ARTICLE 17 duodecies (nouveau) : Fonds exceptionnel de soutien aux départements en difficulté

Commentaire : Le présent article vise à mettre en place, pour 2013, un fonds de soutien exceptionnel aux départements en difficulté.

I. UN ENGAGEMENT DU CHEF DE L'ÉTAT FACE À LA SITUATION FINANCIÈRE DIFFICILE DES DÉPARTEMENTS

A. DES DÉPARTEMENTS CONFRONTÉS À UN « EFFET CISEAU »

La situation financière des départements est un sujet de préoccupation depuis de nombreuses années, dans la mesure où ces collectivités sont confrontées à un « effet de ciseau » entre leurs ressources et leurs dépenses .

Cet effet résulte essentiellement d'une diminution de leurs recettes fiscales, dans un contexte de crise économique, et d'une forte augmentation des dépenses sociales .

Le rapport au premier ministre sur les finances départementales, remis le 20 avril 2010 par Pierre Jamet, directeur général des services du département du Rhône, indiquait ainsi qu'entre 2000 et 2008, le différentiel entre les taux annuels de croissance des dépenses et recettes de fonctionnement s'élevait à deux points, les premières progressant de 9,3 % par an et les secondes de 7,3 %.

Comme l'a souligné notre collègue Charles Guené dans son rapport 238 ( * ) sur les propositions de loi relatives à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements, les difficultés financières de ces collectivités résultent notamment des dépenses liées aux allocations de solidarité nationales que sont le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH).

Ainsi, en 2011, le reste à charge des départements au titre de ces trois allocations est évalué à 5,8 milliards d'euros , comme l'indique le tableau ci-dessous.

Répartition du reste à charge des départements
au titre des trois allocations de solidarité en 2011

(en millions d'euros)

RSA

APA

PCH

Total

Coût à la charge des départements

7 772

5 266

1259

14 297

Compensation

6 343

1 622

528

8 493

Coût net

1 429

3 644

731

5 804

Taux de couverture

81,6 %

30,8 %

41,9 %

59,4 %

Source : Commission des finances à partir des données de la direction générale des collectivités locales

Pour le RSA, les chiffres sont provisoires et hors COM et Mayotte

Si l'on s'intéresse à l'évolution du taux de couverture au cours des dernières années, on constate que celui-ci s'est constamment dégradé .

Ainsi, le taux de couverture au titre des dépenses de RSA, qui était de 100 % en 2004, a progressivement diminué pour atteindre 91,1 % en 2008 et 81,6 % en 2011. Celui des dépenses au titre de l'APA s'élevait à 37,4 % en 2004 : il est aujourd'hui de 30,8 %. Quant au taux de couverture au titre de la PCH, il est passé de 96,8 % en 2008 à 41,9 % en 2011.

On observera que les dépenses au titre de l'APA représentent, à elles seules, 63,8 % du reste à charge pour les départements.

Ce coût de 5,8 milliards d'euros est à comparer aux montants des dépenses de fonctionnement des départements, estimé à 54,3 milliards d'euros par l'Observatoire des finances locales. Les trois allocations représentent donc 11 % des budgets départementaux , sur lesquels la marge de manoeuvre des conseils généraux est extrêmement limitée.

Cette situation financière difficile des départements s'illustre notamment dans l'évolution de leurs dépenses d'investissement hors remboursements, seule variable d'ajustement : celles-ci ont diminué de 3,9 % en 2011 , après une baisse de 14 % en 2010. Pour 2012, l'Assemblée des départements de France (ADF) estime la diminution à 3 %.

B. UN ENGAGEMENT DU CHEF DE L'ÉTAT

La déclaration commune Etat-Départements , signée au terme de la réception par le Président de la République, le 22 octobre dernier, d'une délégation de l'Assemblée des départements de France, en présence du Premier ministre et de plusieurs membres du Gouvernement, contient l'engagement de l'Etat de mettre en place « dès début 2013, un fonds spécifique de 170 millions d'euros pour mieux soutenir le financement des missions de solidarité ».

La déclaration précise en outre que « ce fonds [est] mobilisé en faveur des départements les plus exposés à des tensions financières ». D'autre part, la déclaration prévoyait que les fonds seraient alloués « sur la base d'un diagnostic partagé » entre les services de l'Etat et des départements, en faisant notamment apparaitre « les économies de fonctionnement susceptibles d'être dégagées ».

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le dispositif mis en place à l'Assemblée nationale, par un amendement du Gouvernement sous-amendé, reprend cet engagement du chef de l'Etat et met en place un « fonds exceptionnel de soutien aux départements en difficulté », qui s'inspire très largement du fonds exceptionnel mis en place pour 2011 par le collectif budgétaire 239 ( * ) de 2010, qui s'élevait alors à 150 millions d'euros.

Le montant du fonds s'élève à 170 millions d'euros.

A. LE FINANCEMENT AU MOYEN D'UN PRÉLÈVEMENT SUR LES FONDS PROPRES DE LA CNSA

Le financement du fonds exceptionnel prend la même forme que celui de la première section 240 ( * ) du fonds de 2011, à savoir un prélèvement exceptionnel sur les ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

Celle-ci, créée par la loi 241 ( * ) relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, a pour mission notamment de rassembler les moyens destinés à financer la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

Elle prend la forme juridique d'un établissement public national à caractère administratif, jouissant de la personnalité morale et de l'autonomie financière. La CNSA est financée par le biais de ressources propres (notamment par la « contribution solidarité autonomie » et par une fraction de la CSG), de contributions de certains régimes de sécurité sociale et de produits financiers.

Jusqu'en 2008, la CNSA a vu ses réserves de fonds propres augmenter de manière très significative , compte tenu de la sous-consommation récurrente de certaines sections de son budget, du fait, essentiellement, des retards des procédures de création de places ou de médicalisation d'établissements spécialisés.

Evolution des réserves de la CNSA entre 2006 et 2011
Situation en fin d'année et utilisation des fonds propres

Source : Commission des finances à partir du rapport 2011 de la CNSA

PAM/PAI : Plan d'aide à la modernisation et Plan d'aide à l'investissement ; OGD : Objectif global de dépenses

Au vu de la situation financière de la CNSA, le présent article propose d'effectuer un prélèvement exceptionnel de 170 millions d'euros sur la section IV « financement des actions innovantes et le renforcement de la professionnalisation des métiers de service ».

En 2012, les réserves de fonds propres de la CNSA devraient s'élever à 343,4 millions d'euros , répartis selon le tableau ci-dessous.

Si l'on prend en compte le fait que les fonds propres de la section IV font déjà l'objet d'un prélèvement à hauteur de 50 millions d'euros au titre du « fonds de restructuration des services d'aide à domicile » et qu'on y ajoute les 170 millions d'euros prévus par le présent article, on constate que les fonds propres de la section IV ne suffiront pas alimenter le prélèvement .

La troisième colonne du tableau ci-dessous illustre la situation des fonds propres de la CNSA fin 2013, en tenant compte de ces deux prélèvements, et fait apparaître un déficit de 143,9 millions d'euros pour la section IV. Ceci nécessitera la prise d'un arrêté de transfert de crédits de la section I vers la section IV.

Répartition des fonds propres de la CNSA en 2012

(en millions d'euros)

Fonds propres mi-2012

Fonds propres fin 2013 (prévision)

Section I

248,6

252,7

Section II

-

-

Section III

-

-

Section IV

76,1

- 143,9

Section V

16,6

16,6

Section VI

2,1

2,5

Total fonds propres

343,4

127,9

Source : Commission des finances à partir de données de la CNSA

B. LES DEUX SECTIONS DU FONDS

1. Une première section répartie au bénéfice des départements d'outre-mer et de la moitié des départements métropolitains

La première section du fonds est dotée de 85 millions d'euros .

Les départements d'outre-mer sont éligibles de plein droit à cette part. Une quote-part est prélevée à leur profit sur le montant de cette première section, en fonction 242 ( * ) du rapport entre la population métropolitaine et la population de ces départements. Cette quote-part est ensuite répartie entre les départements d'outre-mer en fonction de leur indice synthétique ( cf infra ) multiplié par leur population. Son montant devrait s'élever à 5,3 millions d'euros environ.

Après prélèvement de la quote-part outre-mer, les ressources de la section sont réparties au bénéfice de la moitié des départements métropolitains - soit 48 départements -, classés en fonction d'un indice synthétique .

Par rapport à l'indice synthétique qui avait été retenu en 2010, on observe que celui-ci repose d'avantage sur les proportions de bénéficiaires des trois allocations susmentionnées : elles représentent ainsi 70 % de l'indice, contre 33 % en 2010, où seule la proportion de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans - et donc indirectement le nombre de bénéficiaires de l'APA - était prise en compte. Le critère du revenu moyen par habitant représente les 30 % restant, soit environ la même proportion qu'en 2010. Le critère du potentiel financier est quant à lui exclu.

Composition de l'indice synthétique

Critère

Pondération

Proportion de bénéficiaires de l'APA

40 %

Revenu moyen par habitant

30 %

Proportion de bénéficiaires du RSA

20 %

Proportion de bénéficiaires de la PCH (et de l'ACTP 243 ( * ) )

10 %

Source : Commission des finances

On soulignera que c'est à l'initiative d'un sous-amendement que le critère de bénéficiaires de l'APA a été substitué au critère de la proportion de personnes de plus de soixante-quinze ans, avec l'avis favorable, sur ce point, de la commission et du Gouvernement.

En revanche, la pondération à 40 % de la proportion de bénéficiaires de l'APA et à 10 % de celle de bénéficiaires de la PCH, au lieu de 30% et 20 % dans la proposition du Gouvernement, a été adoptée avec un avis défavorable de la commission et du Gouvernement .

Enfin, la répartition entre les départements bénéficiaires se fait de façon « automatique », en fonction de son indice synthétique, sans pondération par la population . Cette dernière, prévue par le Gouvernement, a été supprimée par l'Assemblée, malgré un avis défavorable de la commission et du Gouvernement .

2. Une seconde section au profit des départements connaissant une situation financière dégradée

La seconde section du fonds s'élève également à 85 millions d'euros .

Ce montant pourra être mobilisé pour verser des subventions exceptionnelles, en section de fonctionnement, « à des départements connaissant une situation financière dégradée du fait en particulier du poids des dépenses sociales ».

À l'inverse de la première section, dont les fonds sont répartis de façon « automatique », les subventions accordées au titre de cette seconde section visent à répondre, au cas par cas, aux situations financières les plus délicates . Elle reprend en cela l'esprit de l'engagement n° 2 de la déclaration commune Etat-départements précitée, qui précisait que le fonds serait mobilisé « en faveur des départements les plus exposés à des tensions financières ».

Les critères retenus pour apprécier les départements pouvant bénéficier de cette seconde section seraient « notamment », aux termes de l'article :

- l'importance et le dynamisme de leurs dépenses sociales ;

- le niveau et l'évolution de leur endettement et de leur autofinancement ;

- les perspectives d'une situation de déficit, ce dernier point ayant été ajouté par sous-amendement, avec l'avis favorable de la commission, le Gouvernement s'en remettant à la sagesse de l'Assemblée.

Les subventions accordées dans ce cadre seraient conditionnées à la conclusion d'une convention entre l'Etat et le département bénéficiaire - comme cela était le cas en 2011 -, précisant le montant de la subvention et « les mesures prises par le département pour améliorer sa situation financière ».

Enfin, le présent article prévoit un décret précisant ses modalités d'application ainsi que la remise au Parlement, avant la fin de l'année 2013, d'un rapport sur la mise en oeuvre de ce fonds .

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre commission des finances est favorable au principe même de la mise en place d'un fonds de soutien exceptionnel aux départements, au vu des difficultés financières particulières auxquelles ils sont confrontés.

Elle avait d'ailleurs proposé l'an dernier, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2012, la mise en place d'un tel fonds, afin de « soulager la situation financière très tendue des départements les plus en difficulté ». Adopté par le Sénat, cet amendement n'avait cependant pas été retenu par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

A. UN MODE DE FINANCEMENT JUSTIFIÉ

S'agissant du financement du fonds, le niveau global des fonds propres de la CNSA - 343,4 millions d'euros mi-2012 - justifie le prélèvement opéré par le présent article.

Néanmoins, on observe que la section IV ne pourra pas absorber les 170 millions d'euros du prélèvement , dans la mesure où ses fonds propres s'élèvent, mi-2012, à 76 millions d'euros et qu'ils font, en outre, déjà l'objet d'un prélèvement à hauteur de 50 millions d'euros, au titre du « fonds de restructuration des services d'aide à domicile ».

Un arrêté de transfert de crédits de la section I vers la section IV pourra néanmoins être pris.

B. LA PREMIÈRE SECTION

1. Un nombre important de départements bénéficiaires

Par rapport au dispositif de 2011, le fonds mis en place par le présent article bénéficiera à un nombre plus important de départements : au-delà des départements d'outre-mer, la moitié des départements de métropole seront concernés, soit 48 départements, contre 30 départements dans le mécanisme de 2011.

Cet élargissement va dans le sens de ce qu'avait proposé l'an dernier votre commission des finances (40 départements bénéficiaires). Il permet de concilier la nécessité d'aider un nombre important de départements, tout en évitant un « saupoudrage » excessif , puisque seule la moitié des départements de métropole seront concernés. De plus, le ciblage du dispositif sera renforcé par la seconde section du fonds, dotée également de 85 millions d'euros, attribués selon des critères liés à la situation financière des départements.

2. La composition de l'indice et le calcul du reversement

Le choix de l'Assemblée nationale de substituer le critère du nombre de bénéficiaires de l'APA à celui du nombre de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans suscite des interrogations. En effet, le nombre de personnes de plus de soixante-quinze ans est un critère objectif, tandis que le nombre de bénéficiaires de l'APA peut dépendre des pratiques d'évaluation du degré de dépendance, qui peuvent varier d'un département à l'autre, et du fait que certains bénéficiaires potentiels n'en font pas la demande, car n'ayant pas connaissance du dispositif. De plus, les départements peuvent verser d'autres aides que l'APA au titre de la dépendance : aides ménagères, aide sociale à l'hébergement dans les EHPAD par exemple. En outre, les données relatives à l'APA ne sont disponibles qu'avec un décalage d'un an.

L'Assemblée nationale, contre l'avis de sa commission des finances et du Gouvernement, a décidé de passer de 30 % à 40 % la pondération du critère des bénéficiaires de l'APA. On observe que le reste à charge pour les départements au titre de l'APA représente à lui seul 63,8 % du total ( cf supra ). Toutefois, comme le soulignait le « rapport Jamet » de 2010 précité, ce poids de l'APA est loin d'être uniforme pour l'ensemble des départements : le rapport distinguait notamment les départements « ruraux et pauvres », confrontés à des dépenses d'APA importantes, et les départements « urbains et pauvres », où les dépenses d'insertion étaient prépondérantes.

L'Assemblée nationale a également supprimé, contre l'avis de sa commission et du Gouvernement, de la prise en compte de la population pour le calcul du versement.

Votre commission souhaite apporter deux corrections techniques faisant l'objet d'un amendement de précision , afin de spécifier que le montant pris en compte pour le calcul de la quote-part outre-mer et pour la répartition de la première section est bien le montant de cette première section, et non celui de l'ensemble du fonds.

C. LA SECONDE SECTION

En permettant d'accorder des subventions exceptionnelles, la seconde section du fonds apporte une solution, pour 2013, au problème des départements connaissant une situation financière particulièrement tendue .

On peut certes regretter que des critères exhaustifs de définition des départements ainsi aidés ne soient pas définis, mais il faut souligner que le présent dispositif est un mécanisme d'urgence, destiné à résoudre des situations particulières, au cas par cas : il doit donc conserver une certaine souplesse . De plus, les critères évoqués par le présent article apportent déjà des éléments, notamment la référence à la perspective d'un déficit.

Le recours à une logique conventionnelle, comme en 2011, satisfait également votre commission des finances. Elle permettra de s'assurer que les départements bénéficiaires de cette seconde section réaliseront des efforts pour maîtriser leurs finances . Lors des débats à l'Assemblée nationale, le ministre délégué chargé du budget, déclarait ainsi que « il va de soi que les départements qui pourraient être aidés [...] devront naturellement faire preuve d'un effort fiscal élevé ».

D. UN DISPOSITIF QUI NE RÈGLE PAS LE PROBLÈME DE FAÇON PÉRENNE

Le présent article ne règle pas de manière pérenne la question du financement par les départements des allocations de solidarité .

A ce titre, on peut rappeler les termes de l'engagement n° 1 de la déclaration Etat-départements précitée, qui prévoit « la mise en place, à compter de 2014, de ressources pérennes et suffisantes permettant aux départements de faire face [...] au financement des trois allocations individuelles de solidarité ».

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.


* 238 Rapport n° 138 (2010-2011), au nom de la commission des finances.

* 239 Article 83 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010.

* 240 La seconde section était financée par des crédits budgétaires.

* 241 Loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

* 242 La quote-part outre-mer est calculée en multipliant le montant de la première section du fonds par le rapport entre la population des DOM et la population métropolitaine, multiplié par 2,2.

* 243 L'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) a été remplacée en 2006 par la PCH et ne concerne plus que les personnes qui la percevaient déjà et ont choisi de la conserver.

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