N° 91

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 novembre 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (1), sur la proposition de résolution européenne de M. Ladislas PONIATOWSKI présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l' efficacité énergétique (COM (2011) 0370), dont la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire s'est saisie,

Par M. Ladislas PONIATOWSKI,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Daniel Raoul , président ; MM. Martial Bourquin, Gérard César, Gérard Cornu, Daniel Dubois, Pierre Hérisson, Mme Élisabeth Lamure, M. Gérard Le Cam, Mme Renée Nicoux, MM. Thierry Repentin, Raymond Vall , vice-présidents ; MM. Claude Bérit-Débat, Ronan Dantec, Mme Valérie Létard, MM. Rémy Pointereau, Bruno Retailleau, Bruno Sido, Michel Teston , secrétaires ; M. Gérard Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Michel Bécot, Alain Bertrand, Joël Billard, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, MM. François Calvet, Pierre Camani, Vincent Capo-Canellas, Yves Chastan, Alain Chatillon, Jacques Cornano, Roland Courteau, Philippe Darniche, Marc Daunis, Marcel Deneux, Mme Évelyne Didier, MM. Claude Dilain, Michel Doublet, Philippe Esnol, Alain Fauconnier, Jean-Luc Fichet, Jean-Jacques Filleul, Alain Fouché, Francis Grignon, Didier Guillaume, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Alain Houpert, Benoît Huré, Philippe Kaltenbach, Joël Labbé, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Jean-Claude Lenoir, Philippe Leroy, Alain Le Vern, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-François Mayet, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Robert Navarro, Louis Nègre, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Charles Revet, Roland Ries, Mmes Laurence Rossignol, Mireille Schurch, Esther Sittler, MM. Henri Tandonnet, Robert Tropeano, Yannick Vaugrenard, François Vendasi, Paul Vergès, René Vestri.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

19 (2011-2012)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La Commission européenne a présenté, le 22 juin 2011, une proposition de directive relative à l'efficacité énergétique 1 ( * ) . La commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a décidé, le 6 juillet dernier, de se saisir de ce texte en application de l'article 73 quinquies , alinéa 2, du règlement du Sénat, qui prévoit que « dans les quinze jours suivant la publication d'un projet ou d'une proposition d'acte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution, la commission compétente peut décider de se saisir de ce texte ».

La commission a nommé M. Ladislas Poniatowski rapporteur. Celui-ci a mené une série d'auditions entre la fin du mois d'août et les premiers jours du mois d'octobre, sur lesquelles s'appuie la proposition de résolution n° 19 (2011-2012) qu'il a décidé de déposer le 12 octobre.

Cette proposition de résolution a été envoyée à votre commission en application de l'article 73 quinquies , alinéa 3, du Règlement, aux termes duquel « la proposition de résolution est envoyée à la commission compétente lorsqu'elle s'est saisie dans les conditions prévues à l'alinéa 2 ».

Les économies d'énergie présentent un triple avantage : elles constituent le moyen le plus simple de réduire les émissions de gaz à effet de serre ; elles réduisent la facture énergétique des ménages, des entreprises et des États ; elles réduisent la dépendance à l'égard des sources d'approvisionnement en énergie, notamment fossiles.

Or, le CO 2 n'ayant pas de frontière, une politique de l'énergie ne peut être menée uniquement dans un pays. Trop vertueuse, elle nuirait à la compétitivité des entreprises nationales ; cynique, elle induirait des externalités négatives insupportables pour les autres pays.

L'Union européenne a donc toute légitimité pour agir dans ce domaine, tout en poursuivant l'effort avec les autres continents pour définir un cadre mondial pour la lutte contre le changement climatique.

C'est pourquoi l'amélioration de l'efficacité énergétique est l'un des trois objectifs que s'est fixés l'Union dans le cadre du paquet « énergie-climat », les deux autres étant la limitation des émissions de gaz à effet de serre et l'intégration des énergies renouvelables dans la consommation d'énergie.

La promotion de l'efficacité énergétique et des économies d'énergie est également inscrite à l'article 174 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne comme l'un des objectifs de la politique européenne de l'énergie.

Il était donc important que la commission de l'économie se saisisse en amont de cette proposition de directive, dont le Parlement français sera, le jour venu, amené à transposer les dispositions dans la législation nationale.

Votre commission, adoptant avec des modifications le texte qui lui a été proposé par votre rapporteur, apporte son soutien le plus résolu à une politique ambitieuse d'amélioration de l'efficacité énergétique de d'économies d'énergie, afin de réaliser 20 % d'économies d'énergie par rapport au scénario tendanciel d'ici à 2020.

Elle suggère de compléter la proposition de directive par des mesures garantissant le financement des actions visant à atteindre ses objectifs, ainsi que par des dispositions relatives aux secteurs des transports et du bâtiment privés.

Elle considère par ailleurs que les mesures proposées ne devraient pas remettre en cause les politiques des États membres qui concourent déjà aux mêmes objectifs et qu'elles devraient, dans certains cas, s'adapter aux conditions locales et aux politiques déjà menées.

La proposition de résolution que votre commission a adoptée à la quasi unanimité, si elle devient une résolution du Sénat selon la procédure prévue par l'article 73 quinquies du Règlement, permettra ainsi à la Haute assemblée de communiquer au Gouvernement français une position ambitieuse et adaptée aux impératifs de la politique énergétique, à l'échelle européenne comme au niveau des États membres, avant que le Conseil des ministres de l'Union européenne et le Parlement européen ne se prononcent sur cette proposition de directive.

I. UNE PROPOSITION DE DIRECTIVE AMBITIEUSE

Dans la proposition de directive relative à l'efficacité énergétique qu'elle a présentée le 22 juin dernier, la Commission européenne propose d'explorer les marges de manoeuvre, encore importantes, dont disposent les pays de l'Union dans le cadre de leur politique énergétique afin de lutter contre le changement climatique.

A. L'EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE ET LES ÉCONOMIES D'ÉNERGIE DOIVENT CONSTITUER UNE PRIORITÉ DE LA POLITIQUE DE L'ÉNERGIE EN EUROPE

Un enjeu environnemental, économique, social et stratégique

Votre commission est pleinement convaincue que les économies d'énergie constituent un pan essentiel des politiques de lutte contre le changement climatique : elles représentent, selon l'Agence internationale de l'énergie, 50 % de l'effort à consentir en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Au-delà de l'évidence (la production d'énergie dégage du CO 2 , donc on réduit les émissions en réduisant la production), il faut souligner que les efforts d'économie d'énergie peuvent avoir un effet démultiplié lorsqu'ils portent sur les périodes où la production de CO 2 est la plus importante.

À titre d'exemple, une limitation du chauffage électrique en début de soirée permettrait de réduire la production d'électricité en période de pointe, c'est-à-dire au moment où sont mis en fonction les moyens de production les plus émetteurs (charbon ou gaz, voire fioul 2 ( * ) ).

La réduction des émissions de gaz à effet de serre pourrait, certes, passer simultanément par d'autres voies, telles que la production d'énergie décarbonée ou le captage et la séquestration du CO 2 d'autre part.

Toutefois, les perspectives de développement des énergies renouvelables et les nombreuses incertitudes qui entourent encore le développement éventuel du captage et de la séquestration du CO 2 ne permettront à ces technologies de représenter une alternative que dans la mesure où, en parallèle, sont entreprises des actions vigoureuses de réduction de la consommation.

L'énergie abondante et à bas coût des Trente Glorieuses, qui méconnaissait en réalité le coût financier et environnemental du changement climatique, relève donc bel et bien du passé.

Par-delà l'enjeu climatique, l'évolution des prix de l'énergie et les risques de difficulté d'approvisionnement en ressources fossiles , malgré les annonces récurrentes de découverte de nouveaux gisements, doivent eux aussi conduire à privilégier la piste des économies d'énergie. L'enjeu est à la fois social, financier et stratégique.

Ainsi la dépense moyenne d'énergie représentait-elle 1 800 euros par foyer en 2010 3 ( * ) . En France métropolitaine, 3,8 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique dans leur logement, c'est-à-dire que le foyer consacre plus de 10 % de son budget pour ses factures d'énergie 4 ( * ) . En cinq ans, les prix du fioul ont progressé de 22 % et ceux du gaz de 36 %.

Au niveau national, la facture énergétique de la France s'est élevée à 46,2 milliards d'euros en 2010, soit 2,4 % du PIB.

Toute réduction de la consommation d'énergie , surtout si elle porte sur des énergies fossiles ou importées, permet donc de limiter les charges pour les ménages comme pour les entreprises et contribue à améliorer les comptes nationaux.

Les économies d'énergie réduisent également la dépendance à l'égard des sources d'approvisionnement . Cet enjeu concerne l'ensemble des pays de l'Union européenne, mais elle est particulièrement cruciale pour ceux qui dépendent, plus que la France, de l'approvisionnement en gaz ou en pétrole.

Une action déjà entamée au niveau européen

La Communauté européenne, puis l'Union européenne ne sont pas restés inactifs.

Dès 1979, une directive réglementait l'étiquetage énergétique pour les appareils domestiques 5 ( * ) . Par la suite, de nombreux textes européens ont favorisé l'efficacité énergétique dans les principaux secteurs concernés : bâtiments, cogénération, exigences en matière d'écoconception...

En particulier, la directive 2006/32/CE du 5 avril 2006 relative à l'efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques, dite directive ESD, a fixé à l'horizon 2016 un objectif d'économies d'énergie de 9 % de la consommation finale d'énergie finale , par rapport à la période 2001-2005.

La politique actuelle de l'efficacité énergétique se place dans le cadre des engagements pris par le Conseil européen en mars 2007, qui se résument dans la formule « trois fois 20 en 2020 » :

- l'Union s'engage à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 20 % d'ici à 2020 par rapport au niveau de ces émissions en 1990 ;

- une proportion de 20 % d'énergies renouvelables doit être intégrée dans la consommation énergétique totale de l'Union d'ici à 2020 ;

- l'Union se fixe pour objectif de réduire de 20 % sa consommation énergétique en 2020 par rapport aux projections. Cet objectif, contrairement aux deux précédents, n'est pas assorti de dispositions contraignantes.

Ces objectifs ont été traduits dans les textes du « paquet climat-énergie », en date du 23 avril 2009.

Enfin l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1 er décembre 2009, a consacré la politique européenne de l'énergie en inscrivant ses principes et ses modalités à l'article 174 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Efficacité énergétique ou économies d'énergie ?

Alors que les économies d'énergie correspondent à une baisse en valeur absolue de la consommation d'énergie, l'efficacité énergétique désigne la maîtrise de la consommation d'énergie qui permet, avec une consommation moindre , d'obtenir un service équivalent .

La directive 2006/32/CE du 5 avril 2006 relative à l'efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques distingue ainsi :

- l'efficacité énergétique, « rapport entre les résultats, le service, la marchandise ou l'énergie que l'on obtient et l'énergie consacrée à cet effet » ;

- les économies d'énergies, définies comme « la quantité d'énergie économisée, déterminée en mesurant et/ou en estimant la consommation avant et après la mise en oeuvre d'une ou de plusieurs mesures visant à améliorer l'efficacité énergétique, les conditions externes qui ont une incidence sur la consommation d'énergie faisant l'objet d'une normalisation ».

L'objectif au niveau européen est bien de réduire ou de limiter la consommation d'énergie en valeur absolue, afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre et de réduire la facture énergétique. C'est pourquoi le troisième objectif du « 20-20-20 » fixé en 2007 pour l'ensemble de l'Union est formulé en termes d'économies d'énergie. Cet objectif global peut être atteint grâce notamment aux efforts d'efficacité énergétique, concernant par exemple les bâtiments, les équipements ou les services.

Des objectifs qui risquent de ne pas être atteints ?

La Commission européenne a fait valoir publiquement ses craintes sur la capacité de l'Union à atteindre la cible de 20 % d'économies d'énergie en 2020, si des mesures nouvelles n'étaient pas mises en oeuvre.

Ainsi l'étude d'impact associée à la présente proposition de directive considère-t-elle que les mesures prises à la fin 2009 par les pays de l'Union devraient entraîner une réduction de la consommation d'énergie de 9 % seulement en 2020. La consommation d'énergie totale de l'Union serait de 1 678 Mtep en 2020, contre 1 842 Mtep dans le scénario de référence où aucune action n'aurait été entreprise.

Les données publiées dans le cadre de cette étude d'impact concernent l'ensemble des pays de l'Union.

La France fait valoir pour sa part que les actions déjà menées ou prévues devraient permettre d'atteindre une cible de 17 % d'économies d'énergie par rapport au scénario tendanciel.

Évolution des consommations d'énergie finale de la France entre 1990 et 2020, selon les scénarios « pré-Grenelle » (PG)
et « avec mesures supplémentaires » (AMS)

Graphique : Plan d'action de la France en matière d'efficacité énergétique, juin 2011. Sources : SOeS, base de données Pégase, étude Enerdata, mars 2011.

Le plan d'action de la France en matière d'efficacité énergétique (PAEE) 6 ( * ) , transmis à la Commission européenne le 17 juin 2011, considère que l'objectif intermédiaire de 2010, correspondant à 5 Mtep d'économies d'énergie, a été atteint.

Il convient de noter que les scénarios présentés par la France tiennent compte des mesures décidées à l'été 2010, dont les dispositions de la loi « Grenelle II » du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.  L'évaluation de la Commission ne prend en compte que les mesures prises avant la fin 2009.

De plus, la Commission et la France se fondent sur des modèles d'évaluation différents . La Commission utilise le modèle PRIMES, développé par l'Université nationale technique d'Athènes, dont les résultats sont contestés par le gouvernement français. Les représentants de la direction générale de l'énergie et du climat, reçus par votre rapporteur, ont indiqué qu'ils ne pouvaient apporter leur soutien à ce modèle, les experts nationaux ne disposant pas d'un accès suffisant aux données sur lesquelles il se fonde ni à son fonctionnement.


* 1 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'efficacité énergétique (COM (2011) 0370), 22 juin 2011. Texte soumis au Sénat sous le numéro E 6369 , en application de l'article 88-4 de la Constitution.

* 2 Rapport du groupe de travail sur la maîtrise de la pointe électrique, dirigé par MM. Serge Poignant et Bruno Sido, avril 2010.

* 3 Commissariat général au développement durable (CGDD), Service de l'observation et des statistiques (SOeS), Comptes du logement , premiers résultats 2010.

* 4 Table ronde nationale pour l'efficacité énergétique, point d'étape du 23 septembre 2011.

* 5 Directive 79/530/CEE du Conseil, du 14 mai 1979, concernant l'information sur la consommation d'énergie des appareils domestiques par voie d'étiquetage.

* 6 Il s'agit du deuxième PAEE, dont l'article 14 de la directive « Efficacité énergétique » du 5 avril 2006 prévoyait la remise au plus tard le 30 juin 2011.

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