EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Adopté, dans son principe, par le Sénat le 4 février 2010, le conseiller territorial a depuis lors été une source d'interrogations, d'inquiétudes et de clivages.

Emblème de la « réforme territoriale » issue de la loi du 16 décembre 2010 et qui a suscité plus de rejets et d'incompréhension que d'adhésion, le conseiller territorial (c'est-à-dire le résultat de la fusion des actuels conseillers généraux et régionaux, un élu siégeant à la fois à l'assemblée départementale et à l'assemblée régionale) a en effet été l'innovation la plus contestée et la plus attaquée par les élus locaux comme par la minorité sénatoriale de 2010 ; il a par ailleurs, avec la suppression de la taxe professionnelle, été au coeur de la campagne électorale préalable au dernier renouvellement de notre Haute Assemblée.

C'est dans ce contexte que, le 21 septembre 2011, nos collègues du groupe communiste, république et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche (CRC-SPG) ont déposé une proposition de loi n° 800 relative à l'abrogation du conseiller territorial. Ce texte a ensuite été cosigné par les membres du groupe socialiste et du groupe du Rassemblement démocratique, social et européen (RDSE).

Dans la continuité des ajustements pragmatiques et urgents qu'elle a voulu effectuer lors de l'examen de la proposition de loi n° 793 (2010-2011) portant diverses dispositions relatives à l'intercommunalité, votre commission estime nécessaire d'engager une deuxième étape dans les réflexions sur la mise en oeuvre d'un nouvel « acte » de la décentralisation : après avoir apporté une réponse aux problèmes concrets rencontrés par les élus locaux après l'adoption de la loi de réforme des collectivités territoriales et avant de débattre des propositions qui seront formulées lors des états généraux de la décentralisation -dont l'organisation a été annoncée par M. Jean-Pierre Bel, président de notre Assemblée-, votre commission estime qu'il incombe au Sénat de supprimer les dispositions controversées que le législateur de 2010 a introduites dans le droit des collectivités territoriales. Cette « remise à plat », rendue indispensable pour apaiser les craintes et le désarroi qu'ont suscité des bouleversements législatifs mal préparés et mal perçus, est donc loin d'être un aboutissement : elle constitue le prémisse de la réforme globale que la Haute Assemblée devra concevoir et mettre en oeuvre.

I. LE CONSEILLER TERRITORIAL : UN NOUVEL ÉLU QUI SOULÈVE DE NOMBREUX PROBLÈMES DE PRINCIPE

Acquise au terme d'un processus parlementaire long et agité, la création du conseiller territorial soulève de nombreuses questions qui tiennent non seulement à sa double fonction de représentation du département et de la région, mais aussi au mode de scrutin choisi par le législateur de 2010 pour son élection. Après avoir été confronté à la réticence des élus, le conseiller territorial a ainsi connu un destin constitutionnel contrarié .

A. LE CONSEILLER TERRITORIAL : UN ÉLU CRÉÉ « AU FORCEPS »

1. Le conseiller territorial : un élu pour cause d'économie(s)

La mise en place d'un élu unique pour le département et la région a été préconisée, pour la première fois, par le rapport du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Édouard Balladur et rendu public en mars 2009 1 ( * ) . Ce comité proposait ainsi que « les conseillers régionaux et les conseillers généraux [...] soient désignés en même temps et selon le même mode de scrutin » en vue de « fédérer les deux niveaux d'administration concernés, tout en assurant aux territoires une représentation à l'échelon régional dont ils ne bénéficient aujourd'hui que de manière imparfaite » et de « favoriser la clarté des choix démocratiques » 2 ( * ) .

Toutefois, plus encore que sur des considérations institutionnelles, démocratiques ou prétendument pragmatiques, cette réforme reposait sur des arguments économiques : le conseiller territorial devait, en effet, générer une meilleure coordination entre les actions des départements et des régions (et, ce faisant, provoquer la diminution des dépenses effectuées par ces deux niveaux de collectivités.

En d'autres termes, « le rapprochement organique des assemblées délibérantes [devait] permettre de limiter les interventions concurrentes des départements et des régions sur un même projet et sur un même territoire » 3 ( * ) , et donc être porteur d'économies.

Ce raisonnement « économique » a, dès le début du processus parlementaire, été placé au coeur de l'argumentation utilisée par les partisans du conseiller territorial. D'abord repris par le gouvernement dans l'exposé des motifs du projet de loi de réforme des collectivités territoriales 4 ( * ) , il a aussi été largement développé par M. Dominique Perben, rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale : dans son rapport de première lecture, celui-ci soulignait ainsi que « les actuels chevauchements de compétences et la concurrence éventuelle [entre le département et la région] pour certaines politiques publiques devraient [...] être amoindris, au profit d'une véritable dynamique de rapprochement des deux administrations territoriales » : en bref, l'objectif premier de l'institution du conseiller territorial était de « créer des synergies entre les assemblées délibérantes » 5 ( * ) .

Votre rapporteur rappelle que, sur cette thèse déjà contestable, s'est rapidement greffé un argument plus discutable encore : en effet, dès le dépôt du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, le gouvernement soutenait que la création des conseillers territoriaux serait surtout facteur d'économies en ce qu'elle aurait pour conséquence mécanique la réduction du nombre d'élus locaux -réduction qui devait permettre d'atteindre une « économie théorique [...] de l'ordre de 70 millions d'euros par an » 6 ( * ) si le nombre d'élus était abaissé à 3 000. Dans un second temps, ce chiffre avait été ramené à 40 millions d'euros pour tenir compte de l'augmentation du nombre total de conseillers territoriaux votée par le Parlement.


* 1 Rapport du comité pour la réforme des collectivités locales, disponible à l'adresse suivante :

http://reformedescollectiviteslocales.fr/actualites/index.php?id=77

* 2 Idem.

* 3 Idem.

* 4 L'exposé des motifs affirme ainsi que la principale vocation du conseiller territorial sera « d'éviter les actions concurrentes ou redondantes sur un même territoire ».

* 5 Rapport n° 2516 de M. Dominique Perben.

* 6 Étude d'impact jointe au projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, déposé le 21 octobre 2009.

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