LE RETOUR DES PROTÉINES ANIMALES DANS L'ALIMENTATION DES POISSONS

Le règlement n° 56/2013 de la Commission, du 16 janvier 2013, autorise à nouveau l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des poissons. Ce règlement s'appliquera à compter du 1 er juin 2013. Comment expliquer un tel revirement et quelle en est la portée ?

LES FONDEMENTS DU REVIREMENT DE LA COMMISSION

L'interdiction générale de l'utilisation des farines animales en 2001 fut une décision en réponse à une situation de crise et à une initiative française. Depuis plusieurs années, la Commission évoque la possibilité de faire évoluer la réglementation. Elle l'a fait une première fois en 2005 8 ( * ) en mentionnant la possibilité « d'envisager la modification de certaines mesures si l'évolution positive (de la maladie) et les conditions scientifiques sont réunies sans compromettre la santé des consommateurs », puis à nouveau en 2010 9 ( * ) où elle s'est prononcée explicitement en faveur d'un « réexamen de certains aspects de l'interdiction totale de farines animales ».

La Commission se fonde sur deux séries d'arguments.

En premier lieu, il y a des arguments techniques. La prévalence de la maladie a considérablement diminué. L'incidence globale de l'ESB est négligeable. Au pic de l'épidémie, en 1992, on compta jusqu'à 36 000 cas identifiés au Royaume-Uni. Ce chiffre est descendu à moins de 30 en 2011 dans toute l'Union européenne.

Nombre de cas d'ESB identifiés
en France et dans l'Union européenne

France

Union européenne

2001

274

2 167

2002

239

2 124

2003

137

1 376

2004

54

865

2005

31

561

2006

8

320

2007

9

175

2008

8

125

2009

10

67

2010

5

43

2011

3

28

2012

1

n.c

Cette nouvelle situation permet d'envisager des évolutions, tant dans le dépistage que dans l'utilisation des sous-produits animaux. En 2011, 6,3 millions de bovins ont été testés. Il faut tester 586 000 bovins pour détecter un cas positif. En 2005, la commission avait évalué le coût de détection d'un cas positif dans la tranche des bovins adultes à 300 millions d'euros. Concernant l'utilisation des sous-produits, l'autorité européenne de sécurité des aliments, l'EFSA, a conclu en octobre 2007 à un risque négligeable de transmission de l'ESB aux volailles nourries avec des protéines de porc. Ainsi, pour la Commission, les dispositions sur l'utilisation des farines doivent partir d'une évaluation des risques, en déterminant les seuils de tolérance à la présence de petites quantités de PAT dans l'alimentation des non ruminants...

Pourquoi faire une distinction entre les animaux ruminants et les non ruminants ? Il y a d'abord une raison de bon sens. Les ruminants - bovins, ovins, caprins - sont herbivores ; l'ingestion de farines animales les transforment, de fait, en animaux carnivores. Il y a ensuite une raison scientifique. « Le prion, agent pathogène responsable des EST est seulement présent chez les mammifères. Le poisson et la volaille ne sont pas sujets aux EST. Le porc est un cas à part, car des essais de laboratoires ont permis d'injecter des grandes quantités de prions dans le système nerveux mais aucun cas de porc atteint d'EST n'a été détecté dans la nature à ce jour ». 10 ( * )

En deuxième lieu, il y a des arguments économiques. L'analyse économique est simple. Dans le meilleur des cas, les farines animales sont utilisées pour produire des engrais, du compost ou des combustibles pour les cimentiers. Des quantités énormes peuvent être stockées pendant plusieurs années 11 ( * ) . Or, ces farines, en particulier la fraction la plus utile - les protéines animales transformées -, représentent une source précieuse de protéines, indispensables à l'alimentation animale. Leur utilisation raisonnée, contrôlée, permettrait selon la Commission de réduire la dépendance de l'Union européenne en protéines végétales.

Cette argumentation de la Commission a été reprise par le Parlement européen, notamment à l'occasion du vote en 2011 de deux résolutions incitant à faire évoluer la règlementation européenne sur ce sujet. Une première résolution du 8 mars 2011 sur « le déficit de l'Union européenne en protéines végétales » suggère « d'envisager l'utilisation des protéines animales transformées issues de résidus d'abattage pour produire des aliments pour animaux » 12 ( * ) . Pour la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, « la transformation des protéines animales représente une source précieuse de protéines et contribue au rééquilibrage du déficit européen en protéines ». Dans une deuxième résolution du 6 juillet 2011, le Parlement européen se dit « favorable à lever l'interdiction de nourrir des non ruminants avec des protéines animales transformées » 13 ( * ) .

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

La décision de la Commission a suivi la procédure classique de prise de décision normative européenne, dite « procédure de comitologie » 14 ( * ) associant les représentants des États membres. En l'espèce, la décision a été prise après un vote du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale - CP CASA - institué par le règlement CE n° 178/2002 du 28 janvier 2002, un comité dit de réglementation (la Commission ne peut adopter des mesures d'exécution qu'après avoir recueilli l'avis positif de la majorité qualifiée des représentants des États membres). Le 18 juillet 2012, ce comité a voté à la majorité qualifiée - l'Allemagne et la France votant contre - la réintroduction des PAT dans l'alimentation des poissons.

La décision formelle de la Commission est le règlement n° 56/2013 du 16 janvier 2013 15 ( * ) . La Commission ouvre la possibilité, à compter du 1 er juin 2013, d'utiliser les protéines animales transformées des non ruminants pour l'alimentation des poissons d'élevage. Ces précisions sont importantes :

- « Farines » et « protéines animales transformées ».

La levée de l'interdiction porte sur les seules protéines animales transformées - PAT. Cette précision a autant de valeur technique que politique. Sur le plan technique, les PAT sont en quelque sorte la partie « noble » des farines animales. Ce sont les protéines qui dérivent des matières protéiques de catégorie 3 (coproduits d'abattage d'animaux propres à la consommation humaine excluant les animaux malades, excluant les produits à partir de sang, lait, gélatine, protéines hydrolysées...). Mais cette distinction sert surtout à faire oublier l'expression « farines animales », qui rappelle les tragiques épisodes de la crise de la vache folle. D'ailleurs, la distinction entre PAT et farines n'est pas toujours très nette. Lorsque le Parlement européen se prononce en faveur de l'utilisation des PAT, cette demande figure dans un paragraphe consacré à la « révision de l'interdiction des farines animales ».

- Les PAT des animaux mono gastriques.

Les PAT des bovins et autres ruminants restent exclues. L'enjeu est, bien sûr, d'éviter toute contamination par l'ESB.

- L'utilisation pour les poissons d'élevage.

Le règlement de la Commission porte sur les seuls poissons d'élevage. Les PAT pourraient être un substitut aux farines de poissons, elles-mêmes issues de ressources marines surexploitées. Ce ciblage suscite quelques interrogations, car l'ensemble des communications de la Commission porte sur l'utilisation des PAT pour les non ruminants - et non pour les seuls poissons. Il ne fait aucun doute que l'objectif est bien celui-là. Réserver les PAT - dans un premier temps ? - aux seuls poissons serait-il un ballon d'essai, destiné à tester les réactions de l'opinion ? Dans l'esprit de la Commission, la seconde étape est l'extension de l'utilisation des PAT aux non ruminants - volailles et porcs - sous réserve du principe de « non recyclage des protéines », qui interdit de nourrir un animal avec des farines issues d'animaux de la même espèce - les farines/PAT de volailles iraient aux porcs et inversement.


* 8 Feuille de route pour les EST - COM (2005) 322 final

* 9 Feuille de route n° 2 pour les EST - COM (2010) 384 final

* 10 Actu environnement. 29 août 2012

* 11 Plus de 10 000 tonnes de farines ont été stockées dans une ancienne briqueterie de Châtillon-sur-Thouet, dans les Deux-Sèvres, après leur interdiction dans l'alimentation animale. Leur déstockage à partir de 2008 a duré près de deux ans...

* 12 Résolution du Parlement européen du 8 mars 2011 sur le déficit de l'UE en protéines végétales : quelle solution à un problème ancien ?

* 13 Résolution du Parlement européen du 6 juillet 2011 sur la législation de l'UE sur les EST et sur le contrôle des aliments pour animaux et des denrées alimentaires - Mise en oeuvre et perspectives.

* 14 Le traité de Lisbonne a modifié cette procédure en distinguant les actes délégués et les actes d'exécution de la Commission. Mais, entre 2009 et 2014, la procédure ancienne de comitologie avec contrôle des États membres reste valable pour les actes pris antérieurement, ce qui est le cas en l'espèce.

* 15 Règlement (UE) n° 56/2013 de la Commission du 16 janvier 2013 modifiant les annexes I et IV du règlement (CE) n° 999/2001 du Parlement européen et du Conseil fixant les règles pour la prévention, le contrôle et l'éradication de certaines encéphalopathies spongiformes transmissibles.

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