2. Une argumentation peu convaincante
a) L'augmentation de leurs marges par les entreprises

Cette argumentation est peu convaincante. En effet, elle ignore délibérément le fait que certaines entreprises peuvent vouloir augmenter leurs marges .

Ainsi, selon le Crédit Agricole 154 ( * ) , « l'effet global sera une combinaison du cas a) (entreprises répercutant la baisse des charges sur les prix pour être plus compétitives) et du cas b) (entreprises « abritées », ne baissant pas leurs prix et accroissant leur profit via la baisse des charges) », ces deux cas correspondant à un supplément d'inflation de respectivement 0,3 % et 0,7 % . Il faut en particulier prendre en compte le fait que le taux de marge des entreprises « a baissé significativement sur le passé récent, 29,1 % de la valeur ajoutée en 2011 contre 31,7 % en 2007 ».

De même, Jean-Christophe Caffet et Alain Carbonne écrivent, dans une récente étude de Natixis : « L'impact sur l'emploi dépendra également étroitement du comportement de marge des entreprises (produisant sur le territoire national et/ou importatrices) et de ses implications en termes d'inflation (donc de demande). Etant donnée la faible profitabilité des sociétés non financières françaises, en particulier dans l'industrie manufacturière où, malgré le rebond observé récemment, le taux de marge a baissé de dix points en dix ans (...), nous pensons que la baisse des cotisations patronales ne sera que très partiellement passée dans les prix de production (hors taxes). L'impact maximal sur l'inflation française (i.e. en supposant que les entreprises maintiennent leur prix hors taxes inchangés) se monterait alors à 0,7 point d'inflation. Un certain degré d'ajustement des prix de production paraissant toutefois nettement plus réaliste, nous pensons, en ligne avec les conclusions des travaux menés sur le sujet, que l'impact sur les prix à la consommation se limitera à 0,5 point d'inflation (soit 0,1 point d'inflation au niveau européen), essentiellement concentré sur 2013 » 155 ( * ) .

Par ailleurs, on rappelle que les simulations disponibles sur la TVA sociale « classique » prévoient un impact sur l'inflation de l'ordre de 0,5 point la première année, pour le montant de transfert que propose le présent projet de loi.

Le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi semble d'ailleurs reconnaître la vraisemblance d'un supplément d'inflation de 0,5 point. Ainsi, selon le journal Le Monde , « une hausse de 0,5 % de l'inflation paraît réaliste, admet Bercy » 156 ( * ) . L'évaluation préalable de l'article 1 er du présent projet de loi paraît d'ailleurs reconnaître en filigrane la probabilité d'un impact sur l'inflation. Ce texte est en effet moins catégorique que les membres du Gouvernement, se contentant d'affirmer que « le Gouvernement estime que l'augmentation de 1,6 point de TVA n'aura pas d'impact significatif sur les prix ». A partir de quel niveau un impact devient-il « significatif » ? Par ailleurs, elle indique que si la hausse de la TVA a été limitée à 1,6 point, c'est parce qu' « au-delà d'une certaine ampleur, la hausse de la TVA peut enclencher une boucle prix-salaire défavorable qui viendrait limiter les effets bénéfiques sur la compétitivité ». Cela revient à reconnaître que l'augmentation de la TVA risque d'avoir un impact inflationniste, puisque pour que la boucle prix-salaires s'enclenche, il faut bien un supplément initial d'inflation.

b) L'augmentation de la TVA en Allemagne en 2007 s'est totalement répercutée dans les prix

Il est parfois affirmé que l'exemple de la TVA sociale en Allemagne en 2007 montrerait que celle-ci n'aurait pas d'impact inflationniste.

Toutefois, comme le souligne la Cour des comptes, citant une étude de la Bundesbank, l'augmentation du taux normal de la TVA de 3 points au 1 er janvier 2007 s'est quasiment totalement répercutée dans les prix .

L'impact de la TVA sociale sur l'inflation : l'expérience allemande de 2007,
selon la Cour des comptes

« L'Allemagne a augmenté son taux normal de TVA de 3 points au 1 er janvier 2007 : un point a été affecté à une baisse des cotisations sociales (les cotisations d'assurance chômage, qui sont passées de 6,5 % à 4,2 %, une partie de cette baisse ayant été financée par ailleurs, par une contribution de l'Agence fédérale du travail) et deux points ont été affectés à la réduction du déficit pour un montant estimé à 16 Md€ (0,7 point de PIB).

« Selon une étude de la Bundesbank*, une grande partie de cette augmentation de la TVA a été répercutée dans les prix : selon la banque centrale allemande qui fonde son analyse sur un panier de 40 biens, l'augmentation de 3 points de la TVA aurait contribué pour 2,6 points à la hausse des prix en 2007. La question de l'effet économique de cette hausse de la TVA, notamment en termes de compétitivité, reste en revanche peu documentée. »

* Deutsche Bundesbank, « Preis- und Mengenwirkungen der Mehrwertsteueranhebung zum 1. Januar 2007 », Monatsbericht, April 2008, p. 31 et suiv.

Source : Cour des comptes, « Les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne », rapport public thématique, mars 2011

Plus précisément, cette étude de la Bundesbank 157 ( * ) avance deux estimations de l'impact de l'augmentation de la TVA sur les prix.

Celle citée par la Cour des comptes est la seconde, qui se réfère à une évaluation microéconomique portant sur un panier de 40 biens. Alors que toutes choses égales par ailleurs l'augmentation de trois points du taux normal aurait dû se traduire par une augmentation de 2,6 % des prix des biens sujets au taux normal 158 ( * ) , tel a été exactement le supplément d'inflation constaté d'avril 2006 à décembre 2007 pour un panier de 40 biens soumis au taux normal, par rapport à une simulation de ce qu'aurait été l'évolution de leur prix en l'absence d'augmentation de la TVA. Toutefois, une partie de la consommation des ménages étant soumise au taux normal, cela a correspondu à un supplément d'inflation de 1,4 point (selon l'indice des prix à la consommation allemand).

L'article de la Bundesbank présente également une autre estimation , non citée par la Cour des comptes, reposant sur une autre technique, dite d' « analyse d'intervention », et portant sur une autre mesure de l'inflation, l'indice des prix à la consommation harmonisé . Il ressort de cette estimation que les prix ont été accrus de 0,9 à 2,5 point, ce qui correspond à une moyenne de 1,7 point. Or, selon la Bundesbank, si l'augmentation du taux normal de TVA s'était totalement diffusée dans les prix, cet indice aurait dû s'en trouver accru de 1,6 point. La diffusion de l'augmentation du taux normal de TVA dans la hausse des prix a donc été semble-t-il à peu près totale .

L'impact de l'augmentation de 3 points du taux normal de TVA au 1 er janvier 2007 en Allemagne, selon la Bundesbank

(en points)

Première approche

Deuxième approche*

Indice des prix utilisé

Indice des prix à la consommation harmonisé

Indice des prix à la consommation

Méthode

Analyse d'intervention**

Comparaison du prix d'un panier de 40 biens par rapport à une évolution simulée sans augmentation de la TVA

Période

-

Avril 2006 à décembre 2007

Impact sur les prix des biens soumis au taux normal

Si la totalité de la hausse de TVA était répercutée sous forme de hausse des prix

2,6

Impact effectif (simulé)

2,6***

Impact sur l'indice des prix utilisé

Si la totalité de la hausse de TVA était répercutée sous forme de hausse des prix

1,6

1,4****

Impact effectif (simulé)

0,9-2,5

1,4****

* Citée par la Cour des comptes.

** Méthode économétrique destinée à évaluer a posteriori l'impact sur une variable d'un phénomène (dit « intervention ») survenu à un moment donné.

*** Chiffre cité par la Cour des comptes.

**** Chiffres ne figurant pas dans la présentation des résultats mais indiqués page 31 du rapport de la Bundesbank.

Source : commission des finances, d'après : Deutsche Bundesbank, « Preis- und Mengenwirkungen der Mehrwertsteueranhebung zum 1. Januar 2007 », Monatsbericht, April 2008 (traduction en anglais : « Price and volume effects of VAT increase on 1 January 2007 », Monthly Report, avril 2008).

La « TVA anti-délocalisations » serait donc non seulement inefficace, mais aussi injuste , l'inflation frappant d'abord nos concitoyens les plus pauvres.


* 154 « TVA sociale : des effets nets positifs mais limités », apériodique n°12/2, 30 janvier 2012.

* 155 Jean-Christophe Caffet, Alain Carbonne, « France : dernières mesures avant la fin de la législature », « Special Report » n°12, Natixis, 31 janvier 2012.

* 156 Le Monde, 8 février 2012.

* 157 Deutsche Bundesbank, « Preis- und Mengenwirkungen der Mehrwertsteueranhebung zum 1. Januar 2007 », Monatsbericht, April 2008 (traduction en anglais : « Price and volume effects of VAT increase on 1 January 2007 », Monthly Report, avril 2008).

* 158 Le taux de TVA est passé de 16 % à 19 %. Toutes choses égales par ailleurs, le prix des biens concernés aurait donc dû augmenter de (119/116-1) 100 = 2,6 %.

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