendent cette présentation impossible. La retenue doit être strictement limitée au temps nécessaire à la déposition du mineur et à sa présentation devant le magistrat compétent ou à sa remise à ses parents, à son tuteur ou à la personne ou au service auquel il a été confié. Les modalités particulières applicables en matière de garde à vue (entretien avec un avocat, examen médical obligatoire, etc.) le sont également aux retenues judiciaires.

Le présent article tend à apporter à l'ensemble de ces dispositions les modifications rendues nécessaires par le présent projet de loi :

- la retenue judiciaire des mineurs de dix à treize ans ne serait désormais plus possible que pour l'un des motifs prévus par l'article 62-3 du code de procédure pénale, créé par l'article 1 er du projet de loi, et plus, de manière générale, « pour les nécessités de l'enquête » - ces dispositions étant également applicables à la garde à vue des mineurs de plus de treize ans dont les dispositions renvoient sur ce point aux dispositions de droit commun (1°) ;

- le mineur de seize ans devrait être examiné par un médecin dans les conditions prévues à l'article 63-3 du code de procédure pénale, modifié par l'article 4 du projet de loi (2°) ;

- dès le début de la garde à vue, le mineur pourrait demander à être assisté par un avocat, dans les conditions définies aux articles 63-3-1 à 63-4-3 du code de procédure pénale, créés par les articles 5, 6 et 7 du projet de loi (3°) ;

- enfin, les dispositions relatives aux régimes dérogatoires en matière de garde à vue continueraient à être applicables aux mineurs de seize à dix-huit ans dans les conditions précitées, à l'exception des règles dérogatoires portant sur le report de l'intervention de l'avocat. En outre, les dispositions relatives aux gardes à vue en matière de terrorisme ne seraient explicitement pas applicables aux mineurs (4°).

Par ailleurs, les députés ont adopté, avec l'avis favorable de la commission des lois et du Gouvernement, deux amendements défendus par M. Jean-Pierre Brard tendant :

- d'une part, à préciser que, lorsqu'un mineur est placé en garde à vue, l'officier de police judiciaire est tenu d'informer « immédiatement » les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur de cette mesure (1° bis ) ;

- d'autre part, à prévoir que les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur doivent être informés, sans délai, de leur droit de demander pour lui un examen médical (2° bis ).

Si votre commission approuve ces précisions qui paraissent essentielles pour préserver les droits du mineur, elle considère néanmoins que, dans certains cas, l'information des responsables légaux du mineur ne peut intervenir de façon concomitante à celle du procureur de la République ou du magistrat chargé de l'information. En effet, celui-ci doit pouvoir décider de ne pas aviser immédiatement le représentant légal du mineur du placement de ce dernier en garde à vue pour des raisons tirées des nécessités de l'enquête - par exemple s'il s'avère que les parents du mineur sont complices des faits commis par celui-ci. Votre commission a donc adopté un amendement de son rapporteur tendant à préciser que l'officier de police judiciaire informe les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur de la mesure de garde à vue après que le procureur de la République ou le juge chargé de l'information en a lui-même été avisé .

Par ailleurs, votre commission a adopté un amendement de précision de son rapporteur, afin de circonscrire au cas des mineurs âgés de seize à dix-huit ans gardés à vue le droit ouvert à leurs représentants légaux de demander un examen médical : en effet, l'examen médical est en toutes hypothèses obligatoire pour les mineurs de treize à seize ans .

Votre commission a adopté l'article 15 ainsi modifié .

Article 15 bis (art. 127, 133 et 135-2 du code de procédure pénale ; art. L. 211-19 du code de justice militaire) - Modalités d'exécution d'un mandat d'amener ou d'arrêt lorsque la personne recherchée est interpellée à plus de 200 kilomètres du juge mandant

Le présent article, inséré par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur proposition du Gouvernement, tend à préciser, dans le respect des principes définis par la Cour européenne des droits de l'homme, les modalités d'exécution d'un mandat d'amener ou d'arrêt lorsque la personne recherchée est interpellée à plus de 200 kilomètres du juge mandant.

En l'état du droit, le juge d'instruction peut décerner des mandats de recherche, de comparution, d'amener ou d'arrêt.

Article 122 du code de procédure pénale

« Le juge d'instruction peut, selon les cas, décerner mandat de recherche, de comparution, d'amener ou d'arrêt. Le juge des libertés et de la détention peut décerner mandat de dépôt.

Le mandat de recherche peut être décerné à l'égard d'une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il ne peut être décerné à l'égard d'une personne ayant fait l'objet d'un réquisitoire nominatif, d'un témoin assisté ou d'une personne mise en examen. Il est l'ordre donné à la force publique de rechercher la personne à l'encontre de laquelle il est décerné et de la placer en garde à vue.

Le mandat de comparution, d'amener ou d'arrêt peut être décerné à l'égard d'une personne à l'égard de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d'une infraction, y compris si cette personne est témoin assisté ou mise en examen.

Le mandat de comparution a pour objet de mettre en demeure la personne à l'encontre de laquelle il est décerné de se présenter devant le juge à la date et à l'heure indiquées par ce mandat.

Le mandat d'amener est l'ordre donné à la force publique de conduire immédiatement devant lui la personne à l'encontre de laquelle il est décerné.

Le mandat d'arrêt est l'ordre donné à la force publique de rechercher la personne à l'encontre de laquelle il est décerné et de la conduire devant lui après l'avoir, le cas échéant, conduite à la maison d'arrêt indiquée sur le mandat, où elle sera reçue et détenue.

Le juge d'instruction est tenu d'entendre comme témoins assistés les personnes contre lesquelles il a été décerné un mandat de comparution, d'amener ou d'arrêt, sauf à les mettre en examen conformément aux dispositions de l'article 116. Ces personnes ne peuvent pas être mises en garde à vue pour les faits ayant donné lieu à la délivrance du mandat.

Le mandat de dépôt peut être décerné à l'encontre d'une personne mise en examen et ayant fait l'objet d'une ordonnance de placement en détention provisoire. Il est l'ordre donné au chef de l'établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir la personne à l'encontre de laquelle il est décerné. Ce mandat permet également de rechercher ou de transférer la personne lorsqu'il lui a été précédemment notifié ».

Ces mandats sont exécutoires dans toute l'étendue du territoire de la République.

En principe, la personne arrêtée en vertu d'un mandat d'arrêt ou d'un mandat d'amener est présentée au juge d'instruction, ou, à défaut, devant le président du tribunal ou un juge désigné par celui-ci, dans un délai maximal de vingt-quatre heures après son interpellation (articles 125 et 133 du code de procédure pénale).

L'application de ces dispositions suscite toutefois des difficultés pratiques lorsque la personne visée par le mandat est arrêtée à plus de 200 kilomètres du siège du juge d'instruction qui l'a délivré et qu'il n'est pas possible de la conduire dans le délai de vingt-quatre heures devant ce magistrat.

Dans ce cas, la personne est alors conduite devant le procureur de la République du lieu d'arrestation :

- s'agissant de l'exécution d'un mandat d'amener, le procureur de la République interroge alors la personne sur son identité, reçoit ses déclarations et l'interpelle afin de savoir si elle consent à être transférée ou si elle préfère prolonger les effets du mandat en attendant la décision du juge d'instruction saisi de l'affaire. Si la personne déclare s'opposer au transfèrement, elle est conduite dans la maison d'arrêt et le juge d'instruction compétent en est immédiatement avisé. En cas de transfèrement, la personne doit être conduite devant le juge d'instruction qui a délivré le mandat dans un délai de quatre jours ( six jours en cas de transfèrement entre d'un département d'outre-mer et le territoire métropolitain) (articles 127 et suivants du code de procédure pénale) ;

- la personne saisie en vertu d'un mandat d'arrêt doit quant à elle être conduite dans les vingt-quatre heures suivant son arrestation devant le procureur de la République du lieu de l'arrestation. Celui-ci informe sans délai le magistrat qui a délivré le mandat et requiert le transfèrement. Si celui-ci ne peut être effectué immédiatement, le procureur de la République en réfère au juge mandant. Lorsqu'il y a lieu à transfèrement, la personne doit être conduite à la maison d'arrêt indiquée sur le mandat dans un délai de quatre jours ( six jours si le transfèrement a lieu entre un département d'outre-mer et le territoire métropolitain) (article 133 du code de procédure pénale).

Par ailleurs, si la personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt est découverte après le règlement de l'information , ou si le mandat d'arrêt est délivré après l'ordonnance de règlement , le procureur de la République du lieu de l'arrestation est tenu, après avoir vérifié l'identité de la personne et lui avoir notifié le mandat, de la présenter au juge des libertés et de la détention , lequel peut, soit placer la personne sous contrôle judiciaire, soir ordonner son placement en détention provisoire jusqu'à sa comparution devant la juridiction de jugement. Toutefois, si la personne a été arrêtée à plus de 200 kilomètres du siège de la juridiction de jugement et qu'il n'est pas possible de la conduire dans le délai de vingt-quatre heures devant le procureur de la République précité, elle est d'abord conduite devant le procureur de la République du lieu de son arrestation , qui met le mandat à exécution en faisant conduire la personne à la maison d'arrêt. Le transfèrement de la personne doit avoir lieu dans les quatre jours de la notification du mandat ( six jours en cas de transfèrement entre un département d'outre-mer et le territoire métropolitain), la personne étant alors présentée devant le juge des libertés et de la détention dans les conditions précitées.

Ce dispositif a été jugé contraire à la Convention européenne des droits de l'homme par la Cour de Strasbourg qui, dans l'arrêt Moulin c. France du 23 novembre 2010, a de nouveau considéré que les membres du ministère public, en France, ne remplissaient pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif qui compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat » au sens de l'article 5§3 de la Convention. En l'espèce, la requérante avait été placée pendant deux jours en garde à vue dans le cadre d'une commission rogatoire, avant d'être placée pendant trois jours en maison d'arrêt à Toulouse en exécution d'un mandat d'amener décerné par deux juges d'instruction d'Orléans. La Cour de Strasbourg a jugé que, bien qu'elle ait été présentée au procureur adjoint du tribunal de grande instance de Toulouse à l'issue de sa garde à vue, la requérante avait été privée de sa liberté pendant plus de cinq jours avant d'être présentée à un magistrat du siège - en l'espèce, les deux juges d'instruction d'Orléans, auteurs du mandat d'amener.

Le présent article tire les conséquences de cet arrêt en transférant au juge des libertés et de la détention - qui est un magistrat du siège - les compétences aujourd'hui exercées par le procureur de la République du lieu d'arrestation lorsqu'une personne est arrêtée, dans le cadre de l'exécution d'un mandat d'amener ou d'un mandat d'arrêt, à plus de 200 kilomètres du juge d'instruction qui a délivré le mandat.

Seraient ainsi modifiées les dispositions du code de procédure pénale relatives à l'exécution d'un mandat d'amener (article 127) et d'un mandat d'arrêt (article 133), ainsi que celles relatives à l'hypothèse où la personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt est découverte après le règlement de l'information (article 135-2).

Seraient modifiées dans le même sens les dispositions du code de justice militaire, dont l'article L. 211-19 dispose en l'état que « si la personne mise en examen recherchée en vertu d'un mandat d'amener est trouvée à plus de deux cents kilomètres du siège du juge d'instruction qui a délivré le mandat, elle est conduite dans les vingt-quatre heures, soit avec son accord, devant le juge d'instruction qui a délivré le mandat, soit devant le procureur de la République du lieu de l'arrestation.

« Toute personne mise en examen arrêtée en vertu d'un mandat d'arrêt à plus de deux cents kilomètres du siège du juge d'instruction qui a délivré le mandat est conduite devant le procureur de la République du lieu de l'arrestation.

« Dans l'un ou l'autre des cas mentionnés aux premier et second alinéas du présent article, le procureur de la République procède conformément aux dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article 133 du code de procédure pénale ».

En application du IV du présent article, les compétences confiées au procureur de la République par cet article seraient également transférées au juge des libertés et de la détention.

Votre commission a adopté l'article 15 bis sans modification .

Article 16 (art. 64-1 et intitulé de la troisième partie de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique) - Aide juridictionnelle

Le présent article tend à adapter, conformément aux modifications introduites par le présent projet de loi, les dispositions de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

En l'état du droit, l'article 64-1 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique dispose que l'avocat désigné d'office qui intervient dans les conditions prévues à l'article 63-4 du code de procédure pénale (entretien avec l'avocat en garde à vue) a droit à une rétribution.

Pour ce faire, l'Etat affecte annuellement à chaque barreau une dotation représentant sa part contributive aux missions ainsi assurées par les avocats. Le montant de cette dotation est calculé selon des modalités déterminées par décret en Conseil d'Etat, en fonction du nombre des missions effectuées par les avocats désignés d'office.

Le présent article propose d'introduire deux modifications :

- d'une part, le champ de l'article 64-1 précité serait élargi afin de viser l'assistance de l'avocat en garde à vue ou en retenue douanière ;

- d'autre part, l'intitulé de la troisième partie de cette loi serait complété afin de faire également référence aux retenues douanières.

L'étude d'impact annexée au projet de loi évalue l'incidence des réformes introduites par ce dernier sur le budget de l'aide juridictionnelle à un montant oscillant entre 44,45 et 65,75 millions d'euros TTC en année pleine 96 ( * ) .

Toutefois, cette étude d'impact a été réalisée sans tenir compte des régimes dérogatoires ni des retenues douanières , dont le régime a été modifié par voie d'amendements introduits à l'Assemblée nationale.

Votre commission a adopté l'article 16 sans modification .

Article 17 - Application outre-mer

Le présent article précise que la présente loi s'appliquera sur l'ensemble du territoire de la République.

Toutefois, en l'absence de mention expresse, les dispositions du présent projet de loi ne seront pas applicables de plein droit dans les collectivités soumises, dans la matière pénale, au principe de spécialité législative. Votre commission a donc adopté un amendement de son rapporteur tendant à permettre l'application de l'ensemble du projet de loi dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française ainsi qu'en Nouvelle Calédonie.

Votre commission a adopté l'article 17 ainsi modifié .

Article 18 - Entrée en vigueur

Le présent article précise que le projet de loi entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal officiel et au plus tard le 1 er juillet 2011.

C'est en effet à cette date que prendra effet la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 déclarant contraire à la Constitution les articles 62, 63, 63-1, 63-4 et 77 du code de procédure pénale.

Comme l'indique le Commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, « ce report dans le temps des effets de sa décision revêt un caractère exceptionnel car [...] il déroge au principe selon lequel la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier au justiciable qui a présenté une question prioritaire de constitutionnalité. Il est fondé sur deux arguments :

« - d'une part, la décision du Conseil constitutionnel consiste à considérer que, dans leur ensemble, les règles qui encadrent la garde à vue n'apportent pas une protection proportionnée aux actes pour lesquels elle est mise en oeuvre et aux atteintes qui résultent de sa mise en oeuvre. Cette disproportion est venue au fil du temps, par l'accumulation de règles successives. Depuis la décision du 11 août 1993, la gravité de l'atteinte qui résulte de la garde à vue et les garanties qui l'entourent sont devenues inadaptées à une utilisation ordinaire de cette mesure qui permet désormais le CPP.

« Le Conseil n'a donc pas désigné celles des règles de procédure pénale qui doivent être modifiées. Il a rappelé qu'il ne dispose pas d'un pouvoir d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il a ainsi rappelé la liberté du législateur de choisir entre les différentes options possibles pour remédier à l'inconstitutionnalité, par exemple en se fondant sur le seuil de gravité des infractions en cause ou sur les modalités concrètes de l'assistance de l'avocat. De même, le Conseil n'avait pas à se substituer au Parlement pour indiquer si la restriction aux droits de la défense devait être laissée à l'appréciation, au cas par cas, des autorités judiciaires ou résulter de catégories précisément définies par la loi ;

« - d'autre part, le Conseil constitutionnel a estimé que l'application immédiate de l'abrogation des articles encadrant le recours à la garde à vue aurait des conséquences manifestement excessives au regard des objectifs de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infraction. En effet, la garde à vue n'aurait plus de support légal et toutes les poursuites subséquentes à une mesure de garde à vue seraient mises en péril. Sur ce point, le report dans le temps de l'abrogation est fondé sur des considérations analogues à celles qui avaient conduit le Conseil constitutionnel, pour la première fois, à reporter les effets d'une déclaration d'inconstitutionnalité dans le cadre du contrôle a priori de la loi sur les OGM 97 ( * ) ».

Dans son arrêt du 19 octobre 2010, par lequel elle avait déclaré incompatibles avec la Convention européenne des droits de l'homme les dispositions tendant à reporter l'assistance de l'avocat dans les régimes dérogatoires de garde à vue, la Cour de cassation a rejoint le raisonnement du Conseil constitutionnel, estimant que « l'arrêt [n'encourait] pas la censure, dès lors que ces règles de procédure ne [pouvaient] s'appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en oeuvre sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ». La Cour de cassation a donc considéré que « ces règles prendront effet lors de l'entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1 er juillet 2011 ».

Votre commission a adopté l'article 18 sans modification .

* *

*

Votre commission a adopté le projet de loi ainsi rédigé.

EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 15 FÉVRIER 2011

_______

La commission examine le rapport de M. François Zocchetto et le texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 253 (2010-2011), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la garde à vue.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Nous sommes appelés à nous prononcer en première lecture sur ce texte, adopté par l'Assemblée nationale le 25 janvier 2011, pour lequel la procédure accélérée n'a pas été déclarée. L'exigence d'une réforme de la garde à vue découle de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, rendue sur la base d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil nous a donné jusqu'au 1er juillet 2011. Par ailleurs, la Cour de cassation, dans deux arrêts rendus le 19 octobre 2010, a jugé contraires à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme les dispositions du code de procédure pénale relatives aux régimes dérogatoires en matière de garde à vue.

Avant même ces jurisprudences, la représentation nationale, et en particulier le Sénat, ont convenu de la nécessité de modifier en profondeur les règles relatives à la garde à vue. La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé le droit des mis en cause à l'assistance effective d'un avocat. Cette question est d'autant plus importante que, l'enquête primant sur l'instruction préparatoire, une personne est désormais le plus souvent jugée, comme l'a relevé le Conseil constitutionnel, « sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci ».

Or le nombre de gardes à vue est en forte augmentation : 276 000 en 1994, 580 000 en 2010, sans compter les gardes à vue pour infractions au code de la route ! Au surplus, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a relevé que les conditions minimales de dignité n'étaient pas respectées dans les lieux de garde à vue.

Le Sénat a débattu de l'évolution de la garde à vue le 9 février 2010, lors du débat organisé à l'initiative de M. Mézard. Lors de l'examen, le 24 mars 2010 et le 29 avril 2010, des propositions de loi présentées par M. Mézard, par Mme Boumediene-Thiery et M. Bel, le Sénat s'est accordé sur l'impossibilité de maintenir le statu quo , tout en discutant des orientations de la réforme. Le rapport de MM. Lecerf et Michel sur la réforme de la procédure pénale a également traité du sujet.

De son côté, le Gouvernement, reprenant pour partie les propositions de la commission Léger, a envisagé une modification profonde des règles de la garde à vue dans le cadre d'une refonte d'ensemble du code de procédure pénale. Les dispositions relatives à la garde à vue sont aujourd'hui extraites de cette réforme d'ensemble. Il s'agit de concilier le respect des libertés individuelles avec la nécessaire recherche des auteurs d'infractions et la prévention des atteintes à l'ordre public, dans le cadre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'homme.

Le projet de loi initial marquait une nette avancée par rapport au droit en vigueur. Les modifications, nombreuses et importantes, apportées par l'Assemblée nationale ont permis d'aboutir à un équilibre encore plus satisfaisant entre les différents objectifs que doit conjuguer le régime de la garde à vue.

Parmi les avancées, six sont particulièrement importantes : la garde à vue ne sera possible que pour les délits et les crimes ; elle ne pourra être prolongée au-delà de 24 heures qu'en cas de crimes ou délits passibles d'au moins un an d'emprisonnement ; la personne sera avisée qu'elle a le droit de garder le silence ; l'avocat aura accès aux procès verbaux d'audition ; la personne en garde à vue pourra demander à son avocat d'assister aux auditions, alors qu'aujourd'hui, les avocats ne peuvent voir les gardés à vue que trente minutes maximum et qu'ils n'ont accès à aucun document. Enfin, la fouille à corps intégrale menée pour des raisons de sécurité sera proscrite.

L'Assemblée nationale a supprimé l'audition libre qui soulevait plusieurs interrogations. Elle a introduit un délai de carence interdisant de faire débuter les auditions de la personne gardée à vue hors la présence d'un avocat pendant les deux heures suivant le placement en garde à vue. L'avocat a donc deux heures pour arriver. Elle a enfin étendu aux régimes dérogatoires, sous réserve de certains aménagements, les droits de la défense reconnus à la personne gardée à vue dans le cadre du régime de droit commun.

Je vous propose d'approuver ces modifications et de les conforter par plusieurs amendements.

Nous développerons les principaux points lorsque nous serons en séance publique mais je voudrais revenir sur certains d'en eux dès maintenant.

Le premier concerne l'interdiction de prononcer une condamnation sur la base des seules déclarations faites par une personne qui n'a pu s'entretenir avec un avocat ou être assistée par lui : il s'agit du fameux article 1 er A nouveau introduit par l'Assemblée nationale, à l'initiative du gouvernement. Ce principe est directement inspiré de l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008 rendu par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Nous en avons parlé hier avec M. le Garde des Sceaux. Nous voulons sécuriser les procédures pénales pour éviter que cet article, qui part d'une bonne intention, ne devienne un nid de nullités. Je vous proposerai de préciser que la valeur probante de la déclaration implique que la personne ait pu s'entretenir avec son conseil et être assistée par lui.

J'en viens au deuxième point : dans sa version initiale, le projet de loi insérait un article qui instituait l'audition libre. Depuis 2000, la jurisprudence de la Cour de cassation impose le placement en garde à vue dès lors que la personne est tenue sous la contrainte à la disposition des services de police et qu'elle est privée de sa liberté d'aller et de venir, ce qui a généré une inflation du nombre de gardes à vue. Il paraît néanmoins normal de rappeler, comme le dit la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'« aucun texte n'impose le placement en garde à vue d'une personne qui, pour les nécessités de l'enquête, accepte (...) de se présenter sans contrainte aux officiers de police judiciaire afin d'être entendue et n'est à aucun moment privée de sa liberté d'aller et venir ». D'après les informations recueillies auprès des services de police et de gendarmerie, la moitié des personnes mises en cause en 2010 a été entendue sous le régime de l'audition libre.

Le gouvernement voulait créer un nouveau régime d'audition libre qui ne permettait pas de recourir à l'assistance d'un avocat : c'était une mauvaise idée et je ne souhaite pas que nous revenions sur ce point.

J'en arrive au contrôle de la garde à vue par l'autorité judiciaire. Qui doit contrôler la garde à vue dans le cadre de l'enquête de flagrance ou de l'enquête prélimintaire : le procureur de la République ou un magistrat du siège ? Avant de se prononcer de façon dogmatique, il convient d'examiner la jurisprudence de la CEDH et de regarder ce qui se fait dans les autres pays de l'Union européenne. La jurisprudence de la CEDH rappelle que la personne gardée à vue doit être présentée rapidement devant un magistrat du siège, mais elle n'exige pas une présentation immédiate. Le délai maximal pour la présentation devant un juge ne saurait dépasser quatre jours. En France, nous en sommes à 48 heures. En Grande-Bretagne, les délais de présentation devant le juge sont plus rapides, mais la garde à vue peut durer jusqu'à 28 jours. Dans les autres pays, ce n'est pas un magistrat qui assure le contrôle pendant les premières heures de la garde à vue mais des fonctionnaires de police.

Autre point : quelle sera l'autorité compétente pour décider du report de l'assistance de l'avocat lors des auditions ? Dans le texte de l'Assemblée nationale, il est prévu que, dans des circonstances très particulières, l'officier de police judiciaire puisse demander au procureur de retarder l'arrivée de l'avocat jusqu'à la douzième heure. Les raisons devront être impérieuses et tenir aux circonstances particulières de l'enquête. Si tel est le cas, le procureur devra rendre une autorisation motivée par écrit. Si le report de l'arrivée de l'avocat va au-delà de la douzième heure, le juge des libertés et de la détention devra intervenir.

J'en viens à la question importante du rôle de l'avocat dans la nouvelle procédure de garde à vue. Lorsqu'il y a plusieurs mis en cause lors d'une garde à vue, il risque d'y avoir des conflits d'intérêts : la profession d'avocats devra donc les gérer en rappelant la déontologie et en prévoyant l'intervention du bâtonnier dès qu'une difficulté apparaîtra. Autre point qui concerne également les avocats : la police des auditions. Il ne faut pas que les auditions de garde à vue, qui sont contraintes par le temps - le plus souvent douze heures - deviennent une foire d'empoigne.

On peut sans doute raisonner par analogie avec les auditions dans les cabinets des juges d'instruction, mais trois différences importantes doivent être prises en compte : la tension est bien moindre dans un cabinet de juge d'instruction, car il s'est passé du temps et il est rare que l'interpellation vienne d'avoir lieu. Le juge d'instruction représente l'autorité du magistrat, il a son greffier à côté de lui, et la solennité du palais de justice concourt à la tranquillité des débats. Enfin, les avocats ont pu consulter les dossiers et se préparer à l'audition.

En matière de police des gardes à vue, il faut éviter que le législateur stigmatise la profession d'avocat en préjugeant d'un mauvais comportement. Je vous proposerai de partir du principe que l'avocat se comportera selon sa déontologie, mais il convient de prévoir que, dans certaines circonstances, le bâtonnier puisse intervenir de façon à ce que des avocats ne se fassent pas une spécialité de bloquer les auditions.

Cette réforme est un véritable défi pour la profession d'avocat. Autant pour les barreaux comme Paris ou pour ceux des grandes villes, il sera facile d'organiser l'assistance permanente des gardés à vue, autant pour les barreaux de province où il n'y a qu'une cinquantaine d'avocats, voire moins, ce sera bien plus compliqué. La profession devra donc prendre des dispositions pour assister les mis en cause.

Hier, nous avons interrogé M. le Garde des Sceaux sur les moyens financiers. L'évaluation a été faite a minima . Cette réforme aura en effet beaucoup de conséquences financières : le montant de l'aide juridictionnelle va augmenter mais elle est à peu près prise en compte par l'étude d'impact. En revanche, le ministère de la justice devra prévoir une présence accrue des parquets et du juge des libertés et de la détention dans un certain nombre de cas. En outre, le ministère de l'Intérieur devra améliorer les locaux de garde à vue, organiser les transferts de mis en cause devant les magistrats pour les prolongations de garde à vue ou développer la visioconférence.

En résumé, ce texte était très attendu par le Sénat. Il constitue une avancée incontestable, même si certains estiment qu'il ne va pas assez loin. S'il doit y avoir de nouvelles avancées, elles ne pourront s'inscrire que dans le cadre d'une réforme d'ensemble de la procédure pénale avec l'apparition d'un nouveau venu : le juge des enquêtes et des libertés qui interviendrait à tout moment dès le début de la contrainte par corps.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Merci pour la clarté de votre exposé.

M. Alain Anziani . - Ce texte constitue une avancée. Pour autant, nous avons trois divergences majeures. La première tient à la place du juge judiciaire. Il est quand même problématique qu'une partie poursuivante, le procureur, puisse décider à la fois du contrôle, de la prolongation de la garde à vue ainsi que du report du droit à l'assistance d'un avocat.

Deuxième divergence : le seuil de déclenchement de la garde vue. Le progrès est quand même très faible, car peu de personnes échapperont aux seuils fixés. Nous aurions préféré trois ans qui est le seuil pour la détention provisoire. En matière de flagrant délit, on aurait peut-être pu prévoir un seuil inférieur.

Troisième point : M. le Garde des Sceaux m'a répondu hier par une boutade, mais je ne vois pas comment on peut avoir renoncé à l'audition libre et ensuite accepter la comparution libre. Quelle est la différence entre les deux ? Dans le cas de la comparution libre, la personne n'a aucun droit, ce qui était déjà le cas avec l'audition libre. On aurait pu faire en sorte que la personne qui comparait librement puisse avoir un entretien téléphonique avec son avocat. Nous allons d'ailleurs probablement être à nouveau censurés par la CEDH.

M. Jacques Mézard . - Ce projet de loi marque un progrès considérable, mais il reste trois points fondamentaux qui doivent être améliorés. Le seuil, tout d'abord : avec un an d'emprisonnement, l'immense majorité des infractions est concernée.

M. le garde des Sceaux a un don particulier pour noyer le poisson, mais comment articuler l'article 62 modifié et l'article 73 ? On va se retrouver dans les mêmes difficultés que pour l'audition libre, du fait que vous ne voulez pas relever le seuil.

De plus, ce projet de loi va accentuer la différence entre les territoires. Contrairement à de nombreux autres pays européens, la défense pénale connaît dans notre pays des divergences considérables en fonction des justiciables. Pour les citoyens démunis, la défense pénale est très mal assurée et le barreau ne fait pas face. Avec ce projet de loi, nous risquons de nous trouver dans une situation encore aggravée. A Paris, à Marseille, à Lyon et dans les métropoles régionales, il sera facile de mettre en place des gardes. Ce sera loin d'être aussi aisé dans nos départements ruraux : celui qui n'aura pas de moyens financiers sera encore plus mal défendu qu'aujourd'hui. Nous ne pouvons accepter une telle situation. Comment croire qu'un avocat qui sera appelé à 5 ou 6 heures du matin pour une garde à vue acceptera de faire 50 ou 60 kilomètres sur des routes de montagne alors qu'il ne percevra que deux unités de valeur ? C'est toute la question de la revalorisation de l'aide juridictionnelle qui est posée là. Nous allons avoir une défense à plusieurs vitesses sur le territoire national au détriment des plus démunis. Ceux qui ont de l'argent s'arrangeront toujours pour faire venir leur avocat.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - C'est la même chose aujourd'hui ! J'ai demandé à la brigade de gendarmerie de mon canton de me dire combien d'avocats étaient venus lors de gardes à vue ces cinq dernières années : aucun. Certes, il y a peu de gardes à vue dans mon canton...

Mme Virginie Klès . - Le fait de prévoir la présence systématique d'un avocat permet d'introduire du contradictoire avant le procès et c'est pourquoi il est d'autant plus important de préserver l'égalité entre les gardés à vue. Nous ne serons plus dans la même situation qu'aujourd'hui. Attention à la justice à deux vitesses.

M. François Pillet . - Ce texte apporte des avancées considérables mais, dans certains départements, il ne sera pas possible d'assurer la présence d'avocats, même payés. En tant que bâtonnier, j'ai mis en place le système de permanence de la garde à vue. J'ai essayé de montrer l'exemple, mais en vain. Le barreau de Bourges compte 80 avocats : lorsqu'on est en audience, il est impossible de venir assister un client en garde à vue. Les barreaux auront un travail considérable pour appliquer cette loi et je crains que certains n'en aient pas pris conscience. On ne peut imposer à un avocat de participer à un système protecteur. Seuls les avocats volontaires pourront être requis par le bâtonnier. On ne va quand même pas imposer à un avocat fiscaliste d'aller assurer une garde à vue !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Comme je l'ai dit hier lors de l'audition de M. Mercier, j'aurai souhaité qu'une autre conception de la garde à vue s'impose : il faut que ce soit un moment très limité qui n'ouvre pas la procédure d'instruction. Bien entendu, ce projet de loi propose une avancée, mais une avancée contrainte ! La précédente Garde des Sceaux ne voulait pas aller de l'avant et il a fallu que le Conseil constitutionnel intervienne pour faire bouger les choses. Nous maintenons donc notre position de principe.

Sur la question des avocats, l'État devra faire un effort et la profession devra mieux s'organiser. Les cabinets qui ne participeront pas à la garde à vue devront mettre la main à la poche pour financer l'aide juridictionnelle.

Les policiers estiment d'ailleurs que le système que nous allons mettre en place va favoriser les gros délinquants et pénaliser encore plus les petits. Nous ne voulons pas qu'il en soit ainsi.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Il n'est pas besoin d'expliquer aux gros délinquants qu'ils ont intérêt à se taire !

M. Jean-Paul Amoudry . - L'article 8 traite de la dignité de la personne lors de la garde à vue. A-t-on prévu des dispositions spécifiques pour les auditions nocturnes ? Quid de l'accompagnement par l'avocat ?

Hier, le Garde des Sceaux estimait qu'il fallait améliorer les locaux de garde à vue. Dans une circonscription que je connais, nous avons une vingtaine d'avocats et dix-sept points de gendarmerie. Ne devrait-on pas envisager un pôle de garde à vue plutôt que d'imaginer des gardes à vue dans chacune des brigades ?

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Cela voudrait dire qu'il n'y aurait plus d'officier de police judiciaire (OPJ) dans les brigades : elles deviendraient des brigades de deuxième zone. Le directeur général de la gendarmerie nous a dit que ce qui fait la valeur des investigations des gendarmes, c'est le maillage territorial et le fait qu'il y ait des OPJ partout. Et puis, il n'y a pas que les gardes à vue, il y a aussi les enquêtes ! S'il n'y a pas de présence sur le territoire, les brigades territoriales deviendront des polices municipales ou des gardes champêtres.

M. Jean-Pierre Michel . - Ce texte ne comporte qu'une avancée : la présence de l'avocat, mais le système actuel est maintenu en l'état. Or, cette avancée est totalement fallacieuse et elle introduit une garde à vue à deux vitesses, car les avocats ne se déplaceront pas, l'aide juridictionnelle restant insuffisante. Les personnes qui ont de l'argent auront des avocats et pas les autres. On attendra le temps qu'il faut et on poursuivra la garde à vue. Nous aurions dû aller vers ce que doit être la garde à vue selon moi : une prise de corps rapide sans présence d'avocat pour que le juge décide ensuite de la suite des opérations.

M. François Zocchetto , rapporteur . - En ce qui concerne la place du juge et du parquet, je vous invite à vous reporter à l'arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2010 : un chapitre des conclusions de l'avocat général en traite plus particulièrement et il est très clair.

Je me suis beaucoup interrogé sur le seuil de déclenchement : la garde à vue est créatrice de droits : présence d'un avocat, examen médical, droit de garder le silence, droit de faire prévenir des personnes. On pourrait être tenté de monter le seuil à trois ans d'emprisonnement mais on verrait se multiplier les pseudo-auditions libres sans aucun droit garanti. Le système proposé est certainement le moins mauvais dans cette phase expérimentale.

Personne n'a trouvé de solution pour garantir des auditions libres entièrement satisfaisantes. L'idée initiale du gouvernement n'était pas bonne : il était prévu de créer une sous-garde à vue et nous risquions de nous retrouver avec une priorité à l'audition libre, sans aucun droit garanti et, à titre subsidiaire, la garde à vue. Je préfère le système prévu par l'Assemblée nationale : la règle, c'est la garde à vue et ce n'est que lorsque la personne se présente spontanément en dehors de toute interpellation et de toute contrainte par corps qu'elle peut faire l'objet d'une audition qualifiée de libre.

La différence entre les territoires est réelle : certains avocats estiment qu'il faut regrouper les lieux de garde à vue mais M. Hyest vous a dit qu'on signerait là la disparition de la majorité des brigades de gendarmerie. Il y a aujourd'hui 2 300 lieux de garde à vue. Cela pose d'ailleurs la question des moyens pour assurer la dignité des personnes. Le directeur général de la gendarmerie nous a dit que la rénovation de ces 2 300 lieux - notamment un bureau pour l'avocat et des points d'eau dans chaque cellule - coûterait 58 millions, ce qui n'est pas insurmontable, mais doit être budgété.

Actuellement, 25 à 30% seulement des personnes en garde à vue demandent l'assistance d'un avocat. Il y en aura beaucoup plus avec le nouveau système car, aujourd'hui, il s'agit d'un simple entretien et l'on peut imaginer que les enquêteurs ne poussent pas trop les gardés à vue à demander la présence d'un avocat.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Nous allons passer à l'examen des amendements.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1 er A (Nouveau)

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°1 conforte la garantie donnée par l'article 1 er A. J'en ai parlé tout à l'heure.

L'amendement n° 1 est adopté.

L'article 1 er A (nouveau) est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1 er

L'amendement rédactionnel n° 2 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°3 précise que le procureur de la République compétent pour assurer le contrôle de la garde à vue peut être celui en charge du dossier mais aussi le procureur de la République du ressort dans lequel la garde à vue est exécutée. Le contrôle de la garde à vue doit en effet présenter le maximum de garantie.

L'amendement n° 3 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°20 traite des seuils. Mme Borvo Cohen-Seat souhaiterait qu'on ne puisse être placé en garde à vue que si l'on encourt un emprisonnement d'une durée supérieure ou égale à cinq ans. Je me suis exprimé sur cette question. Avis défavorable.

M. Alain Anziani . - Je vais voter cet amendement, même si j'aurais préféré que le seuil soit fixé à trois ans.

M. Hugues Portelli . - Si vous rectifiez votre amendement, je le vote !

Mlle Sophie Joissains . - Moi aussi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Je le rectifie donc !

M. Jean-Jacques Hyest , président. - Pas de décision hâtive !

M. François Zocchetto , rapporteur . - Je me suis réellement interrogé sur la question de savoir s'il fallait relever le seuil. La garde à vue est créatrice de droits et il me parait déraisonnable de porter ce seuil à trois ans. Si vous le faisiez, vous feriez plaisir aux services de police car vous augmenteriez mécaniquement le nombre des auditions libres sans aucune garantie. On pourrait imaginer de fixer le seuil de trois ans si le système était totalement différent : dès la première heure seraient réunis le procureur, qui serait la partie poursuivante, l'avocat de la défense, l'avocat de la victime et le juge de l'enquête et des libertés. Je défendrais un tel système s'il était proposé, mais aujourd'hui, en l'absence d'un juge de l'enquête et des libertés, je vous mets solennellement en garde contre l'augmentation considérable des auditions libres que provoquerait un relèvement des seuils.

M. Alain Anziani . - C'est pour cette raison que je fais un lien avec l'article 11 bis . Si on donnait quelques droits à la personne qui comparait volontairement, y compris le droit d'avoir un entretien téléphonique avec un avocat, la difficulté que vous soulevez disparaîtrait.

M. Pierre-Yves Collombat . - Pourquoi y aurait-il une floraison d'auditions libres ? Ce serait totalement illégal !

L'amendement n° 20 rectifié est rejeté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°21 traite également d'une question de fond : il s'agit ici de confier dès le début le contrôle de la garde à vue au juge des libertés et de la détention. Avis défavorable.

L'amendement n° 21 est rejeté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'amendement rédactionnel n° 5 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Mêmes observations que pour l'amendement n°21.

L'amendement n° 22 est rejeté, ainsi que l'amendement n°23.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°6 permet au mis en cause de contacter un membre de sa famille, mais également son curateur ou son tuteur. Ce n'est pas un détail car nombre de personnes qui font l'objet d'une procédure pénale sont sous curatelle ou sous tutelle.

L'amendement n° 6 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°19 est dans la même ligne : les personnes étrangères doivent pouvoir contacter les autorités consulaires de leur pays.

L'amendement n° 19 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°24 traite de la question des médecins et il est satisfait par la jurisprudence de la Cour de cassation. La poursuite de la garde à vue d'une personne dans des conditions qui, selon le médecin, sont incompatibles avec son état de santé, porte atteinte à ses intérêts et implique l'annulation de la garde à vue.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Autant l'inscrire dans le texte, alors !

M. François Zocchetto , rapporteur . - La solution actuelle est plus favorable à la personne en garde à vue.

L'amendement n° 24 est rejeté.

L'article 4 est adopté sans modification.

Article 5

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°17 précise que lorsque la personne gardée à vue demande l'assistance d'un avocat commis d'office, les services de police en informent le bâtonnier, comme le projet de loi le prévoit déjà, ou l'avocat de permanence.

L'amendement n° 17 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°7 traite des conflits d'intérêts : dans un premier temps, les avocats doivent prendre conscience que, dès qu'il y a plusieurs mis en cause, la question du conflit d'intérêts peut se poser. Si l'OPJ ou le procureur confirment un tel conflit, le bâtonnier doit intervenir.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Il est vrai que, lorsque plusieurs personnes sont mises en cause, il peut y avoir conflit d'intérêts.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Dans ces cas-là, les petits sont chargés et le gros s'en sort.

L'amendement n° 7 est adopté.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 6

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°25 systématise l'entretien de la personne gardée à vue avec son avocat avant tout interrogatoire. Mais le temps de la garde à vue est très contraint : si on veut éviter des prolongations de garde à vue, de telles dispositions sont à proscrire. L'article répond déjà à cette préoccupation.

L'amendement n° 25 est rejeté.

L'article 6 est adopté sans modification.

Article 7

L'amendement rédactionnel n° 8 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°18 prévoit que l'audition peut commencer avant l'expiration du délai de deux heures si l'avocat est présent.

L'amendement n° 18 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°26 pose une question importante sur le dossier : que peut consulter l'avocat ? Sur divers bancs, des parlementaires ont estimé qu'il était raisonnable que l'avocat ne puisse pas consulter l'intégralité du dossier. L'avocat doit pouvoir accéder aux procès-verbaux d'audition afin de savoir de quelle affaire il s'agit, alors que tel n'est pas le cas aujourd'hui. Faut-il qu'il puisse consulter tout le dossier ? Lorsqu'il consulte le dossier du juge d'instruction, ce dossier est coté. Le dossier de la garde à vue, sauf exception, n'est pas en ordre : il y a des pièces qui n'ont pas vocation à se trouver dans le dossier d'instruction. D'anciens gardes des Sceaux nous ont dit que l'efficacité de l'enquête n'était pas vraiment compatible avec la faculté pour l'avocat de consulter l'intégralité des pièces, du moins dans un premier temps.

M. Jacques Mézard . - Dans certains cas, il n'y aura rien dans le dossier, puisqu'il n'y aura pas eu d'audition.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Ce sera le cas optimal, puisque cela signifiera que le gardé à vue aura été assisté dès le début par son avocat.

L'amendement n° 26 est rejeté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Avis défavorable sur l'amendement n°27 : l'alinéa 6 ne doit pas être supprimé.

L'amendement n° 27 est rejeté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Avec l'amendement n°10, je vous propose de réécrire les alinéas 9 à 11 pour traiter de la police de l'audition : il faut que ce ne soit ni vexatoire pour les avocats et pour les fonctionnaires de police et de gendarmerie, ni inefficace pour la procédure d'enquête.

M. Jacques Mézard . - Vous avez écrit au premier paragraphe « informe, s'il y a lieu, le bâtonnier aux fins de désignation d'un autre avocat » ? Pourquoi faut-il forcément désigner un autre avocat ?

M. François Zocchetto , rapporteur . - Il s'agit d'une coordination avec l'article 1 er A nouveau : il faut éviter toutes les manoeuvres procédurales qui autoriseraient l'absence de l'avocat. Si la personne a demandé un avocat, elle doit pouvoir bénéficier de son assistance.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - N'oubliez pas qu'il y a les mots « s'il y a lieu » ! Il ne s'agit que d'une éventualité.

L'amendement n° 10 est adopté.

L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 7 bis (nouveau)

L'amendement rédactionnel n° 11 est adopté.

L'article 7 bis (nouveau) est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 8

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°28 part d'une bonne intention, mais il n'y a pas lieu de préciser cela dans cet article. Une circulaire du ministre de l'Intérieur serait préférable.

L'amendement n° 28 est rejeté.

L'article 8 est adopté sans modification.

Article 9

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°12 est important : quand une personne est mise en garde à vue, on lui retire souvent ses lunettes pour des raisons de sécurité. Si on ne lui redonne pas ses lunettes pour les auditions, on la fragilise et on l'a met dans l'incapacité de relire les procès verbaux, ce qui est inacceptable. Mêmes remarques pour les chaussures, la ceinture : il en va du respect de la dignité des personnes.

M. Jean-René Lecerf . - Autant je comprends que l'on retire les lacets, la ceinture, la cravate, autant tout ce qui concerne les soutiens-gorges, les lunettes et les appareils auditifs ne saurait être toléré : ils ne devraient pas être retirés lors de la garde à vue.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Ceci n'est fait que pour des raisons de sécurité.

M. Jean-René Lecerf . - Il y a plus de femmes qui se suicident à cause de l'humiliation que cela représente que de femmes qui se suicident avec leur soutien-gorge !

L'amendement n° 12 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°29 traite des fouilles. Nous avons suffisamment avancé sur cette question pour ne pas aller au-delà. Avis défavorable.

L'amendement n° 29 est rejeté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°30 est une très bonne contribution : avis favorable, sous réserve d'une rectification formelle.

L'amendement n° 30 rectifié est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Avis défavorable sur l'amendement n°31.

L'amendement n° 31 est rejeté.

L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 11 bis (nouveau)

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°37 améliore les garanties prévues dans cet article : il faut que la personne soit avisée qu'elle peut à tout moment quitter les locaux de police et de gendarmerie.

L'amendement n° 37 est adopté.

L'article 11 bis (nouveau) est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 12

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°46 traite de la désignation des avocats qui interviennent lorsque le mis en cause est poursuivi pour des faits de terrorisme. Cette désignation ne peut être aléatoire dans ces cas-là. L'Assemblée nationale avait proposé que la liste soit élue par le Conseil national des barreaux mais cette disposition n'est pas applicable. C'est pourquoi nous prévoyons que la liste soit désignée par le Conseil national des barreaux selon des modalités définies par son règlement intérieur.

L'amendement n° 46 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Avis défavorable sur l'amendement n°32 pour des raisons déjà exposées.

L'amendement n° 32 est rejeté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Même avis sur l'amendement n°33.

L'amendement n° 33 est rejeté.

L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 13

L'amendement rédactionnel n° 40 est adopté.

L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 14

L'amendement de coordination n° 38 est adopté.

L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 14 bis (nouveau)

M. François Zocchetto , rapporteur . - Ce projet de loi traite aussi de la retenue douanière : nous ne sommes pas dans une zone de non-droit, mais pas loin. Ce texte propose une avancée considérable dans ce domaine, puisqu'il aligne la retenue douanière sur le régime de la garde à vue.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - J'avais dit que le code des douanes exploserait un jour ou l'autre avec la question prioritaire de constitutionnalité. C'est chose faite !

M. François Zocchetto , rapporteur . - Je tiens à vous dire que le contrôleur général des lieux de liberté nous a signalé que le comportement des douaniers était exemplaire.

L'amendement n°39 précise que la retenue douanière ne s'appliquera que si les nécessités de l'enquête le justifient.

L'amendement n° 39 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - Avis défavorable sur l'amendement n°34

L'amendement n° 34 est rejeté.

L'article 14 bis (nouveau) est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 15

M. François Zocchetto , rapporteur . - Je souscris pleinement à la précision apportée par les députés, aux termes de laquelle les représentants légaux d'un mineur doivent être avisés du placement en garde à vue le plus rapidement possible. Toutefois, cette information ne devrait intervenir qu'après que le procureur de la République ou le magistrat chargé de l'information a lui-même été avisé du placement en garde à vue du mineur, puisque ce magistrat peut décider de reporter l'information des représentants légaux du mineur pour des motifs liés aux nécessités de l'enquête.

L'amendement n°43 précise donc que l'information des représentants légaux du mineur a lieu dès que le procureur de la République ou le magistrat chargé de l'information a été avisé du placement en garde à vue.

L'amendement n° 43 est adopté.

L'amendement de précision n° 44 est adopté.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°35 supprime la garde à vue des mineurs. Avis défavorable.

L'amendement n° 35 est rejeté.

L'article 15 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 15 ter (nouveau)

L'amendement de coordination n° 14 est adopté.

L'article 15 ter (nouveau) est supprimé.

Article 15 quater (nouveau)

L'amendement de coordination n° 15 est adopté.

L'article 15 quater (nouveau) est supprimé.

Article additionnel après l'article 16

M. François Zocchetto , rapporteur . - Avis défavorable sur l'amendement n°36.

L'amendement n° 36 est rejeté.

Article 17

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'amendement n°45 traite de Wallis-et-Futuna, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.

L'amendement n° 45 est adopté.

L'article 17 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Alain Anziani . - Il n'y a plus d'amendements du gouvernement ?

M. Jean-Jacques Hyest , président . - A ce stade, ils ont été retirés. Je remercie notre rapporteur pour son excellent travail.

Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de l'ensemble des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 1er A (nouveau)
Interdiction de condamnations fondées sur les seules déclarations
d'une personne faites hors de la présence d'un avocat

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. ZOCCHETTO, rapporteur

1

Renforcement des conditions conférant valeur probante aux déclarations recueillies sans la présence de l'avocat

Adopté

Article 1 er
Définition et modalités de contrôle de la garde à vue

M. ZOCCHETTO, rapporteur

2

Rédactionnel

Adopté

M. ZOCCHETTO, rapporteur

3

Renforcement des conditions de contrôle de la garde à vue par l'autorité judiciaire

Adopté

Mme BORVO COHEN-SEAT

20

Relèvement du seuil des peines encourues pour l'application de la garde à vue

Rejeté

Mme BORVO COHEN-SEAT

21

Contrôle du juge des libertés et de la détention sur la garde à vue

Rejeté

Article 2
Conditions de forme de la garde à vue et durée de la mesure -
Information de la personne gardée à vue sur ses droits

M. ZOCCHETTO, rapporteur

5

Rédactionnel

Adopté

Mme BORVO COHEN-SEAT

22

Contrôle du juge des libertés et de la détention sur la garde à vue

Rejeté

Mme BORVO COHEN-SEAT

23

Contrôle du juge des libertés et de la détention sur la garde à vue

Rejeté

Article 3
Droit de faire prévenir un tiers

M. ZOCCHETTO, rapporteur

6

Droit de faire prévenir le curateur
ou le tuteur

Adopté

M. ZOCCHETTO, rapporteur

19

Droit de faire avertir les autorités consulaires

Adopté

Article 4
Droit d'être examiné par un médecin

Mme BORVO COHEN-SEAT

24

Caractère impératif du certificat médical d'incompatibilité de l'état de la santé avec le placement en garde à vue

Satisfait

Article 5
Droit à être assisté par un avocat

M. ZOCCHETTO, rapporteur

17

Information de l'avocat de permanence

Adopté

M. ZOCCHETTO, rapporteur

7

Règlement des conflits d'intérêts

Adopté

Article 6
Entretien avec l'avocat

Mme BORVO COHEN-SEAT

25

Systématisation de l'entretien avec l'avocat avant chaque audition

Rejeté

Article 7
Conditions de consultation du dossier par l'avocat et d'assistance
de la personne gardée à vue lors des auditions

M. ZOCCHETTO, rapporteur

8

Rédactionnel

Adopté

M. ZOCCHETTO, rapporteur

18

Précision

Adopté

Mme BORVO COHEN-SEAT

26

Consultation de l'intégralité du dossier pénal

Rejeté

Mme BORVO COHEN-SEAT

27

Suppression de la possibilité de reporter l'assistance de l'avocat

Rejeté

M. ZOCCHETTO, rapporteur

10

Police des audiences

Adopté

Article 7 bis (nouveau)
Droit de la victime à être assistée par un avocat en cas de confrontation
avec la personne gardée à vue

M. ZOCCHETTO, rapporteur

11

Rédactionnel

Adopté

Article 8
Respect de la dignité de la personne gardée à vue

Mme BORVO COHEN-SEAT

28

Précisions relatives au contenu du droit au respect du principe de la dignité humaine

Rejeté

Article 9
Respect de la dignité de la personne gardée à vue

M. ZOCCHETTO, rapporteur

12

Droit de conserver ses effets intimes
lors des auditions

Adopté

Mme BORVO COHEN-SEAT

29

Subordination de fouilles intégrales à l'autorisation du juge des libertés et de la détention

Rejeté

Mme BORVO COHEN-SEAT

30

Subsidiarité de la fouille intégrale

Adopté avec modification

Mme BORVO COHEN-SEAT

31

Coordination

Rejeté

Article 11 bis (nouveau)
Possibilité d'entendre une personne en-dehors du cadre de la garde à vue

M. ZOCCHETTO, rapporteur

37

Clarification

Adopté

Article 12
Régimes dérogatoires

Mme BORVO COHEN-SEAT

32

Suppression des régimes dérogatoires

Rejeté

Mme BORVO COHEN-SEAT

33

Suppression de la possibilité de différer l'intervention de l'avocat

Rejeté

M. ZOCCHETTO, rapporteur

46

Modalités de désignation des avocats habilités à intervenir en matière de terrorisme

Adopté

Article 13
Droits de la personne en cas de défèrement faisant suite à une garde à vue

M. ZOCCHETTO, rapporteur

40

Insertion des dispositions figurant aux articles 15 ter et 15 quater

Adopté

Article 14
Coordinations

M. ZOCCHETTO, rapporteur

38

Coordination

Adopté

Article 14 bis (nouveau)
Retenue douanière

M. ZOCCHETTO, rapporteur

39

Subordination de la prolongation de la retenue aux nécessités de l'enquête douanière

Adopté

Mme BORVO COHEN-SEAT

34

Contrôle de la retenue douanière
par le juge des libertés et de la détention

Rejeté

Article 15
Retenue judiciaire et garde à vue des mineurs

Mme BORVO COHEN-SEAT

35

Relèvement des seuils de placement
en retenue judiciaire et en garde à vue
des mineurs

Rejeté

M. ZOCCHETTO, rapporteur

43

Modalités d'information des représentants légaux du mineur

Adopté

M. ZOCCHETTO, rapporteur

44

Précision

Adopté

Article 15 ter (nouveau)
Droits de la personne en cas de défèrement faisant suite à une garde à vue

M. ZOCCHETTO, rapporteur

14

Suppression
(coordination)

Adopté

Article 15 quater (nouveau)
Droits de la personne en cas de défèrement faisant suite à une garde à vue

M. ZOCCHETTO, rapporteur

15

Suppression
(coordination)

Adopté

Article additionnel après Article 16

Mme BORVO COHEN-SEAT

36

Régime des nullités faisant grief

Rejeté

Article 17
Application outre-mer

M. ZOCCHETTO, rapporteur

45

Application de la loi à Wallis-et-Futuna,,
en Polynésie française
et en Nouvelle-Calédonie

Adopté

ANNEXE 1 - AUDITION DE M. MICHEL MERCIER, MINISTRE DE LA JUSTICE, GARDE DES SCEAUX

MARDI 15 FÉVRIER 2011

_______

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés . - Je m'en tiendrai à un bref panorama, puisque nous entrerons ensuite dans le détail du projet de loi avec vos questions. Cette réforme de la garde à vue a été voulue par ceux qui ont voté la révision constitutionnelle de 2008 ; il n'y aucune raison de s'y engager à reculons. De fait, la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 faisait suite à une question prioritaire de constitutionnalité, une innovation constitutionnelle majeure appelée à devenir un mode habituel de réforme de notre droit. C'est une bonne réforme qui construit un équilibre nouveau entre deux exigences de même valeur constitutionnelle : celle de sûreté inscrite à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et celle du respect des libertés et droits garantis par notre loi fondamentale. Ce texte est entouré -c'est là tout l'intérêt de l'affaire- de deux garanties pour le citoyen : une garantie constitutionnelle via la question prioritaire de constitutionnalité et une garantie conventionnelle, soit la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Cet équilibre doit apporter un « plus ».

Quels sont les objectifs de ce texte ? Tout d'abord, mettre fin à la banalisation de la garde à vue. Entre 2000 et 2009, leur nombre est passé environ de 200 000 à 800 000. Plus de 170 000 d'entre elles sont aujourd'hui décidées pour des infractions routières, ce qui, dans la très grande majorité des cas, ne paraît pas nécessaire. La garde à vue doit rester un moyen exceptionnel d'enquête. Le but est de réduire leur nombre d'au moins 300 0000. Ensuite nous visons une plus grande conformité avec les règles du droit conventionnel. Elle passe par la reconnaissance du droit au silence : la personne gardée à vue doit être informée qu'elle a le droit de se taire, sauf lorsque les questions touchent à son identité. Elle passe également par l'humanisation des conditions de la garde à vue : utilisation des fouilles à corps seulement lorsque la sécurité l'exige, droit à une visite médicale, droit d'informer les proches et l'employeur que l'on est gardé à vue et, surtout, droit à la présence d'un avocat dès la première minute de la privation de liberté. Cette dernière disposition, qui va obliger les barreaux à se réorganiser, entraîne des conséquences budgétaires importantes. La conservation de régimes dérogatoires est nécessaire pour les crimes en bande organisé, le trafic de stupéfiants et le terrorisme. La loi Perben s'appliquera, moyennant quelques modifications issues des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation d'octobre et de décembre 2010.

Le débat s'est focalisé sur le contrôle de la garde à vue et sa durée. Cessons de nous flageller en permanence : la France a un des systèmes les plus protecteurs au monde ! La Grande-Bretagne en aurait un meilleur ? Tout à fait faux ! L'officier de police y dirige l'enquête et décide du prolongement de la garde à vue dont la durée maximale va jusqu'à 28 jours. Soit, il y existe l'habeas corpus. Mais celui-ci n'est-il pas expressément inscrit à l'article 66 de notre Constitution ? (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, approuve.) Cet article dispose : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » Tout est dit : c'est la définition même de l'habeas corpus.

Je serai clair sur le rôle du parquet, qui a suscité de nombreux débats. Le parquet à la française n'est pas propre à notre république ; il existe dans d'autres pays de droit continental, même si son statut y est différent. Je renvoie tous ceux qui veulent fouiller la question en droit interne aux conclusions de Marc Robert, avocat général à la Cour de cassation, dans l'arrêt de décembre 2010 relatif à des événements survenus à l'Ile de la Réunion. En droit conventionnel, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a évolué vers une confusion entre l'article 5-3 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif aux mesures de privation de liberté qui prévoit la présence d'un magistrat et les dispositions de l'article 6-1 relatives au procès équitable qui imposent l'intervention d' un juge indépendant. Résultat, la Cour de Strasbourg a jugé que le procureur à la française, parce qu'il n'est pas neutre, ne peut pas être l'autorité de contrôle. C'est donc la nature de partie poursuivante du parquet qui est en cause, et non son statut.

A quel moment faire intervenir l'autorité de contrôle de la garde à vue, donc le juge? Les arrêts de la Cour de Strasbourg  varient sur ce point sans compter les problèmes de traduction. Pour faire coexister les deux versions - anglaise et française- de la Convention qui font foi, la Cour a recours au concept de promptly , que l'on pourrait traduire par promptitude, à distinguer de l'immédiateté. La Cour de Strasbourg a prévu que le juge devait intervenir dans un délai compris entre trois et quatre jours selon les cas. En deçà, chacun est libre de faire comme il l'entend et de nombreux États confient à la police le soin de mettre en oeuvre la garde à vue. Quid de la France ? Nous confions, durant cette période, le contrôle de la garde à vue à un magistrat, le procureur de la République. N'en déplaise à certains, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 30 juillet 2010, que l'autorité judiciaire était composée des magistrats du parquet et du siège. Cette décision s'impose à tous ; il n'y a pas lieu d'y revenir. Nous ajoutons à cette garantie constitutionnelle du procureur pour le premier prolongement de la garde à vue, la garantie conventionnelle du juge du siège pour la suite de la procédure. Voilà l'architecture retenue après les débats à l'Assemblée nationale.

M. François Zocchetto , rapporteur . - L'article premier A, introduit par les députés, obéit à une intention louable mais il faut éviter qu'il ne devienne source de nombreuses nullités. Le risque a été souligné par de nombreux juristes. Quel sort réserver à l'auto-incrimination dans des affaires anciennes ou des affaires de moeurs où tout se joue sur la parole de l'un contre la parole de l'autre ? Quid d'une éventuelle nullité au motif que la preuve est directement issue d'une déclaration faite hors la présence d'un avocat ? Ce risque est d'autant plus grand que le procureur pourra différer la présence de l'avocat lors des auditions jusqu'à douze heures et que son autorisation écrite et motivée pourra être ultérieurement contestée.

Ensuite, quid de l'étude d'impact ? N'a-t-on pas réalisé une évaluation financière a minima ? Outre l'aide juridictionnelle, il aurait fallu tenir compte des dispositions introduites par les députés sur les régimes dérogatoires et les retenues douanières.

Enfin, de nombreuses personnes que j'ai entendues, y compris des policiers, souhaitent étendre l'obligation d'enregistrement à toutes les gardes à vue en matière correctionnelle, pour des raisons de simplicité. Cela ne semble pas poser de problèmes matériels sur le terrain. Qu'en pensez-vous ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux . - Je suis tout à fait favorable au recours à l'enregistrement audiovisuel, qui existe déjà pour les enfants. C'est uniquement une question de moyens ; nous ne pouvons pas lancer tous les chantiers en même temps. Il faudrait également développer la visioconférence afin de maintenir des officiers de police judiciaire (OPJ) sur tout le territoire. Je suis contre l'idée d'un regroupement des personnes gardées à vue dans les villes sièges des préfectures. D'où la nécessité de faciliter les relations avec le parquet et la brigade de gendarmerie. Nous irons aussi vite dans ce domaine que le Parlement nous en donnera les moyens...

M. Jean-Jacques Hyest , président . - ...dans les limites de l'article 40 de la Constitution ! Le Gouvernement propose les crédits, le Parlement les approuve....

M. Michel Mercier, garde des sceaux . - La première évaluation financière de la réforme, centrée sur la seule indemnisation des avocats, ne représente pas la totalité des moyens en jeu. Il faudrait également tenir compte des moyens immobiliers, de l'indemnisation des magistrats qui devront se déplacer dans les commissariats et les gendarmeries...

J'ai déjà demandé au Premier ministre de revoir le montant de la première enveloppe prévue pour l'indemnisation des avocats durant la deuxième partie de l'année 2011.

L'article premier A n'est en rien une novation ! Il reprend purement et simplement l'arrêt Salduz de la Cour européenne des droits de l'homme du 27 novembre 2008. Son objet est de limiter la force probante des déclarations faites hors la présence d'un avocat. Il donnera lieu à une interprétation stricte. Son dispositif est bien encadré : le champ est limité aux matières correctionnelles et criminelles ; il y est question de prononcé de condamnations, les lois de procédure en sont donc écartées -cela répond à vos craintes, monsieur le rapporteur ; seuls les aveux hors la présence d'un avocat sont concernés, ce qui oblige à rechercher des preuves pour fonder la condamnation. Il s'inscrit dans une évolution globale de notre droit pénal, de la culture de l'aveu à la culture de la preuve. Enfin, qu'il figure ou non dans la loi, il sera d'application dès mai 2011. De fait, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, prononcera un arrêt dans quelques semaines qui devrait rendre automatique l'application du droit conventionnel. Nous pourrons préciser, lors des débats en séance publique, que cet article ne concerne pas la procédure afin que cela figure noir sur blanc dans les travaux préparatoires.

M. Alain Anziani . - Cette réforme tout à fait nécessaire nous a été imposée. Peut-être avons-nous d'ailleurs trop attendu. Le texte comporte des avancées et je me réjouis de la suppression de l'audition libre à l'Assemblée nationale. Pourtant, celle-ci ne réapparaît-elle pas à l'article 11 bis par le biais de la comparution sans contrainte ? Le ministre de l'intérieur a donné son interprétation, quelle est la vôtre ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux . - Lorsqu'il s'agit de justice, c'est moi qui donne des interprétations !

M. Alain Anziani . - Le texte prévoit que l'avocat est présent lors des auditions. Qu'en est-il lors des confrontations ? Pour les personnes soupçonnées d'actes de terrorisme, il est prévu des dispositions particulières à l'article 12. Je pense, entre autres, à la liste des avocats habilités à les assister qui devront être élus par le Conseil national des barreaux. Que se passera-t-il si les avocats se récusant, aucun nom ne figure sur la liste ? La garde à vue doit se dérouler dans des conditions respectueuses de la dignité de la personne, est-il écrit dans ce texte. Dès lors, ne faut-il pas prévoir des moyens supplémentaires pour l'aménagement des locaux ? Enfin, quand aura lieu la réforme de la procédure pénale annoncée ?

M. Jean-Pierre Michel . - Mieux aurait valu en revenir à ce qu'était la garde à vue à l'origine : une prise de corps rapide, n'excédant pas 24 heures, avant que la juridiction ne statue de manière contradictoire en présence d'un avocat. Ne pas en faire un moyen d'enquête nous aurait épargné bien des complications !

M. Jacques Mézard . - J'avais cru comprendre que l'objectif de la loi était de diminuer le nombre des gardes à vue. Outre que l'article premier A posera d'énormes problèmes de contentieux, il aurait fallu, pour atteindre ce but, modifier la législation. A l'article premier, il est toujours prévu qu'elle peut être utilisée « pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement », soit à peu près tout ! ( Mme Borvo Cohen-Seat acquiesce .) En réalité, la combinaison de l'article 62 du code de procédure pénale complété par un paragraphe qui est loin d'être neutre et du nouvel article 73 du même code revient à donner toute liberté à la police et à la gendarmerie !

Vous évoquiez nos lointaines provinces à propos de la visioconférence. Pensez-vous que le délai de deux heures, prévu à l'article 7-2, suffira à l'avocat pour rejoindre le lieu où la personne est gardée à vue dans les territoires ruraux ? Dans quelles conditions les avocats pourront-ils consulter les procès-verbaux établis selon les conditions décrites au nouvel article 64 du code ? Par internet, par e-mail ? Il faudra aménager ces dispositions.

Enfin, le retour de l'audition libre via la réécriture de l'article 62 du code posera problème.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Monsieur le garde des sceaux, nombre de ceux qui n'ont pas voté la révision constitutionnelle réclamaient, depuis longtemps, une réforme de la garde à vue. Et la majorité a tout fait pour ne pas le réformer juqu'à ce qu'elle y soit obligée...

Ma position est proche de celle de M. Michel, une garde à vue qui serait strictement un temps d'attente avant l'intervention du juge. Soit, cela suppose d'augmenter le nombre de magistrats. Mais la voie que vous avez choisie a, de toute façon, d'importantes conséquences financières.

Les policiers veulent garder la mainmise sur la garde à vue. Leur conception de la procédure est contraire à la défense des libertés. Pour moi, la garde à vue doit être extrêmement courte et exceptionnelle. D'où la nécessité de la limiter aux personnes soupçonnées de crimes ou de délits punis par cinq ans d'emprisonnement au moins. Je suis contre les régimes dérogatoires car, pour prolonger une garde à vue, il suffira d'invoquer des faits de terrorisme...

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Difficile de le faire à l'encontre de criminels sexuels !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Plus la charge est grave, plus la personne a besoin de l'assistance d'un avocat. Quant au contrôle de la garde à vue, il doit être entièrement confié au juge des libertés et de la détention. Pourquoi refuser d'introduire un critère de nombre d'années d'emprisonnement pour l'application de la garde à vue ? Pourquoi réintroduire l'audition libre ?

M. Jean-Pierre Vial . - Monsieur le garde des sceaux, je suis sensible à l'objectif de réduire le nombre de gardes à vue que vous avez clairement affiché à l'Assemblée nationale, ce qui mécaniquement améliorera leur condition de prise en charge. La gendarmerie évalue à 50 millions le coût du réaménagement de ses locaux afin que la garde à vue puisse être assurée dans de bonnes conditions par toutes les brigades sur le territoire, sans quoi il faudra envisager une réorganisation totale de ses services. Quelle est votre position sur ce sujet ? Ensuite, le chiffre de 300 000 gardes en vue en moins est en-deçà de la diminution envisagée par la police et les magistrats ; les premiers, parce qu'ils considèrent la garde à vue comme un prolongement de l'arrestation, parlent de moins 30% et les seconds de moins 50 %. N'y a-t-il pas à craindre que la réforme proposée n'entraîne pas la diminution attendue ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux . - Madame Borvo, l'Assemblée nationale a adopté ce projet de loi à une très large majorité ; seulement 32 voix contre ! Nous avons bien travaillé et j'aborde les débats dans le même esprit d'ouverture au Sénat.

Monsieur Anziani, l'audition libre ne réapparaît pas sous le couvert des dispositions de l'article 11 bis . Ce n'est pas moi qui le dis, mais Mme Elisabeth Guigou.

M. Jean-Pierre Michel . - Nous ne sommes pas des idolâtres !

M. Michel Mercier, garde des sceaux . - Elle en a fait la démonstration brillante à l'Assemblée nationale si bien que je n'avais rien à ajouter. L'avocat est d'autant plus présent durant les confrontations que le texte prévoit -c'est une innovation- que la victime pourra être assistée d'un avocat à l'article 7 bis nouveau -cette mesure devra être prise en compte dans l'évaluation de la réforme.

M. Alain Anziani . - Le point mérite d'être clarifié ; nous vous y aiderons...

M. Michel Mercier, garde des sceaux . - Il est justifié de prévoir des régimes dérogatoires.

M. Alain Anziani . - Ce n'était pas l'objet de ma question...

M. Michel Mercier, garde des sceaux . - Il faudra peut-être améliorer le texte sur la liste des avocats habilités à intervenir pour les personnes soupçonnées de faits de terrorisme, de crime organisé ou de trafic de stupéfiants. Nous avons repris le système espagnol puisqu'il est excellent, parait-il... Le but est d'éviter que les prévenus en garde à vue puissent communiquer avec des avocats proches d'eux, qui leur feraient passer des messages. Nous savons tous que cela existe.

J'ai évoqué les moyens humains, immobiliers et mobiliers nécessaires au succès de cette réforme. L'étude d'impact approche la vérité. Il ne faut pas être trop exigeant, notamment pour les locaux de la gendarmerie, dont les propriétaires n'ont pas forcément les moyens de les aménager immédiatement.

A quand la réforme de la procédure pénale ? Tout de suite après la réforme de la garde à vue. Le calendrier est très contraint, nous ne pourrons pas aller beaucoup au-delà du 14 juillet à cause des élections sénatoriales.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Merci d'y penser.

M Michel Mercier, garde des sceaux - On ne peut pas décemment faire une session extraordinaire et lancer un débat sur la réforme de la procédure pénale en septembre. La suite de cette réforme - à laquelle beaucoup d'entre vous ont travaillé -viendra juste après.

Monsieur Michel, vous avez souhaité que l'on revienne aux origines, mais le retour à l'âge d'or est un vieux rêve impossible, notamment pour les raisons qu'a avancées le président de votre commission.

Monsieur Mézard, cette réforme vous laisse sceptique mais je sens que vous avez envie de la voter. Je ferai en sorte que votre envie devienne réalité.

Les infractions non frappées de peines d'emprisonnement, cela existe ! Par exemple, en 2009, il y a eu 59 687 condamnations pour conduite d'un véhicule à moteur sans assurance, 1 235 condamnations pour exécution de travaux sans permis de construire ; ou encore des condamnations pour pêche maritime dans une zone où cette pêche est interdite. Tout cela n'est pas passible de prison !

Un mot sur les moyens. En fait, lorsque j'ai parlé de visio-conférence, je pensais aux membres du parquet plutôt qu'aux avocats qui sont là dès la première minute. Vu l'excellent état des routes du Cantal, un délai d'une heure est bien suffisant.

Oui, Madame Borvo, cette réforme suppose un profond changement culturel, notamment pour nos forces de police et de gendarmerie. Il faudra les y aider. Mais elles en sont aussi capables que celles des pays voisins qui ont une législation proche de celle que nous projetons et qui parviennent très bien à confondre les délinquants. L'objectif est de faire moins de gardes à vue, de mieux les cibler et de mieux former les OPJ dont certains peuvent se sentir mal à l'aise face à des avocats à la parole facile. C'est pourquoi le texte prévoit que l'officier de police judiciaire mène le débat et que l'avocat ne parle qu'après lui.

Monsieur Vial, vous avez rappelé notre objectif de diminuer le nombre de gardes à vue. Dès cette année, on en compte 100 000 de moins. Avec la loi, nous ferons mieux.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Le délai d'ici son entrée en vigueur est extrêmement court compte tenu de la nécessaire adaptation des locaux, des permanences du parquet etc. On risque de gros dégâts...

M. Jean-Pierre Michel - Le Conseil constitutionnel n'a pas dit que tout devait entrer en vigueur au 1 er août. On peut différer certaines dispositions.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Cela forme un tout...

M Michel Mercier, garde des sceaux - Nous ne ferons pas tout le même jour et certaines adaptations de terrain se feront sans nous. Je souhaite une date d'entrée en vigueur la plus proche possible. On peut autrement craindre un grand désordre dans nos tribunaux où certains appliqueront la loi actuelle tandis que d'autres appliqueront la convention de Strasbourg. Sans procédure accélérée j'en appelle à la responsabilité des parlementaires pour adopter la réforme dans des délais qui permettent d'éviter une telle situation.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Espérons que certains magistrats auront le même sens des responsabilités.... Le délai du Conseil constitutionnel est raisonnable.

ANNEXE 2 - LISTE DES AUDITIONS ET DES DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LE RAPPORTEUR

PERSONNES ENTENDUES

Ministère de la justice

- Mme Maryvonne Caillibotte, directrice des affaires criminelles et des grâces

Cour de cassation

- M. Bertrand Louvel , président de la chambre criminelle

Conférence nationale des procureurs de la République

- M. Robert Gelli , président de la conférence

Association française des magistrats instructeurs

- M. Marc Trévidic, président

- M. Vincent Sizaire, juge d'instruction

FO Magistrats

- M. Emmanuel Poinas , secrétaire général

- M. Pierre-Louis Jacob , président de la chambre d'instruction à la cour d'appel

- Mme Nadine Barret, substitut

- M. Olivier Lichy, vice-procureur

Syndicat de la magistrature

- Mme Clarisse Taron , présidente

- M. Benoist Hurel , secrétaire national

Union syndicale des magistrats

- M. Christophe Regnard, président

- M. Nicolas Léger , secrétaire national

Direction générale de la police nationale

- M. Frédéric Péchenard , directeur général de la police nationale

- M. Jean Mafart, directeur adjoint de cabinet

- M. Jérôme Bonet, chef de cabinet judiciaire

Direction générale de la gendarmerie nationale

- M. Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale

Syndicats des officiers de police nationale


S.N.O.P. (syndicat national des officiers de police)

- M. Jean-Marc Bailleul , secrétaire général adjoint

- Mme Chantal Pons-Mesouaki , secrétaire nationale


S.I.C.P. (syndicat indépendant des commissaires de police)

- M. Thierry Huguet , membre du bureau national

- M. Jean-Paul Megret , secrétaire national


S.C.P.N. (syndicat des commissaires de la police nationale)

- Mme Sylvie Feucher , secrétaire général

- M. Emmanuel Roux , secrétaire général adjoint


Synergie Officiers

- Mme Isabelle Trouslard , capitaine de police, conseiller technique

- M. Christophe Gesset , commandant de police, conseiller technique

Syndicats de policiers


Alliance

- M. Laurent Laclau Lacrouts , conseiller spécial

- M. Pierre Azema , secrétaire général


Syndicat général de la police

- M. Jean-Pascal Strader, secrétaire national

- M. Laurent Ysern, secrétaire national adjoint

Comité de réflexion sur la réforme du code pénal et du code de procédure pénale

- M. Philippe Léger , président

Commission nationale consultative des droits de l'Homme

- M. Yves Repiquet , président

- M. Pierre Lyon-Caen , rapporteur

Contrôle général des lieux de privation de liberté

- M. Jean-Marie Delarue , contrôleur général

Institut Montaigne

- M. Kami Haeri , avocat

GIE avocats

- M. Thierry Wickers , président

- M. Jean-Yves Le borgne ,  vice-bâtonnier au barreau de Paris

- M. Alain Mikowski, président de la commission libertés et droits de l'homme au conseil national des barreaux

- M. Alain Pouchelon , président de la conférence des bâtonniers

Personnalité qualifiée

- M. Jean Danet , maître de conférences à la faculté de droit de Nantes

Institut pour la justice

- M. Xavier Bebin , délégué général

- M. Jean Pradel , professeur

- M. Jean-Claude Kross , expert associé

Contribution écrite

- Observatoire des libertés

DÉPLACEMENT À LAVAL

- M. Jean-Patrice Douchy , président du tribunal de grande instance

- M. Raphaël Sanesi , procureur de la République

- M. Arnaud Desjardins , commissaire principal, directeur départemental de la sécurité publique de la Mayenne

- Barreau :

- M. Bernard Boulliou, bâtonnier

- Mme Anne Sophie Gouedo , avocat, membre du Conseil de l'Ordre

- M. Eric Cesbron , avocat, membre du Conseil de l'Ordre


* 1 Cass. Crim., 19 octobre 2010, pourvoi n° 5 699 et 5 701.

* 2 Proposition de loi n° 208 (2009-2010) présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl09-208.html .

* 3 Proposition de loi n° 201 (2009-2010) présentée par Mme Alima Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl09-201.html .

* 4 Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel, Procédure pénale : les clefs d'une réforme équilibrée, commission des lois, groupe de travail sur l'enquête et l'instruction, rapport d'information n° 162 , 2010-2011 : http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-162-notice.html . Voir aussi l'étude de législation comparée du Sénat relative à la garde à vue http://www.senat.fr/notice-rapport/2009/lc204-notice.html .

* 5 Décision précitée du 30 juillet 2010, considérant 25.

* 6 Garde à vue, jurisclasseur Procédure pénale.

* 7 Jacques Leroy, op. cite.

* 8 Ainsi, hors le cas de flagrant délit, l'arrestation ne pouvait être décidée que sur mandat d'amener.

* 9 Jacques Leroy, garde à vue in jurisclasseur Procédure pénale, articles 52 à 73.

* 10 Cass. Crim., 17 mars 1960.

* 11 Conseil constitutionnel, n° 93-326 DC, 11 août 1993.

* 12 Cette disposition est issue de la loi du 9 mars 2004. La loi du 4 janvier 1993 avait autorisé la présence de l'avocat pour un entretien de 30 minutes.

* 13 La loi du 15 juin 2000 avait déjà prévu un tel enregistrement pour l'audition des mineurs placés en garde à vue. L'obligation d'enregistrement ne concerne toutefois pas, sauf décision contraire du procureur de la République, les infractions relevant de la criminalité organisée.

* 14 Source état 4001, ministère de l'intérieur.

* 15 Journal du dimanche, 14 février 2010.

* 16 Le 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958, introduit par la loi n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, prévoit que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur une disposition législative qui a « déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel sauf changement de circonstances ».

* 17 CC, décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989.

* 18 Art. XVI : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminés, n'a point de Constitution ». Voir la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006.

* 19 Cass. Crim., 9 mai 1994, B. n°174.

* 20 Affaire Dayanan, prec., §32, in fine.

* 21 Cass. Crim., 19 octobre 2010, n° 10-82 - 306.

* 22 Décision n°93-326 DC du 11 août 1993 (considérant n°11), repris dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 (considérant n°30).

* 23 Décision n°93-326 DC précitée (considérant n°12).

* 24 CEDH, 22 avril 1993, affaire Brannigan et McBride c. Royaume-Uni.

* 25 Cour européenne des droits de l'homme, 29 novembre 1988, Brogan et autres c. Royaume-Uni.

* 26 Voir examen de l'article premier.

* 27 CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c. Turquie.

* 28 Cass. Crim., 19 octobre 2010, n°10-82.902 et 10-85.051.

* 29 Une caméra de surveillance était même installée dans l'un des locaux visités par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

* 30 A titre d'exemple, actuellement, à la suite d'une rixe, tant les auteurs que les victimes sont appréhendés puis placés en garde à vue même pour un temps très court.

* 31 Cass. Crim., 4 janvier 2011 et 18 janvier 2011.

* 32 Cass. Crim., 6 décembre 2000.

* 33 Article 62 (dernier alinéa), article 78 (3 ème alinéa) et article 153 (premier alinéa) du code de procédure pénale.

* 34 Cass. Crim., 3 juin 2008.

* 35 Le mandat de recherche, délivré par le procureur de la République en cas d'infraction flagrante punie d'au moins trois ans d'emprisonnement, ou le juge d'instruction, a pour objet de rechercher la personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction et de la placer en garde à vue.

* 36 Arrêt Fox, Campbell et Hartley c/Royaume-Uni du 30 août 1990.

* 37 Selon la circulaire CRIM 00-13 F1 du 4 décembre 2000 présentant les dispositions de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes concernant la garde à vue et l'enquête de police judiciaire « il peut s'agir d'indices matériels, mais également de la mise en cause d'un tiers, des déclarations de l'intéressé que contrediraient les constatations des enquêteurs, du comportement anormal de la personne sur le lieu des faits, etc. ».

* 38 Cass. Crim., 22 mai 2001.

* 39 CEDH, Me Kay c. Royaume-Uni, 2006.

* 40 CEDH, Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988.

* 41 CEDH, Aquilina c. Malte, 1999.

* 42 CEDH, Moulin c. France, 23 novembre 2010.

* 43 CEDH, Ipek et autres c. Turquie, 3 février 2009.

* 44 CEDH, Kandjov c. Bulgarie, 6 novembre 2008.

* 45 Rapport précité, p. 61.

* 46 Cass. Crim., 15 décembre 2010.

* 47 Conseil constitutionnel, 1° 93-326 DC, 11 août 1993.

* 48 Ces « circonstances insurmontables » peuvent être liées aux conditions de l'interpellation -transport d'un groupe important de personnes, vérification approfondie des documents d'identité présentés par passage aux fichiers : dans ce cas d'espèce ce n'est que deux heures après l'arrestation que l'officier de police judiciaire a pu procéder ou fait procéder aux auditions des intéressés et établir à destination des magistrats du parquet la liste complète et précise des identités et domicile des personnes gardées à vue (Cass. Civ. 2 e , 19 février 2004).

* 49 Cette information peut ainsi prendre la forme d'une télécopie intitulée « billet de garde à vue » dès lors qu'elle a été transmise dès le début de la mesure et a permis au procureur de la République d'exercer son contrôle sur celle-ci - Cass. Crim., 14 avril 2010.

* 50 Cass. Crim., 13 novembre 1996.

* 51 Cass. Crim., 28 juin 2000.

* 52 La mesure est considérée comme s'exécutant de manière fractionnée (Cass. Crim, 13 février 1996) -les mesures demeurant toutefois autonomes au regard de l'avis au parquet, à la notification et à l'exercice des droits de la personne.

* 53 Cass. Crim, 17 mars 2004.

* 54 Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, tout retard dans la mise en oeuvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne (Cass. Crim., 2 mai 2002). L'état d'ébriété peut être considéré comme une circonstance insurmontable empêchant la personne de comprendre la portée des droits qui auraient pu lui être notifiés et de les exercer utilement (Cass. Crim., 3 avril 1995).

* 55 Est ainsi régulier un procès-verbal de notification du droit à une personne gardée à vue de nationalité chinoise mentionnant expressément qu'il a été remis à cette dernière une notice, visée par le traducteur interprète assermenté, qui est la traduction en langue chinoise des droits de la personne gardée à vue (Douai, 17 septembre 1997).

* 56 CEDH, aff. John Murray c/Royaume-Uni, 8 février 1996.

* 57 Cass. Crim., 27 septembre 2009.

* 58 CEDH, affaire Dayanan c. Turquie, 13 octobre 2009, § 32.

* 59 Rapport précité, p. 36.

* 60 Cass. Crim., 9 mai 1994.

* 61 Cass. Crim., 28 avril 2004.

* 62 Cass. Crim., 13 décembre 2006.

* 63 Rapport précité, p. 36.

* 64 Cass. Crim, 23 avril 1992.

* 65 Huit heures à Mayotte.

* 66 Cass. Crim., 13 novembre 1996. S'agissant de la retenue en matière de contrôle d'identité, l'article 78-4 du code de procédure pénale prévoit que la durée de la rétention s'impute, s'il y a lieu, sur celle de la garde à vue.

* 67 La circulaire CRIM 00-13 F1 du 4 décembre 2000 précise d'ores et déjà : « pour la computation du délai de garde à vue, le début de cette mesure doit rétroagir soit au début de l'audition, soit au moment à partir duquel il a été fait usage de contrainte contre la personne (notamment si l'officier de police judiciaire a défendu à l'intéressé présent sur les lieux d'un crime flagrant de s'en éloigner en application de l'article 61 ou l'a contraint à comparaître par la force publique en application de l'article 62) ».

* 68 Cass. Crim, 2 septembre 2003 et 7, 8 et 15 septembre 2004.

* 69 Cass. Crim., 2 décembre 2000.

* 70 L'article 24 du code de procédure pénale dispose quant à lui que les chefs de district et agents techniques des eaux et forêts et les gardes champêtres des communes conduisent devant un officier de police judiciaire tout individu qu'ils surprennent en flagrant délit. Les chefs de district et les agents techniques des eaux et forêts peuvent, dans l'exercice des fonctions visées à l'article 22, requérir directement la force publique ; les gardes champêtres peuvent se faire donner main-forte par le maire, l'adjoint ou le commandant de brigade de gendarmerie qui ne pourront s'y refuser.

* 71 Cass. Crim, 1er octobre 1979. Une retenue de plus de sept heures avant d'appeler la police est une séquestration arbitraire : Cass. Crim., 16 février 1988.

* 72 Lorsque l'arrestation est effectuée par des policiers ou des gendarmes ayant eux-mêmes la qualité d'OPJ ou en mesure de contacter très vite un OPJ, le placement en garde à vue doit suivre très vite l'arrestation : Cass. Crim., 6 décembre 2000.

* 73 Cass. Crim., 10 mai 2000.

* 74 Cass. Crim., 26 novembre 2003.

* 75 Cass. Crim., 11 mai 2004 : en l'espèce, le prévenu avait été interpellé à 4h05 au volant de son véhicule, alors qu'il venait de franchir successivement six carrefours sans respecter l'arrêt aux feux rouges et qu'il était en état d'ivresse manifeste. Il avait alors été placé en chambre de dégrisement. A la sortie de cette dernière à 11h05, il avait décliné son identité, pris acte de son interpellation et avait été laissé libre à 11h20. Il avait quitté le commissariat à 12h30, après délivrance d'une convocation judiciaire. La cour d'appel a rejeté le moyen de nullité invoqué par le prévenu qui soutenait qu'il aurait dû être placé en garde à vue après son dégrisement. La Cour de cassation a estimé que les juges avaient retenu, à bon droit, que l'intéressé avait consenti à son audition et que la mesure de garde à vue n'était pas justifiée par les nécessités de l'enquête.

* 76 Cass. Crim., 21 juin 2006 et 24 janvier 2007.

* 77 Le projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, actuellement examiné par le Conseil constitutionnel, prévoit d'insérer deux nouveaux articles L. 234-16 et L. 234-17 dans le code de la route.

* 78 Décision n°93-326 DC du 11 août 1993 (considérant n°11), repris dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 (considérant n°30).

* 79 Décision n°93-326 DC précitée (considérant n°12).

* 80 CEDH, 22 avril 1993, affaire Brannigan et McBride c. Royaume-Uni.

* 81 CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c. Turquie.

* 82 Cass. Crim., arrêts 10-82.902, 10-82.306 et 10-85.051.

* 83 Rapport n° 162 (2010-2011) du groupe de travail sur l'évolution du régime de l'enquête et de l'instruction, Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel, « Procédure pénale : les clefs d'une réforme équilibrée ».

* 84 Sont donc concernées les seules juridictions disposant d'un « dépôt de nuit ».

* 85 Personne choisie par la personne gardée à vue, qui n'est pas mise en cause pour les mêmes faits ou pour des faits connexes et qui n'a fait l'objet d'aucune condamnation, incapacité ou déchéance, lorsque la garde à vue se déroule en Nouvelle Calédonie en dehors des communes de Nouméa, Mont-Dore, Dumbea et Paita, en Polynésie française et à Mayotte. Personne agréée par le président du tribunal de première instance dans les territoires des îles Wallis et Futuna.

* 86 Lequel dispose que, « sans préjudice des droits de la défense, le fait, pour toute personne qui, du fait de ses fonctions, a connaissance, en application des dispositions du code de procédure pénale, d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours concernant un crime ou un délit, de révéler sciemment ces informations à des personnes qu'elle sait susceptibles d'être impliquées comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs, dans la commission de ces infractions, lorsque cette révélation est réalisée dans le dessein d'entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Lorsque l'enquête ou l'instruction concerne un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement relevant des dispositions de l'article 706-73 du code de procédure pénale, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende ».

* 87 Depuis la loi du 17 décembre 1814, il n'existe plus de crimes en matière douanière. Les principaux délits douaniers sont la contrebande (articles 414 et 414-1 du code des douanes), le blanchiment douanier (article 415 du code des douanes), les relations financières illicites avec l'étranger (article 459 du code des douanes) et le défaut de déclaration de transfert de capitaux (article 465 du code des douanes).

* 88 Cass. Crim., 7 mars 1994, n°93-85698.

* 89 Ce qui va à l'encontre du principe de liberté de la preuve en matière délictuelle, lequel implique que les procès-verbaux des officiers de police judiciaire ne sont que des éléments de preuve. L'article 428 du code de procédure pénale dispose à ce sujet que « l'aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges ».

* 90 Cass. Crim., 28 juin 1995.

* 91 Cass. Crim., 9 septembre 1998.

* 92 Par dérogation à la règle selon laquelle c'est en principe l'âge du mineur au jour des faits qui détermine la procédure applicable, les règles applicables en matière de garde à vue des mineurs, comme en matière de retenue judiciaire, tiennent compte de l'âge du mineur au moment où la mesure est envisagée : Cass. Crim., 25 octobre 2000, qui considère que « les règles énoncées par l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945 visent à protéger le mineur placé en garde à vue, non en raison de son manque de discernement au jour des faits mais en raison de sa vulnérabilité supposée au jour de son audition ».

* 93 Dans un arrêt en date du 3 avril 2007, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que le défaut d'enregistrement audiovisuel des interrogatoires d'un mineur placé en garde à vue, non justifié par un obstacle insurmontable, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée.

* 94 Dans sa décision n°2004-492 DC du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel avait validé ces dispositions, estimant « que les dispositions de l'article 706-88 nouveau du code de procédure pénale concernent des enquêtes portant sur des infractions nécessitant, en raison de leur gravité et de leur complexité, des investigations particulières ; que le législateur a subordonné leur application aux mineurs à la double condition qu'ils aient plus de seize ans et qu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que des adultes sont impliqués dans la commission des faits ; qu'il a ainsi entendu garantir le bon déroulement de ces enquêtes et protéger les mineurs de tout risque de représailles susceptibles d'émaner des adultes impliqués ; que la différence de traitement ainsi instituée ne procède donc pas d'une discrimination injustifiée ».

* 95 En-dessous de dix ans, le mineur ne peut être entendu qu'en tant que témoin.

* 96 Voir l'étude d'impact annexée au projet de loi, pages 27 et suivantes.

* 97 Décision n°2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, cons. 58.

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