Article 2 - Définition du conflit d'intérêts et obligations d'abstention

Adopté sans modification de fond par l'Assemblée nationale, cet article définit le conflit d'intérêt, ce qui n'avait pas été l'option retenue par le projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique présenté par le précédent gouvernement en juillet 2011.

Pour l'essentiel, cette définition posée au premier alinéa correspond à celle proposée en novembre 2012 par la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par l'ancien Premier ministre Lionel Jospin. Dans la rédaction initiale de cette disposition, le conflit d'intérêts renvoyait à « une situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à compromettre ou à paraître compromettre l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ».

Sur proposition de son rapporteur, votre commission a remanié cette définition en adoptant trois amendements .

En premier lieu, votre commission a modifié le champ des conflits d'intérêts pris en compte dans le cadre de ce projet de loi et qui, actuellement, prend en compte « une situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés ». Il recouvre ainsi les hypothèses de conflit entre un intérêt public et un autre intérêt public posant ainsi la question du cumul de mandats ou de fonctions au sein de plusieurs collectivités publiques. Il paraît plus prudent de ne pas traiter de cette hypothèse dans les mêmes termes que le cas d'un conflit entre un intérêt public et un intérêt privé, ce qui fut d'ailleurs la démarche retenue par le groupe de travail présidé par notre collègue Jean-Jacques Hyest en 2011. De surcroît, le rapport de la commission de réflexion de la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique avait proposé également en 2011 avait préconisé de prendre en compte une « situation d'interférence entre une mission de service public et un intérêt privé ». Enfin, cette rédaction est celle retenue par l'article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui interdit le cumul d'activités des fonctionnaires avec certaines activités privées 41 ( * ) .

En second lieu, votre commission a supprimé la formule selon laquelle cette situation d'interférence était de nature « à paraître compromettre » l'exercice des fonctions pour s'en tenir à la formule plus objective qui prend en compte seulement les situations « de nature à compromettre ». Il a paru à votre commission que cette théorie des apparences, répandue en droit anglo-américain et ayant connu des implications en matière juridictionnelle sous l'impulsion de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, pouvait conduire à des approches excessivement subjective et, ce faisant, renforcer un climat de suspicion. Une approche subjective est d'autant plus périlleuse en termes de sécurité juridique qu'elle emporte que la constatation du conflit d'intérêts emporte des effets que le présent article détaille mais éventuellement sur le plan disciplinaire.

Enfin, votre commission a souhaité mieux articuler l'article 1 er et l'article 2 du présent projet de loi en renvoyant, pour caractériser l'exercice attendu des fonctions en cause, aux obligations générales de dignité, de probité et d'intégrité.

Les alinéas suivants fixent les modalités d'application de l'obligation d'abstention des personnes se trouvant en situation de conflit d'intérêts au sens du premier alinéa du présent article.

Votre commission n'a ainsi pas modifié les règles selon lesquelles:

- Les membres du collège des autorités indépendantes devraient se déporter ;

- Les personnes d'un exécutif local seraient suppléées par des personnes ayant délégation sans leur donner d'instruction afin de de ne recouvrer indirectement un pouvoir de décision qu'elles s'abstiennent justement d'exercer ;

- Les personnes chargées d'une mission de service public s'abstiendraient d'user d'une délégation de signature dont elles bénéficient ;

En revanche, adoptant un amendement de son rapporteur, votre commission a supprimé l'obligation de déport des membres du Gouvernement en cas de situation de conflits d'intérêts, non que sur le fond elle en conteste le bien-fondé, mais parce qu'elle soulevait en l'état des difficultés d'ordre constitutionnel . Tout d'abord, au regard de la jurisprudence constitutionnelle la plus récente 42 ( * ) , la compétence du législateur apparaît douteuse. Le Conseil constitutionnel a ainsi récemment censuré d'office une disposition législative fixant le montant des indemnités des membres du Gouvernement et du Président de la République, la considérant comme contraire au principe de séparation des pouvoirs ; seul le pouvoir règlementaire est donc compétent pour fixer le régime de rémunération des membres du Gouvernement et du Président de la République 43 ( * ) . Suivant la même logique, la question de la prévention des conflits d'intérêts et des conséquences à en tirer relève de l'organisation interne des pouvoirs exécutifs. Ensuite, à admettre la compétence du législateur, cette obligation de déport heurte des missions que la Constitution assigne aux membres du Gouvernement, et tout particulièrement au Premier ministre, sans qu'ils puissent invoquer, en l'état des dispositions constitutionnelles, une situation de conflit d'intérêts pour prétendre se dispenser de les exercer. En effet, le Premier ministre doit contresigner la plupart des actes du chef de l'État en application de l'article 19 de la Constitution mais également, en vertu de l'article 21 de la Constitution, procéder à des nominations ou édicter des normes règlementaires, ne serait-ce que pour assurer l'exécution des lois. De même, les membres du Gouvernement doivent contresigner les actes du Premier ministre dont ils sont chargés d'assurer l'exécution en application de l'article 22 de la Constitution. Ainsi, la loi ne peut-elle prévoir une hypothèse, si encadrée soit-elle, où les membres du Gouvernement, à commencer par le Premier ministre, ne peuvent remplir leurs missions constitutionnelles.

Par ailleurs, votre commission a adopté un amendement qui, outre des améliorations rédactionnelles, précise les conditions dans lesquelles le supérieur hiérarchique d'une personne chargée d'une mission de service public apprécie de décharger d'un dossier une personne sous son autorité. Ainsi, la rédaction retenue prévoit clairement que le supérieur hiérarchique agit sur saisine de l'agent pressentant un conflit d'intérêt mais également de sa propre initiative. A défaut, le supérieur hiérarchique eût été dépendant du signalement opéré par la personne potentiellement concernée pour agir.

Enfin, adoptant un amendement de son rapporteur, votre commission a renvoyé à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les modalités d'application de cet article qui devrait en matière de procédure administrative non contentieuse ou de droit des collectivités territoriales appeler des mesures règlementaires importantes.

Approuvant l'article dans son esprit, votre commission a donc souhaité supprimer les dispositions qui pourraient fragiliser sa conformité à la Constitution mais également nuire, par leur imprécision, à la mise en oeuvre opérationnelle de cette obligation d'abstention qui reste la voie à privilégier en matière de prévention des conflits d'intérêts.

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .

Article 2 bis (art. 4 quater [nouveau] de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires) - Rôle des bureaux des assemblées parlementaires dans la prévention et le traitement des conflits d'intérêts

Introduit à l'Assemblée nationale en commission à l'initiative de son rapporteur, l'article 2 bis du projet de loi crée un nouvel article 4 quater au sein de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, pour prévoir que « le bureau de chaque assemblée définit des lignes directrices portant sur la prévention et le traitement des conflits d'intérêts ». Ces « lignes directrices » concerneraient les parlementaires - à cet égard, le bureau de chaque assemblée a déjà édicté une réglementation interne en ce domaine, comme le précise l'encadré ci-après -, mais pourraient également viser les autres catégories de personnes qui relèvent de la compétence des bureaux, c'est-à-dire les fonctionnaires parlementaires, dont le statut est fixé par le bureau en application de l'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, ainsi que les collaborateurs des parlementaires et les collaborateurs des groupes, employés respectivement par les parlementaires et par les groupes, qui relèvent également de la compétence du bureau pour l'encadrement de leurs conditions d'emploi et de recrutement.

La prévention des conflits d'intérêts dans les assemblées parlementaires

Le 6 avril 2011, le Bureau de l'Assemblée nationale a adopté une série de décisions en matière de déontologie des députés : édiction d'un code de déontologie, obligation de déposer une déclaration d'intérêts et une déclaration pour chaque don ou invitation (incluant les conjoints, ascendants et descendants), création de la fonction de déontologue, qui reçoit et conserve les déclarations, joue un rôle de conseil auprès des députés et établit un rapport annuel. Les obligations déclaratives sont entrées en vigueur à compter du renouvellement de 2012. En cas de manquement par un député, le Bureau peut être saisi et rendre publiques ses conclusions sur le cas du député.

Au Sénat, un comité de déontologie parlementaire a été créé en novembre 2009. Le Bureau du Sénat a décidé, le 14 décembre 2011, de mettre en place une obligation de déclaration d'intérêts (incluant les conjoints, ascendants et descendants) et une obligation de déclaration des invitations et cadeaux, sous l'autorité de sa délégation relative au statut des sénateurs, en créant au sein de l'Instruction générale du Bureau un chapitre XX bis relatif à la prévention des conflits d'intérêts. Les déclarations d'intérêts dont l'objet d'une publication sur le site internet du Sénat 44 ( * ) .

Chapitre XX bis de l'Instruction générale du Bureau du Sénat :

« Les membres du Sénat remettent à la délégation du Bureau en charge des conditions d'exercice du mandat du sénateur, dans les conditions définies par arrêté du Bureau, une déclaration mentionnant les intérêts privés qui pourraient indûment influer sur la façon dont ils s'acquittent des missions liées à leur mandat et les conduire à privilégier leur intérêt particulier face à l'intérêt général. Ne peuvent être regardés comme de nature à susciter des conflits d'intérêts les intérêts en cause dans les décisions de portée générale ainsi que les intérêts qui se rattachent à une vaste catégorie de personnes.

« Ils font également figurer dans cette déclaration, établie par arrêté du Bureau, les intérêts détenus par leur conjoint, leur partenaire de pacte civil de solidarité, leur concubin, leurs ascendants et leurs descendants.

« Les membres du Sénat établissent cette déclaration dans les trente jours qui suivent leur entrée en fonction. Ils l'établissent à nouveau dans le même délai à chaque renouvellement partiel du Sénat. Dans l'intervalle, ils déclarent dans les trente jours tout élément qui modifierait de façon substantielle leur situation ou celle de l'une des personnes visées au précédent alinéa.

« Les membres du Sénat déclarent en outre les invitations à des déplacements financées par des organismes extérieurs au Sénat, les cadeaux, dons et avantages en nature - à l'exception des invitations à des manifestations culturelles ou sportives en métropole et des cadeaux d'usage - qu'ils pourraient être amenés à recevoir, dès lors que la valeur de ces invitations, cadeaux, dons ou avantages excède un montant de 150 €.

« Ces cadeaux, dons ou avantages en nature sont déclarés à la délégation du Bureau en charge des conditions d'exercice du mandat du sénateur dans les trente jours. »

Enfin, il existe également, dans les deux assemblées, une réglementation spécifique pour l'accès des représentants d'intérêts (procédure d'enregistrement spécifique, registre public, déontologie).

Ainsi, le présent article 2 bis consisterait à consacrer au niveau législatif, dans l'ordonnance du 17 novembre 1958, les décisions déjà prises par les bureaux des assemblées en matière de prévention et de traitement des conflits d'intérêts. Une telle disposition ne conduirait pas les bureaux à modifier fondamentalement les dispositions déjà arrêtées concernant les parlementaires.

Réservé quant à l'emploi de la notion, incertaine en droit français, de « lignes directrices », qui pourrait s'apparenter à la notion de recommandations, votre rapporteur suggère de retenir la notion plus claire de « règles », car il s'agit bien, par analogie avec le régime disciplinaire des assemblées à l'égard de leurs membres, de fixer des règles destinées à prévenir et traiter les conflits d'intérêts susceptibles d'apparaître dans le chef des parlementaires. Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement en ce sens.

En revanche, votre commission n'a pas souhaité préciser davantage dans la loi le contenu des règles, préférant s'en remettre à l'autonomie réglementaire de chaque assemblée.

En outre, à l'initiative de notre collègue Catherine Tasca, présidente du comité de déontologie parlementaire, votre commission a adopté un amendement précisant que les règles en matière de conflits d'intérêts sont déterminées par le bureau après avis de l'organe en charge de la déontologie parlementaire, donnant ainsi une reconnaissance dans l'ordonnance du 17 novembre 1958 aux organes mis en place par les deux assemblées : le comité de déontologie parlementaire au Sénat depuis 2009 et le déontologue à l'Assemblée nationale depuis 2011.

Votre commission a adopté l'article 2 bis ainsi modifié .


* 41 Il en est ainsi pour les fonctionnaires, au terme de cet article, de « la prise, par eux-mêmes ou par personnes interposées, dans une entreprise soumise au contrôle de l'administration à laquelle ils appartiennent ou en relation avec cette dernière, d'intérêts de nature à compromettre leur indépendance ».

* 42 CC,9 août 2012, n° 2012-654 DC

* 43 Le commentaire de la décision prenait alors le soin de préciser que n'était pas en cause « la répartition entre les domaines de la loi et du règlement » mais « une atteinte portée par la loi au fonctionnement propre des pouvoirs exécutifs ».

* 44 Ces déclarations sont consultables à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/declarations_activites_interets/index.html

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