II. LE PROJET D'UNE ASSIETTE COMMUNE ET CONSOLIDÉE : UNE INTÉGRATION FISCALE AU NIVEAU EUROPÉEN

La proposition de directive de la Commission européenne comprend 136 articles et trois annexes. L'objet du présent rapport n'est pas de les analyser en détail mais d'en exposer les grandes lignes.

A. UNE ASSIETTE OPTIONNELLE

L'annexe I de la proposition de directive définit les sociétés éligibles à l'ACCIS : il s'agit des sociétés assujetties, de plein droit ou sur option, à l'IS en France ou à un impôt équivalent dans les autres Etats membres .

Les sociétés sont libres d'opter ou non pour l'ACCIS . Celle-ci devient par conséquent un vingt-huitième régime d'imposition existant en parallèle de vingt-sept régimes nationaux . En revanche, « lorsqu'une société répond aux critères d'éligibilité et opte pour le régime établi par la présente directive, elle cesse d'être soumise aux dispositions nationales relatives à l'impôt sur les sociétés » ( article 7 ). La directive a une force juridique supérieure aux accords bilatéraux conclus entre Etats membres (article 8).

L'option est ouverte pour une durée initiale de cinq exercices fiscaux 12 ( * ) , renouvelables par période de trois exercices fiscaux . La résiliation peut être exercée dans les trois mois précédant la fin de la période initiale ou d'une période de renouvellement.

B. UNE ASSIETTE COMMUNE

Dans l'esprit de la Commission, l'assiette consolidée constitue l'objet principal de la directive, mais la consolidation implique que l'assiette de chaque entité du groupe, dans tous les Etats membres, soit calculée selon des règles strictement identiques. La détermination d'une assiette commune est donc le préliminaire indispensable à l'élaboration d'une assiette consolidée .

La définition de l'assiette imposable - ou résultat fiscal - obéit au principe général de l'imposition sur les bénéfices : « l'assiette imposable correspond aux produits diminués des produits exonérés, des charges déductibles et des autres éléments déductibles » (article 10).

La proposition distingue les charges déductibles que l'on peut regrouper sous l'expression « frais généraux » des autres éléments déductibles que sont les amortissements, les dépréciations et les provisions.

1. Les produits exonérés et les charges déductibles sont globalement conformes aux pratiques fiscales nationales

La liste des produits exonérés d'impôt sur les sociétés (article 11) correspond principalement à des produits ayant d'ores et déjà subi une imposition ( élimination de la double imposition ) : distributions de bénéfices, revenus d'un établissement stable dans un pays tiers, etc .

Les charges déductibles obéissent à une définition très proche de celle en vigueur dans le droit français 13 ( * ) : « les charges déductibles incluent tous les coûts des ventes et charges , hors taxe sur la valeur ajoutée déductible, supportés par la contribuable 14 ( * ) en vue d'obtenir ou de préserver ses revenus , y compris les coûts de recherche et développement et les coûts liés à l'émission de fonds propres ou à la souscription d'emprunts pour les besoins de l'entreprise » (article 12).

Il convient de relever que le régime ainsi institué est particulièrement favorable à la recherche et au développement et prévoit, comme en droit français, une déductibilité des intérêts d'emprunts.

L'article 14 fixe une liste limitative de charges non déductibles , soit parce que ces charges n'ont pas été engagées conformément à l'intérêt normal de l'entreprise ou de l'ordre public (« pots-de-vin », amendes, 50 % des frais de représentation, dons, etc .), soit par cohérence avec d'autres articles de la directive (non-déductibilité d'une partie des coûts engagés en vue d'obtenir des produits exonérés).

Les dons versés aux organisations caritatives 15 ( * ) sont déductibles dans la limite de 0,5 % des produits de l'exercice fiscal.

L'article 17 pose le principe d'une comptabilité d'engagement selon lequel les produits, les charges et tous les autres éléments déductibles sont pris en compte au titre de l'exercice fiscal au cours desquels ils sont acquis ou engagés.

L'article 25 impose, de manière similaire aux normes en vigueur en droit français, l'obligation de constituer des provisions à la fin de l'exercice.

En revanche, l'article 26 s'en écarte sensiblement en ce qui concerne les provisions pour pensions. En droit français, les provisions pour pensions ne sont pas fiscalement déductibles , seules le sont les prestations effectivement versées. En Allemagne, pourtant moins permissive en matière de provisions, cette déductibilité est autorisée du fait de l'existence de régimes de retraite d'entreprise sans équivalent en France.

Les provisions pour pensions peuvent porter sur des montants élevés, réduisant d'autant l'assiette imposable. Ainsi, au regard du système de retraite français qui repose principalement sur la puissance publique, on pourrait s'interroger sur la justification économique de la déductibilité prévue par la directive au regard de son coût potentiel pour les finances publiques . A l'inverse, d'un point de vue allemand, cette disposition n'est qu'une simple transposition d'une règle nationale bien établie et qui permet de limiter la charge des entreprises en matière de financement des retraites.

Plusieurs autres articles, notamment sur la dépréciation des stocks et en-cours ou des créances, très classiques en droit fiscal, n'appellent pas de commentaires particuliers.

2. Un régime d'amortissement original mais critiquable
a) L'amortissement par panier : un amortissement linéaire et non individualisé

Les règles d'amortissement ont fait l'objet de travaux nourris dans le cadre du groupe de travail ACCIS entre 2004 et 2008. En effet, selon les modalités d'amortissement retenues, la proposition de directive est plus ou moins favorable aux entreprises, l'amortissement constituant un des principaux éléments déductibles .

La Commission européenne a finalement proposé un système en vigueur dans peu de pays européens et qui n'avait pas été retenu par le groupe de travail ACCIS. Il s'agit de l'amortissement « par panier » .

L'article 34 pose tout d'abord le principe selon lequel l'amortissement est déduit par le propriétaire économique , c'est-à-dire la personne supportant l'essentiel des risques et retirant l'essentiel des avantages liés à une immobilisation, qu'elle en soit ou non le propriétaire légal 16 ( * ) .

Les bâtiments, les immobilisations corporelles de long terme et les immobilisations incorporelles sont amorties individuellement sur des durées fixées par la directive, soit, en l'état actuel du texte, respectivement, 40 ans, 15 ans et 15 ans (article 36).

Toutes les autres immobilisations sont amorties en même temps dans un « panier d'immobilisations » à un taux annuel de 25 % de sa base d'amortissement : ce dispositif revient à faire « comme si » toutes les immobilisations étaient individuellement amorties sur une durée de quatre ans .

La base d'amortissement 17 ( * ) du panier correspond à sa valeur à la fin de l'exercice précédent rectifiée pour tenir compte des immobilisations entrant et quittant le panier durant l'exercice en cours (article 39).

Les immobilisations corporelles « non soumises à l'usure normale et à l'obsolescence telles que les terres, les objets d'art, les antiquités ou les bijoux » ainsi que les actifs financiers ne sont pas amortissables (article 40).

b) Un système simple ou simpliste ?

L'amortissement « par panier » a le mérite de la simplicité puisqu'il ne nécessite pas de calculer l'amortissement pour chaque immobilisation. Mais il se révèle excessivement simpliste dès lors qu'il s'agit de calculer la plus-value ou la moins-value de cession d'un bien sortant du panier.

La proposition de directive est imprécise sur ce point mais elle renvoie au concept de « valeur fiscale » de l'immobilisation - c'est-à-dire la base d'amortissement diminuée de l'amortissement total à la date considérée - qui se rapproche de la notion de « valeur nette comptable » 18 ( * ) en vigueur en France.

Le calcul de la valeur fiscale nécessite par conséquent de connaître la date d'entrée du bien dans le panier. Un registre, d'ailleurs prévu par l'article 32, est donc inévitable pour suivre individuellement des immobilisations pourtant amorties collectivement .

Ainsi, le système proposé par la Commission apparaît fruste sans pour autant gagner en efficacité. Or, dans chaque pays, la doctrine comptable établit des tables d'amortissement qui servent de référence pour les biens les plus usuels (ordinateurs, voitures, mobiliers, machines, etc .). L'harmonisation de ces tables ne poserait guère de difficultés et permettrait de disposer d'une méthode d'amortissement plus conforme à la pratique comptable en usage dans la grande majorité des pays européens .

3. Des règles anti-abus nécessaires mais perfectibles

L'article 80 de la proposition de directive pose un principe général d'anti-abus aux termes duquel « les transactions artificielles réalisées dans le seul but d'échapper à l'impôt ne sont pas prises en considération aux fins du calcul de l'assiette imposable ». Le même article énonce toutefois que, dans le cadre d'une activité économique réelle, un contribuable a toujours la possibilité de choisir la méthode fiscalement la plus favorable. Cette disposition se rapproche de la notion d'abus de droit définie à l'article 64 du Livre des procédures fiscales.

Plusieurs articles visent à lutter contre la concurrence fiscale déloyale des pays tiers . Par exemple, l'article 73 prévoit que les produits exonérés d'impôt sur les sociétés en raison de l'élimination de la double imposition - à savoir les dividendes, les plus-values de cession de parts et les revenus d'établissements stables étrangers - se voient refuser cette exonération si l'impôt afférent à ces produits a été prélevé dans un pays tiers à un taux légal d'impôt sur les sociétés inférieur à 40 % du taux légal moyen d'imposition applicable dans les Etats membres (ou si le pays tiers applique un « régime spécial [...] permettant un niveau d'imposition nettement plus bas que le régime général »).

Une disposition identique est reprise pour les intérêts versés à des entreprises associées résidant dans un pays tiers (article 81).

De même, certains revenus non distribués d'une société étrangère non cotée contrôlée 19 ( * ) par une société européenne ayant optée pour l'ACCIS sont intégrés à l'assiette imposable de cette dernière lorsque le taux d'impôt sur les sociétés est inférieur de 40 % au taux légal moyen d'imposition applicable dans les Etats membres (ou si la société étrangère bénéficie d'un « régime spécial [...] permettant un niveau d'imposition nettement plus bas que le régime général ») 20 ( * ) .

La Commission européenne a également été très soucieuse d'éliminer les possibilités d'optimisation fiscale entre entreprises associées ou résultant de transactions intragroupe . En effet, l'établissement d'une assiette consolidée implique de neutraliser les transactions intragroupe ( cf. infra C. 1.). Dès lors, il peut être tentant de céder des immobilisations, telles que des biens immobiliers, en exonération d'impôt puis de vendre la société qui a les acquises. L'article 75 vient prévenir ce type de schéma.

De même, les articles 78 et 79 régissent les relations avec les « entreprises associées » , c'est-à-dire lorsqu'une contribuable soumise à l'ACCIS « participe directement ou indirectement à la gestion, au contrôle ou au capital » d'une autre société n'appartenant pas au même groupe. Dans ce cas, la directive considère que « les revenus qui auraient été perçus » par la société soumise à l'ACCIS mais qui ne l'ont pas été, du fait de l'association des deux entreprises, sont « inclus dans les revenus de cette contribuable et imposées en conséquence » 21 ( * ) .

Les règles anti-abus édictées par la directive sont naturellement les bienvenues . Néanmoins, au vu de la pratique fiscale récente et des schémas d'optimisation de plus en plus complexes et alors que le législateur national ne cesse de renforcer l'arsenal anti-abus, les dispositions de la proposition de directive apparaissent encore insuffisantes . A titre d'exemple, elle ne comporte aucune disposition visant à lutter contre la sous-capitalisation entre entreprises associées.


* 12 La durée d'un exercice fiscal est de douze mois (article 9).

* 13 Article 13 et 39 et s. du code général des impôts.

* 14 La Commission européenne utilise le féminin pour le mot contribuable car elle fait référence à « la » société contribuable.

* 15 Les organisations caritatives sont définies par l'article 16 de la proposition de directive.

* 16 Cette disposition est importante pour les opérations de crédit-bail.

* 17 La base d'amortissement d'une immobilisation comprend tout coût directement lié à l'acquisition, à la construction ou à l'amélioration de cette immobilisation (article 34).

* 18 La plus-value de cession correspond à la différence entre le prix de vente et la valeur nette comptable.

* 19 Le contrôle est défini par la détention directe ou indirecte de plus de 50 % des droits de vote et de plus de 50 % du capital ou des droits sur le bénéfice.

* 20 L'article 209 B du code général des impôts institue un mécanisme similaire pour les Etats à régime fiscal privilégié (taux d'imposition inférieur de plus de 50 % au taux français).

* 21 L'article 57 du code général des impôts prévoit un dispositif identique pour les entreprises associées.

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