B. L'EXPÉRIENCE DE LA PRESTATION SPÉCIFIQUE DÉPENDANCE ET LA MISE EN oeUVRE DE L'APA

1. La prestation spécifique dépendance était soumise à recouvrement sur succession

La proposition de loi créant la prestation spécifique dépendance (PSD) 8 ( * ) , fruit de travaux entamés au Sénat plusieurs années auparavant, s'était volontairement fixé une ambition limitée dans l'attente d'une réforme future de la prise en charge des personnes en perte d'autonomie.

Dans ce cadre, Alain Vasselle, rapporteur au nom de la commission des affaires sociales, soulignait dans son rapport de première lecture que, pour des raisons de simplicité et dans la mesure où le dispositif avait vocation à n'être que transitoire, les règles d'attribution de la prestation avaient été rapprochées le plus possible des règles traditionnelles applicables pour l'aide sociale .

Cependant, la mise en oeuvre de l'obligation alimentaire a été exclue . Les charges résultant de l'accueil en établissement ont été estimées comme étant sans commune mesure avec celles qui découlent traditionnellement de la simple fourniture des aliments et du gîte. En outre, l'obligation alimentaire risquant de peser essentiellement sur une génération « pivot », amenée à aider financièrement à la fois ses aînés et ses enfants tout en étant confrontée elle-même au vieillissement et à la baisse de revenus liée à la fin de la vie active, il a été jugé préférable d'éviter de faire peser sur elle une charge risquant de s'avérer démesurée.

En revanche, la mise en place d'un recouvrement sur succession, dans les conditions applicables de façon générale pour l'aide sociale, a été considérée comme légitime .

L'article 14 du décret du 28 avril 1997 9 ( * ) disposait ainsi que : « le recouvrement sur la succession du bénéficiaire, prévu à l'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale, des sommes versées au titre de l'aide sociale à domicile, de l'aide médicale à domicile, de la prestation spécifique dépendance ou de la prise en charge du forfait journalier créé par la loi n° 83-25 du 19 janvier 1983 s'exerce sur la partie de l'actif net successoral défini par les règles de droit commun qui excède 300 000 F. Seules les dépenses supérieures à 5 000 F, et pour la part excédant ce montant, peuvent donner lieu à ce recouvrement ».

2. Un choix différent a été effectué au moment de la création de l'allocation personnalisée d'autonomie et confirmé par la suite

Le rapport Sueur, dont les conclusions ont largement contribué à la définition des contours de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa), a étudié l'opportunité du recours sur succession en inscrivant cette question dans le cadre plus large de la prise en compte des ressources des bénéficiaires de la prestation .

Il mettait en regard l'opportunité d'introduire un tel mécanisme avec la définition des ressources prises en compte dans le cadre du barème de participation.

Deux hypothèses ont ainsi été envisagées dont la première était privilégiée par le rapport :

- supprimer le recours sur succession mais en intégrant une évaluation du patrimoine des bénéficiaires dans l'appréciation des ressources ;

- maintenir le recours sur succession tout en atténuant son caractère dissuasif par un relèvement substantiel du seuil.

Le projet de loi initial présenté par le Gouvernement prévoyait un seuil de 1 000 000 de francs à partir duquel auraient été mises en recouvrement les sommes versées au titre de l'Apa. En pratique, un tel seuil revenait à exclure un grand nombre des bénéficiaires potentiels du recouvrement et, ce faisant, à limiter l'impact financier de la mesure pour les départements.

L'Assemblée nationale , à l'unanimité de ses membres moins une voix, a adopté en première lecture un amendement supprimant toute forme de recouvrement sur succession .

Les débats qui ont eu lieu au Sénat sur des amendements tendant à rétablir le recouvrement sur succession ont traduit la complexité d'un sujet transcendant en partie les oppositions partisanes classiques. Si l'enjeu des finances départementales était particulièrement prégnant, se posait également la question de la nature de la prestation nouvellement créée .

Le retour à un dispositif de recouvrement sur succession a ensuite été discuté à plusieurs reprises, notamment au moment du vote de la loi du 31 mars 2003 portant modification de la loi créant l'Apa 10 ( * ) .

Plus récemment, il a fait l'objet d'un amendement déposé par le groupe RDSE sur le projet de loi de finances rectificative de l'été 2012. A la demande de la commission des finances et du Gouvernement, l'amendement a été retiré en séance par ses auteurs. Il s'agissait d'un texte identique à celui de la présente proposition de loi.


Extrait des débats en première lecture au Sénat
du projet de loi portant création de l'Apa

« Philippe Adnot : par la suppression du recours sur succession, on va finalement substituer à la solidarité familiale la participation des contribuables, quels qu'ils soient. Or, pour ma part, je trouve regrettable que l'on accélère ainsi le processus de désintégration de la solidarité familiale et que l'on substitue les contribuables à ceux qui ont les moyens de payer ce qui va leur être demandé en termes de solidarité. »

« Michel Charasse : il y a des gens fortunés qui ne veulent pas s'occuper des personnes âgées. Il y a des personnes âgées qui ont des biens. Il est quand même normal, à partir du moment où l'on fait payer les personnes modestes pour l'impôt départemental, qu'à un moment ou à un autre, le millionnaire ou le multimillionnaire contribue un peu, dès lors qu'il a remis la personne âgée entre les mains de la société, à l'entretien de ladite personne âgée et que la société récupère quelque chose à la sortie. »

« Alain Vasselle : l'allocation personnalisée d'autonomie n'est pas une prestation d'aide sociale. Il s'agit d'une nouvelle prestation, une prestation sui generis en quelque sorte, dont on ne sait pas trop à quoi elle se rattache. [...] Il est apparu à la commission des affaires sociales qu'il lui était difficile de trancher dans un sens ou dans un autre. »

« Paul Blanc : si je suis très favorable au recours sur succession en matière d'hébergement, j'y suis hostile dans les autres cas parce qu'il crée une grande injustice. Or les personnes devenues dépendantes n'y peuvent strictement rien : il s'agit là d'un aléa de la vie. »

« Philippe Marini : il y a deux grandes catégories : les risques couverts par la sécurité sociale, qui sont financés par des cotisations, et les prestations d'aide sociale, qui sont non contributives. Ne pas en rester à cette distinction simple, mes chers collègues, c'est faire n'importe quoi. [...] Soyons vigilants, mettons en place des garde-fous, créons [...] quelque frein psychologique pour faire en sorte que la machine de la dépense publique ne s'emballe pas. »

« Roland Muzeau : tout au long des débats, nous avons eu à coeur non seulement d'affirmer mais également de renforcer le caractère universel de la prestation, qui relève du domaine de l'aide sociale. En conséquence, l'abandon de toute procédure de recours sur succession s'impose et doit être confirmé par notre assemblée. »

« Roland Huguet : tout le monde a le droit [...] de transmettre ses biens à ses descendants sans être culpabilisé par les accidents de la vie, qu'il s'agisse de la maladie ou de la dépendance qui découle souvent de la maladie. [...]Par ailleurs, cela a été dit, la récupération accentue la différence entre départements riches et départements pauvres. [...] Dernier argument, [...] ceux qui seraient soumis à la récupération sur succession sont les personnes les plus riches. Dans ces conditions, le montant de l'Apa qui sera accordé sera faible. Donc, la récupération serait faible. »

Séance publique du 16 mai 2001


* 8 Loi n° 97-60 du 24 janvier 1997 tendant, dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l'institution d'une prestation spécifique dépendance.

* 9 Décret n° 97-426 du 28 avril 1997 relatif aux conditions et aux modalités d'attribution de la prestation spécifique dépendance instituée par la loi n° 97-60 du 24 janvier 1997.

* 10 Loi n° 2003-289 du 31 mars 2003 portant modification de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie.

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