N° 140

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de résolution européenne de M. Simon SUTOUR, présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réciprocité dans l' ouverture des marchés publics (E 7237),

Par M. Daniel RAOUL,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Daniel Raoul , président ; MM. Martial Bourquin, Claude Bérit-Débat, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Pierre Hérisson, Joël Labbé, Mme Élisabeth Lamure, M. Gérard Le Cam, Mme Renée Nicoux, M. Robert Tropeano , vice-présidents ; MM. Jean-Jacques Mirassou, Bruno Retailleau, Bruno Sido , secrétaires ; M. Gérard Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Michel Bécot, Alain Bertrand, Mme Bernadette Bourzai, MM. François Calvet, Roland Courteau, Marc Daunis, Claude Dilain, Alain Fauconnier, Didier Guillaume, Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Jean-Claude Lenoir, Philippe Leroy, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Michel Magras, Jean-Claude Merceron, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Mireille Schurch, M. Yannick Vaugrenard .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

106 (2012-2013)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs

Le 26 mars 2012, la Commission européenne a rendu publique la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil (E 7237) concernant l'accès des produits et services des pays tiers au marché intérieur des marchés publics de l'Union et établissant des procédures visant à faciliter les négociations relatives à l'accès des produits et services originaires de l'Union aux marchés publics des pays tiers.

En application de l'article 88-4 de la Constitution et de l'article 73 quater du Règlement du Sénat, cette initiative a fait l'objet d'une proposition de résolution européenne présentée au nom de la commission des Affaires européennes par le sénateur Simon Sutour, président de ladite commission.

Comme le prévoit l'article 75 quinquies de ce Règlement, la Commission des affaires économiques du Sénat a été saisie au fond de cette proposition de résolution.

Le présent rapport, après avoir rappelé les conditions dans lesquelles est organisée actuellement l'ouverture à la concurrence internationale des marchés publics de l'Union européenne, présente les dispositions contenues dans la proposition de règlement E 7237 et, au terme de cet examen, appelle sans réserve, et dans une rédaction conforme, à l'adoption par le Sénat de la proposition de résolution de la commission des Affaires européennes .

I. LES MARCHÉS PUBLICS EUROPÉENS SONT BEAUCOUP PLUS OUVERTS À LA CONCURRENCE INTERNATIONALE QUE CEUX DES PAYS TIERS

A. L'EXCEPTION EUROPÉENNE EN MATIÈRE D'OUVERTURE DES MARCHÉS PUBLICS

L'ouverture à la concurrence internationale des marchés publics d'un pays est déterminée par deux types de normes :

- celles contenues dans des accords pluri ou bilatéraux 1 ( * ) , aux termes desquels ce pays s'engage à ouvrir certains de ses marchés aux autres pays signataires ;

- celles, déterminées librement au niveau national, qui régissent l'ouverture des marchés publics non couverts par les engagements internationaux souscrits par ce pays. Ces normes nationales peuvent, au choix, restreindre ou ouvrir l'accès des marchés non couverts.

L'originalité de l'Union européenne est qu'elle a organisé une très large ouverture de ses marchés publics : d'une part en prenant des engagements d'ouverture particulièrement généreux dans le cadre des accords internationaux (1) ; d'autre part, en se refusant, comme elle en aurait pourtant le droit, à prendre des mesures de restriction d'accès pour ses marchés non couverts (2).

1. Les engagements internationaux de l'Europe prévoient une large ouverture de ses marchés publics

L'ouverture des marchés publics à la concurrence internationale est organisée au sein de l'Accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) de l'organisation mondiale du commerce (OMC), ainsi que par des accords bilatéraux.

L'ACCORD SUR LES MARCHÉS PUBLICS

L'AMP fait partie des accords signés au terme de l'Uruguay round en 1994. C'est un accord juridiquement contraignant de l'OMC 2 ( * ) , qui porte spécifiquement sur les marchés publics. Les différends éventuels entre États signataires sont assujettis au système de règlement des différends de l'OMC.

L'AMP établit un principe de non-discrimination. Pour les marchés visés par l'Accord, chaque pays signataire est tenu d'accorder aux produits et services des autres Parties et à leurs fournisseurs un traitement « qui ne sera pas moins favorable » que celui qu'elles accordent à leurs produits, services et fournisseurs nationaux. Les Parties ne peuvent pas non plus établir de discrimination entre des produits, des services et des fournisseurs des autres Parties.

Tous les marchés publics des signataires ne sont pas forcément couverts par l'accord. Le champ d'application de ce dernier est en effet déterminé, pour chaque signataire, dans les annexes de l'Appendice I. Ces annexes indiquent notamment :

- quels sont les acteurs publics pour lesquels chaque partie s'est engagée à se conformer à l'accord (entités du gouvernement central, entités des gouvernements sous-centraux, autres entités publiques) ;

- la valeur des seuils au-delà desquels les marchés sont visés par l'accord ;

- les domaines qui, par exception, sont fermés à la concurrence (par exemple, le Canada est partie à l'accord mais a décidé de ne pas l'appliquer pour la construction navale et la réparation de navires, les chemins de fer urbains et le matériel de transport urbain, ou encore les marchés réservés aux petites entreprises et aux entreprises détenues par des minorités).

La liste des parties à l'AMP est la suivante : Arménie, Canada, Union européenne, Corée, États-Unis, Hong-Kong, Islande, Israël, Japon, Liechtenstein, Norvège, Singapour, Suisse, Taipei.

Le taux d'ouverture des marchés publics d'un pays à la compétition internationale désigne le taux d'ouverture tel qu'il résulte de l'application des engagements internationaux souscrits 3 ( * ) . Ce taux comprend donc :

- au numérateur, le montant des marchés ayant fait l'objet d'un engagement d'ouverture aux entreprises des pays tiers signataires des accords ;

- au dénominateur, le montant des marchés publics potentiellement contestables, à savoir les marchés publics qui dépassent les montants planchers fixés par l'AMP. Ces marchés potentiellement contestables représentent, par exemple, 370 milliards d'euros en Europe, 559 milliards d'euros aux États-Unis ou encore 83 milliards d'euros en Chine.

Les marchés publics que l'Europe s'est engagée à ouvrir aux États Parties de l'AMP ou aux signataires d'accords bilatéraux représentent un montant de 352 milliards d'euros, soit 95 % des marchés potentiellement contestables de l'UE. C'est de très loin le taux d'ouverture le plus élevé du monde. En effet, certains pays, comme la Chine, n'ont pris aucun engagement international en matière de marchés publics. Leur taux d'ouverture est donc nul. D'autres États, bien qu'ils aient signé l'AMP, ont décidé de ne pas soumettre à la concurrence internationale les marchés publics des entités sous-centrales (c'est le cas des États-Unis et du Canada) ou ont choisi d'appliquer des règles d'exclusion sectorielle (c'est le cas par exemple du Japon ou des États-Unis dans le domaine des chemins de fer et des travaux publics). Ces pays ont ainsi des taux d'ouverture 3 à 4 fois plus faibles que l'Europe.

Tableau 1 : Part des marchés publics ayant fait l'objet d'un engagement d'ouverture

Montants des marchés publics contestables (en milliards d'euros)

Part (et montant) des marchés publics contestables ayant fait l'objet d'un engagement d'ouverture

UE

370

95% (352)

États-Unis

559

32% (179)

Japon

96

28% (27)

Canada

59

16% (9)

Corée

25

65% (16)

Chine

83

0% (0)

Russie

18

0% (0)

Inde

19

0% (0)

Brésil

42

0% (0)

Turquie

24

0% (0)

Australie

20

0% (0)

Source : étude d'impact de la proposition de règlement

2. Le droit interne européen va au-delà des engagements internationaux de l'Union

Un État est libre de déterminer les conditions dans lesquelles les entreprises des pays tiers peuvent accéder aux marchés publics non couverts par des accords internationaux d'ouverture . Ainsi, l'UE, qui s'est engagée à ouvrir 70 % de ses marchés publics au Japon, pourrait, si elle le souhaitait, prendre des dispositions juridiques pour fermer l'accès des 30 % restants aux entreprises nipponnes sans contrevenir à des règles internationales.

Un État est également libre de déterminer les conditions dans lesquelles les entreprises des pays non signataires peuvent accéder à l'ensemble de ses marchés contestables . Ainsi, la Chine n'étant signataire ni de l'AMP ni d'un accord bilatéral avec l'UE dans le domaine des marchés publics, l'Europe pourrait, si elle le souhaitait, interdire aux entreprises chinoises de soumissionner à l'ensemble des marchés publics européens.

Cependant l'Europe n'a pas adopté de mesure interne lui permettant de restreindre l'accès à ses marchés publics dans ces deux cas de figure. Tous ses marchés, qu'ils fassent ou non l'objet d'une obligation internationale d'ouverture, sont donc ouverts à toutes les entreprises, quelle que soit leur origine. On ne saurait être plus libéral en la matière .

UN DROIT INTERNE NON DISCRIMINANT POUR LES FOURNISSEURS DES PAYS TIERS

Le droit européen, transposant les engagements internationaux de l'UE, interdit expressément toute discrimination à l'encontre des fournisseurs de pays tiers signataires d'accords d'ouverture des marchés publics. Ces dispositions placent donc explicitement les entreprises de ces pays sur un pied d'égalité avec les entreprises des États membres.

Cependant, comme il n'édicte aucune norme visant spécifiquement les marchés non couverts par ces accords, le droit européen place aussi, de facto, les pays tiers non signataires d'accords d'ouverture sous le même régime que les États membres et que les États tiers signataires. Bref, il organise l'ouverture généralisée des marchés publics de l'Union aux soumissionnaires de tous les pays tiers !

Cette ouverture généralisée fait toutefois l'objet d'une exception prévue par les articles 58 et 59 de la directive 2004/17/CE du 31 mars 2004 relative aux marchés publics dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux :

- l'article 58 concerne des offres contenant des produits originaires des pays tiers avec lesquels la Communauté n'a pas conclu, dans un cadre multilatéral ou bilatéral, un accord assurant un accès comparable et effectif des entreprises de la Communauté aux marchés de ces pays tiers. Il prévoit que toute offre présentée pour l'attribution d'un marché de fournitures peut être rejetée lorsque la part des produits originaires des pays tiers excède 50 % de la valeur totale des produits composant cette offre ;

- l'article 59 prévoit que les États membres informent la Commission de toute difficulté d'ordre général rencontrée et signalée par leurs entreprises en fait ou en droit, lorsqu'elles ont cherché à remporter des marchés de services dans des pays tiers. La Commission peut, à tout moment, proposer au Conseil de décider à la majorité qualifiée de suspendre ou de restreindre momentanément l'attribution de marchés de services aux entreprises du pays incriminé . La Commission peut proposer ces mesures de sa propre initiative ou à la demande d'un État membre.

La portée de ces deux articles est cependant très réduite du fait de leur champ d'application. La directive 2004/17/CE concerne en effet uniquement les marchés publics dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux, soit 20% des marchés publics européens. De surcroit, au sein des marchés publics de ces secteurs, l'article 58 porte uniquement sur les marchés de fournitures et l'article 59, uniquement sur les marchés de services .

Leur portée est également limitée du fait des procédures de rétorsion retenues. Ainsi, l'article 58 n'instaure pas une procédure d'exclusion de portée générale, par laquelle l'UE se donnerait les moyens de répondre de façon cohérente à une politique restrictive de ses partenaires : il donne seulement la faculté ponctuelle au pouvoir adjudicateur, dans le cadre de l'instruction d'un appel d'offre, de rejeter telle ou telle offre. L'article 59 semble plus ambitieux puisqu'il prévoit une possibilité de rétorsion de portée générale, qui permet d'exclure sur tout le territoire de l'Union toutes les entreprises d'un pays non coopératif. Cette procédure fait cependant l'objet d'un double filtre : l'initiative de la mettre en oeuvre appartient exclusivement à la Commission, qui décide souverainement en la matière ; cette initiative doit ensuite être confirmée par un vote à la majorité qualifiée du Conseil. Dans les faits, elle n'est donc jamais mise en oeuvre.

À l'inverse de l'UE, les pays tiers ont non seulement des engagements internationaux d'ouverture beaucoup plus limités, mais, de surcroît, il est fréquent qu'ils édictent des règles qui empêchent les concurrents étrangers de prendre pied sur les marchés non couverts par les accords. Ainsi, au niveau mondial, 25 % des marchés publics font l'objet d'un engagement international d'ouverture ; quant aux 75 % restants, les deux tiers font l'objet de mesures expresses de protection nationale. Autrement dit, la moitié du total des marchés publics potentiellement contestables sont aujourd'hui fermés par des règles restrictives fondées sur la législation nationale des pays concernés .


* 1 Normes qui deviennent ensuite effectives via une transposition dans le droit interne.

* 2 L'accord est contraignant pour les États, mais n'a pas d'effet direct dans la législation des États.

* 3 Le taux d'ouverture effectif prend aussi en compte l'effet des normes internes applicables aux marchés publics n'entrant pas dans le champ des accords internationaux. Il est généralement plus important que le taux d'ouverture théorique.

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