Rapport n° 519 (2012-2013) de M. Alain ANZIANI , fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 avril 2013

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N° 519

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 avril 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi M. Bruno RETAILLEAU et plusieurs de ses collègues visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil ,

Par M. Alain ANZIANI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Sueur , président ; MM. Jean-Pierre Michel, Patrice Gélard, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Saugey, Mme Esther Benbassa, MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Nicolas Alfonsi, Mlle Sophie Joissains , vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, MM. Christian Cointat, Christophe-André Frassa, Mme Virginie Klès , secrétaires ; MM. Alain Anziani, Philippe Bas, Christophe Béchu, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Cécile Cukierman, MM. Michel Delebarre, Félix Desplan, Christian Favier, Louis-Constant Fleming, René Garrec, Gaëtan Gorce, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe Kaltenbach, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, Antoine Lefèvre, Mme Hélène Lipietz, MM. Roger Madec, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, André Reichardt, Alain Richard, Simon Sutour, Mme Catherine Troendle, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

546 rect. bis (2011-2012) et 520 (2012-2013)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 17 avril 2013, sous la présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président , la commission des lois a procédé à l'examen du rapport de M. Alain Anziani et établi son texte sur la proposition de loi n° 546 rect. bis (2011-2012), de M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues, visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil .

Après avoir relevé que les outils juridiques existant pour réparer les dommages causés à l'environnement étaient insuffisants et qu'il était nécessaire d'apporter une consécration législative aux avancées jurisprudentielles récentes, M. Alain Anziani, rapporteur, a estimé que le texte examiné apportait une contribution utile au débat.

La commission a ensuite adopté cinq amendements de son rapporteur, modifiant la proposition de loi sur plusieurs points.

Estimant que l'engagement de la responsabilité de l'auteur du dommage ne pouvait se limiter au seul cas où il a commis une faute, elle a élargi le champ d'application du texte, en retenant un régime de responsabilité civile objective , susceptible d'être engagée même en l'absence de faute, faisant ainsi application en matière civile du principe « pollueur-payeur », ou plutôt, « pollueur-nettoyeur ».

En effet, le texte, conforté sur ce point par la commission, donne la priorité à une réparation en nature du dommage, permettant ainsi, quand cela est possible, la remise en état du milieu dégradé.

La commission a cependant entendu préciser qu'en cas d'impossibilité de réparation en nature du dommage causé, une compensation financière pourrait être versée à l'État, ou à un organisme qu'il a désigné, et affectée à la préservation de l'environnement.

Rappelant ensuite que le but poursuivi en matière environnementale était d'éviter la réalisation du dommage, la commission a souhaité mettre l'accent sur les outils de prévention . À cet égard, elle a prévu que toute personne, qui a exposé des dépenses pour prévenir le dommage ou en éviter l'aggravation, peut en demander réparation au juge.

Enfin, elle a également apporté deux précisions terminologiques concernant, d'une part, l'intitulé du nouveau titre IV ter , introduit dans le code civil par le texte, et, d'autre part, le titre de la proposition de loi, pour le mettre en cohérence avec son contenu.

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner, à la demande du groupe UMP, la proposition de loi n° 546 rectifiée bis (2011-2012), déposée sur le bureau du Sénat par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues, le 23 mai 2012, visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil.

Chacun a encore présente à l'esprit la catastrophe environnementale du naufrage de l'Erika, en décembre 1999. Elle a touché trois régions, cinq départements et a entraîné la pollution de 400 kilomètres de littoral français. Cette affaire a donné lieu à une décision de la Cour de cassation, le 25 septembre 2012 1 ( * ) , consacrant la notion de « préjudice écologique » et la nécessité de réparer « l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement », indépendamment de ses conséquences pour les personnes et les biens.

Par les enjeux environnementaux, économiques et sociaux qu'elle soulève, la question de la réparation du préjudice écologique est probablement la plus importante du droit contemporain de la responsabilité. Comme l'a écrit Hans Jonas, dans son « principe responsabilité », il faut empêcher « le pouvoir de l'homme de devenir une malédiction pour lui » 2 ( * ) .

Quelques avancées essentielles ont été réalisées par la jurisprudence, mais également, au niveau européen, par la directive du 21 avril 2004 3 ( * ) , transposée en droit français par la loi du 1 er août 2008 relative à la responsabilité environnementale 4 ( * ) .

Cependant, le régime de police administrative mis en place par la loi de 2008 s'étant révélé inefficace, les auteurs de la proposition de loi, ont estimé qu'il était temps de « franchir une nouvelle étape, [et] de sécuriser ce qui a été progressivement construit ces dernières années », en inscrivant dans le code civil un principe général de responsabilité du fait des atteintes à l'environnement.

La reconnaissance d'un préjudice « pur », causé à l'environnement, ne suppose pas d'accorder une personnalité morale à la nature, à l'environnement ou aux générations futures. Le but ultime de la protection de la nature est de préserver l'homme et son habitat. Pour reprendre les mots de Paul Ricoeur, « il est alors besoin d'un impératif nouveau, nous imposant d'agir de telle façon qu'il y ait encore des humains après nous » 5 ( * ) . Ce régime entre donc bien dans le champ de la responsabilité civile, centrée sur la protection des personnes.

Au-delà de sa nécessité juridique, la consécration du préjudice écologique dans le code civil a une forte valeur symbolique. Elle mettra la « constitution civile » de la France en harmonie avec sa constitution politique et ses engagements internationaux. En effet, depuis 2004, la Charte de l'environnement est intégrée dans le bloc de constitutionnalité et, depuis la révision constitutionnelle de 2005, l'article 34 de la Constitution dispose que « la loi détermine les principes fondamentaux [...] de la préservation de l'environnement ».

Se saisissant de cette compétence, les auteurs de la proposition de loi ont posé les premiers jalons d'un régime de responsabilité pour faute et d'une réparation en nature des dommages causés à l'environnement, la remise en état étant l'essence même de la réparation.

Votre commission a cependant fait le choix de supprimer la référence à la faute, pour ne pas risquer de défaire la protection construite progressivement par la jurisprudence, dans le sens d'une objectivisation du régime. Elle a, en outre, précisé certaines modalités de mise en oeuvre de ce dispositif pour le rendre pleinement applicable.

Elle a adopté cette proposition de loi ainsi modifiée.

I. UNE PRISE EN COMPTE IMPARFAITE DES ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX PAR LE DROIT POSITIF

A. UN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE PEU ADAPTÉ À LA RÉPARATION DES DOMMAGES À L'ENVIRONNEMENT « PURS »

Les atteintes à l'environnement sont susceptibles d'entraîner deux types de dommages : les dommages causés aux personnes, qu'ils soient corporels, matériels ou moraux et les dommages causés à l'environnement, indépendamment de toute autre conséquence.

Par exemple, un acte provoquant la disparition d'une espèce peut engendrer un préjudice pour une collectivité, privée d'un atout touristique ; pour une population, qui tirait un avantage de la présence de cette espèce ; mais aussi, évidemment, pour l'environnement lui-même, qui se voit privé de l'un de ses éléments constitutifs 6 ( * ) .

Classiquement, le droit de la responsabilité civile, dans sa conception personnelle , a vocation à ne connaitre que la première catégorie de préjudices, ceux causés aux personnes, physiques ou morales. Il n'y a de responsabilité civile, que dans la mesure où un dommage est causé à « autrui ». Il ignore la seconde. L'environnement , bien que qualifié de « patrimoine commun de l'humanité » 7 ( * ) , reste une chose commune, inappropriée et inappropriable, au sens de l'article 714 du code civil 8 ( * ) , dénuée de personnalité juridique .

La proposition de loi a pour objet de combler ce défaut de reconnaissance du préjudice « pur », subi par l'environnement.

1. La réparation satisfaisante des préjudices causés à l'homme du fait d'une atteinte à l'environnement

Le droit de la responsabilité civile a fait preuve d'une plasticité considérable pour s'adapter aux spécificités environnementales.

a) La pluralité de fondements juridiques invoqués

Pour réparer les préjudices causés aux personnes, le juge civil fait appel à des fondements juridiques éprouvés du droit de la responsabilité, au premier rang desquels, la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle (articles 1382 à 1386 du code civil).

Devant la montée en puissance des préoccupations environnementales au cours des dernières décennies, le juge civil a retenu une conception relativement large de la faute, jugeant par exemple qu'un manquement à une règlementation environnementale ou à une obligation contractuelle 9 ( * ) , engage la responsabilité de son auteur 10 ( * ) . La seule constatation du non-respect de la règle suffit à établir la faute délictuelle.

La responsabilité de l'auteur peut également être recherchée sur le fondement d'une responsabilité sans faute et donc sans preuve à apporter de cette dernière. Dans ce cas, la victime d'un préjudice environnemental peut fonder son action sur le premier alinéa de l'article 1384 du code civil, qui dispose que l'on est responsable du « fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde 11 ( * ) ».

S'agissant « des personnes dont on doit répondre », le juge civil fait notamment application de cet article pour retenir la responsabilité du commettant du fait de son préposé 12 ( * ) .

De même, les « choses que l'on a sous sa garde » (gaz toxiques, hydrocarbures, carburants...), à l'origine de nombreux dommages environnementaux (débordement d'une cuve de gasoil entrainant la pollution d'un cours d'eau 13 ( * ) , émanation de gaz chimiques provenant d'une exploitation 14 ( * ) ...), donnent lieu à une jurisprudence abondante.

Enfin, le juge applique couramment en matière environnementale la théorie des troubles anormaux du voisinage . Originellement fondée sur la faute, cette théorie prétorienne s'appuie désormais sur un principe général du droit, en vertu duquel, « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » 15 ( * ) .

Cette construction jurisprudentielle d'une responsabilité sans faute, a permis d'indemniser des troubles divers : pollution des eaux ou du sol, rejets de fumées toxiques, nuisances olfactives... La deuxième chambre civile de la Cour de cassation est allée jusqu'à considérer, en 2004, qu'un risque « inéluctable » 16 ( * ) puis en 2005, qu'un risque « indéniable » 17 ( * ) , pouvaient constituer un trouble anormal de voisinage réparable, alors même que la réalisation du risque demeurait hypothétique.

b) Un lien de causalité parfois difficile à rapporter

Il revient au juge du fond d'apprécier l'existence du lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice. En matière environnementale, la preuve de ce lien peut comporter quelques difficultés pour la victime.

Par exemple, l'atteinte à l'environnement peut avoir plusieurs causes possibles, sans qu'il soit toujours évident d'identifier celle qui est à l'origine du préjudice. Elle peut également avoir plusieurs auteurs potentiels, comme lors de la contamination d'un champ par des organismes génétiquement modifiés, cultivés par plusieurs agriculteurs voisins.

Parfois, la difficulté découle des incertitudes scientifiques qui peuvent exister quant aux effets hypothétiquement dommageables pour la personne humaine 18 ( * ) ou la nature, de certains événements ou activités. L'accès aux éléments de preuve peut générer des coûts prohibitifs et suppose un degré d'expertise important, compte tenu de la technicité de ces sujets.

Pour atténuer ces difficultés, l'article 1353 du code civil autorise le juge à tirer des faits, l'existence de présomptions. La preuve du lien de causalité résulte alors de « présomptions graves, précises et concordantes ». Le recours à cette technique par le magistrat allège alors la charge de la preuve qui pèse sur la victime 19 ( * ) .

c) Une conception large du préjudice réparable

Les atteintes à l'environnement sont à l'origine d'une pluralité de préjudices touchant les personnes physiques ou morales. Ils entrent dans la typologie classique des préjudices appréhendés par le droit de la responsabilité civile.

Pour les personnes physiques , il s'agit des préjudices corporels , lorsque l'atteinte à l'environnement a des conséquences sanitaires ; des préjudices matériels , quand le dommage entraîne la destruction d'un bien ou un gain manqué comme la perte de revenus professionnels ; ou des préjudices moraux .

Ces préjudices personnels concernent également les personnes morales , associations ou collectivités territoriales, qui subissent des préjudices matériels résultant des dépenses effectuées en vue de la restauration d'un site pollué ou du sauvetage d'une espèce menacée par exemple.

Le juge civil reconnaît également aux personnes morales la capacité de souffrir d'un préjudice moral , à la suite d'un dommage causé à l'environnement. Ce sera le cas d'une association de défense de l'environnement dont l'action se trouve ruinée par un dommage environnemental ou d'une collectivité territoriale qui subit une atteinte à son image ou à sa réputation lorsque son rivage est souillé par une marée noire ou par la présence de déchets 20 ( * ) .

En principe, la responsabilité civile est tournée vers la réparation d'un dommage réalisé (actuel et certain). La jurisprudence s'est pourtant aventurée sur le terrain du risque de préjudice 21 ( * ) , au nom du principe de précaution.

En premier lieu, le juge admet la réparation d'un dommage futur lorsqu'il est certain , voire hypothétique 22 ( * ) .

En second lieu, de longue date, il considère que les dépenses exposées par la victime potentielle pour prévenir ou diminuer un dommage futur apparaissant comme certain ou hautement probable, constituent un préjudice réparable 23 ( * )

L'idée d'une reconnaissance du risque en tant que préjudice réparable est présente dans l'avant projet « Catala » de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription 24 ( * ) . Elle inspire l'article 1344 du projet, aux termes duquel, « les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d'un dommage ou pour écarter son aggravation ainsi que pour en réduire les conséquences constituent un préjudice réparable dès lors qu'elles ont été raisonnablement engagées ».

Quant à la réparation de ces préjudices personnels, le principe est celui d'une compensation pécuniaire et de la non-affectation des dommages et intérêts accordés par le juge. La victime reste libre de les utiliser selon sa volonté, y compris à des fins étrangères à la réparation du dommage.

d) Les personnes compétentes pour agir

L'article 31 du code de procédure civile prévoit que « l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé . »

Le plus souvent, une atteinte à l'environnement affecte une pluralité de victimes. Il s'agit alors de préjudices personnels agrégés : « préjudices de masse » 25 ( * ) . Par exemple, une marée noire peut causer de nombreux préjudices économiques individuels à ceux qui vivent des ressources de la mer ou encore, le rejet de dioxine dans l'air par un incinérateur entraînera des atteintes à la santé de nombreux riverains.

Ce type de préjudices soulève quelques difficultés pratiques. Le juge peut se voir saisi d'un grand nombre de demandes d'indemnisation portant sur un même fait générateur, ce qui peut conduire à un encombrement des tribunaux, voire à des divergences de jurisprudences, d'un tribunal à l'autre, pour des affaires aux circonstances semblables. Enfin, les personnes peuvent renoncer à agir, compte tenu de la faible importance du préjudice individuel subi, au regard des frais engagés pour un procès, alors même que la somme de ces préjudices individuels atteint, elle, un montant considérable.

Pour faire face à ces difficultés, la jurisprudence civile a admis la recevabilité de l'action exercée par une association organisée en comité de défense afin d'obtenir réparation des préjudices subis individuellement par ses membres 26 ( * ) .

Le législateur est intervenu en 1995 27 ( * ) , créant une action en représentation conjointe (article L. 142-3 du code de l'environnement 28 ( * ) ), permettant à une association agréée d'agir en réparation de préjudices individuels de plusieurs victimes, causés par le fait d'une même personne. Cependant, ces actions étant soumises à des conditions contraignantes et les associations agréées ne disposant souvent pas des moyens suffisants pour les mener, elles n'ont pas rencontré le succès escompté.

En revanche, elles relancent les réflexions sur la nécessité de permettre en droit français, les actions de groupe , dans le domaine environnemental en particulier.

L'ensemble de ces préjudices, parce qu'ils touchent directement des sujets de droit, sont appréhendés logiquement par le droit de la responsabilité civile. Mais, à côté de ces préjudices, d'autres sont causés à l'environnement en tant que tel, sans répercussions sur les personnes, couramment appelés par la doctrine « préjudices écologiques purs ».

2. La reconnaissance progressive par la jurisprudence du dommage environnemental autonome

Au cours des dernières décennies, et au fil des catastrophes écologiques, a émergé la nécessité de prendre en considération les atteintes à l'environnement, indépendamment de leurs répercussions sur les personnes. Ces préjudices écologiques qualifiés de « purs » sont par exemple : la disparition d'un animal appartenant à une espèce protégée 29 ( * ) ou les fuites d'hydrocarbures en haute mer.

L'environnement n'étant pas un sujet de droit, il reste difficile de caractériser un intérêt à agir personnel au moment de la recevabilité de l'action, et un préjudice personnel, conditions pourtant nécessaires à l'engagement du droit de la responsabilité civile.

a) L'indemnisation du préjudice moral, un moyen détourné de réparer le préjudice écologique

Pour pallier cette difficulté, les associations ont obtenu la possibilité de demander réparation d'une atteinte à l'intérêt collectif qu'elles défendent.

Distinct du préjudice de masse 30 ( * ) , ce préjudice causé à un intérêt collectif concerne un intérêt supérieur qui dépasse le simple agrégat des intérêts individuels. Le siège du dommage n'est alors ni la personne (physique ou morale) qui en demande réparation, ni ses biens, mais l'intérêt collectif lui-même.

La loi du 2 février 1995 31 ( * ) a unifié les textes épars qui, dés les années 1970, avaient habilité des associations de défense de l'environnement à agir pour défendre un intérêt collectif. Cette loi donne une habilitation générale à agir aux associations agréées de protection de l'environnement (articles L. 141-1 et L. 142-2 du code de l'environnement).

En théorie, l'action associative restait toutefois enfermée dans un cadre strict : un agrément, une infraction pénale, l'atteinte aux intérêts collectifs protégés par le groupement. Dans les faits, le juge a étendu progressivement cette possibilité, en autorisant une telle action devant la juridiction civile 32 ( * ) , puis en accueillant l'action en responsabilité de l'association, en dehors de toute habilitation législative, dès lors qu'il existe une atteinte à un intérêt collectif, en rapport avec son objet statutaire. La Cour de cassation a estimé « qu'une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs, dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social » 33 ( * ) .

Cette possibilité, offerte aux associations, de demander réparation d'un préjudice collectif, en plus de son préjudice direct et personnel, a semblé constituer une véritable dérogation au droit commun de l'action en responsabilité civile.

Cet affranchissement n'était qu'apparent. Il s'agissait plutôt d'une interprétation particulièrement large de la notion de « préjudice personnel » 34 ( * ) , puisqu'au final, le préjudice réparable demeurait le très classique « préjudice moral », subi par la personne morale, en raison de l'atteinte aux intérêts collectifs qu'elle défend. Le préjudice écologique, supporté par l'environnement lui-même, demeurait ignoré. Certains auteurs ont ainsi pu écrire que la réparation du préjudice moral des personnes morales était une catégorie « fourre-tout » de préjudices ou « un habit mal taillé » pour la réparation des atteintes à l'environnement.

b) L'arrêt « Erika », une reconnaissance incomplète dans ses effets du préjudice écologique

Ponctuellement, certains juges du fond se sont éloignés du préjudice moral « détourné », pour consacrer explicitement les atteintes à l'environnement sans répercussions sur les personnes. La cour d'appel de Bordeaux, dans un arrêt du 13 janvier 2006 35 ( * ) , a indemnisé plusieurs associations au titre « du préjudice subi par la flore et les invertébrés du milieu aquatique » et du « préjudice subi par le milieu aquatique ». Le tribunal de grande instance de Narbonne, par un jugement du 4 octobre 2007, a ordonné la « réparation du préjudice environnemental subi par le patrimoine du parc », le patrimoine du parc étant sans conteste la nature.

Dans son jugement du 16 janvier 2008, rendu dans l'affaire « Erika », le tribunal de grande instance de Paris, a rejoint ces mouvements des juges du fond en admettant la réparation d'un préjudice écologique, indépendant des répercussions sur les intérêts humains 36 ( * ) . La cour d'appel de Paris a confirmé cette évolution, dans son arrêt du 30 mars 2010 37 ( * ) , avant que la Cour de cassation ne la consacre le 25 septembre 2012 38 ( * ) , estimant que « la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et a ainsi justifié l'allocation des indemnités propres à réparer le préjudice écologique, consistant en l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction ».

L'arrêt Erika suffit-il à la reconnaissance du préjudice « écologique » ?

Votre rapporteur a été confronté, dès le début de ses travaux, à cette question qui, si elle donnait lieu à une réponse positive, pourrait rendre sans objet la proposition de loi étudiée.

Deux observations, recueillies au cours des auditions, conduisent à répondre par la négative.

En droit, plusieurs personnes entendues ont souligné que l'arrêt de la Cour de cassation méritait une consolidation législative qui, seule, permettrait d'éviter d'éventuels errements ou contradictions de la jurisprudence.

En pratique, concernant la réparation du préjudice nouvellement consacré, la Cour de cassation n'a pas tiré toutes les conséquences de sa décision. Elle a finalement ordonné la réparation d'un préjudice moral « bis » des personnes morales (association de protection de l'environnement et collectivités territoriales), évalué de manière identique à leurs préjudices propres.

Une telle solution présente le risque que cette réparation se confonde avec celle du préjudice moral personnel de l'association, et ne permette pas une indemnisation propre du préjudice écologique et donc la réparation intégrale du dommage. À l'inverse, elle pourrait aboutir à permettre d'indemniser plusieurs fois un même préjudice (le préjudice moral), allant, cette fois, au-delà de l'exigence de réparation intégrale.

La solution dégagée par la Cour de cassation soulève ainsi des interrogations. Si elle reconnaît l'existence d'un préjudice écologique « pur », elle en déduit la réparation d'un préjudice personnel de l'association, en dépit du caractère objectif 39 ( * ) de ce préjudice.

B. UN RÉGIME DE POLICE ADMINISTRATIVE INAPPLIQUÉ

Face aux limites du droit commun de la responsabilité civile en matière environnementale, la solution aurait pu venir de la loi du 1 er août 2008 relative à la responsabilité environnementale 40 ( * ) .

Cette loi est la transposition de la directive du 21 avril 2004 41 ( * ) . Elle crée un régime de police administrative, permettant la réparation des atteintes à l'environnement. Cet outil « novateur », pour reprendre le terme utilisé par notre collègue M. Jean Bizet, rapporteur de la loi de 2008 42 ( * ) pour la commission des affaires économiques, s'est toutefois révélé inadapté à son objet et est demeuré inappliqué.

La loi du 1 er août 2008 relative à la responsabilité environnementale

Transposition de la directive n° 2004/35/CE du 21 avril 2004 43 ( * ) , la loi de 2008 a introduit les articles L. 160-1 à L. 165-2 dans le code de l'environnement. Elle a été complétée par un décret du 23 avril 2009 44 ( * ) , créant les articles R. 161-1 à R. 163-1 du même code.

Si la directive et ses textes de transposition se réfèrent à une « responsabilité » environnementale, cette appellation est trompeuse, car le mécanisme mis en place s'apparente davantage à un régime de police administrative. Le régime ainsi créé est fondé sur la prise en compte de deux principes distincts : le principe « pollueur-payeur », explicitement mentionné à l'article L. 160-1 du code de l'environnement, et la nécessité d'un « coût raisonnable pour la société » 45 ( * ) .

Elle ne régit pas la relation victime-responsable comme le droit de la responsabilité civile, mais la relation exploitant de l'activité dommageable-autorité « compétente », c'est à dire le préfet du département. Il revient alors au préfet le soin de contrôler la prévention et la réparation et de les mettre en oeuvre, en déterminant les mesures qui s'imposent et en obligeant l'exploitant responsable à les prendre.

La qualité de « protecteur de l'environnement » et l'engagement de la responsabilité environnementale appartiennent à l'État. L'article L. 165-2 donne donc exclusivement compétence à « l'autorité administrative compétente » pour agir. Les recours sont intentés devant le juge administratif. La seule action ouverte aux associations de protection de l'environnement ou à « toute autre personne concernée » consiste dans la possibilité de saisir « l'autorité compétente » (le préfet) d'une demande tendant à la mise en oeuvre des mesures de prévention et de réparation prévues par la loi.

Un champ d'application limité

Seuls les dommages causés à l'environnement en tant que tel sont pris en charge par ce régime, puisque la réparation de ses conséquences sur les personnes en est explicitement exclue par l'article L. 162-2 du code de l'environnement, selon lequel : « une personne victime d'un préjudice résultant d'un dommage environnemental ou d'une menace imminente d'un tel dommage ne peut en demander réparation » sur ce fondement 46 ( * ) .

De plus, tous les dommages causés à l'environnement ne sont pas couverts. Seuls les dommages causés du fait d'une activité professionnelle, d'une certaine gravité, et à condition qu'ils figurent sur la liste des dommages réparables (causés aux sols, aux eaux, aux espèces protégées et aux services écologiques, c'est-à-dire aux fonctions assurées par les éléments énumérés), ouvrent droit à sa mise en oeuvre.

Enfin, les faits générateurs antérieurs au 30 avril 2007 ou ceux postérieurs à cette date, dès lors qu'ils résultent d'une activité ayant définitivement cessé au 30 avril 2007, ne sont pas couverts (article L. 161-5).

En revanche, une fois qu'il est établi que le dommage entre dans le champ du dispositif, le régime applicable semble assez adapté à la réparation des dommages environnementaux.

Un régime favorable à la réparation

Diversité des fondements invocables :

Le régime combine la responsabilité pour faute et la responsabilité sans faute. Le 1° de l'article L. 162-1 prévoit que pour les dommages causés par des activités considérées comme dangereuses, la responsabilité environnementale de l'exploitant pourra être retenue « y compris en l'absence de faute ou de négligence » de sa part. L'utilisation d'un régime de responsabilité objective pour les activités dangereuses s'inscrit dans une tendance constante du droit commun de la responsabilité civile. Le 2° du même article dispose que pour les dommages causés aux espèces et habitants par des activités professionnelles autres que celles considérées comme dangereuses, la responsabilité de l'exploitant ne pourra être engagée qu'« en cas de faute ou de négligence ».

L'article L. 162-23 prévoit que l'exploitant peut s'exonérer de responsabilité, « s'il apporte la preuve qu'il n'a pas commis de faute ou de négligence » dans le cas de la responsabilité pour faute, ou en matière de responsabilité sans faute, pour risque de développement, lorsque « le dommage à l'environnement résulte d'une émission, d'une activité ou, dans le cadre d'une activité, de tout mode d'utilisation d'un produit qui n'étaient pas considérés comme susceptibles de causer des dommages à l'environnement au regard de l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment du fait générateur du dommage. »

Prévention et réparation

Alors que le champ de la responsabilité civile est théoriquement limité aux actions de réparation des préjudices, la loi de 2008 a pour double finalité de prévenir et de réparer les dommages causés à l'environnement. L'article L. 162-3 prévoit qu' « en cas de menace imminente de dommage, l'exploitant prend sans délai et à ses frais des mesures de prévention afin d'en empêcher la réalisation ou d'en limiter les effets. Si la menace persiste, il informe sans délai [le préfet] de sa nature, des mesures de prévention qu'il a prises et de leurs résultats . »

Si les mesures de prévention ne suffisent pas, l'article L. 162-4 dispose qu' « en cas de dommage, l'exploitant en informe sans délai [le préfet] . Il prend sans délai et à ses frais des mesures visant à mettre fin à ses causes, à prévenir ou à limiter son aggravation ainsi que son incidence sur la santé humaine et sur les services écologiques. »

Réparation en nature privilégiée

Le régime de responsabilité environnementale a pour but la remise en état de l'environnement. Dès lors, seule la réparation en nature peut être ordonnée.

Trois types de réparation sont prévus par le texte (article L. 162-9). La réparation primaire est privilégiée. Elle désigne « toute mesure par laquelle les ressources naturelles et leurs services [...] retournent à leur état initial ou s'en approchent ».

Lorsque la réparation primaire n'aboutit pas, des mesures de réparation complémentaire sont mises en oeuvre « afin de fournir un niveau de ressources naturelles ou de services comparable à celui qui aurait été fourni si le site avait été rétabli dans son état initial. Elles peuvent être mises en oeuvre sur un autre site, dont le choix doit tenir compte des intérêts des populations concernées par le dommage. »

Enfin, « des mesures de réparation compensatoire doivent compenser les pertes intermédiaires de ressources naturelles ou de services survenant entre le dommage et la date à laquelle la réparation primaire ou complémentaire a produit son effet. Elles peuvent être mises en oeuvre sur un autre site et ne peuvent se traduire par une compensation financière. »

Présomptions invocables

La preuve du lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice est facilitée par le deuxième alinéa de l'article L. 162-1 qui prévoit que : « le lien de causalité entre l'activité et le dommage est établi par [le préfet] qui peut demander à l'exploitant les évaluations et informations nécessaires . »

A priori , la loi de 2008 pouvait sembler apporter un complément utile au régime de droit commun de la responsabilité civile. Dans la réalité, ces nouvelles dispositions se sont révélées difficilement applicables.

La principale raison tient au choix fait par le législateur d'énumérer les activités potentiellement polluantes ou les types de dommages réparables. Une telle liste s'expose toujours au risque d'oublis, mais aussi d'obsolescence, provoquée par le développement rapide des activités hypothétiquement dangereuses. De fait, la plupart des dommages n'entrent pas dans le champ de la loi de 2008.

Il est également significatif que les préfets, pourtant seuls compétents pour agir, ignorent le pouvoir que leur donne la loi et privent ainsi cette dernière de toute efficacité.

Quant à l'articulation du droit de la responsabilité civile applicable pour réparer un préjudice personnel avec le régime de police administrative, limité aux dommages environnementaux, elle apporte plus de complexité que de clarification.

La loi de 2008 ne créant pas un régime spécial de responsabilité, l'adage « specialia generalibus derogant », (les lois spéciales dérogent aux lois générales) ne s'applique pas et les deux régimes peuvent dès lors entrer en concurrence. Il y a donc un risque, pour le responsable, de se voir condamné à réparer deux fois le même dommage sur des fondements différents.

Par ailleurs, en l'absence de règles de conflits de compétences entre juridictions civiles et administratives, une association de défense de l'environnement, voire un particulier, qui prendraient à ses frais des mesures préventives tendant à éviter la réalisation d'un dommage ne saura pas quel juge saisir pour en obtenir le remboursement.

Enfin, la loi de 2008 qui a une finalité de prévention et de réparation, aurait dû compléter la responsabilité civile de droit commun, limitée aux dommages actuels et certains. La faiblesse de son champ d'application ne lui permettra pas d'assumer cette fonction.

Face à ces incertitudes, les auteurs de la proposition de loi ont entendu apporter une solution nouvelle, en introduisant, au coeur du code civil, des règles générales de réparation des dommages causés à l'environnement.

II. L'INTRODUCTION DANS LE CODE CIVIL PAR LA PROPOSITION DE LOI, D'UN PRINCIPE GÉNÉRAL DE RESPONSABILITÉ CIVILE DU FAIT DES ATTEINTES À L'ENVIRONNEMENT

À l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité, dans une décision du 8 avril 2011 47 ( * ) , le Conseil constitutionnel a interprété les articles 1 er et 2 de la Charte de l'environnement de 2004, qui disposent que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement », comme imposant à toute personne, « une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient résulter de son activité ».

Il en conclut « qu'il est loisible au législateur de définir les conditions dans les quelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation ».

Articles 1 à 4 de la Chartes de l'environnement de 2004

Article 1 er : Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Article 2 : Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.

Article 3 : Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.

Article 4 : Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi.

Cette décision a ouvert la voie à une nouvelle législation.

L' article unique de la proposition de loi est inspiré des travaux menés par la mission « Lepage » 48 ( * ) et, plus récemment, par le « club des juristes » 49 ( * ) , qui visaient à introduire dans le code civil un article 1382-1, dont la rédaction était calquée sur celle de l'article 1382 50 ( * ) .

Les auteurs de la proposition de loi avaient, dans un premier temps, repris la rédaction proposée par ces travaux. Ils ont finalement rectifié leur texte, choisissant d' insérer , dans le livre troisième du code civil, un titre IV ter autonome , intitulé : « de la responsabilité du fait des dommages à l'environnement », composé de deux articles.

Votre commission a adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement tendant à modifier l'intitulé de ce titre, en remplaçant le mot « dommages », par le mot : « atteintes ». En effet, le fait générateur qui engage la responsabilité de son auteur est l'atteinte. Le dommage, compris ici comme le préjudice 51 ( * ) , n'en est que la conséquence, dont la victime demande réparation. Dès lors, le titre IV ter serait ainsi rédigé : « De la responsabilité du fait des atteintes à l'environnement ».

Il s'intégrerait dans le code civil à la suite de l'actuel titre IV bis « De la responsabilité du fait des produits défectueux » qui fait lui même suite au titre IV qui traite des quasi-contrats (articles 1371 à 1381), des délits et quasi-délits (articles 1382 à 1386).

A. UN RÉGIME DE RESPONSABILITÉ CIVILE RESTREINT À LA FAUTE

Le nouvel article 1386-19 pose un principe général de responsabilité selon lequel : « toute personne qui cause par sa faute un dommage à l'environnement est tenue de le réparer ».

Par cette affirmation, le texte s'affranchit de la conception classique du droit de la responsabilité qui ne couvre que les dommages causés aux sujets de droit, et consacre un dommage autonome à l'environnement , distinct de ses conséquences pour les personnes 52 ( * ) .

En retenant un régime de responsabilité pour faute , le texte veut faire preuve d'un certain pragmatisme. Il tente de concilier des intérêts parfois antagonistes que sont les intérêts environnementaux et les intérêts socio-économiques, afin de recueillir l'adhésion la plus large possible.

Il tient compte également du fait que la notion de « faute objective », retenue par la jurisprudence 53 ( * ) , permet déjà de couvrir de nombreuses hypothèses, comme l'a souligné le professeur François-Guy Trébulle, membre du club des juristes, entendu par votre rapporteur. Par exemple, un simple manquement à une règlementation environnementale suffit à engager la responsabilité de son auteur.

Pour autant, selon votre rapporteur, la rédaction choisie ne permet pas d'atteindre l'objectif présenté dans l'exposé des motifs de la proposition de loi : « sécuriser ce qui a été progressivement construit ces dernières années ». Le choix d'un régime de responsabilité pour faute apparait en retrait par rapport à l'évolution jurisprudentielle récente, dans la mesure où il emporterait l'éviction des autres régimes de responsabilité actuellement applicables .

Dès lors qu'un grand nombre des dommages à l'environnement découle des risques inhérents aux activités humaines, génératrices de pollution et de nuisances, plutôt que d'intentions malveillantes, les régimes de responsabilité objective, retenus par la jurisprudence, sont plus favorables à la victime, qui n'a pas besoin de rapporter la preuve d'une faute 54 ( * ) .

L'orientation restrictive retenue par la proposition de loi s'inscrit en sens inverse des évolutions récentes du droit de la responsabilité civile, qui applique généralement aux activités à risques, des régimes de responsabilité objective, se fondant sur l'idée que la personne est responsable dans la mesure où elle crée un risque dont elle tire souvent profit.

Dans son article sur le concept de responsabilité 55 ( * ) , Paul Ricoeur constatait déjà que « toute l'histoire contemporaine de ce qu'on appelle le droit de la responsabilité, au sens technique du terme, tend à faire place à l'idée de responsabilité sans faute, sous la pression de concepts tels que ceux de solidarité, de sécurité et de risque, qui tendent à occuper la place de l'idée de faute ».

La récente loi du 1 er août 2008 sur la responsabilité environnementale, même si elle demeure inappliquée, en est d'ailleurs l'illustration. Elle prévoit que, pour les activités dangereuses, l'auteur de pollution doit réparer toutes les conséquences de l'atteinte qu'il cause à l'environnement, même s'il n'a pas commis de faute.

Plusieurs professeurs entendus par votre rapporteur, parmi lesquels Geneviève Viney et François Guy Trébulle, ont écarté cette interprétation, estimant que la référence à la faute dans la proposition de loi n'aurait pas pour effet d'exclure l'application aux atteintes à l'environnement des autres régimes de responsabilité, prévus aux articles 1383 et suivants du code civil, tout comme l'exigence de faute qui figure à l'article 1382, n'empêche pas de les invoquer pour fonder la réparation de dommages causés à autrui.

Cette position ne fait pas consensus. Les professeurs Patrice Jourdain et Laurent Neyret, également entendus par votre rapporteur, estiment, à l'inverse, que la référence à la faute entraînerait effectivement une éviction des régimes de responsabilité civile objective. C'est également l'avis de certains praticiens comme. Me Patricia Savin qui a souligné qu'il serait « contre-productif de rattacher ce régime de responsabilité à la faute ».

Enfin, si votre rapporteur approuve le choix finalement retenu par les auteurs de la proposition de loi de créer dans le code civil un titre spécialement dédié aux dommages causés à l'environnement 56 ( * ) , il souligne le fait que ce choix accentue encore davantage le caractère particulier de ces dispositions par rapport aux principes généraux de la responsabilité civile, fixés aux articles 1382 et suivants du code civil, et le risque de voir le régime pour faute écraser les autres.

Pour éviter toute querelle d'interprétation et quelques tâtonnements jurisprudentiels, sources d'insécurité juridique, votre commission a adopté, à l'initiative de son rapporteur, un amendement supprimant la référence à la faute.

Elle pose un principe général de responsabilité objective ainsi rédigé : « toute personne qui cause un dommage à l'environnement est tenue de le réparer ».

Cette rédaction est la traduction civiliste du principe « pollueur-payeur », consacré implicitement à l'article 4 de la Charte de l'environnement, selon lequel : « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ».

B. UNE CONCEPTION LARGE DU DOMMAGE RÉPARABLE, QUI NE TRAITE TOUTEFOIS PAS DE LA PRÉVENTION

1. Une conception large des dommages réparables

La proposition de loi soumise à l'examen de votre commission retient une définition large du dommage qui peut donner lieu à réparation : « un dommage à l'environnement ».

S'agissant d'un texte de portée générale, les auteurs n'ont pas estimé opportun de préciser les types de dommages visés (destruction, dégradation), ou les éléments de l'environnement qui peuvent constituer le siège du dommage, évitant ainsi le risque, si le dispositif n'était pas exhaustif, de le rendre inapplicable 57 ( * ) .

Ils n'ont pas non plus entendu limiter le jeu de la responsabilité aux dommages d'une certaine gravité, comme le fait la loi du 1 er août 2008, l'ajout d'un adjectif caractérisant le dommage risquant de constituer une source d'imprécision quant à la portée exacte de la notion et donner lieux à des divergences jurisprudentielles d'interprétation.

De manière générale, et la jurisprudence civile environnementale n'y fait pas exception, la gravité n'est pas exigée au titre de la réparation des préjudices. Celle-ci repose sur l'exigence de la lésion d'un intérêt. Un intérêt est lésé par une atteinte préjudiciable, c'est-à-dire qui produits des conséquences néfastes pour les intérêts protégés par le droit.

Cette idée ne doit pourtant pas laisser penser que tout dommage, aussi minime soit-il, donnera lieu à réparation . Encore faudra t-il qu'il soit considéré comme présentant le caractère réel et certain requis par la jurisprudence. Seront ensuite exclus du champ de la réparation les dommages peu importants, ce que le juge fait déjà largement à l'heure actuelle, appliquant l'adage « de minimis non curat praetor ».

Le juge devra enfin opérer une conciliation entre les différents intérêts en présence. La création de ce nouveau régime de responsabilité environnementale n'a pas, en effet, pour but de freiner tout développement économique et industriel, par essence porteur de risque pour l'environnement, mais d'assurer la réparation des atteintes à ce dernier.

Si votre commission n'entend pas modifier sur le fond les dispositions relatives à la définition du dommage réparable, elle a cependant adopté un amendement de son rapporteur visant à mettre en cohérence le titre de la proposition de loi avec son contenu. Il propose de remplacer les mots : « préjudice écologique » par les mots : « dommage causé à l'environnement ».

Les deux notions de « dommage » et « préjudice » sont, certes, utilisées indifféremment dans le présent rapport, au sens de « conséquence réparable d'une atteinte à l'environnement » 58 ( * ) . Toutefois, puisque l'article unique de la proposition de loi fait référence au dommage, il est apparu plus cohérent à votre commission d'utiliser le même terme dans l'intitulé de la proposition de loi : « proposition de loi visant à inscrire la notion de dommage causé à l'environnement dans le code civil ». Le terme de « dommage » est d'ailleurs celui retenu dans le code civil en matière de responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle (articles 1382 à 1385), ainsi qu'en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (articles 1386-1 à 1386-18).

Définitions des dommages causés à l'environnement

La convention de Lugano de 1993 sur la responsabilité civile des dommages résultant d'activités dangereuses pour l'environnement 59 ( * ) définit le dommage à l'environnement comme « toute perte ou dommage résultant de l'altération de l'environnement » (article 2-8). « L'environnement comprend les ressources naturelles abiotiques et biotiques, telles que l'air, le sol, la faune et la flore et l'interaction entre les mêmes facteurs, les biens qui composent l'héritage culturel et les aspects caractéristiques du paysage » (article 2-11).

Selon la directive du 21 avril 2004 , le dommage à l'environnement est « une modification négative mesurable d'une ressource naturelle », ou « une détérioration mesurable d'un service lié à des ressources naturelles ».

Dans leur « nomenclature des préjudices environnementaux » 60 ( * ) , MM. Laurent Neyret et Gilles J. Martin adoptent la définition suivante : « par préjudices causés à l'environnement, on entend l'ensemble des atteintes causées aux écosystèmes dans leur composition, leurs structures et/ou aux fonctions des écosystèmes, au-delà et indépendamment de leurs répercussions sur les intérêts humains ». Ces auteurs précisent que « les écosystèmes s'entendent des complexes dynamiques formés de communautés de plantes, d'animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leur interaction, forment des unités fonctionnelles ».

2. La nécessité de prévoir des mesures de prévention des atteintes à l'environnement

La prévention n'est pas la fonction première du droit de la responsabilité civile, qui a vocation à intervenir une fois le dommage réalisé.

En matière environnementale, le principal objectif poursuivi est pourtant la sauvegarde de l'environnement, c'est-à-dire, l'absence de survenance du dommage. Selon Me Christian Huglo, entendu par votre rapporteur, la prévention représente le « vrai » droit de l'environnement.

Le dispositif prévu par la proposition de loi qui ne traite pas de la question de la prévention des dommages, apparaît dès lors incomplet à votre rapporteur.

Il a donc déposé un premier amendement d'appel , retiré ensuite lors de l'examen du présent texte en commission, le mercredi 17 avril.

Le dispositif proposé par cet amendement, inspiré des travaux menés sous la direction de M. François Terré « pour une réforme du droit de la responsabilité civile » 61 ( * ) , tendait à permettre au juge de « prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite à l'environnement » 62 ( * ) .

Le législateur a déjà prévu ponctuellement ce type de dispositif en matière de protection de la vie privée (article 9 du code civil), de présomption d'innocence (article 9-1) et de protection du corps humain (article 16-2) 63 ( * ) .

Ce nouvel article, inséré dans le code civil, devait permettre de demander au juge du fond la cessation d'une atteinte illicite à l'environnement, comme mesure de réparation, indépendamment de la procédure de référé prévue par l'article 809 du code de procédure civile, qui permet au juge d'ordonner, en urgence, des mesures de conservation.

Estimant que la réflexion sur cette question n'était pas véritablement aboutie et qu'une telle action pouvait être satisfaite par l'application de l'article 809 du code de procédure civile, et risquait de se confondre avec la réparation en nature prévue par le présent texte 64 ( * ) , votre rapporteur a retiré cet amendement .

Il a ensuite déposé un second amendement , adopté par votre commission, qui crée dans le code civil un nouvel article 1386-21. Cette disposition est inspirée des travaux de l'avant projet de réforme du droit des obligations 65 ( * ) et prévoit que « les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d'un dommage, en éviter son aggravation, ou en réduire les conséquences, peuvent donner lieu au versement de dommages et intérêts, dès lors qu'elles ont été utilement engagées . » Cette action serait ouverte à toute personne qui a engagé ces dépenses 66 ( * ) .

C. LE PRINCIPE D'UNE RÉPARATION PRIORITAIREMENT EN NATURE DONT LA MISE EN oeUVRE MÉRITE D'ÊTRE PRÉCISÉE

1. La réparation en nature, un mode de réparation des dommages causés à l'environnement approprié

La proposition de loi insère un article 1386-20 dans le code civil qui prévoit que « la réparation du dommage à l'environnement s'effectue prioritairement en nature ».

La réparation en nature consiste pour le juge, à imposer au responsable un acte, un comportement, une prestation matérielle qui vise à supprimer ou atténuer le dommage 67 ( * ) . Les modalités de cette réparation sont multiples. Elles visent principalement à restaurer la situation antérieure au dommage, grâce à la remise en état du milieu endommagé ou à la réintroduction d'une espèce détruite, par exemple.

Une telle solution apparaît, dans son principe, relativement consensuelle au sein de la doctrine, car la réparation en nature permet la remise en état du milieu dégradé. Idéalement, elle conduit à effacer purement et simplement le dommage, remplissant ainsi parfaitement la fonction première dévolue à la responsabilité civile : la réparation .

Le choix d'une réparation en nature n'est pas tout à fait nouveau. En effet, la directive du 21 avril 2004, transposée par la loi du 1 er août 2008, même si elle ne met pas en oeuvre un mécanisme de responsabilité mais un dispositif de police administrative, prévoit exclusivement une réparation en nature des dommages causés à l'environnement. La loi de 2008 détaille trois types de réparation 68 ( * ) , dont le juge judiciaire pourrait s'inspirer, dans le cadre de la mise en oeuvre du présent texte :

- la réparation primaire (remise de l'environnement dans son état initial ou dans un état s'en approchant) ;

- la réparation complémentaire (fourniture d'un niveau de ressources naturelles ou de services comparable à celui qui aurait été fourni si le site avait été rétabli dans son état initial), lorsque la réparation primaire est impossible ;

- la réparation compensatoire (compensation des pertes intermédiaires de ressources naturelles ou de services entre le dommage et la date à laquelle la réparation primaire ou complémentaire a produit son effet ).

En matière de responsabilité civile, l'avant projet de réforme du droit des obligations 69 ( * ) , dans son article 1368, consacre également de manière générale, et non spécifiquement dans le champ de l'environnement, la réparation en nature : « la réparation peut, au choix du juge, prendre la forme d'une réparation en nature ou d'une condamnation aÌ des dommages-intérêts, ces deux types de mesures pouvant se cumuler afin d'assurer la réparation intégrale du préjudice. »

De même, l'article 51 des travaux menés, sous la direction du professeur François Terré, pour une réforme du droit de la responsabilité civile 70 ( * ) , prévoit la mise en oeuvre d'une réparation en nature « propre à supprimer, réduire ou compenser le dommage ».

La réparation en nature permet de faire face à l'inadaptation des principes traditionnels de la réparation civile en matière environnementale . En effet, si la Cour de cassation admet de manière constante la liberté du juge de choisir entre réparation en nature ou réparation pécuniaire 71 ( * ) , en pratique, dans la plupart des cas, le juge ordonne le versement de dommages et intérêts à la victime 72 ( * ) .

Cette forme de réparation n'est pas la plus appropriée en matière environnementale. De jurisprudence constante 73 ( * ) , lorsqu'il octroie des dommages et intérêts, le juge ne peut les affecter à un usage déterminé et priver la victime de la liberté d'utiliser les fonds alloués comme elle l'entend.

Selon le professeur Mireille Bacache 74 ( * ) , l'application des principes traditionnels de la réparation au préjudice écologique comporte un double risque.

D'une part, l'environnement n'étant pas un sujet de droit autonome, doté de personnalité juridique, l'action en responsabilité est forcément exercée par un tiers. Cette dissociation entre la « victime » et le titulaire de l'action comporte un risque de détournement de l'indemnité 75 ( * ) .

D'autre part, les atteintes à l'environnement donnant lieu, le plus souvent, à une pluralité d'actions, elles peuvent entraîner l'indemnisation d'un même dommage plusieurs fois , portant ainsi atteinte au principe de la réparation intégrale , en vertu duquel, si le juge doit réparer le préjudice dans son intégralité, il ne peut en revanche aller au delà.

Cette réparation en nature permet également d'éviter la difficulté, déjà rencontrée pour l'évaluation de préjudices moraux ou corporels, d'avoir à donner un prix à quelque chose qui n'en a pas, la nature . Pour reprendre les termes employés par Mme Muriel Fabre-Magnan, « en donnant un prix à quelque chose d'inestimable, on le rabaisse nécessairement » 76 ( * ) .

À l'heure actuelle, lorsque les juges du fond admettent la réparation du préjudice écologique, ils se heurtent à d'importantes difficultés d'évaluation. La réparation s'est parfois traduite par l'allocation de sommes symboliques 77 ( * ) ou, lorsque cette indemnisation se confondait avec celle du préjudice moral de l'association à l'origine de l'action, par des dommages et intérêts versés au prorata de l'implication du demandeur dans la prévention et le traitement du dommage écologique.

2. La nécessité de prévoir une réparation pécuniaire subsidiaire

La proposition de loi examinée précise que la réparation s'effectue « prioritairement » en nature. Elle prévoit donc implicitement l'hypothèse dans laquelle une telle réparation ne pourrait être mise en oeuvre, sans apporter d'autres précisions.

Deux possibilités sont alors envisageables :

- les dommages et intérêts sont attribués aux demandeurs. Dans ce cas, le principe de non-affectation devra être écarté, pour que les sommes soient effectivement consacrées à des projets en lien avec la préservation de l'environnement ;

- les dommages et intérêts sont affectés à un fonds public spécifique, chargé de mettre en oeuvre le même type d'actions. En droit brésilien, par exemple, la loi du 24 juillet 1985 prévoit que le montant de la condamnation au paiement d'une somme d'argent, servant à l'indemnisation du dommage, est reversé à un fonds dont les ressources servent à réparer les biens endommagés.

Votre commission vous propose de retenir cette seconde solution. Elle a adopté un amendement de son rapporteur tendant à compléter l'article 1386-20 du code civil, créé par l'article unique de la proposition de loi examinée, par un alinéa ainsi rédigé : « Lorsque la réparation en nature du dommage n'est pas possible, la réparation se traduit par une compensation financière versée à l'État ou à un organisme désigné par lui et affectée, dans les conditions prévues par un décret en Conseil d'État, à la protection de l'environnement. »

En tout état de cause, que la réparation s'effectue en nature ou par le versement de dommages et intérêts, elle suppose une identification préalable et précise des différents chefs de préjudices .

Comme l'a relevé le professeur Patrice Jourdain, lors de son audition par votre rapporteur, le juge civil ne dispose pas forcément de l'expertise nécessaire et des moyens matériels et humains pour mener à bien cette tache complexe.

Si la difficulté d'évaluer un préjudice ne fait pas obstacle à sa réparation 78 ( * ) , comme le droit de la responsabilité civile l'admet depuis longtemps, les juridictions du fond peuvent hésiter. Ces évaluations donnent lieu à une grande disparité des approches retenues. Elles s'appuient par exemple sur des indicateurs de biodiversité comme la baisse de la présence d'oiseaux, signe de la détérioration de la biodiversité, sur des barèmes établis par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage ou encore sur la théorie des unités de biodiversité de M. Bernard Chevassus-au-Louis 79 ( * ) , utilisée par exemple dans l'affaire de l'« Erika ».

L'évaluation des atteintes à l'environnement est empirique. Pour prévenir des disparités selon les juridictions, votre rapporteur estime particulièrement intéressante la proposition des professeurs Laurent Neyret et Gilles J. Martin tendant à s'appuyer sur une nomenclature des préjudices écologiques 80 ( * ) . Cet outil a été conçu, sur le modèle de la nomenclature « Dintilhac » 81 ( * ) élaborée pour les dommages corporels, pour permettre de définir et délimiter les différentes catégories de préjudices environnementaux, en prenant en compte leur diversité, leur complexité et leur durabilité. Elle permet ainsi à tous les intervenants du domaine environnemental de disposer d'un référentiel commun 82 ( * ) .

D. DES QUESTIONS DE PROCÉDURE LAISSÉES EN SUSPENS

1. La détermination des personnes ayant intérêt à agir

L'article 31 du code de procédure civile prévoit que « l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ». L'intérêt à agir est donc classiquement un intérêt personnel.

Pourtant, en matière de responsabilité des dommages causés à l'environnement, il y a nécessairement une dissociation entre la qualité de « victime » (l'environnement) et celle de demandeur en justice .

Les termes de l'article 1 er de la Charte de l'environnement, qui dispose que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », pourraient justifier d'ouvrir l'action à toute personne, puisque l'environnement est un bien commun.

Cependant, s'agissant de la défense d'un intérêt collectif, et dans la mesure où les affaires de pollution les plus importantes mettent en cause des entreprises parfois puissantes, les collectivités territoriales, les organismes publics qui reçoivent de la loi une compétence spéciale en matière d'environnement et les associations de défense de l'environnement peuvent sembler mieux armés pour agir que les particuliers.

En matière pénale, le code de l'environnement dispose déjà que certains organismes publics (article L. 132-1), les associations agrées de protection de la nature et de l'environnement (article L. 142-2) et les collectivités territoriales ainsi que leurs groupements (article L. 142-4), peuvent se constituer partie civile 83 ( * ) .

La jurisprudence a admis que ces organes pouvaient également agir devant la juridiction civile 84 ( * ) , et que l'action des associations non agrées était recevable, dès lors qu'il existe une atteinte à un intérêt collectif, en rapport avec son objet statutaire 85 ( * ) .

Selon votre rapporteur, ces solutions jurisprudentielles auraient vocation à être introduites dans le code de procédure civile. Elles devraient également être complétées par le droit au remboursement des frais que ces entités ont engagé au titre de la procédure. Le code de procédure civile ne relevant pas du domaine législatif mais du domaine réglementaire, il invite donc le gouvernement à prendre les mesures nécessaires.

Bien entendu, cette action en réparation d'un préjudice écologique « pur » ne priverait pas le demandeur de son droit à obtenir la réparation des préjudices qu'il subit personnellement en raison des mêmes faits.

2. Une clarification nécessaire des délais de prescription

Une pollution peut ne pas provoquer de conséquences immédiates. Ses effets peuvent n'apparaître que plusieurs années après sa manifestation (maladies à la suite d'une pollution de l'air, du sol, de l'eau ou disparition d'une espèce).

Dès lors se pose la question des délais de prescription applicables aux actions dirigées contre les auteurs de dommages causés à l'environnement.

Le droit commun de la prescription des actions personnelles ou mobilières prévoit un délai de cinq ans , qui court « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » (article 2224 du code civil).

L'article L. 152-1 du code de l'environnement prévoit un régime dérogatoire de prescription pour certains dommages causés par les activités régies par ce même code. Le délai de prescription de l'action est alors de 30 ans , et il commence à courir à compter de la date du fait générateur du dommage.

Un tel point de départ peut raccourcir de beaucoup le délai réel de prescription, dans la mesure où, en matière environnementale, un décalage important peut exister entre le fait générateur et le moment de la découverte du dommage. Ce régime peut donc, paradoxalement, se révéler moins favorable pour la victime que le délai de prescription de droit commun de cinq ans, qui court à compter du jour où le titulaire est en mesure d'agir, ce qui n'était pas l'esprit de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile 86 ( * ) qui a créé cet article. Par ce régime dérogatoire, le législateur entendait prendre en considération la spécificité environnementale.

De plus, pour être applicable au présent texte, ce régime dérogatoire devrait faire l'objet de diverses modifications. En effet, l'article L. 152-1 concerne seulement les dommages causés par les « installation, travaux, ouvrage et activités régis par le code de l'environnement » et ne vise que les « obligations financières liées à la réparation », ce qui semble exclure son application aux actions en demande de réparation en nature.

Dès lors, votre commission, par la voie d'un amendement d'appel de son rapporteur, a engagé une réflexion sur cette question.

Dans la mesure où la proposition de loi crée un régime de responsabilité civile, au sein du code civil, le délai de prescription applicable pourrait être celui du droit commun (article 2224 du code civil), c'est-à-dire 5 ans, mais dont le point de départ est souple, puisqu'il court à compter du jour où le titulaire du droit « a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant » d'exercer l'action.

Il pourrait donc courir au-delà de 30 ans, sous réserve d'une modification ou d'une interprétation assez souple de l'article 2232 du code civil, car celui-ci prévoit que, sauf exception, « le report du point de départ, [...] ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ». Il ne faudrait donc pas être limité par ce butoir de vingt ans.

La preuve étant complexe à apporter en matière environnementale, si le délai de cinq ans pour agir, à compter de la découverte du dommage, était jugé trop bref, il pourrait alors être envisagé de le porter à dix ans, comme le prévoit l'article 2226 du code civil pour les dommages corporels.

Cependant, un paramètre supplémentaire doit être pris en considération dans la détermination du régime de prescription applicable. La directive du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale 87 ( * ) impose un délai de prescription de trente ans « depuis l'émission, événement ou incident ayant donné lieu » au dommage environnemental.

Dès lors, le législateur devra choisir entre un délai long mais avec un point de départ fixe (le fait générateur) ou un délai plus court avec un point de départ plus souple. Votre rapporteur, dans l'amendement qu'il avait déposé, avait proposé de conserver le délai de 30 ans prévu par l'article L. 152-1, avec un point de départ souple, ce régime pouvant se justifier eu égard à la spécificité des dommages causés à l'environnement, qui peuvent se révéler des années après leur survenance.

Votre rapporteur a estimé que la réflexion sur cette question n'était pas suffisamment aboutie et devrait se poursuivre pour parvenir à une solution satisfaisante. Il a donc retiré cet amendement.

*

* *

Par conséquent, votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 17 AVRIL 2013

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M. Alain Anziani , rapporteur . - En décembre 1999, aux larges des côtes bretonnes, l' Erika , un pétrolier chargé de fioul lourd affrété par la société Total faisait naufrage, souillant 400 kilomètres de côtes, tuant 150 000 oiseaux, répandant dans l'océan 18 tonnes de fioul et huit tonnes de produits cancérigènes. À la suite d'un procès qui a duré onze ans, dont les conséquences environnementales ont dépassé celles du naufrage de l' Amoco Cadiz en 1978, la Cour de cassation a, le 25 septembre 2012, rendu contre l'avis de l'avocat général un arrêt, publié dans toutes les gazettes de France et du monde. Confirmant les décisions antérieures, elle condamnait Total à l'amende maximale, 375 000 euros, et à 200 millions d'euros de dommages et intérêts à payer à l'État, aux collectivités territoriales et à des associations agrées de protection de l'environnement.

Toute la procédure a été traversée par une question juridique et à certains égards, politique. Qu'est-il possible d'indemniser au juste ? La Cour de cassation a indemnisé le préjudice porté à l'image des collectivités territoriales,  de même que la perte d'intérêt matériel que constitue une diminution du tourisme. Au-delà du préjudice matériel et moral, n'y avait-il pas un préjudice causé directement à l'environnement lui-même ?

L'ourse Cannelle abattue par un chasseur dans les Pyrénées était la dernière représentante de son espèce : la disparition d'une espèce ne constitue-t-elle pas un pur préjudice environnemental ?

La proposition de loi mérite-t-elle d'exister ou bien le droit positif règle-t-il déjà les questions dont elle traite ? Certes, la Charte de l'environnement de 2004 a désormais valeur constitutionnelle et la protection de l'environnement figure à l'article 34 de la Constitution. Cependant, la loi du 1 er aout 2008 relative à la responsabilité environnementale, qui transpose la directive du 21 avril 2004, est inapplicable, parce qu'en énumérant certains dommages seulement, le législateur en a écarté d'autres et ignoré l'obsolescence des techniques. Les préfets, chargés de son application, n'ont jamais utilisé cette procédure, jugée trop complexe.

Autre objection, pourquoi ajouter ces dispositions à un code civil déjà trop épais ? L'article 1382 prévoit que celui qui cause un dommage à autrui doit le réparer. L'article 1383 dispose que chacun est responsable du dommage qu'il a causé par sa négligence ou par son imprudence. Enfin, l'article 1384 rend responsable des personnes ou des choses qu'on a sous sa garde.

Cependant, l'étude de la jurisprudence met en évidence le malaise des tribunaux. Afin de donner un fondement à la réparation du préjudice écologique, la Cour de cassation s'appuie sur la notion de préjudice moral pour indemniser les associations agréés qui n'ont pas subi de préjudice matériel. En outre, les juridictions du fond ne sont pas toutes des lectrices attentives des arrêts de la Haute juridiction, et il faudra un certain temps pour écarter le risque de divergences. Le plus simple est donc d'éclaircir la question. C'est également l'avis de la chancellerie, qui a mis en place un groupe de travail sur le sujet, et se montre favorable à l'évolution du code civil.

Si je suis favorable au texte, je pense qu'il faut le faire évoluer sur certains points. Ses auteurs ont renoncé à toucher à ce monument du droit qu'est l'article 1382. Pour rassurer les juristes, ils ont créé un article 1386-19, distinct de la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle, et de la responsabilité du fait des produits défectueux, et instauré une nouvelle responsabilité au titre IV ter, consacré à la responsabilité du fait des dommages causés à l'environnement : conformément à l'article 1382 qui l'inspire, il s'agit d'une responsabilité pour faute. Malgré les craintes des milieux économiques, j'aurais opté pour une responsabilité sans faute, plus conforme au mouvement de la jurisprudence, de même qu'au principe « pollueur-payeur », inclus dans la Charte de l'environnement, et je vous proposerai un amendement à cette fin.

La proposition de loi prévoit prioritairement une réparation en nature : si la plage est polluée, le pollueur devra la remettre en l'état. Si la réparation en nature est impossible, j'ai déposé un amendement permettant au juge d'ordonner une compensation en dommages et intérêts, avec une affectation à une cause environnementale.

Malgré son caractère réglementaire, un point de procédure mérite d'être soulevé, celui de l'intérêt à agir : au-delà de l'Etat et des collectivités territoriales, les associations agrées, ou dont l'objet statutaire est la protection de l'environnement, doivent-elles être concernées ? Pour ma part, j'y suis favorable, l'Etat ne faisant pas toujours preuve de la plus grande réactivité.

Enfin, se pose la question de la prescription : fixée à 30 ans par l'article L. 152-1 du code de l'environnement, elle court à compter du fait générateur. Or, une pollution souterraine de nappes fluviales peut se révéler cinquante ans plus tard... Je suggère donc de faire courir le délai à compter de la connaissance du dommage.

M. Alain Richard . - Rendons hommage à la pondération du rapporteur comme à son esprit d'équilibre. Si nous instituons une nouvelle responsabilité, il faut en examiner toute la chaîne, de l'évaluation, ardue, du préjudice à l'identité du titulaire du droit à la réparation. J'ai eu l'occasion de m'impliquer récemment dans mon département dans un cas concernant les conséquences de quatre-vingt dix ans d'épandage d'eaux usées sur des terres agricoles. J'essaye d'en convaincre les parties, l'activité n'était pas illicite à l'époque des faits, et le droit à réparation, s'il est reconnu, ne peut viser que les anciens propriétaires des terres : en aucun cas, la collectivité n'a subi un préjudice. D'où ma question : une collectivité sera-t-elle bénéficiaire de l'indemnisation, une compétition de victimisation opposera-t-elle des associations, éventuellement crées pour l'occasion ?

Le droit français est clair : toute responsabilité implique une indemnisation. Le tribunal, armé d'expertises toutes plus savantes les unes que les autres, devra définir un montant : comment indemniser la perte écologique que représente la mort de la malheureuse ourse Cannelle ? En d'autres termes, peut-on légiférer sans avoir préalablement réfléchi aux conséquences du texte ?

M. Yves Détraigne . - Je serai également fort prudent sur ce texte qui pose un principe sans l'encadrer. Qu'adviendra-t-il quand un agriculteur accusera son voisin d'avoir grillé deux rayons de betteraves ?

Mme Jacqueline Gourault . - Ou des pieds de vigne !

M. Yves Détraigne . - Des associations se créeront contre l'aménagement d'une crique ou d'un petit port de plaisance que tout le monde réclame. Plus qu'un grand progrès pour le territoire, je crains que le texte n'annonce la paralysie de l'aménagement territorial.

M. Jean-Jacques Hyest . - La proposition initiale portant sur l'article 1382 n'était pas raisonnable, d'autant que les articles 1382, 1383 et 1384 forment un bloc. La responsabilité du fait des choses est plus développée en matière environnementale que la responsabilité pour faute. Si un pipe-line fuit, le propriétaire est responsable, même quand il n'est pas fautif.

Les articles 1386 et suivants sur les produits défectueux seront- ils appliqués en plus des articles 1382 à 1384 ? Les différentes responsabilités ne sont pas exclusives, mais cumulatives. Malgré les efforts de clarification du rapporteur, il faut border davantage le texte.

Enfin, je suis très réservé sur la prescription. Si la prescription de trente ans à compter du fait générateur ne convient pas, il faut retenir le délai de droit commun, plus court, mais dont le point de départ est la découverte du dommage. Quand les faits sont connus, pourquoi attendre dix ans pour agir ?

M. Jean-Pierre Vial . - Le rapporteur a accompli un excellent travail. Je ne peux d'ailleurs que convier mes collègues à se reporter à la remarquable synthèse qui a été établie en amont.

L'affaire de l' Erika a cumulé un très grand nombre de problématiques juridiques : droit maritime, identification des responsables, puis présentation trop rapide de l'arrêt de la Cour de cassation sous l'angle du dommage écologique. Constatons d'abord un échec de notre droit de l'environnement et félicitons-nous que la Cour de cassation en soit venue à reconnaître le dommage écologique. Les juristes se félicitent de cet arrêt et s'interrogent sur l'utilité de faire évoluer l'article 1382 du code civil. En effet, pourquoi ébranler un principe dont la Cour de cassation a montré la pertinence en le faisant évoluer ? En revanche, l'article 1386-19 créé par le texte que nous examinons, s'en démarque, et devrait s'inscrire dans la logique des articles 1383 et 1384.

Enfin, la réparation des dommages en nature me gêne. Après l'affaire Arcelor-Mittal en 2012, nous risquons de connaître en 2013 l'affaire Rio Tinto Alcan, l'ex-Péchiney. Mon département héberge un des deux sites d'aluminium dont l'avenir va se jouer dans les prochaines semaines. Péchiney représentait hier 80 000 emplois, plus de 100 sites en France ; Rio Tinto Alcan emploie 3 500 emplois dont Dunkerque et Saint-Jean-de-Maurienne.

Le Gouvernement se bat pour sauver ces deux sites, notamment celui de Savoie, menacé à court terme, et nous avons plus de cent sites pollués en France. J'ai contacté les maires concernés pour voir comment engager une action contraignante envers cet industriel, l'évaluation de la dépollution étant fixée à deux ou trois milliards d'euros. Or, à ma grande surprise, certains me répondent que la société leur propose de mettre gratuitement à leur disposition les sites, pour en faire des terrains de sport ou autre, ce qui lui évitera de débourser des milliards pour les remettre en état. Voilà les conséquences perverses de la réparation en nature.

De ce fait, je suis favorable à l'article 1386-19, à condition de le réécrire autrement que par référence à l'article 1382. Sur l'article 1386-20, je suis sceptique, car les effets pervers peuvent l'emporter sur l'apparente satisfaction d'une réparation.

M. Jean-René Lecerf . - Je ne me fais pas beaucoup d'illusion sur le sort des propositions de loi : elles sont l'occasion pour le parlement de parlementer... Le coût des catastrophes écologiques atteint des niveaux ahurissants. Fukushima devrait coûter entre 2 000 et 6 000 milliards d'euros. À côté, l' Erika fait pâle figure... La véritable protection réside dans la prévention. Or, les crédits destinés à la sécurité civile et aux associations chargées de la prévention et de la gestion de crise ont gravement chuté. La proposition de loi est une bonne façon d'attirer l'attention.

M. Jean-Pierre Michel . - Je suis très dubitatif. M. Anziani évoque les grandes catastrophes. Les paraboles installées sur les immeubles des cités constituent-elles un dommage à l'environnement ? Parlons des petites choses. Avec le texte actuel, un procès sera possible... En quoi le dommage à l'environnement est-il différent d'un dommage économique et comment le définir ? Tout cela est éminemment subjectif. Si en outre on enlève la responsabilité sans faute, on fera plaisir aux avocats...

Je ne suis pas favorable à ce texte. La Cour de cassation a rendu un arrêt très positif : laissons la jurisprudence prospérer. L'environnement, je ne sais pas ce que c'est. L'automobiliste qui roule avec un pot d'échappement défectueux pourra aussi être attaqué pour dommage à l'environnement...

L'émotion suscitée par l' Erika et les tempêtes justifie-t-elle de modifier les règles sur la responsabilité ? En tout état de cause, je ne pourrai pas voter ce texte.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Les gaz émis par certains animaux de ferme ont également un impact nocif sur l'environnement.

Mme Hélène Lipietz . - Etant commise d'office pour défendre la parole écologiste, je plaiderai l'effet psychologique de la loi : elle obligera les entreprises polluantes à provisionner des fonds pour l'indemnisation. Une catastrophe à Nogent-sur-Seine, par exemple, aurait des répercussions sur toute la région parisienne.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Dans un texte que j'ai publié jadis, « L'économie est-elle un humanisme ? », je définissais l'environnement comme ce qui est autour de l'espèce humaine. Ainsi, l'être humain n'en ferait pas partie, et sans espèce humaine, il n'y aurait pas d'environnement. Le sujet est à la fois philosophique, éthique et législatif.

Mme Virginie Klès . - Plutôt que d'escompter d'hypothétiques provisions des entreprises, il faudrait revoir la législation des entreprises sur les installations classées, même si l'on a toujours du mal, en France, à imaginer que les choses puissent ne pas fonctionner. Je partage l'analyse de M. Lecerf sur les associations de prévention.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Je ne sens pas un enthousiasme débordant... Ce texte n'est pourtant pas une parfaite nouveauté !

Nous ne sommes pas démunis face à la notion d'environnement et de dommage : nous avons des années de jurisprudence derrière nous, une Charte, une Constitution...

M. René Garrec . - Une charte adossée à la Constitution !

M. Alain Anziani , rapporteur . - L'environnement n'est pas uniquement ce qui entoure l'homme : on se réfère souvent à la notion plus précise d'habitat de l'homme, à sa façon d'habiter le monde. J'entends bien M. Michel, mais depuis longtemps, les tribunaux différencient le dommage minime du dommage significatif, pour ne retenir que ce dernier.

L'évaluation peut en effet poser problème, mais dans le cas de la plage polluée, elle n'est pas nécessaire à sa remise en l'état. C'est justement tout l'intérêt d'une réparation en nature. Nos éminents universitaires, travaillent depuis des années à établir sur le préjudice écologique une nomenclature comparable à celle que nous avons pour le préjudice corporel, la nomenclature « Dintilhac ».

M. Hyest voit juste concernant la prescription. Nous avons rencontré cette difficulté lors de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription. Nous nous heurtons à la directive du 21 avril 2004 qui impose une prescription de trente ans. Si l'on veut retenir comme point de départ la connaissance des faits, je suis d'accord avec vous, il serait assez naturel de réduire le délai de prescription, mais comment aller contre une directive ?

Monsieur Détraigne, un conflit au sujet de pieds de vigne constitue un préjudice personnel et non un préjudice écologique pur. Votre crainte d'une paralysie est infondée : les tribunaux sont déjà saisis de telles demandes : c'est la façon de les traiter qui est en cause. M. Hyest, une chose n'est pas toujours à l'origine d'un dommage. L'ourse Cannelle...

M. Jean-Jacques Hyest . - Il a été tué par un fusil !

M. Alain Anziani , rapporteur . - La loi du 1 er août 2008 qui crée un régime de police administrative ne fonctionne pas, et les articles 1382 et suivants qui ne traitent que des préjudices subis par les personnes sont insuffisants. Bien sûr, il faut agir sur la prévention et l'un de mes amendements donne au juge un rôle préventif.

M. Jean-Pierre Michel . -La production esthétique peut-t-elle constituer un dommage à l'environnement ?

M. Jean-Pierre Sueur , président . - L'entrée des villes, certainement !

M. Jean-Pierre Michel . - Je pensais à la pyramide du Louvre...

M. Alain Anziani , rapporteur . - C'est au juge du fond qu'il revient d'apprécier l'existence d'un préjudice.

M. Patrice Gélard . - Un amendement du rapporteur instaure une responsabilité sans faute, qui existe déjà en Allemagne.

M. Jean-Jacques Hyest . - En France aussi !

M. Patrice Gélard . - Quelles conséquences cette responsabilité générale sans faute a-t-elle en Allemagne ? J'aimerais savoir où nous allons...

M. Christophe Béchu . - Dans ce cas, un ouvrage peut être considéré comme une atteinte à l'environnement. Un projet légal comme l'aéroport de Notre-Dame des Landes, qui aura franchi tous les obstacles juridiques, pourra néanmoins engager une responsabilité sans faute de son auteur. La responsabilité pour faute limite le pouvoir des associations ; la responsabilité sans faute nous fait basculer dans l'inconnu.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Ne désespérez pas des juges ! A vous entendre, on dirait que la justice n'a jamais eu affaire à cette question. Monsieur Michel, il est d'ores et déjà possible d'agir : c'est au juge d'évaluer le préjudice. Monsieur Béchu, ce texte n'est pas révolutionnaire, il y a déjà une responsabilité sans faute.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article unique

M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement rédactionnel n° 1 substitue au terme « dommages », qui sont une conséquence, le terme d'« atteintes ».

L'amendement n° 1 est adopté.

M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement n° 2 dont nous avons débattu institue une responsabilité sans faute.

L'amendement n° 2 est adopté.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Le texte de l'amendement n° 3 est assez explicite. Lorsque la réparation en nature est impossible, il convient de prévoir une compensation pécuniaire.

Mme Catherine Tasca . - L'expression « réparation en nature » n'est pas très claire. Il s'agit plutôt d'une remise en l'état, quand elle est possible. Sinon, on peut offrir un poulet au maire et considérer qu'on a réparé en nature...

M. Alain Anziani , rapporteur . - J'ai repris l'expression de la loi du 1 er août 2008 et la notion de réparation en nature est déjà appliquée en droit positif.

M. Jean-Jacques Hyest . - C'est le terme usuel.

Mme Catherine Tasca . - Précisons qu'il s'agit d'une remise en l'état.

M. Jean-Jacques Hyest . - Il ne s'agit pas forcément d'une remise en l'état. Si une pollution provoque la disparition des grenouilles sur un lieu, on peut très bien en faire revenir, éventuellement sur un autre site. C'est également de la réparation en nature.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Sauf si l'ours est le dernier de l'espèce !

Mme Virginie Klès . - Pourquoi ne pas écrire « remise en état similaire ou équivalent » ?

M. Alain Richard . - Peut-on se prononcer sur des questions d'une telle importance sans la moindre étude d'impact ? Cet article est inamendable.

M. Patrice Gélard . - Exact !

M. Alain Anziani , rapporteur . - Mieux vaut s'en tenir à la formulation de la directive du 21 avril 2004, transposée dans la loi du 1 er août 2008. Dans une zone de turbulence, nous avons intérêt à nous caler sur l'existant. Un travail est en cours à la chancellerie. Ces questions y seront évoquées et le texte qui en résultera sera accompagné d'une étude d'impact.

L'amendement n° 3 est adopté.

M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement n° 4 organise la prévention en autorisant le juge à prescrire des mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite à l'environnement.

M. Jean-Pierre Michel . - Le juge est saisi en référé ?

M. Alain Anziani , rapporteur . - Le référé est possible, faut-il le préciser ?

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le juge ne pouvant s'autosaisir, cela serait judicieux. Etes- vous prêt à modifier l'amendement en ce sens ?

M. Jean-Jacques Hyest . - Si quelqu'un se plaint d'une atteinte à l'environnement qui est en train de se produire, et a qualité pour agir, le juge peut se prononcer. Cet amendement est superflu.

M. François Zocchetto . - Il est effectivement possible pour un juge d'intervenir, dès lors qu'il a été saisi.

L'amendement n° 4 est retiré.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Avec l'amendement n° 5, une personne qui a engagé des frais pour éviter un dommage à l'environnement pourra en obtenir le remboursement, si ces dépenses ont été utiles.

M. Patrice Gélard . - Cela risque de poser problème à l'Etat. Sa politique est de laisser le littoral progresser ou régresser naturellement, alors que certains particuliers ou collectivités interviennent pour prévenir son érosion, comme c'est le cas dans ma commune, avec des écroulements de falaises. Vais-je demander un remboursement à l'Etat ?

M. Alain Anziani , rapporteur . - La notion de catastrophe naturelle existe, elle se distingue du préjudice écologique...

M. Patrice Gélard . - Elle ne s'applique pas ici, s'agissant d'un phénomène habituel.

M. Alain Anziani , rapporteur . - L'engagement de la responsabilité prévu par le texte que nous examinons suppose que le juge identifie un auteur du dommage et reconnaisse préalablement l'existence d'un préjudice...

M. Alain Richard . - Je croyais qu'il y avait une large majorité dans les deux Assemblées pour contenir la hausse des dépenses publiques. L'exemple du doyen Gélard illustre comment cet article pourrait conduire des communes à inverser la politique de l'Etat, aux frais du contribuable...

M. Alain Anziani , rapporteur . - Prendre un avocat est une chose, gagner un procès en est une autre. Il appartient au juge d'apprécier s'il y a eu préjudice. Faut-il limiter sa faculté d'octroyer des dommages et intérêts en cas de faute de l'Etat ? Je ne le crois pas, quel que soit l'état des finances publiques.

L'amendement n° 5 est adopté.

Article additionnel après l'article unique

M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement n° 6 porte sur les délais de prescription. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, je préfère le retirer, pour permettre qu'une réflexion plus approfondie soit menée sur ce sujet.

Mme Hélène Lipietz . - La loi étant d'application immédiate, vaudra-t-elle pour des pollutions intervenues auparavant ?

M. Jean-Pierre Sueur , président . - L'amendement est retiré, mais voilà qui nourrira la réflexion du rapporteur.

L'amendement n° 6 est retiré.

Intitulé de la proposition de loi

M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement n° 7 substitue la notion de « dommage causé à l'environnement » à celle de « préjudice écologique » dans l'intitulé. Si la notion que je propose est techniquement et juridiquement la plus appropriée et permet de mettre en cohérence le titre avec le contenu du texte, les termes « préjudice écologique » sont passés dans le langage courant et utilisés par la jurisprudence. Je m'en remets donc sur ce point à la sagesse de la commission.

M. Jean-Pierre Michel . - Pourquoi donner à la proposition de loi un titre qui diffère de l'objet même de son article unique ? Je suis favorable à l'amendement.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Dans le corps du texte en effet, nous avons tout intérêt à la précision juridique. C'est bien la notion de dommage causé à l'environnement qui restera dans le code civil, mais pour le tire de la proposition de loi, l'impératif n'est pas le même.

L'amendement n° 7 est adopté.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je voterai ce texte qui va dans le bon sens. Je me demande si nous pourrions un jour adopter une proposition de loi sur le droit de créer des entreprises et même des usines. J'ai pu constater dans mon département, comment des gens, qui ont pour seul projet de créer une entreprise, sont couverts de procès au motif qu'ils porteraient atteinte à l'environnement. L'emploi n'est pas une préoccupation secondaire, par rapport à celle, tout à fait légitime, qui anime ce texte.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Patrice Gélard . - Les propositions de loi se multiplient, dans le sillage de la révision constitutionnelle de 2008. Ce n'est pas une bonne formule, dans la plupart des cas. Certaines n'ont d'autre objet que de soulever un problème en attirant l'attention sur leur auteur. L'on pourrait y substituer avantageusement des questions orales avec débat ou des questions cribles thématiques. A l'inverse d'autres propositions de loi, tout à fait utiles et très courtes, elles ne sont jamais inscrites à notre ordre du jour. Les groupes devraient y réfléchir : on préfère les lois à impact médiatique. Cette réflexion pourrait avoir lieu au sein du bureau. En outre, l'immense majorité des propositions de loi que nous adoptons restent en rade au Sénat et ne sont jamais examinées par l'Assemblée nationale.

Mme Jacqueline Gourault . - Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je m'en suis entretenu plusieurs fois avec M. le président du Sénat. Il est anormal qu'une proposition de loi, adoptée à l'unanimité par le Sénat, ou par l'Assemblée nationale, ne réussisse pas à se frayer un chemin jusqu'à l'autre assemblée : c'est du temps perdu pour tout le monde. Il fut un temps où les propositions de loi remplissaient une fonction déclaratoire. Tout le monde voit l'utilité des deux propositions de loi de Mme Jacqueline Gourault à l'issue des états généraux...

M. René Vandierendonck . - Absolument !

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le Premier ministre a dit qu'elles seraient examinées par l'Assemblée nationale ; elles ne sont toujours pas inscrites à son ordre du jour. Une autre proposition de loi de M. Hugues Portelli sur les sondages a été unanimement adoptée il y a deux ans...

Mme Catherine Troendle . - Eh oui !

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Elle est encore en attente devant l'Assemblée nationale. Tous les groupes peuvent en parler au président du Sénat mais il faut un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, pour que ces textes aboutissent.

Mme Catherine Tasca . - Il ne s'agit pas tant des relations entre les deux assemblées, que de l'économie du temps de travail au sein du Sénat. Les propositions de loi sont très consommatrices de temps. Je souscris pleinement à la remarque de M. Gélard. La règle des quatre heures oblige souvent à reporter la suite de l'examen des propositions de loi, ce qui bouscule notre calendrier.

Mme Hélène Lipietz . - Ce n'est pas qu'un problème d'organisation du Sénat et de l'Assemblée nationale, mais un problème d'organisation interne des partis. Nous avons réussi, en six mois, à faire passer notre loi sur les lanceurs d'alerte, parce que nous avons choisi de présenter ce texte, en accord avec l'Assemblée nationale.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. ANZIANI, rapporteur

1

Modification de l'intitulé du nouveau titre IV ter du code civil

Adopté

M. ANZIANI, rapporteur

2

Création d'un régime de responsabilité civile objective

Adopté

M. ANZIANI, rapporteur

3

Réparation pécuniaire subsidiaire en cas de réparation en nature impossible

Adopté

M. ANZIANI, rapporteur

4

Cessation des atteintes illicites à l'environnement

Retiré

M. ANZIANI, rapporteur

5

Droit à réparation pour les dépenses exposées pour prévenir ou limiter le dommage

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article unique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. ANZIANI, rapporteur

6

Délais de prescription applicables

Retiré

Proposition de loi visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. ANZIANI, rapporteur

7

Mise en cohérence de l'intitulé du texte
avec son contenu

Adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de la justice

- M. Laurent VALLÉE , directeur des affaires civiles et du Sceau

Professeurs de droit :

- Mme Geneviève VINEY , professeur émérite à l'Université de Paris I

- M. Patrice JOURDAIN , professeur à l'Université de Paris I

- M. Laurent NEYRET , professeur à l'Université d'Artois

- M. François-Guy TREBULLE , professeur à l'Université Paris I

Avocats :

- Me Christian HUGLO , cabinet Huglo Lepage associés conseil

- Me Patricia SAVIN , cabinet Savin Martinet associés

- Me Alexandre FARO , cabinet Faro et Gozlan

Mouvement des entreprises de France (MEDEF) :

- Mme Pascale KROMAREK , Présidente du comité Droit de l'environnement

- Mme Isabelle TREMEAU , directrice-adjointe à la direction Droit de l'entreprise

- M. Jérémy SIMON , juriste et chargé de mission senior à la direction Droit de l'entreprise

- Mme Ophélie DUJARRIC , chargée de mission senior à la direction des affaires publiques

Fédération française des sociétés d'assurances :

- M. Stéphane PENET , directeur des assurances de biens et de responsabilité de la FFSA

- M. Jean-Paul LABORDE , directeur des affaires parlementaires

- Mme Anne-Marie PAPEIX , chargée de mission

Groupement des entreprises mutuelles d'assurance (GEMA) :

- M. Christian OTTAVIOLI , Président du directoire de SMACL Assurances


* 1 Cour de cassation, chambre criminelle, 25 septembre 2012 (n° 10-82.938).

* 2 « Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique » Hans Jonas, 1979, éditions du Cerf, p. 13.

* 3 Directive n° 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

* 4 Loi n° 2008-757 du 1 er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement.

* 5 Article de Paul Ricoeur, « Le concept de responsabilité », in « Le juste I », 1995, éditions Esprit, p. 65.

* 6 Dans une décision du 1 er juin 2010 (n° 09-87.159), la chambre criminelle de la Cour de cassation a déclaré un chasseur civilement responsable de la mort du dernier spécimen local femelle d'ours brun, animal inscrit sur la liste des espèces de vertébrés protégés menacés d'extinction en France, l'ourse Cannelle. Elle l'a condamné au versement de 10 000 € de dommages et intérêts cumulés, aux associations qui s'étaient constituées parties civiles, sans distinguer les différents préjudices réparés.

Or selon M. Laurent Neyret, « Mort de l'ourse Cannelle : une responsabilité sans culpabilité », in Environnement et développement durable n° 1, janvier 2011, la destruction de l'ourse Cannelle aurait pu conduire à la prise en compte de préjudices causés à l'environnement (l'atteinte à l'état de conservation de cette espèce et à sa fonction écologique, qui participe du maintien de la diversité biologique) et de préjudices causés aux personnes physiques et morales (comme le préjudice économique causé à l'État, lié aux coûts afférents aux mesures de préservation du milieu de l'ourse ; l'atteinte à la réputation des collectivités locales, dont l'image de marque attachée à la présence de l'ours est affectée par sa disparition ; ou l'atteinte à la mission statutaire de protection de l'environnement des associations parties civiles, caractérisée par l'anéantissement des efforts qu'elles ont déployées pour accomplir leur mission).

* 7 Selon le préambule de la Charte de l'environnement de 2004, « l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ».

* 8 L'article 714 du code civil prévoit qu'« il est des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous . »

* 9 Par exemple, un distributeur d'eau a une obligation de résultat concernant la qualité de l'eau distribuée à ses clients. Il a donc l'obligation de réparer une pollution de l'eau, quand bien même il n'en serait pas à l'origine (Cour de cassation, 1 ère chambre civile, 30 mai 2006 n° 03-16.335).

* 10 La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juin 2011 (n° 10-15.500) a, par exemple, condamné un exploitant à indemniser le préjudice moral causé à deux associations de protection de l'environnement, en raison du non respect de la réglementation des installations classées, en ce qu'il est de nature à créer un risque de pollution majeure pour l'environnement, et alors même que le manquement avait été corrigé avant l'introduction de l'instance.

* 11 La garde étant constituée de trois éléments : l'usage, le contrôle et la direction (Cour de cassation, chambres réunies, 2 décembre 1941).

* 12 Cour de cassation, assemblée plénière, 25 février 2000 « Costedoat » (n° 97-17.378) : un pilote d'hélicoptère, préposé d'une société, dont l'action d'épandage d'herbicides sur une propriété avait endommagé des cultures de riz voisines, n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers, dans la mesure où il a agi dans les limites de la mission qui lui était impartie par son commettant.

* 13 TGI d'Angers, 27 juin 1996.

* 14 Cour de cassation, 2 è chambre civile, 17 décembre 1969.

* 15 Cour de cassation, 3 è chambre civile, 11 mai 2000 (n° 98-18.249).

* 16 Cour de cassation, 2 è chambre civile, 10 juin 2004 (n° 03-10.434).

* 17 Cour de cassation, 2 è chambre civile, 24 février 2005 (n° 04-10.362).

* 18 Cour de cassation, chambre criminelle, 17 mars 2009 (n° 08-80.129) : rejet d'une demande d'indemnisation présentée à l'encontre d'une décharge publique, la preuve du lien entre le cancer de la plaignante et les rejets de la décharge n'étant pas établie.

* 19 Par exemple, un lien de causalité a été retenu entre la mort d'un cheval et l'épandage de boue d'une station d'épuration sur une parcelle voisine de son pâturage, « dès lors qu'aucune autre cause [...] ne permet d'expliquer le décès de la jument ».

* 20 Cour de cassation, chambre criminelle, 29 novembre 2005 : exemple d'une collectivité territoriale qui subit une atteinte à son image, du fait de la présence de déchets sur les plages « de nature à ternir la réputation des stations touristiques » du littoral.

* 21 Cour de cassation, chambre civile, 16 juillet 1982 : est considéré comme un préjudice indemnisable, le risque d'aggravation d'un incendie potentiel, en raison de l'installation d'un réservoir de fuel dans une zone résidentielle.

* 22 Cour de cassation, 2 è chambre civile, 24 février 2005, précité.

* 23 Cour de cassation, 2 è chambre civile, 15 mai 2008 (n° 07-13.483) : Le coût des travaux, destinés à prévenir un risque de dommage « caractérise un préjudice portant en lui-même les conditions de sa réalisation ».

* 24 Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, rapport remis par M. Pierre Catala au garde des sceaux, ministre de la justice, le 22 septembre 2005.

* 25 Le préjudice de masse est constitué par des « atteintes aux personnes, aux biens et au milieu naturel, qui touchent un grand nombre de victimes, à l'occasion d'un fait dommageable unique » (définition d'A. Guegan-Lecuyer, « Dommages de masse et responsabilité civile », LGDJ).

* 26 Par exemple, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 octobre 1978, a reconnu aux habitants d'un quartier regroupés en comité de défense contre la pollution atmosphérique causée par une usine de torréfaction de café, le droit de réclamer réparation des atteintes portées aux intérêts des membres dudit comité.

* 27 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite aussi « loi Barnier ».

* 28 L. 142-3 du code de l'environnement : « Lorsque plusieurs personnes physiques identifiées ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'une même personne et qui ont une origine commune, dans les domaines mentionnés à l'article L. 142-2, toute association agréée au titre de l'article L. 141-1 peut, si elle a été mandatée par au moins deux des personnes physiques concernées, agir en réparation devant toute juridiction au nom de celles-ci . »

* 29 Affaire de l'ourse Cannelle, Cour de cassation, chambre criminelle, 1 er juin 2010, précitée.

* 30 Cf. supra.

* 31 Précitée.

* 32 Cour de cassation, 2 è chambre civile, 7 décembre 2006 (n° 05-20.297) : la Cour a considéré que « les associations de chasse sont habilitées aÌ exercer devant les juridictions tant civiles que répressives, les actions en responsabilitéì civile tenant aÌ la réparation de faits de destruction irrégulière de gibier, qui constituent pour elles la source d'un préjudice direct et personnel ainsi qu'une atteinte aux intérêts collectifs de leurs membres ».

* 33 Par exemple, Cour de cassation, chambre criminelle, 12 septembre 2006 (n° 05-86958).

* 34 Le préjudice personnel de l'association découlait de l'atteinte aux intérêts collectifs qui entrent dans son objet social.

* 35 Cour d'appel de Bordeaux, 13 janvier 2006 (n°  05-00.567).

* 36 Le TGI de Paris a estimé que « les associations peuvent demander réparation, non seulement du préjudice matériel et du préjudice moral, directs ou indirects, causés aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre, mais aussi de celui résultant de l'atteinte portée à l'environnement, qui lèse de manière directe ou indirecte ces mêmes intérêts qu'elles ont statutairement pour mission de sauvegarder » .

* 37 En appel, le juge confirme la possible réparation du « préjudice écologique », du « préjudice écologique pur », du « préjudice environnemental » ou du « préjudice pour atteinte à l'environnement ». Il distingue ensuite deux types de préjudices : les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux relevant des « préjudices subjectifs » en ce qu'ils sont subis par des sujets de droit, et le préjudice écologique, « préjudice objectif », non subi par un sujet de droit, estimant qu'il s'agit d'une « atteinte sans répercussion sur un intérêt humain particulier » mais lésant un « intérêt que le droit protège ».

* 38 Cour de cassation, chambre criminelle, 25 septembre 2012 (n° 10-82.938).

* 39 Par opposition aux préjudices subjectifs subis par des sujets de droit.

* 40 Loi n° 2008-757 du 1 er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement.

* 41 Directive n° 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

* 42 Rapport n° 348 (2007-2008) fait par M. Jean Bizet, au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi relatif à la responsabilité environnementale.

* 43 Directive précitée.

* 44 Décret n° 2009-468 du 23 avril 2009 relatif à la prévention et à la réparation de certains dommages causés à l'environnement.

* 45 L'article L. 160-1 du code de l'environnement prévoit que « le présent titre définit les conditions dans lesquelles sont prévenus ou réparés, en application du principe pollueur-payeur et à un coût raisonnable pour la société, les dommages causés à l'environnement par l'activité d'un exploitant. »

* 46 Le paragraphe 14 de l'exposé des motifs de la directive de 2004 l'exclut explicitement : « la présente directive ne s'applique pas aux dommages corporels, aux dommages aux biens privés, ni aux pertes économiques et n'affecte pas les droits résultant de ces catégories de dommages . »

* 47 Décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011.

* 48 Rapport de la mission confiée à Mme Corinne Lepage sur la gouvernance écologique, remis en février 2008 au ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables.

* 49 Rapport du club des juristes de janvier 2012 : « Mieux réparer le dommage environnemental », http://www.leclubdesjuristes.com/notre-expertise/publications-et-travaux/inscrire-la-responsabilite-environnementale-dans-le-code-civil .

* 50 Cet article 1382-1 était ainsi rédigé : « tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à l'environnement, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

* 51 En effet, suivant son rapporteur, votre commission n'a pas jugé opportun de reprendre à son compte la distinction parfois retenue en doctrine entre la notion de « dommage » (le fait, l'atteinte en tant que telle) et celle de « préjudice » (la conséquence qui découle du dommage et donne lieu à réparation). Les deux notions sont donc utilisées indifféremment dans le présent rapport, comme souvent dans la jurisprudence, pour désigner les conséquences réparables des atteintes à l'environnement.

* 52 Cf. supra.

* 53 Cf. supra.

* 54 Cf. supra .

* 55 « Le juste I », 1995, p. 58, précité.

* 56 Dans sa version initiale, le texte prévoyait d'insérer un article 1382-1 après l'article 1382 du code civil.

* 57 Cf. supra : les causes de l'inapplication de la loi du 1 er août 2008.

* 58 Cf. note de bas de page supra .

* 59 Convention signée le 21 avril 1993, ratifiée par la France mais qui n'est pas entrée en vigueur faute d'un nombre suffisant de ratifications.

* 60 MM. Laurent Neynet et Gilles J. Martin (dir.), Nomenclature des préjudices environnementaux, LGDJ, 2012.

* 61 Article 2 du projet « pour une réforme du droit de la responsabilité civile », sous la direction de François Terré, Dalloz, 2011.

* 62 La cessation de l'illicite désigne toute mesure ayant pour objet ou pour effet de prévenir ou de faire cesser une situation de fait contraire au droit. Elle peut donc être ordonnée par le juge, sur simple constat d'un risque de dommage : Cour de cassation, 3 è chambre civile, 7 décembre 2005 : condamnation d'un industriel à cesser de stocker des déchets radioactifs en infraction à la législation, sur l'unique foi du risque d'atteinte à l'environnement que comportait ce stockage illégal.

* 63 L'article 16-2 du code civil prévoit que : « le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci ».

* 64 En effet, la cessation du trouble ordonnée par le juge, comme la démolition de constructions irrégulières, par exemple, se rapproche d'une remise en état.

* 65 Article 1344 du projet précité.

* 66 Contrairement à l'action en réparation du dommage causé à l'environnement, qui ne pourrait être engagée que par certaines personnes seulement (collectivités territoriales, associations de protection de l'environnement et organismes publics de protection de l'environnement). Cf. infra .

* 67 G. Viney et P. Jourdain « Les effets de la responsabilité », LGDJ, 2010.

* 68 Cf. encadré supra.

* 69 Précité.

* 70 Précité.

* 71 Cour de cassation, 2 è chambre civile, 29 juin 1961.

* 72 Ponctuellement, les juges du fond ordonnent des mesures de réparation en nature. Par exemple, dans un arrêt du 5 juillet 1995 (n° 95/01694), relatif à l'abattage d'arbres et de haies en violation d'un arrêté préfectoral, la Cour d'appel de Rennes a affirmé que « la remise en état des lieux constitue le mode de réparation qui doit être privilégié, tout particulièrement en matière d'environnement ». En l'espèce, le juge avait imposé de reconstituer les boisements détruits illégalement, sous peine d'astreinte par jour de retard.

* 73 Par exemple, Cour de cassation, 2 è chambre civile, 7 juillet 2011 (n° 10-20.373).

* 74 Intervention de Mme Mireille Bacache, professeur à l'université Paris Descartes, lors du colloque « Le préjudice écologique après l'Erika », organisé par MM. Bruno Retailleau et Alain Anziani le 31 octobre 2012.

* 75 Cette difficulté ne se retrouve pas en présence d'un préjudice subjectif, pour lequel le titulaire de l'action est la victime elle-même.

* 76 Mme Muriel Fabre-Magnan, postface de la « nomenclature des préjudices environnementaux », précitée.

* 77 La Cour d'appel de Pau, le 17 mars 2005, a accordé un euro symbolique pour la mort d'un rapace et celle d'Aix-en-Provence, le 21 mars 2005, pour celle d'un loup. Dans un arrêt du 26 juin 1992, la Cour d'appel de Rennes avait fixé l'indemnisation d'un dommage causé par le dépassement des effectifs autorisés dans un élevage de visons d'Amérique, à « 0,50 franc par tête ».

* 78 Cour de cassation, chambres réunies, 15 juin 1833.

* 79 Rapport d'avril 2009, de MM. Bernard Chevasus-au-Louis, Jean-Michel Salles et Jean-Luc Pujol : « Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes - Contribution à la décision publique », Centre d'analyse stratégique.

* 80 Précitée.

* 81 Rapport de M. Jean-Pierre Dintilhac, proposant une nomenclature des préjudices corporels, remis au garde des sceaux le 28 octobre 2005.

* 82 Cf. Préface de la « nomenclature des préjudices environnementaux » précitée.

* 83 L'article L. 132-1 prévoit également le remboursement des frais engagés par les organismes publics.

* 84 Cour de cassation, 2 è chambre civile, 7 décembre 2006 (n° 05-20.297) : précité.

* 85 Cour de cassation, chambre criminelle, 12 septembre 2006 (n° 05-86958) : les associations non agrées peuvent agir devant le juge civil « au nom d'intérêts collectifs, dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social »

* 86 Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

* 87 Précitée.

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