ARTICLE 15 bis (nouveau) (Art. 71, 72 B, 72 D 72 D bis et 72 D ter du code général des impôts) : Réforme de la déduction pour investissement et de la déduction pour aléas

Commentaire : le présent article a pour objet de réformer le régime des déductions pour investissement et pour aléas qui permettent aux agriculteurs de lisser l'imposition de leurs revenus. Il place notamment ces deux dispositifs sous un plafond commun et réforme les conditions d'exercice de la déduction pour aléas afin de la rendre plus attractive.

I. LE DROIT EXISTANT

1. La déduction pour investissement

Selon l'article 72 D du code général des impôts, les exploitants agricoles soumis à un régime réel d'imposition peuvent pratiquer une déduction pour investissement (DPI) , dont le montant est plafonné , pour chaque exercice, en fonction du bénéfice imposable :

- à 4 000 euros dans la limite du bénéfice imposable, s'il est inférieur à 10 000 euros ;

- à 40 % de ce bénéfice lorsqu'il est compris entre 10 000 euros et 40 000 euros ;

- à la somme de 8 000 euros majorée de 20 % de ce bénéfice lorsqu'il est compris entre 40 000 euros et 60 000 euros ;

- à 20 000 euros lorsque ce bénéfice excède 60 000 euros.

Les recettes déduites doivent être utilisées, au cours des cinq exercices qui suivent la déduction :

1) pour l'acquisition et la création d'immobilisations amortissables strictement nécessaires à l'activité 176 ( * ) ;

2) pour l'acquisition et pour la production de stocks de produits ou animaux dont le cycle de rotation est supérieur à un an ;

3) pour l'acquisition de parts sociales de sociétés coopératives agricoles 177 ( * ) .

Lorsqu'elle n'est pas utilisée conformément à son objet , la déduction est rapportée aux résultats du cinquième exercice suivant sa réalisation. Elle peut, sur demande de l'exploitant, être rapportée en tout ou partie au résultat d'un exercice antérieur lorsque ce résultat est inférieur d'au moins 40 % à la moyenne 178 ( * ) des résultats des trois exercices précédents.

2. La déduction pour aléas

Aux termes de l'article 72 D bis du code général des impôts introduit en 2003, les exploitants soumis à un régime réel d'imposition 179 ( * ) et qui ont souscrit une assurance couvrant les dommages aux cultures ou la mortalité du bétail peuvent pratiquer une déduction pour aléas (DPA) 180 ( * ) , dans la limite de 23 000 euros par an . Ce mécanisme de provision défiscalisée a pour but de favoriser la constitution d'une véritable épargne professionnelle de précaution afin d'aider les exploitants agricoles en cas de survenue d'évènements affectant la conduite de leur exploitation, qu'il s'agisse d'un aléa économique, climatique, naturel ou sanitaire . En effet, les sommes inscrites au titre de la DPA sont sorties de la base imposable et peuvent être réintégrées dans un délai de dix ans dans les comptes de l'exploitation en cas de survenance d'un aléa . Si elles ne sont pas réintégrées, elles sont rapportées au bout de dix ans dans les comptes de l'exploitation et viennent en majorer le résultat.

Parmi les conditions d'éligibilité à ce dispositif d'allègement fiscal propre au monde agricole, figurent notamment :

- l'obligation pour l'exploitant de souscrire à une assurance couvrant les incendies ainsi que les dommages aux cultures ou la mortalité du bétail 181 ( * ) ;

- le versement préalable de la somme déduite des bénéfices agricoles sur un compte d'affectation , ouvert auprès d'un établissement de crédit ;

- l' inscription par l'exploitant à l'actif de son bilan de l'épargne professionnelle de précaution ainsi constituée.

Les sommes déposées sur le compte sont bloquées au cours des dix exercices qui suivent celui de leur versement et ne peuvent être utilisées qu'en cas d'intervention d'un aléa d'exploitation. Lorsque survient une telle utilisation, la déduction correspondante est rapportée au résultat de l'exercice au cours duquel le retrait des sommes est intervenu. L'utilisation des fonds débloqués est libre . Les aléas en question peuvent être :

- soit d'origine climatique ou naturel , ayant affecté l'exploitation (sinistre, constaté dans les conditions prévues à l'article R. 361-41 du code rural ; calamité agricole, constatée dans les conditions prévues à l'article L. 361-3 du code rural ; ou, enfin, catastrophe naturelle, constatée dans les conditions prévues à l'article L. 125-1 du code des assurances) ;

- soit d'origine sanitaire , ayant affecté l'exploitation (maladie animale ayant fait l'objet d'un arrêté portant déclaration d'infection en application de l'article L. 223-8 du code rural ou d'une indemnisation prévue à l'article L. 221-2 du code rural ; ou événement ayant justifié l'application de mesures de police administrative spécifiques 182 ( * ) ) ;

- soit d'origine économique 183 ( * ) , en fonction de la variation des résultats de l'exploitant. L'aléa doit ainsi se manifester par un écart négatif d'au moins 10 % entre la moyenne des marges brutes d'exploitation des trois exercices précédents et la marge brute d'exploitation de l'exercice considéré . Ce mécanisme permet de lisser les revenus imposables dans la durée en épargnant, de façon défiscalisée, durant les « bonnes années » (afin d'éviter des taux marginaux d'imposition élevés) et en utilisant cette épargne les « mauvaises années » (en vue de profiter des faibles résultats pour réduire le taux d'imposition).

Jusqu'à présent, la DPA a rencontré peu de succès , du fait notamment d'autres dispositifs fiscaux permettant de minorer l'imposition. Ainsi, la DPI représente 170 millions d'euros de dépenses fiscales par an , contre 2 millions d'euros seulement pour la DPA .

Contrairement à la DPI, dispositif apprécié des agriculteurs puisque 88 000 environ l'utilisent, la DPA, qui vise à inciter les agriculteurs à constituer une épargne de précaution, demeure donc totalement sous-utilisée ( 900 bénéficiaires en 2011 ). Afin de la rendre plus attractive, ce dispositif a pourtant fait l'objet de plusieurs modifications depuis sa création.

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article a été introduit par l'Assemblée nationale , à l'initiative du Gouvernement. Il vise à remanier le régime des déductions pour investissement et pour aléas et a notamment vocation de répondre aux critiques dont ces deux mécanismes font l'objet , à savoir que la DPI donne lieu à des abus en ce qui concerne l'acquisition d'immobilisations amortissables et que la DPA est sous-utilisée notamment parce que la condition d'assurance est trop contraignante et parfois inadaptée.

Le présent article place tout d'abord les deux déductions sous un plafond annuel commun fixé à 25 000 euros , quel que soit le montant du bénéfice de l'exploitation. Dans le droit existant, comme il a été vu, les agriculteurs peuvent déduire annuellement une somme pouvant aller de 4 000 euros à 20 000 euros suivant le montant de leur bénéfice au titre de la DPI et une somme d'au maximum 23 000 euros au titre de la DPA.

Pour ce qui concerne la DPI, le présent article conduira désormais à ne plus pouvoir l'utiliser pour l'acquisition d'immobilisations amortissables 184 ( * ) .

S'agissant de la DPA, le présent article permettra de l'employer pour l'acquisition de fourrage dans les six mois qui suivent ou précèdent la reconnaissance de l'état de calamité agricole. Il propose, en outre, de réformer les conditions d'exercice de cette déduction afin de la rendre plus attractive en assouplissant les conditions qui ont fait que ce mécanisme n'a pas rencontré le succès escompté. Ainsi, la condition d'assurance est supprimée et le blocage sur un compte bancaire dédié d'une somme équivalente au montant de la déduction est ramené à 50 % de la déduction pratiquée . Il est précisé que les sommes bloquées n'ont plus à être obligatoirement constituées des recettes de l'exercice. En contrepartie de ces assouplissements, le délai d'utilisation de la DPA est raccourci pour être ramené de dix à sept ans .

Le Gouvernement précise que les autres conditions d'application de ces deux dispositifs demeurent inchangées .

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Cet article propose de réformer conjointement le régime de la DPA ainsi que celui de la DPI . Ces dispositifs appréciés du monde agricole permettent de lisser l'imposition des revenus des agriculteurs. Il permet de maintenir le principe de deux déductions distinctes, tout en plaçant cependant ces deux mesures fiscales sous un plafond commun.

Il doit surtout conduire à rendre plus attractive la DPA , aujourd'hui sous-utilisée avec moins de 1000 bénéficiaires.

D'après les informations transmises par le Gouvernement, l'impact budgétaire du présent article est difficile à évaluer puisqu'il réduit la dépense fiscale au titre de la DPI (elle ne pourra plus être utilisée pour l'acquisition d'immobilisations amortissables 185 ( * ) ) alors qu'il l'augmente pour la DPA , rendue plus attractive. Au total, le coût éventuel induit par le présent article serait en tout état de cause modeste , surtout à court terme.

S'agissant de, le présent article permettra de l'employer pour l'acquisition de fourrage dans les six mois qui suivent ou précèdent la reconnaissance de l'état de calamité agricole. Il propose, en outre, de réformer les conditions d'exercice de cette déduction afin de la

Toutefois, le contenu du présent article doit être apprécié dans son contexte, qui est celui d'une réforme globale des dispositifs de gestion des risques et des aléas du monde agricole .

Nos collègues Yannick Botrel et Joël Bourdin, rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », estiment que la question des aléas climatiques, économiques et sanitaires subis par le monde agricole ne fait pas l'objet d'une prise en charge satisfaisante d'un point de vue budgétaire . Dans leur rapport rendu à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2013 186 ( * ) , ils plaident ainsi pour une relance du chantier de la couverture des risques par les mécanismes de marché alors que l'assurance récolte se diffuse trop lentement. Ils s'interrogent de plus sur le coût d'une éventuelle réassurance publique , alors que le principe d'une telle réassurance est posé par la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Dans son article 27, cette dernière dispose ainsi que dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, le Gouvernement présente « les conditions et les modalités d'un mécanisme de réassurance publique qui pourrait être mis en place en réponse à des circonstances exceptionnelles touchant le secteur agricole ». Ce dispositif n'a jamais été présenté.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.


* 176 Lorsque la déduction est utilisée pour l'acquisition ou la création d'immobilisations amortissables, la base d'amortissement de celles-ci est réduite à due concurrence.

* 177 Lorsque la déduction est utilisée pour l'acquisition de parts sociales de coopératives agricoles, elle est rapportée, par parts égales, au résultat de l'exercice qui suit celui de l'acquisition et des neuf exercices suivants. Toutefois, le retrait de l'adhérent ou la cession de parts sociales entraîne la réintégration immédiate dans le résultat imposable de la fraction de la déduction qui n'a pas encore été rapportée.

* 178 Pour le calcul de cette moyenne, il n'est pas tenu compte des reports déficitaires.

* 179 Il s'agit du régime réel normal ou du régime simplifié.

* 180 Cette déduction est cumulable avec l'abattement sur les bénéfices en faveur des jeunes agriculteurs et s'applique après ce dernier.

* 181 Selon la nature de l'activité exercée par l'agriculteur, l'assurance doit couvrir des types de risques différents. Les productions exclues du Fonds national de garantie des calamités agricoles doivent ainsi être obligatoirement couvertes par une assurance multirisque climatique. Dans d'autres cas, l'assurance grêle ou sanitaire est obligatoire.

* 182 Ces mesures de police administrative sont notamment prévues aux articles L. 234-4, L. 251-2 et L. 251-9 du code rural. Les mesures de police sanitaire sont prévues par l'arrêté du 4 novembre 2008 relatif aux conditions de police sanitaire applicables aux animaux et aux produits d'aquaculture et relatif à la prévention de certaines maladies chez les animaux aquatiques et aux mesures de lutte contre ces maladies ou de mesures sanitaires prises en application de l'article R. 231-39 du code rural. Il peut enfin s'agir de cas de suspension ou de retrait de l'autorisation d'exploitation de cultures marines pour motif d'insalubrité, en application de l'article 15 du décret n° 83-228 du 22 mars 1983 fixant le régime de l'autorisation des exploitations de cultures marines.

* 183 Article 91 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

* 184 Les acquisitions de stocks à rotation lente ou de parts sociales de sociétés coopératives agricoles demeurent éligibles au dispositif.

* 185 Les acquisitions de stocks à rotation lente ou de parts sociales de sociétés coopératives agricoles demeurent éligibles au dispositif.

* 186 Annexe 3 au tome III du rapport général sur le projet de loi de finances pour 2013 (n° 148, 2012-2013).

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