C. UNE PRÉCARISATION DES PERSONNES PROSTITUÉES ÉTRANGÈRES EN SITUATION IRRÉGULIÈRE

Les données disponibles tendent à montrer qu'aujourd'hui, près de 90% des personnes prostituées présentes sur la voie publique sont de nationalité étrangère, une majorité d'entre elles exerçant sous l'emprise de réseaux criminels 26 ( * ) .

D'après les chiffres de l'Office central de répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), parmi les femmes étrangères mises en cause pour racolage par la police nationale en 2010, 40% étaient originaires d'Europe de l'est et des Balkans, 38% d'Afrique, 12,5% d'Asie (dont 98% de Chine) et 3,5% d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud. Les hommes étrangers qui se livrent à la prostitution sur la voie publique viennent pour leur part essentiellement d'Amérique latine 27 ( * ) .

Le sort devant être réservé à celles de ces personnes qui se trouvent en situation irrégulière sur le territoire français a fait l'objet de discours ambigus.

D'un côté, le législateur a souhaité faciliter l'accession au séjour des victimes de la traite. Aux termes de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), une carte de séjour temporaire peut être délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, ou qui témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l'étranger ayant déposé plainte ou témoigné.

Toutefois, dans le même temps, il a été recommandé aux services de police et de gendarmerie constatant, à l'occasion d'une garde à vue pour racolage, la situation de séjour irrégulier de la personne, de mettre en oeuvre à son encontre une procédure d'éloignement. La circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces du 3 juin 2003 indiquait ainsi clairement que « dans le cas où la personne qui se prostitue est en situation irrégulière, ou lorsqu'il s'agira d'un étranger en situation régulière mais dont le permis de séjour peut être retiré [...], il n'y aura que des avantages à ce que, pendant la durée de l'enquête, la personne fasse l'objet d'une procédure administrative destinée à permettre sa reconduite à la frontière, ce qui évitera ainsi des poursuites pénales ».

En outre, l'article R. 311-15 du CESEDA ouvre la possibilité de retirer le titre de séjour d'une personne lorsque celle-ci est passible de poursuites pénales sur le fondement du délit de racolage.

De fait, s'il n'est pas possible d'évaluer le nombre de procédures de reconduite à la frontière consécutives à une interpellation pour racolage, en revanche, les données communiquées par le ministère de l'Intérieur montrent que seul un nombre très limité de titres de séjour ont été délivrés à des personnes ayant accepté de porter plainte ou de témoigner dans une affaire de traite des êtres humains ou de proxénétisme : quelques dizaines de titres par an seulement, quelques unités s'agissant des cartes de résident (voir encadré).

Délivrance de titres de séjour à des victimes de la traite des êtres humains

2008

2009

2010

2011

2012

Cartes de résident

1

5

Cartes de séjour temporaire d'une durée inférieure à un an

2

2

11

Cartes de séjour temporaires d'un an

10

55

58

32

33

Total

22

57

69

33

38

Source : ministère de l'Intérieur (AGDREF)

Ainsi, comme l'a observé Mme Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente de la commission nationale consultative des droits de l'homme, la mise en oeuvre du contrôle migratoire à l'égard de victimes de traite ou d'exploitation conduit le plus généralement à faire prévaloir la qualité d'étranger en situation irrégulière sur celle de victime . L'éloignement de cette dernière du territoire national lui interdit d'accéder à la justice française et la prive d'une protection que, bien souvent, elle ne sera pas en mesure d'obtenir dans son pays d'origine.


* 26 Ce n'est pas systématique. Par exemple, d'après l'étude précitée réalisée par Médecins du Monde, la majorité des femmes chinoises se prostituant à Paris sont indépendantes, seules 5 % d'entre elles déclarant avoir été obligées de reverser à autrui une partie ou la totalité de leurs revenus tirés de la prostitution.

* 27 Rapport d'information précité de Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy, députés, pages 32 et suivantes.

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