N° 365

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 mars 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi de Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Thierry FOUCAUD, Bernard VERA, Mme Éliane ASSASSI, M. François AUTAIN, Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, M. Michel BILLOUT, Mme Annie DAVID, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, M. Guy FISCHER, Mmes Brigitte GONTHIER-MAURIN, Gélita HOARAU, M. Robert HUE, Mme Marie-Agnès LABARRE, M. Gérard LE CAM, Mmes Josiane MATHON-POINAT, Isabelle PASQUET, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Mmes Mireille SCHURCH, Odette TERRADE et M. Jean-François VOGUET, tendant à assurer la juste participation des entreprises au financement de l' action publique locale et à renforcer la péréquation des ressources fiscales ,

Par M. Charles GUENÉ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Serge Dassault , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Yvon Collin, Philippe Dallier, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, André Ferrand, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Philippe Marini, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

305 (2010-2011)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

La présente proposition de loi tendant à assurer la juste participation des entreprises au financement de l'action publique locale et à renforcer la péréquation des ressources fiscales sera discutée en séance publique le mercredi 30 mars 2011, dans le cadre de la séance mensuelle réservée aux initiatives des groupes politiques d'opposition et des groupes minoritaires des assemblées, selon les dispositions de l'article 48 alinéa 5 de la Constitution.

Ce texte a été déposé par les membres du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche 1 ( * ) .

Par cette proposition de loi, les auteurs ont voulu mettre l'accent sur les difficultés résultant pour les collectivités territoriales de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale. Ils pointent le risque pour les élus locaux d'avoir à accroître la charge fiscale pesant sur leurs contribuables ou à réduire leurs dépenses. En outre, ils estiment qu'aucune réponse n'a été apportée par le législateur sur la nécessaire péréquation des ressources des collectivités .

Toutefois, votre rapporteur juge inappropriée la solution dessinée par la proposition de loi .

Il n'est pas favorable à l'instauration d'une taxation supplémentaire pesant sur les actifs financiers des entreprises. En effet, ce nouvel impôt se traduirait , en l'état actuel du texte, par une augmentation du taux de prélèvements obligatoires de près d'un point . De surcroît, cette taxation vise également à infléchir la stratégie financière des entreprises , de sorte qu'elles inscrivent moins d'actifs financiers dans leurs bilans. Or il ne revient pas au législateur de s'immiscer ainsi dans la bonne marche des affaires. En outre, votre rapporteur estime que plusieurs dispositions de la proposition de loi, notamment en ce qui concerne la base imposable, sont trop imprécises et peuvent faire l'objet d'interprétations divergentes.

Par ailleurs, les modalités de répartition du produit de cette taxation au profit des collectivités territoriales, via un fonds national de péréquation, ne sont pas opportunes . D'une part, le dispositif proposé est inopérant et redondant concernant les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle. D'autre part, il conduirait à un accroissement inconsidéré des ressources des collectivités territoriales.

I. UNE PROPOSITION QUI ANNULERAIT LES BÉNÉFICES DE LA RÉFORME DE LA TAXE PROFESSIONNELLE

A. UNE TAXATION INOPPORTUNE

1. Un alourdissement substantiel de la fiscalité des entreprises

L'objectif principal de la réforme de la taxe professionnelle était de stimuler la compétitivité des entreprises, tout particulièrement celles du secteur industriel . L'allègement fiscal réalisé à l'occasion de la loi de finances pour 2010 s'élèvera ainsi à environ 5 milliards d'euros par an en régime de croisière.

Or les auteurs de la présente proposition de loi estiment que la nouvelle taxation sur les actifs financiers des entreprises permettrait de lever près de 18 milliards d'euros 2 ( * ) . Par conséquent, une telle proposition conduirait à alourdir d'environ 13 milliards d'euros la charge fiscale des entreprises françaises au regard de la situation antérieure à la réforme votée en 2009.

L'adoption de ce dispositif se traduirait par une augmentation de 0,93 point du taux de prélèvements obligatoires . Alors que la reprise économique apparaît encore fragile, un signal aussi négatif envoyé au secteur productif créerait, sans aucun doute, un effet dépressif sur l'emploi .

Votre rapporteur souligne que la présente proposition n'est accompagnée d'aucune étude d'impact ou de travaux de simulation qui permettrait d'en mieux cerner les effets . Il n'est donc pas possible de connaître les entreprises ou, plus généralement, les secteurs d'activité qui seraient perdants si ce texte devait être adopté. Le secteur financier qui, par définition, gère surtout des actifs financiers devrait être assez largement frappé par ce prélèvement.

2. Une proposition qui n'est pas exempte de motifs idéologiques

L'exposé des motifs de la présente proposition de loi indique que la « contribution économique territoriale [CET] ne prend aucunement en compte la réalité de l'activité économique ni la réalité des choix et des constructions capitalistiques.

« La sur-accumulation de capital financier, y compris à visée spéculative, fondée sur une préemption constante et permanente des richesses créées par l'activité réelle, n'est toujours pas découragée ni prise en compte dans l'assiette fiscale de la CET . [...]

« Il nous a semblé nécessaire de procéder à un ajustement sensible de la base de CET en y ajoutant, en tant que base imposable, les actifs financiers figurant au bilan des entreprises assujetties. [...]

« La prise en compte des actifs financiers peut contribuer à modifier les choix de gestion des entreprises en faveur de l'emploi et de l'investissement productif ».

Outre l'abondement des budgets locaux par des recettes nouvelles, la présente proposition de loi vise également à s'immiscer dans les choix de gestion des entreprises. Or votre rapporteur rappelle que les actifs financiers n'ont pas uniquement une « visée spéculative ». En particulier, les titres de participation qui sont explicitement inclus dans l'assiette de la nouvelle taxation contribuent à la stratégie de l'entreprise dans une perspective de long terme . Les actifs financiers de court terme ne constituent, le plus souvent, qu'une modalité de gestion des excédents de trésorerie .

Il est par ailleurs étonnant que l'article 1 er se borne à une liste limitative d'actifs financiers 3 ( * ) . En particulier, la lettre de cet article semble exclure un certain nombre d'instruments de trésorerie. L'exposé des motifs de la présente proposition de loi regrette que « la cotisation sur la valeur ajoutée [...] risque vite de souffrir des effets d'éviction que les entreprises ne manqueront pas de faire jouer pour alléger leur facture fiscale ». Il est cependant à craindre que le dispositif proposé s'expose aux mêmes critiques .

Par exemple, une entreprise peut transformer des actifs financiers « à visée spéculative » en des actifs spéculatifs mais non financiers, tels que des biens immobiliers. Il paraît donc bien improbable que la seule taxation des actifs financiers puisse limiter la spéculation et, par là même, « contribuer à modifier les choix de gestion des entreprises en faveur de l'emploi et de l'investissement productif ».

Compte tenu de l'imprécision des dispositions relatives à la base imposable, il est probable que les effets de substitution s'opèrent sur les actifs financiers de court terme, qui se prêtent pourtant le plus à des opérations de nature spéculative . En revanche, les actifs financiers de long terme sont mieux pris en compte par la présente proposition de loi. De manière paradoxale, elle contribuera donc à taxer des opérations dont la justification économique est indéniable mais à exonérer, de facto , celles dont la contrepartie réelle n'est pas toujours évidente !

Enfin, la présente proposition de loi entend ne pas considérer la nouvelle taxation comme une charge déductible lors du calcul du bénéfice imposable. Cette dérogation au droit commun de la fiscalité des sociétés ne repose, en l'espèce, sur aucune justification particulière .


* 1 Proposition de loi n° 305 (2010-2011) enregistrée à la Présidence du Sénat le 15 février 2011.

* 2 La base imposable s'élèverait, d'après les auteurs, à 6 000 milliards d'euros. Le produit de 18 milliards d'euros correspond à un taux de 0,3 %. Toutefois, votre rapporteur ne dispose pas des données permettant de confirmer ou d'infirmer ces chiffres.

* 3 « Cette taxation porte sur l'ensemble des titres de placement et de participation, les titres de créances négociables, les prêts à court, moyen et long terme ».

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