C. LA « TVA ANTI-DÉLOCALISATION », UNE RÉPONSE INADAPTÉE À LA PERTE DE COMPÉTITIVITÉ DE LA FRANCE

1. La compétitivité-prix : un faux problème
a) La compétitivité-prix de la France ne s'est pas dégradée depuis la fin des années 1990

Il faut cependant être conscient du fait que la compétitivité-prix de la France ne s'est pas dégradée depuis la fin des années 1990.

Ainsi, dans une étude récente 163 ( * ) , Patrick Artus souligne que si le taux de change effectif réel 164 ( * ) de l'Italie s'est considérablement apprécié depuis la fin des années 1990, tel n'est pas le cas de celui de la France, qui a connu une évolution analogue à celle de l'Allemagne.

Taux de change effectif réel déflaté par les coûts

(100 en 1996:1)

Source : Patrick Artus, « Commerce mondial : qui perd des parts de marché au profit de qui ? », Flash économie n° 122, Natixis, 10 février 2012

On affirme souvent que les coûts salariaux de la France seraient trop élevés par rapport à ceux de ses partenaires, en particulier de l'Allemagne.

Toutefois, bien que l'avantage dont la France disposait en la matière à la fin des années 1990 ait disparu en 2007, l'écart par rapport à l'Allemagne demeure peu significatif, comme le montre le tableau ci-après.

Salaire horaire dans l'industrie, charges sociales comprises

(en euros)

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Allemagne

26,3

27,6

28,5

29,2

29,8

30

30,1

31,3

31,7

32,47

33

33,1

34,18

France

23,86

24,98

26,17

27,17

27,98

29,01

29,96

30,96

31,97

32,92

32,92

34,17

35,31

Espagne

15,05

15,12

14,15

14,86

15,64

16,29

16,87

17,56

18,24

18,92

21,54

21,7

22,29

Italie

18,09

18,28

18,69

19,37

19,84

20,63

22,21

22,63

23,12

23,88

24,58

25,23

25,8

Grèce

10

10,39

11

11,8

12,65

12,71

12,18

13,13

14,32

15,7

16,3

16,75

15,67

Portugal

6,72

6,94

7,3

7,7

8,1

8,5

8,8

9,01

9,23

9,6

10,1

10,28

10,32

Irlande

16,05

17,25

19,17

20,18

21,06

21,99

22,82

21,83

24,84

26,23

30,29

29,57

n.c.

Belgique

27,39

28,44

29,88

31,33

32,92

32,3

33,03

33,93

35,78

36,79

38,31

40,08

41,22

Source : Patrick Artus, « Quels pays de la zone euro sont compétitifs, quels pays ne le sont pas ? », Flash économie n° 124, Natixis, 13 février 2012

Surtout, il faut prendre en compte non le coût salarial en tant que tel, mais le coût salarial unitaire , c'est-à-dire ramené à la production du salarié. En effet, si le coût d'un salarié augmente de, par exemple, 10 %, alors que sa production augmente de 20 %, toutes choses égales par ailleurs la compétitivité s'améliore.

Si le coût salarial unitaire total de la France s'est dégradé depuis la fin des années 1990, tel n'a pas été le cas en ce qui concerne le secteur manufacturier . Ainsi, il n'y a pas eu de dégradation de la compétitivité-prix liée aux salaires.

Coût salarial unitaire total

(100 en 1996:1)

Source : Patrick Artus, « Commerce mondial : qui perd des parts de marché au profit de qui ? », Flash économie n° 122, Natixis, 10 février 2012

Coût salarial unitaire dans le secteur manufacturier

(100 en 1996:1)

Source : Patrick Artus, « Commerce mondial : qui perd des parts de marché au profit de qui ? », Flash économie n° 122, Natixis, 10 février 2012

b) La TVA sociale n'aura pas d'effet significatif sur les exportations

• Le Gouvernement met en avant certains chiffres pour suggérer que la « TVA anti-délocalisations » améliorerait fortement la compétitivité-prix.

Ainsi, selon l'évaluation préalable de l'article 1 er du présent projet de loi, « en raison d'une structure de salaire plus élevée que la moyenne de l'économie, la part de l'industrie dans le total de la mesure sera d'un tiers plus élevée que sa part dans les allègements généraux ».

Là n'est cependant pas la question. L'important, c'est de savoir quelle part des 13,2 milliards d'euros de baisses des cotisations sociales bénéficie à l'industrie.

Or, la mesure ne bénéficierait que minoritairement à ce secteur, qui ne verrait ses cotisations patronales allégées que de 3,3 milliards d'euros, soit 25 % de l'allégement global , comme le montre le tableau ci-après.

Les allégements de cotisations patronales par secteur, selon le Gouvernement

(en milliards d'euros)

Coût de la mesure

Coût si la répartition était la même que pour les allègements généraux

Agriculture, sylviculture, pêche

0,2

0,4

Industrie

3,3

2,5

Industries agricoles et alimentaires

0,5

0,6

Biens de consommation

0,5

0,4

Automobile

0,3

0,1

Biens d'équipement

0,7

0,4

Biens intermédiaires

1,2

0,9

Énergie

0,1

0

Construction

1,4

1,3

Services

8,3

9

Commerce et réparation

2,2

3

Transports

1,2

0,8

Activités financières

0,7

0,2

Activités immobilières

0,2

0,3

Services aux entreprises

1,9

1,7

Services aux particuliers

0,5

1,3

Éducation, santé, action sociale

1,2

1,3

Administrations

0,4

0,3

Ensemble

13,2

13,2

Source : Gouvernement

Auditionnée le 8 février 2011 par la commission des finances, la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat a estimé que « la baisse du coût du travail de 5 % sur les entreprises, notamment les entreprises industrielles, les TPE et les entreprises agricoles, entraînera une baisse de 3 % du prix des produits français » 165 ( * ) .

• Il en découle que le présent projet de loi ne pourrait, au mieux, accroître les exportations que de 2,4 % .

En effet, selon les estimations économétriques disponibles, l'élasticité-prix des exportations françaises est de l'ordre de -0,8 (quand leur prix diminue de 1 % en valeur elles augmentent de 0,8 % en volume).

L'élasticité-prix des exportations en volume de divers Etats, selon Natixis

Elasticité-prix

France

-0,81

Irlande

-0,73

Grèce

-0,72

Espagne

-0,68

Allemagne

-0,5

Italie

-0,44

Belgique

-0,4

Portugal

-0,33

Source : Patrick Artus, « Quels pays de la zone euro sont compétitifs, quels pays ne le sont pas ? », Flash économie n° 124, Natixis, 13 février 2012

Ainsi, dans le cas de la France, une diminution de 3 % du prix des exportations n'aurait pour effet que de les accroître de 2,4 %, soit une dizaine de milliards d'euros . Si l'on prend en compte le fait que certaines entreprises utiliseront la mesure non pour réduire leurs prix, mais pour augmenter leurs marges, l'impact effectif serait nettement plus faible.

Comparé à un déficit commercial de près de 70 milliards d'euros en 2011, ce résultat est peu significatif.


* 163 Patrick Artus, « Commerce mondial : qui perd des parts de marché au profit de qui ? », Flash économie n° 122, Natixis, 10 février 2012.

* 164 Le taux de change effectif réel est le taux de change réel (corrigé pour prendre en compte le différentiel d'inflation), pondéré en fonction de la part dans les exportations de l'Etat concerné de ses différents partenaires.

* 165 Bulletin des commissions.

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