ORGANISATIONS SYNDICALES NON SIGNATAIRES
DE L'ACCORD NATIONAL INTERPROFESSIONNEL DU 11 JANVIER 2013

Réunie le mercredi 3 avril 2013, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à une première table ronde sur le projet de loi n° 494 (2012-2013) relatif à la sécurisation de l'emploi, réunissant M. Stéphane Lardy, secrétaire confédéral en charge de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'assurance chômage de Force ouvrière (FO), et Mmes Agnès Le Bot et Francine Blanche, responsables nationales de la Confédération générale du travail (CGT).

Mme Annie David , présidente . - Nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi. Nous avons entendu hier les partenaires sociaux qui ont signé l'accord, nous recevons maintenant les deux organisations syndicales qui ne l'ont pas signé. Cette audition est ouverte au public et à la presse.

Mme Agnès Le Bot, responsable nationale de la Confédération générale du travail (CGT) . - Je vous remercie de nous entendre. Nous avons beaucoup à dire sur ce projet de loi, car il touche concrètement à la vie des salariés. Lors de la conférence sociale de juillet 2012, le Premier ministre a proposé une nouvelle démarche pour la sécurisation de l'emploi, en invitant à une négociation nationale interprofessionnelle, sur la base d'un document d'orientation dont les objectifs couvraient quatre domaines : lutter contre la précarité sur le marché du travail, progresser dans l'anticipation des évolutions de l'activité, de l'emploi et des compétences, améliorer les dispositifs de maintien de l'emploi dans les entreprises confrontées à des difficultés, et améliorer les procédures de licenciement collectif par des actions d'anticipation ou d'activité partielle.

Nous nous sommes engagés dans cette négociation, considérant qu'il y avait matière à discuter à partir des attentes exprimées par les salariés lors du récent processus électoral. Il faut pourtant constater que le Medef, détournant le sens et la finalité de cette négociation, a fait passer la sécurisation de l'emploi après l'assouplissement du marché du travail. Aucune discussion, aucun débat de fond n'a été possible, en dépit des propositions des organisations syndicales. Nous voulions discuter d'un droit de veto suspensif des représentants du personnel sur les plans de licenciement ou de restructuration, et souhaitions une loi sur les licenciements boursiers et la reprise des sites rentables. Nous n'avons pas pu aborder au fond une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour toutes les entreprises et pour tous les salariés, non plus que la création de nouveaux droits individuels et collectifs pour les salariés, effectifs, attachés à la personne, transférables et opposables à l'employeur, ou une taxation de tous les CDD ou contrats d'intérim à la hauteur de ce qu'ils coûtent à l'assurance chômage. En fait, la négociation n'a été ni loyale, ni apaisée, ni transparente ; l'accord qui en a résulté ne pouvait être équilibré.

Loin de répondre à la feuille de route du Gouvernement, l'accord bouleverse le droit du travail, ce qui est très grave pour les salariés. On prétend qu'il leur ouvre des droits nouveaux, ils sont en réalité conditionnels, différés, virtuels. Le Gouvernement, pour satisfaire les signataires, entend, quitte à violer le droit international, retranscrire fidèlement cet accord, y compris ses dispositions les plus régressives, les plus nocives. Les accords de maintien dans l'emploi, autorisant de licencier les salariés qui refuseraient que leur salaire ou leur temps de travail diminue, sont directement inspirés des accords compétitivité-emploi pourtant fortement critiqués par la gauche lorsque M. Sarkozy avait cherché à les mettre en oeuvre.

Avec les accords de mobilité interne, l'employeur pourrait licencier le salarié qui refuserait d'aller travailler à l'autre bout du pays. Nous avons noté les efforts pour tenter de mettre cette disposition en conformité avec le droit international : le salarié ne serait plus licencié pour motif personnel. Quelle grande avancée sociale ! Il est pour le moins curieux qu'une transcription dans la loi française d'un accord interprofessionnel salué par le gouvernement pose d'emblée des questions de conformité avec les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Cet article 10 représente un formidable levier patronal en matière de réduction des effectifs. Nous sommes loin d'une gestion sérieuse des emplois et des compétences, comportant une véritable reconnaissance des qualifications et organisant une mobilité choisie par le salarié.

Les dispositions bouleversant la procédure de licenciement économique collectif rendent accessoires les questions du motif économique et des alternatives au licenciement : rien n'est fait pour éviter les licenciements boursiers. L'information et l'intervention des représentants des salariés sont enfermées dans des délais si courts que leur efficacité est menacée. Certes, ces délais ne pourront être inférieurs à quinze jours, mais le comité d'entreprise ne pourra exercer utilement sa compétence ; d'ailleurs, à l'expiration du délai, il sera réputé avoir été consulté.

Le projet réduit la possibilité de réparation des préjudices subis par les salariés : les juges du travail pourraient désormais les inciter à accepter des transactions injustes et inéquitables. Les délais de prescription des infractions patronales sont raccourcis : c'est comme une prime à la délinquance patronale. Tous les trois ans, les compteurs se remettent à zéro pour l'employeur...

Le projet impose aux salariés de certaines entreprises un CDI intermittent, une sorte de temps partiel annualisé, sur la base d'un accord direct entre le salarié et son employeur, dans des petites entreprises où l'implantation syndicale est très faible.

Les incertitudes sur la création de nouveaux droits pour les salariés subsistent : le financement des droits rechargeables à l'assurance chômage n'est nullement assuré, le gouvernement se contentant de renvoyer à de futures négociations, sans aucune garantie ; l'accès à une complémentaire santé pour tous n'est pas assuré, et certains salariés risquent de passer à travers les mailles du filet ; nous souhaitons que vous puissiez résister à la pression intense du patronat de l'assurance et du Medef pour que la désignation d'un seul organisme par branche, qui permet la mutualisation entre petites et grandes entreprises, reste possible.

Ce gouvernement, qui se dit attaché au dialogue social, serait bien inspiré de mesurer la légitimité de cet accord. Certes, il respecte les règles de représentativité, mais les non-signataires représentent 48,85%. La responsabilité des parlementaires, en charge de l'intérêt général, est engagée sur ce texte. Leurs prérogatives restent pleines et entières, y compris lorsqu'il s'agit de la transposition d'un accord national dans la loi. Il leur appartient de modifier le texte dans le sens de l'intérêt général : les lois ne doivent pas être subordonnées aux accords. Nous ne pouvons souscrire aux propos que le président de la République a tenus la semaine dernière : que pour être recevable, un amendement doive recevoir l'accord des organisations signataires revient à donner un droit de veto à la partie patronale.

Le projet de loi initie un nouveau modèle économique et social, détruit les garanties collectives nationales pour favoriser des accords d'entreprise, voire de gré à gré, oubliant l'inégalité que crée le lien de subordination entre le salarié et son employeur. Le contrat de travail n'est plus une garantie, puisqu'il peut être suspendu par un accord d'entreprise. Les moyens de recours au juge sont réduits pour les salariés. Et le sale boulot reviendra aux syndicats qui seront chargés de faire accepter la régression sociale. Ce projet dit « pour la sécurisation de l'emploi » laisse de côté les chômeurs, l'action que pourraient avoir les territoires pour sauvegarder l'emploi, et le développement d'une formation professionnelle aidant les salariés les plus fragiles à rebondir.

M. Stéphane Lardy, secrétaire confédéral en charge de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'assurance chômage de Force ouvrière (FO) . - Merci de nous accueillir. Nous n'avons pas vocation à dire aux parlementaires ce qu'ils ont à faire : nous ne sommes pas porteurs de l'intérêt général, mais de celui de nos mandants, les travailleurs. Nous n'avons pas à vous dire de transposer cet accord le petit doigt sur la couture du pantalon. Notre organisation signe certains accords, n'en signe pas d'autres. Nous estimons que celui-ci est déséquilibré, que c'est un mauvais accord.

La crise systémique du capitalisme libéral que nous connaissons depuis 2009 est historique. En 1982, 900 000 personnes avaient un CDD en France ; en 2012, 2,6 millions. Quinze millions de CDD, dix-sept millions de missions d'intérim sont signés chaque année ; en 1982, moins d'un million de personnes travaillaient à temps partiel, 4,6 millions actuellement. La précarisation du marché du travail est patente. Il y a plus de personnes sans emploi et de travailleurs pauvres.

Dans ce contexte, nous avions reçu la feuille de route que M. Sapin nous a envoyée. Nous avions écouté attentivement le Premier ministre lorsqu'il a déclaré, en clôture de la conférence sociale de juillet 2012, que les accords compétitivité-emploi étaient derrière nous : ce n'est pas ce que nous avons retrouvé dans le document d'orientation. Comme disait Pierre Dac, on a l'avenir devant soi, sauf quand on fait demi-tour...

Le contexte social et macroéconomique limite les possibilités d'une négociation interprofessionnelle : lorsque l'on signe le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, que l'on s'inscrit dans une politique de baisse drastique des dépenses publiques, que notre croissance est nulle, ce n'est pas un accord national interprofessionnel, aussi bon soit-il, qui remédiera au chômage de masse. Alors celui-ci est-il historique ? A défaut de faire baisser le chômage, ce qui était pourtant son objectif principal, il bouleverse les rapports entre contrat collectif et contrat individuel.

L'accord collectif peut-il réduire les droits individuels des salariés ? C'est la question qui vous est soumise dans le cadre de cette transposition. Oui, certains salariés refuseront une baisse de salaire ou une mobilité forcée : le contrat collectif pourra-t-il les obliger à accepter ce type de modification essentielle du contrat de travail ? Vous devez faire respecter les droits fondamentaux des salariés, qui sont aussi des citoyens.

Nous considérons que cet accord comporte de nombreuses fragilités juridiques, qui mettent à mal les droits individuels. Déjà, le projet de loi diffère de l'accord. Le licenciement pour motif personnel prévu par l'accord de mobilité interne entrait en contradiction avec la convention 158 de l'OIT : suivant l'avis du Conseil d'État, le projet de loi l'a remplacé par un licenciement économique individuel - ce qui ne réduit d'ailleurs pas la fragilité juridique, puisque la directive de 1998 parle de licenciement collectif quand plus de dix salariés refusent une modification européenne de leur contrat de travail. Oui, cet accord a une dimension historique, car il réalise une révolution copernicienne dans les rapports entre contrat collectif et contrat individuel. Nous arrivons au bout d'un système : le salarié doit conserver le droit de refuser des modifications fondamentales de son contrat de travail, j'espère que vous y veillerez.

Un accord est toujours un compromis. Celui-ci ne nous a pas paru équilibré. Le compte personnel de formation, par exemple, semble à première vue être une bonne idée. Nous en appelons néanmoins à la sagesse des parlementaires. Nous avons besoin de renégocier sa mise en oeuvre : la façon dont on prétend l'introduire dans le code du travail nous semble sibylline. Pour l'instant, c'est un droit virtuel. L'accord parle de droits rechargeables à l'assurance chômage : cela légitime ce que nous faisons depuis trente ans sous l'appellation de réadmission et de reprise de droits, merci ! Il faudrait assurer mieux encore des travailleurs ayant des reliquats de droit. Cela ne contribuera pas à rééquilibrer les finances de l'assurance chômage, dont le déficit cumulé sera de quelque 19 milliards d'euros à la fin de l'année. Les droits rechargeables ne sont pas gratuits : d'après nos simulations, la facture s'élèverait à 700 millions d'euros. Le Medef refuse d'augmenter les cotisations : où prendrons-nous cet argent, chez ceux qui ont des droits plus élevés ?

Autre exemple : les contrats courts. Le système proposé revient à chercher à arrêter de l'eau avec une passoire. L'intérim n'est pas taxé non plus que les CDD de remplacement, les contrats saisonniers, ou les CDD qui se transforment en CDI. Il est paradoxal qu'alors que nous avons lutté contre les CDD utilisés comme période d'essai, ceux-ci soient institutionnalisés ! Les entreprises qui embauchent en CDI des jeunes de moins de 26 ans seront exonérées de cotisations sociales, soit 120 millions environ selon l'Unédic. Cette exonération est une première : jamais, depuis 1958, les partenaires sociaux n'ont décidé une exonération totale de cotisations d'assurance chômage. Le montant des nouvelles recettes liées la surcotisation des CDD courts, comparé aux 33 milliards d'euros par an des cotisations d'assurance chômage, montre bien que l'impact de cette mesure sera très faible, sans parler des phénomènes d'éviction. Les documents administratifs seront plus complexes : quatre lignes supplémentaires sur la déclaration à l'Urssaf, et quelque cinquante articles ajoutés au code du travail, alors que le patronat dénonce constamment la trop grande complexité du droit social.

L'Autorité de la concurrence s'intéresse, après vingt ans de sommeil, à la clause de désignation, qui existe depuis 1994. Nous ne réclamons pas un changement de la loi : si certaines branches professionnelles souhaitent recourir à une clause de désignation, elles peuvent déjà le faire aujourd'hui. Il est paradoxal de demander la liberté tout en interdisant... Il s'agit d'une technique de gestion acceptée par la Cour de cassation, et par la Cour de justice de l'Union européenne qui a considéré, dans sa décision du 3 mars 2011, que cette entorse à la libre prestation de service prévue par l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne était acceptable pour mettre en oeuvre le principe d'égalité de traitement et de solidarité entre les travailleurs, cet autre fondement du Traité. Après tout, les partenaires sociaux gèrent les régimes de retraite complémentaire de la même manière : cela ne pose pas de problème. Laissons-les faire, branche par branche, en toute transparence. Les clauses de désignation favorisent des politiques de prévention : comment faire, sans elles, la prévention de l'asthme de la farine dans la boulangerie artisanale ?

Sur le volet compétitivité, emploi, plans sociaux, l'accord réduit les délais en évitant le juge. C'est ce que voulait le Medef. Il est tout de même paradoxal qu'un projet de loi sur la sécurisation de l'emploi comporte treize pages sur les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE)... Pourtant, le plus gros flux d'entrée à Pôle emploi provient des fins de CDD : 130 000 personnes chaque mois ; les licenciements économiques représentent moins de 5 % des inscriptions à Pôle emploi : l'accord rate sa cible ! L'objectif du patronat est d'aller vite, d'éviter le juge, en payant si nécessaire. C'est ce que prévoit le projet de loi : délais préfixes sans dépassement ni suspension, prescription considérablement raccourcie... Le principe fondamental du droit qu'est l'accès effectif au juge s'en trouve fragilisé. Le Medef a réussi son coup.

Nous étions contre la loi de 2008 sur la représentativité, qui remet en cause un certain nombre de valeurs et le pluralisme syndical. Nous ne contestons aucunement la légitimité de l'accord. Simplement, nous considérons qu'il est mauvais.

M. Claude Jeannerot , rapporteur . - Il y a deux positions inconciliables : les signataires de l'accord disent que celui-ci atteint les objectifs de la conférence sociale de 2012, les autres considèrent que loin de satisfaire ces ambitions, il est porteur de régressions pour l'ensemble des salariés de notre pays.

Ce qui fonde la démarche nouvelle, que vous avez à juste titre qualifiée d'historique, c'est la promotion des accords collectifs pour que les entreprises puissent, avec l'implication des salariés, faire face aux difficultés conjoncturelles par des aménagements évitant les licenciements. Vous avez dit qu'il n'y avait guère de changement par rapport aux accords compétitivité emploi. Mais ne considérez-vous pas que l'accord de maintien de l'emploi est porteur de garanties nouvelles ? Il encadre ce qui peut être engagé entre un chef d'entreprise et ses salariés, en garantissant un socle minimal. Ainsi, la difficulté conjoncturelle de l'entreprise doit être avérée, et constatée aussi par les organisations syndicales et les représentants du personnel ; l'accord doit être signé par la majorité des salariés, ne pas dépasser deux ans... Ne trouvez-vous pas que les délégués syndicaux et les institutions représentatives du personnel (IRP) voient leur rôle renforcé par la nouvelle consultation du comité d'entreprise, par la création d'une base de données comme par d'autres dispositifs ? Le signe qui est donné pour lutter contre les CDD courts et favoriser l'embauche des jeunes en CDI n'est-il pas le début d'un processus vertueux ? L'alternative proposée pour l'élaboration des PSE ne favorisera-t-elle pas le développement d'accords collectifs, et partant le renforcement des droits des salariés ? L'impact des dispositions du projet de loi sur le contentieux prud'homal n'encouragera-t-il pas à développer le développement de la conciliation ?

Mme Agnès Le Bot . - De quel encadrement parlons-nous, dès lors qu'un accord collectif s'impose au contrat de travail des salariés ? La dégradation de la situation économique et sociale pèse lourdement, et nous met face à une logique de chantage à l'emploi : que pouvons-nous espérer, dans ces conditions ? C'est toute la structure du droit social qui est bouleversée. Les accords ne garantissent pas le maintien de l'emploi dans l'entreprise. Quoi qu'en dise le patronat, tous les outils existent déjà, pour supprimer des postes sans licenciement économique. Un million de ruptures conventionnelles ont été effectuées depuis la création de cette procédure : c'est une des possibilités ; le plan de départ volontaire en est une autre. L'accord institutionnalise le chantage à l'emploi dont nous voulions sortir. Ses dispositions imposent au salarié, par accord collectif, d'inacceptables changements à ses conditions de travail. Les droits des IRP sont renforcés, sans doute, mais pour quoi faire ? Si leur avis n'est pas écouté, à quoi bon ? En Allemagne, tant qu'il y a désaccord sur les choix stratégiques, rien n'est mis en oeuvre. Chez nous, la logique est celle du passage en force et du détournement de nos propositions.

La taxation des CDD manque l'objectif. Ils coûtent à l'assurance-chômage, c'est pourquoi il fallait dissuader d'y avoir abusivement recours, tout en renforçant les ressources de l'assurance-chômage. Au lieu de cela, on accorde des exonérations de cotisations Unédic aux employeurs pour des CDI. C'est curieux : l'objectif était de remettre le CDI au centre, on lui donne un statut d'exception.

Nous ne pensons pas que le projet contribue à développer la conciliation. Il faudrait déjà faire siéger les employeurs en bureau de conciliation. Le développement des logiques de barème renvoie les parlementaires à leur lourde responsabilité.

M. Stéphane Lardy . - Les accords de maintien de l'emploi visent les entreprises confrontées à de graves difficultés conjoncturelles et peuvent s'appliquer jusqu'à deux ans. Bon courage pour distinguer le conjoncturel du structurel ! Il y a de quoi s'inquiéter si la conjoncture dure deux ans. Il y avait des accords compétitivité emploi auparavant. Ce que souhaitait le Medef, c'est éviter d'avoir à faire des PSE. Nos délégués savent analyser un compte de résultat, un bilan, ils savent négocier. On l'a bien vu dans l'accord Renault, signé après dix mois de négociations : un salarié peut refuser ; il n'y a pas de mobilité forcée. Ce type d'accord a deux piliers, une très forte réorganisation du travail, et un projet de réinvestissement industriel. Baisser les salaires ne suffit pas. Ainsi chez Peugeot Sevelnord, ainsi chez Osram, où nous avons relocalisé la production des ampoules à basse tension, chez Renault à Douai... Ces négociations sont difficiles, car elles comportent une forme de chantage à l'emploi. Les encadrer, très bien, mais on le faisait déjà.

Vous parlez d'un cercle vertueux : je préfère l'efficacité à la vertu, même si elle ne fait pas de mal... Il s'agit de modifier les comportements des agents économiques. Nous avions proposé, comme pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, un modèle de bonus-malus, élaboré au cours de quatre années de réflexion. Tout le monde l'a salué, mais nous ne l'avons jamais expérimenté. Il s'applique dans d'autres pays, comme les États-Unis. Systémique et global, il rapporterait cinq milliards d'euros à l'assurance chômage. Son objectif n'est pas de rapporter de l'argent, mais de faire évoluer les comportements.

Les PSE pouvaient déjà se faire par voie de contrat collectif. Il y a toujours une négociation : le projet présenté par l'employeur n'est pas celui qui est soumis à l'administration, qui a un rôle en matière de sauvegarde de l'emploi. En quoi le contrat collectif apporte-t-il une plus-value ? Il en apporte une vis-à-vis du juge. Le risque est que les organisations syndicales ne signent plus l'accord collectif.

L'objectif du patronat, en ce qui concerne la procédure prud'homale, était de généraliser l'application d'un barème, mais la convention 158 de l'OIT n'autorise pas n'importe quoi. Le droit français prévoit la réparation intégrale du préjudice subi : une personne ne peut pas aller en deçà de ses droits. Le barème très faible qui est proposé favorisera-t-il la conciliation ? Je l'ignore. Mieux vaudrait faire en sorte que les employeurs paraissent en conciliation, au lieu d'envoyer leurs avocats. Il faudrait introduire une coupure entre les conseillers qui font de la conciliation et ceux qui sont en bureau de jugement. Parfois, des salariés font des demandes reconventionnelles pendant une action prud'homale : faire passer la prescription de cinq ans à trois ans, c'est les spolier de leurs droits. Cette disposition est particulièrement scandaleuse : les gens n'ont pas demandé à être licenciés, ils seront spoliés de leurs droits.

Mme Isabelle Debré . - On va parfois jusqu'à la caricature, a dit M. Lardy, je ne le contredirai pas. Car j'ai été choquée de la violence de certains propos. Mme Le Bot a même parlé de « prime à la délinquance patronale »...

M. Jean Desessard . - C'est la réalité sociale.

Mme Isabelle Debré . - Je m'étonne d'une telle violence dans cette enceinte. M. Lardy a envisagé une taxation de tous les CDD, y compris de remplacement. Est-ce à dire qu'il estime légitime de taxer une entreprise qui recourt à un CDD pour remplacer une salariée en congé de maternité ? Comment différencier les CDD que vous qualifiez d'usage ou de confort, des CDD de remplacement, ou des CDD choisis - car il y en a ?

M. Yves Daudigny . - Ce matin, un homme politique déclarait à la télévision que la généralisation des complémentaires ne représentait qu'une petite partie de l'accord. M. Lardy, regrettant l'avis rendu le 29 mars par l'Autorité de la concurrence, s'est clairement exprimé en faveur du maintien de la clause de désignation. Mais l'article 1 er ne constitue-t-il pas une avancée pour les salariés ?

M. Dominique Watrin . - La proposition de loi visant à interdire les licenciements boursiers, dont j'ai été le rapporteur et qui avait recueilli un très large soutien, laissait la possibilité aux inspecteurs du travail de vérifier la cause alléguée. Hier, j'ai entendu un représentant de la CFTC taxer les syndicats non signataires de mauvaise foi, au motif qu'ils dénoncent dans l'homologation ce qu'ils approuvaient dans l'autorisation administrative de licenciement. J'avais pourtant cru comprendre que vous n'en étiez pas de fervents partisans ; que pensez-vous de sa disparition ? L'homologation donnera-t-elle à l'administration le pouvoir de contrôler le motif économique du licenciement ?

Mme Laurence Cohen . - Porter cet accord devant le Parlement n'est-il pas lourd de conséquences ? En l'inscrivant ainsi dans le marbre de la loi, ne bloque-t-on pas la négociation dans l'entreprise, et n'ouvre-t-on pas une séquence dangereuse pour le code du travail ?

Vous avez souligné que l'accord entraînerait plus de flexibilité. J'ai le sentiment qu'il va en effet valider l'usage qui fait du temps partiel subi une variable d'ajustement. Or, il concerne une majorité de femmes (82 %), soit 3 millions d'entre elles. Les inégalités qu'elles subissent s'en trouveront aggravées. Alors que les exonérations accordées au patronat ces dernières années n'ont contribué à contenir ni le temps partiel, ni l'emploi précaire, le dispositif proposé ne va-t-il pas, hélas !, en encourager l'usage ?

Mme Catherine Génisson . - Un mot sur l'article 8, relatif au temps partiel. Le plancher des 24 heures par semaine correspond à l'ouverture des droits sociaux au salarié. N'est-ce pas une avancée significative ? Un complément d'heures, hors heures complémentaires, pourra être mis en place par avenant, dans la limite de huit avenants par an et par salarié. La durée d'exécution d'un avenant n'étant guère précisée, quelle est votre lecture de l'accord sur ce point ? L'obligation d'intégrer les heures complémentaires dans le contrat de travail dès lors qu'elles dépassent d'au moins deux heures par semaine la durée de travail prévu par le contrat et interviennent durant douze semaines consécutives ou durant douze semaines pendant une période de quinze semaines, signifie-t-elle que les avenants ne pourront pas dépasser quatre mois ?

Mme Annie David , présidente. - Les représentants syndicaux que nous avons entendus hier nous ont déclaré que cet accord était équilibré dès lors qu'il créait des droits nouveaux immédiats pour les salariés. Vous déclarez, quant à vous, que le droit à la couverture complémentaire santé demeure aléatoire, qu'il est remis à plus tard et ne concernera pas tous les salariés. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?

Mme Agnès Le Bot. - Le monde de l'entreprise est d'une grande violence pour les salariés quand on licencie massivement. Ce projet de loi fera des employeurs la seule catégorie socioprofessionnelle passible de peines-plafond, voilà de quoi il faut prendre la mesure.

Si nous ne sommes pas pour le retour de l'autorisation administrative de licenciement, nous réclamons un droit d'intervention pour les salariés, qui doivent pouvoir contester la stratégie de l'entreprise. En l'absence de motif économique avéré, il n'y a pas de raison de licencier. C'est pourquoi les propositions alternatives devraient pouvoir être entendues. Les salariés, les organisations de salariés, ont une capacité d'expertise, née de leur expérience de travail.

Avec la procédure proposée, les Direccte (Directions régionales des entreprises,
de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) n'auront pas les moyens de vérifier. Voyez les ruptures conventionnelles. Un million à homologuer ! Ce n'est pas fait.

Les droits dits nouveaux sont virtuels, remis à plus tard, non financés, si bien que cet accord est déséquilibré, régressif. Certes, c'est une bonne chose que d'avoir prévu un nombre d'heures hebdomadaires minimal pour les salariés à temps partiel, mais avec les dérogations autorisées par le projet de loi, toutes les conditions sont réunies pour n'en faire plus qu'un seuil virtuel. Quand il est prévu que le salarié peut y renoncer s'il souhaite atteindre le plancher en cumulant plusieurs emplois, l'on croit rêver : à qui fera-t-on croire qu'une telle demande peut émaner du salarié ?

Une majoration de 10 % des premières heures complémentaires est bien prévue. Cependant, entre le dixième et le tiers de la durée initiale du contrat, elle sera moindre : il y a recul, le patronat a atteint son objectif. Les huit avenants dans l'année accentuent la flexibilité, et les femmes, majoritaires dans le temps partiel, en seront les premières victimes : on pourra désormais, avec un contrat à temps partiel, travailler à temps plein sans majoration horaire. Comment ces salariés à temps partiels organiseront-ils leur vie personnelle ? Nous plaidions pour une négociation par bassin d'emploi, pour une véritable organisation du travail.

M. Stéphane Lardy. - Je m'efforcerai de ne pas être violent dans mes réponses. Je ne sais pas dire a priori si un CDD est ou non abusif. Reste que des entreprises usent de CDD de remplacement en cascade - comme on le voit au Conseil des prud'hommes... Il y a eu débat avec la CGPME, et nous envisagions une exonération des remplacements pour maladie ou maternité, qui correspondent à un droit direct des salariés. Le système que nous avons proposé était calqué sur celui des accidents du travail, avec un taux pivot et un bonus-malus. Comment en effet distinguer un CDD d'usage et un CDD saisonnier ? Dans le projet de loi, l'un est taxé, l'autre pas.

L'accès à une complémentaire santé, monsieur Daudigny, est en effet une avancée, qui a été portée par l'ensemble des organisations. Et le projet de loi fait mieux que l'accord, qui exonérait les entreprises sans section syndicale.

Sur l'autorisation administrative de licenciement, nous discuterons avec Joseph Thouvenel, auquel vous faisiez allusion. Son effet était nul, puisque l'administration donnait son accord dans 95 % des cas. Pour l'homologation, le projet de loi améliore, là aussi, ce que prévoyait l'accord, puisqu'elle prenait place au début de la procédure, et portait sur un simple projet. Reste que l'administration ne contrôlera pas la réalité du motif économique dans la rupture du contrat de travail.

Oui, madame Génisson, le temps partiel, dans le nettoyage, les services à la personne, la distribution, touche tout particulièrement les femmes. Il y a une avancée faciale, que remettent en cause les dérogations. Dans les superettes de moins de dix salariés, l'employeur arrive chaque semaine avec un avenant. La vérité, c'est que la Fédération des entreprises de propreté ne voulait plus des heures complémentaires rémunérées à 25 %, et parlait, dans son Livre bleu, d' « heures choisies » - une expression un moment reprise par le Medef pendant la négociation de l'Ani... L'idée est bien d'avoir des heures en plus... payées moins cher.

J'attends qu'on nous dise quels droits nouveaux seront immédiats. La complémentaire santé nécessite, et cela peut se comprendre, une vraie négociation avec les assureurs. Puisqu'on en fait un droit collectif, il faut obtenir qu'elle soit moins chère et offre de meilleures prestations. Je ne sais pas ce qu'est le compte personnel de formation, même si je connais la position du Medef. Sur un sujet aussi complexe, on n'aboutira pas en deux mois. Quant aux droits rechargeables, nous verrons lors de la prochaine négociation sur la convention d'assurance chômage. Je reste optimiste...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - J'ai le sentiment, à vous entendre, que vous oubliez que l'accord porte sur le maintien de l'emploi, préoccupation première des élus de terrain que nous sommes. Tout ce qui peut être fait pour éviter les licenciements doit l'être

Mme Laurence Cohen . - Si c'était vrai...

Mme Annie David , présidente. - Sur ce point, nos invités ont déjà répondu.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Ils ont répondu de travers !

M. Stéphane Lardy. - Disons plutôt que notre réponse ne vous convient pas.

Mme Annie David , présidente. - Qu'il y ait des désaccords, c'est la règle du jeu politique.

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