B. DES CAUSES STRUCTURELLES ?

1. Un contexte spécifique : la propriété publique des stades

Force est tout d'abord de remarquer la principale spécificité des stades français : pour leur écrasante majorité, ils appartiennent à la collectivité sur le territoire de laquelle ils sont implantés (les communes ou leurs groupements).

90 % des enceintes de Ligue 1 sont ainsi la propriété d'une collectivité territoriale contre 59 % dans l'Europe élargie.

Plus largement, selon les informations fournies par l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES), 80 % du parc sportif français appartiennent aux collectivités territoriales , soit 200 000 équipements (ce sont ainsi 1,5 milliard d'euros par an de projets d'investissements qui sont présentés au CNDS). La Cour des comptes signale quant à elle que 73,1 % d'entre eux sont gérés par lesdites collectivités 4 ( * ) .

La coexistence entre l'obsolescence des stades et leur propriété publique n'est pas une coïncidence.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette corrélation.

S'agissant des collectivités, d'une part :

- elles ne poursuivent pas un objectif économique et n'ont donc pas forcément entrepris de rénovation de stades adaptée aux spécificités économiques du sport professionnel ;

- s'agissant d'un équipement qui est le plus souvent occupé par un club professionnel, il n'est pas forcément évident pour elles d'investir fortement, au risque d'être accusées d'utiliser l'argent public à des fins de bénéfices privés ;

- l'état des finances publiques locales ne leur permet pas souvent d'investir massivement dans ces équipements sportifs ;

S'agissant des clubs, d'autre part :

- à partir du moment où le club résident est un simple locataire sans droits réels ni marges de manoeuvre de gestion du stade, il n'a que peu d'intérêt à l'exploiter économiquement et à moderniser l'infrastructure ;

- les risques d'évolution politique de la collectivité et de changement de stratégie vis-à-vis des clubs résidents les rendent peu enclins à investir sur le long terme.

Il semble ainsi que la propriété publique des stades ne soit pas un élément susceptible d'encourager les investissements dans les infrastructures sportives. Elle aurait plutôt pour effet de mettre en place un mécanisme perdant/perdant au détriment de la qualité des installations sportives.

L'idéal serait pourtant de définir des modalités de coopération permettant de renverser la tendance au profit d'une modernisation des équipements.

La question des formules juridiques disponibles est au coeur de la problématique.

2. Des raisons juridiques

Il n'existe aucun cadre juridique adapté à l'ensemble des projets, le choix dépendant de chaque situation : rénovation ou construction, maîtrise d'ouvrage publique ou privée, mode de financement...

Le choix de telle ou telle formule, maîtrise d'ouvrage publique, concession, partenariat public privé ou bail emphytéotique administratif emporte en effet des conséquences différentes sur la capacité de la collectivité à moderniser ses installations.

(1) Les cas où la collectivité souhaite agir seule : la maitrise d'ouvrage publique

Traditionnellement, et notamment s'agissant des équipements municipaux utilisés par les clubs amateurs, l'outil juridique utilisé en cas de constructions ou rénovations est celui de la maîtrise d'ouvrage publique .

La loi dite « MOP » - loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 modifiée relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée - encadre :

- « la réalisation de tous ouvrages de bâtiment ou d'infrastructure ainsi qu'aux équipements industriels destinés à leur exploitation dont les maîtres d'ouvrage sont :

1° L'État et ses établissements publics ;

2° Les collectivités territoriales, leurs établissements publics , les établissements publics d'aménagement de ville nouvelle créés en application de l'article L. 321-1 du code de l'urbanisme, leurs groupements ainsi que les syndicats mixtes visés à l'article L. 166-1 du code des communes (...) ».

Ces cas correspondent bien à ceux où une collectivité souhaite faire rénover ou construire un équipement par un maître d'oeuvre qui conçoit et organise le projet.

Il est très largement utilisé. Notons ainsi que dans la liste des projets de stades déjà livrés énumérés par le rapport précité de la commission « grands Stades », sur les 10 équipements cités, rénovés ou construits, 8 l'étaient sous le régime de la loi MOP : un seul était privé (agrandissement du stade Marcel-Michelin de Clermont-Ferrand, dans un contexte très spécifique), et un n'était pas renseigné (agrandissement du stade Aimé-Giral de Perpignan).

Les projets de rénovation des stades de Toulouse et de Saint-Etienne seront menés sous cette forme avec un investissement important de la collectivité :

Selon les informations fournies à votre rapporteur, la rénovation du stade Geoffroy-Guichard (Saint-Etienne) représente environ 75 millions d'euros. Le marché a été attribué au groupement Léon Grosse (constructeur) et Chaix&Morel (architectes) en octobre 2010. L'instruction du permis de construire est en cours et les travaux devraient commencer à la prochaine intersaison.

A terme, le stade devrait être géré directement par les services de Saint-Etienne Métropole comme c'est déjà le cas aujourd'hui. Le club devra donc s'acquitter d'un loyer en contrepartie de l'utilisation du stade pour ses matches.

Concernant la rénovation du Stadium de Toulouse, le marché n'a pas encore été attribué : il devrait l'être entre juin et juillet 2011. Il représentera vraisemblablement un montant de l'ordre de 60 millions d'euros.

A terme, le stade sera géré directement par les services de la commune comme c'est déjà le cas aujourd'hui pour l'ensemble des équipements sportifs municipaux toulousains. Le club paiera un loyer pour l'utilisation du stade pour ses matches.

Dans les deux cas le coût du loyer de la mise à disposition des stades sera réajusté.

Le fait de choisir la maîtrise d'ouvrage publique afin de rénover ou de construire le stade n'impose pas un unique mode de gestion. Ainsi, la collectivité peut-elle aussi mettre l'équipement à la disposition du club professionnel à travers plusieurs formes juridiques :

- la convention d'occupation du domaine public moyennant le paiement d'une redevance par le club (c'est le cas de l'Olympique lyonnais aujourd'hui). Mais la collectivité supporte les coûts relatifs à l'entretien et au fonctionnement courant de du stade ;

- et la délégation de service public , par laquelle on désigne l'ensemble « des contrats par lesquels une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé dont la rémunération est substantiellement liée au résultat d'exploitation du service » (affermage, régie intéressée, concession).

Ces procédures reposent cependant sur une procédure de mise en concurrence et le club de la ville n'est ainsi, théoriquement, pas certain d'obtenir l'exploitation de l'enceinte sportive. S'appliquent en effet à ces formules les dispositions des articles 38 à 46 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques dite « loi Sapin », ainsi que celles des articles L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales (dispositions correspondantes pour les communes).

Cette solution de la maîtrise d'ouvrage publique présente donc des inconvénients tant sur le plan de la construction ou la rénovation que sur le plan de la gestion. Comme le note la commission « grands stades », « la maîtrise d'ouvrage publique offre un modèle simple mais de plus en plus écarté sous l'effet conjugué de la lourdeur de la gestion de projets d'une telle ampleur, du contexte financier difficile pour les collectivités territoriales et du rôle secondaire qu'il laisse aux clubs (ils ne conduisent pas les projets et n'accèdent pas à la propriété des infrastructures) ».

Elle est donc, semble-t-il, réservée au cas de rénovation d'importance moyenne et où les collectivités expriment le souhait très vif de s'impliquer dans la vie du stade.

(2) Les cas où la collectivité souhaite s'associer à une personne privée

La concession de service public est un « contrat qui charge un particulier ou une société d'exécuter un ouvrage public ou d'assurer un service public à ses frais, avec ou sans subvention et que l'on rémunère en lui confiant l'exploitation de l'ouvrage public ou l'exécution du service public avec le droit de percevoir des redevances sur les usagers de l'ouvrage ou sur ceux qui bénéficient du service public ».

Le point fort de la concession est que le club assure l'exploitation et l'entretien du stade, ce qui évite à la collectivité des dépenses régulières et lourdes, qu'elle n'est pas forcément prête à engager. En revanche, si le club se rémunère sur les revenus de l'exploitation et peut développer des activités annexes, il ne maîtrise pas le projet et ne dispose pas de droits réels sur l'infrastructure.

Cette solution a été adoptée pour le Stade de France et le stade du Mans (MMArena) mais n'est pas probablement pas particulièrement adaptée aux grands stades recevant des clubs professionnels résidents.

Le bail emphytéotique administratif (BEA) a, quant à lui, pour vocation de permettre à une personne publique de conclure avec un partenaire privé un contrat portant sur la construction (ou la rénovation), sur une dépendance domaniale, d'un équipement affecté au service public ou à l'intérêt général.

Aux termes de l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales, « un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime, en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence ou en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public ou en vue de la réalisation d'enceintes sportives et des équipements connexes nécessaires à leur implantation ou, (...). Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif ».

L'article L. 451-1 du code rural précise que le bail emphytéotique de biens immeubles « confère au preneur un droit réel susceptible d'hypothèque ; ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière. Ce bail doit être consenti pour plus de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans ; il ne peut se prolonger par tacite reconduction ».

La commission « grands stades » considérait que le choix du BEA pouvait séduire par sa souplesse et par la possibilité offerte au club de prendre en main les destinées de « son » stade, mais que des incertitudes juridiques importantes pesaient sur sa généralisation.

A cet égard le fait de prévoir explicitement la possibilité d'un BEA « équipements sportifs » 5 ( * ) a largement renforcé la sécurité juridique de cet outil.

Comme le note le rapport de M. Éric Besson sur la compétitivité du football français, le BEA a pour avantages de conférer au club un droit réel sur les biens donnés à bail et de permettre la réalisation d'un ouvrage dans des délais plus courts que la maîtrise d'ouvrage publique.

En revanche, le dispositif peut être requalifié en convention de délégation de service public sous certaines conditions (ce qui impose une mise en concurrence). Afin d'éviter les renouvellements trop nombreux, les collectivités choisissent en général des baux de très longue durée.

Les travaux de rénovation du Parc des Princes, du stade Bollaert de Lens et du stade Marcel-Picot de Nancy devraient être exécutés sous cette formule.

Aux termes de l'article L. 1414-1 du code général des collectivités territoriales, le contrat de partenariat « est un contrat administratif par lequel une collectivité territoriale ou un établissement public local confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale ayant pour objet la construction ou la transformation, l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages, d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public , ainsi que tout ou partie de leur financement à l'exception de toute participation au capital. Toutefois, le financement définitif d'un projet doit être majoritairement assuré par le titulaire du contrat, sauf pour les projets d'un montant supérieur à un seuil fixé par décret ».

Il peut également avoir pour objet tout ou partie de la conception de ces ouvrages, équipements ou biens immatériels ainsi que des prestations de services concourant à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée.

Cet outil juridique permet à l'opérateur d'assurer le financement du projet et à la collectivité d'être fortement associée à la gestion. En revanche la place occupée par le club professionnel doit être soigneusement définie et la procédure de passation est très complexe.

C'est la raison pour laquelle ce dispositif est davantage utilisé pour les constructions de nouveaux stades : le grand stade de Lille, le nouveau stade bordelais et celui de Nice. Seule la modernisation du stade Vélodrome, parmi les rénovations prévues pour l'Euro 2016, devrait être assurée via cet outil juridique.

Votre rapporteur considère que ces solutions privilégiant la mixité des financements publics et privés sont la voie d'avenir pour les grands stades . En effet :

- elles permettent souvent de partager le risque de la construction du stade entre plusieurs acteurs ;

- les aléas de la maintenance et de l'entretien, qui sont souvent très coûteux, n'incombent plus à la collectivité, ce qui simplifie nettement ses relations avec les clubs résidents ;

- les clubs disposent d'une stabilité plus importante encourageant leurs investissements et favorisant la modernisation du stade ;

- enfin, dans un contexte difficile pour les finances locales, et dans la mesure où les stades restent de propriété publique, ces solutions apparaissent comme le seul moyen de mener des projets de grande ampleur.

(3) Des projets entièrement privés ?

Le modèle juridique des projets de constructions entièrement privées ne pose pas de difficulté particulière. Il reste qu'il est très surprenant de constater l'extrême difficulté de monter ce type de projets : ceux de Strasbourg et de Nice ont ainsi été abandonnés et celui de l'Olympique lyonnais se heurte à des obstacles importants.

Votre rapporteur considère, à cet égard, qu'il faudra s'interroger à moyen terme sur l'éventuelle existence de causes culturelles au faible nombre de projets privés d'intérêt général dans notre pays, que ce soit dans le domaine du sport ou même de la culture 6 ( * ) , et sur les moyens d'y remédier.

3. L'enceinte sportive : un enjeu de compétitivité et plus encore

Votre rapporteur souhaite insister sur le fait que la rénovation des enceintes sportives n'est pas une question marginale mais se situe au contraire au centre du modèle économique du sport professionnel en France.

L'ancienneté des installations sportives est la principale cause de l'incapacité des clubs professionnels français à être compétitifs, comme le montre l'étude précitée de Sportfive .

Selon son analyse, « à taux de remplissage constant (75 % en Ligue 1 et 42 % en Ligue 2) et en considérant une augmentation limitée du prix moyen des places (+ 7,80 euros en Ligue 1; + 3,60 euros en Ligue 2), une augmentation de la capacité des stades permettrait de générer 181,1 millions d'euros au lieu des 95,4 millions d'euros actuels, soit un surplus de 85,7 millions, représentant 89,85 % d'accroissement des recettes billetterie ».

Mais plus important, en passant à une offre moyenne de 3 180 places « VIP » par stade contre 1 162 à ce jour 7 ( * ) , pourraient être générés 156,6 millions d'euros au lieu des 59,7 millions d'euros actuels , soit un surplus de 96,9 millions représentant 162 % d'accroissement des recettes.

Ce bilan global d'augmentation de 118 % des recettes de billetterie ne comprend pas l'augmentation des recettes liées aux dépenses sur place (restauration), ni l'impact majeur de la construction d'un stade moderne sur la vente de produits dérivés et le « sponsoring ».

Votre rapporteur considère enfin que les enjeux du stade vont bien au-delà de ces enjeux économiques .

S'il entend les réticences des élus qui ne souhaitent pas que leur collectivité « socialise les dépenses et privatise les bénéfices » en subventionnant des projets destinés à des sociétés sportives, il souhaite aussi rappeler que les clubs professionnels, en dépit des salaires parfois indécents versés aux sportifs, ne sont pas des groupes « ultracapitalistiques » aux bénéfices vertigineux.

Certes, qu'on le veuille ou non, le sport professionnel est devenu un spectacle, dont l'objet est la rentabilité. Mais il continue de jouer un rôle essentiel pour les collectivités territoriales , parfaitement présenté par notre ancien collègue, M. Bernard Murat, dans son rapport sur les clubs sportifs et les clubs professionnels 8 ( * ) : outre l'effet d'entraînement global de leur activité économique 9 ( * ) , les clubs assurent une notoriété très importante aux communes où ils sont implantés, ils créent un ciment d'identification locale et du lien social.

Les stades sont précisément ce lieu de mixité sociale où l'ambiance est, la plupart du temps, festive. Plus que des enceintes sportives, ils sont des lieux de vie et de rassemblement . Il suffit de s'être déplacé au stade Bollaert ou au stade Vélodrome pour le constater.

Enfin, l'existence de ces clubs tend à renforcer la pratique sportive amateur de la population.

Comme le note le rapport « grands stades », l'enceinte sportive est ainsi un « outil de développement des villes et des territoires, un facteur de contribution à la croissance économique, voire une opportunité de donner un essor à des quartiers urbains situés alentour du stade ».

Votre rapporteur tient ainsi à rappeler que ce n'est pas parce qu'il y a des partenaires privés et parce que des sommes importantes y sont parfois en jeu, que le sport professionnel ne participe au service public et au bien-être d'une large partie de la population locale.


* 4 Cour des comptes, Rapport public thématique, Les collectivités territoriales et les clubs sportifs professionnels, décembre 2009.

* 5 Introduit par l'article 28 de la loi n° 2009-179 du 17 février 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés.

* 6 Il est possible à titre d'exemple de rappeler l'échec sévère du projet de la fondation Pinault sur l'île Seguin.

* 7 Tout en minorant de 19 % environ les taux de remplissage actuels pour prévenir les aléas conjoncturels pouvant ralentir ce type d'investissements d'une part et d'autre part pour intégrer le fait qu'un volume plus élevé de places induira un taux de remplissage plus faible, puis en indexant le prix des places uniquement sur l'inflation (+2 % par an).

* 8 Avis n° 92 (2007-2008) de MM. Bernard MURAT et Pierre MARTIN, sur le projet de loi de finances pour 2008, fait au nom de la commission des affaires culturelles. Voir notamment la partie intitulée : une communauté d'intérêt légitimant le soutien local ?

* 9 Voir, à cet égard, l'étude très complète d'Ernst&Young, commandée par l'Union des clubs professionnels de football (UCPF), Des clubs et des Hommes, réalités économiques et sociales du football professionnel , 1 er Baromètre « Foot Pro », Impacts économiques et sociaux », 2010.

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