COMPTE RENDU DES AUDITIONS EN COMMISSION
(mercredi 26 juin 2013)

______

Compte rendu de l'audition de M. Jacques Beaume,
président de la conférence des procureurs généraux, procureur général près la cour d'appel de Lyon, de M. Philippe Lemaire, procureur général près la cour d'appel d'Amiens, et de M. Bernard Legras,
procureur général près la cour d'appel de Montpellier

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je tiens à remercier M. Jacques Beaume, procureur général près la cour d'appel de Lyon, président de la conférence des procureurs généraux, M. Bernard Legras, procureur général près la cour d'appel de Montpellier, membre du bureau, et M. Philippe Lemaire, procureur général près la cour d'appel d'Amiens, également membre du bureau, d'avoir répondu à l'invitation de notre commission.

M. Jacques Beaume, président de la conférence des procureurs généraux . - Je peux parler du contenu de ces textes en toute connaissance de cause, puisque j'ai moi-même été membre du parquet financier de Lyon de 1974 à 1984, à l'époque de toutes les grandes lois de prévention des difficultés des entreprises, de la réforme sur les faillites... Après cette période, nous avons assisté à une véritable dérégulation du droit pénal financier. La crise est ensuite passée par là. Aujourd'hui, le besoin d'un renforcement des sanctions contre les atteintes à la probité et aux intérêts publics se fait sentir. Dans ce domaine, les différents organismes internationaux, tels que l'OCDE, sont d'ailleurs relativement critiques à l'égard de l'arsenal de lutte contre la criminalité financière de la France. Les procureurs généraux et les procureurs de la République accueillent donc favorablement le principe d'un renforcement du droit pénal économique et financier.

Je n'entrerai pas dans les détails techniques des infractions mais je soulignerai deux points particuliers. En premier lieu, l'aggravation des qualifications avec la création de circonstances aggravantes liées à la mondialisation et aux flux de capitaux nous paraît nécessaire. Des évolutions sont intervenues depuis l'époque où les textes relatifs aux abus de biens sociaux, à la corruption ou à la fraude fiscale ont été adoptés. Plus rien ne se passe dans un cadre franco-français.

Nous sommes également favorables au renforcement des peines encourues pour ces infractions, notamment la mise en place d'amendes significatives. Celles qui existaient jusqu'à présent n'étaient pas suffisamment dissuasives par rapport au profit retiré des infractions.

Les dispositions du projet de loi vont donc dans le sens d'une plus grande protection de l'ordre public.

De même, l'utilisation en matière financière des méthodes des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) pour la criminalité organisée et le grand banditisme nous apparaît appropriée (surveillances, écoutes...), mais pour les affaires les plus importantes seulement, quand des infractions dans des circonstances aggravantes sont commises. En effet, il faut respecter le principe de proportionnalité. Les préjudices économiques et sociaux sont certes considérables, mais nous ne sommes pas ici dans le domaine de la traite des êtres humains ou du terrorisme.

En second lieu, je voudrais aborder la question de la Commission des infractions fiscales (CIF). Actuellement, elle nous saisit en dernière minute, juste avant l'expiration du délai de prescription, alors que l'administration fiscale a déjà « prédigéré » les faits. Il est difficile pour nous de reprendre l'enquête en cours car les méthodes de l'administration ne sont pas celles de la justice et le dossier nous arrive déjà construit. Nous devons en réalité recommencer le travail de notre côté. Le maintien par le texte du monopole de la commission des infractions fiscales nous apparaît être un vice de la législation.

M. Jean-Jacques Hyest . - Un vice rédhibitoire ?

M. Jacques Beaume . - Plutôt un handicap en fait. Cela va atténuer les effets positifs du texte.

La direction générale des finances publiques estime que la période durant laquelle intervient la CIF favorise les transactions.

Nous pourrions tout à fait imaginer une procédure de transaction pénale qui interviendrait pendant l'enquête. D'ailleurs, l'enquête pourrait même servir ces transactions.

Sous cette réserve, nous pensons que la loi va dans le bon sens.

Je voudrais ensuite aborder la question de l'architecture des services chargés de la lutte contre la délinquance et la criminalité financière. La modification des articles 704 et 705 du code de procédure pénale induit la suppression des pôles économiques et financiers. Seules les neuf JIRS financières seront maintenues.

Je pense que la chancellerie a tiré des conséquences quelque peu hâtives de nos propos. Lors des travaux préparatoires de ce texte, les procureurs généraux des JIRS ont été entendus. Pour leur cas particulier, ils ont fait valoir que les pôles économiques et financiers et les JIRS faisaient doublon et qu'il y avait donc une confusion des deux dans les faits.

Mais cette situation ne concerne que les ressorts dotés d'une JIRS. Nous estimons que dans tous les ressorts où il n'y a pas de JIRS, les pôles économiques et financiers ne doivent pas être supprimés. Ils ont une compétence utile pour rendre le système opérationnel. De même, lorsqu'il n'y a pas de pôle, les TGI doivent demeurer compétents.

La concentration de moyens au sein des JIRS est une bonne chose. Elle permet la spécialisation. Mais on ne peut pas se passer d'un maillage territorial de généralistes. Ils assurent un rôle de veille, de diagnostic et de traitement de premier niveau. Les JIRS ne peuvent fonctionner sans ces outils de terrain et ne pourraient d'ailleurs les suppléer. On ne peut avoir un système concentré sur neuf sites sans un maillage régional de pôles économiques et financiers.

La situation est la même en matière de terrorisme. Le parquet de Paris est compétent, mais ceux qui sont sur le terrain sont ses yeux et ses oreilles. Il faut des compétences locales d'alerte, de veille et d'expertise.

M. Philippe Lemaire, procureur général près la cour d'appel d'Amiens . - Il y a aujourd'hui trente-six cours d'appel, dont neuf JIRS. Il faudrait conserver vingt-sept pôles économiques et financiers, sur un total de 160 tribunaux de grande instance.

M. Jacques Beaume . - La justice a perdu sa compétence dans la recherche des infractions économiques, car elle a perdu beaucoup de ses sources d'information. Les chambres régionales des comptes ont longtemps considéré qu'elles étaient les juges des comptes et non les juges des personnes. Nous n'étions donc saisis d'aucune affaire ou presque. La situation commence toutefois à changer.

De même, dans le souci actuel de rationalisation et de réorganisation, les administrations financières ne sont plus présentes sur le terrain préventif et de diagnostic. Elles ne participent plus par exemple à l'ouverture des plis pour les marchés publics ; il n'y a plus de contrôles de légalité dans les préfectures sur les actes faits ; les signalements fondés sur l'article 40 du code de procédure pénale de la part des administrations financières se comptent sur les doigts d'une main dans nos parquets.

Il en résulte pour nous une déperdition des compétences pour nos enquêteurs. La gendarmerie s'est par exemple désengagée de la lutte contre les infractions financières. Les directions interrégionales de la police judiciaire, qui demeurent donc seules compétentes, sont submergées. Il arrive, dans certaines affaires, que le premier acte d'enquête n'intervienne que deux ans après la saisine. Nous sommes donc contraints de prioriser les affaires.

Je termine sur la création du procureur financier à Paris. Si l'économie générale de la loi nous paraît aller dans le bon sens, nous ne comprenons pas l'utilité du procureur de la République financier, et cela pour quatre raisons.

Premièrement, il y aura deux procureurs au sein du même tribunal : c'est une innovation certes originale, mais source de désordre important, dans la mesure on se disputera les moyens, la compétence. Il y aura toujours des dossiers qui seront entre les deux. D'autant que le procureur JIRS financier de Paris lui aussi est maintenu.

Deuxièmement, en termes d'image, au niveau de la dyarchie avec le président, le procureur perd son pouvoir. Aujourd'hui, nous avons un président et un procureur, avec une dyarchie affirmée. Cette solution est critiquable, mais elle est la clé en dehors de laquelle on fragilise le procureur. Dans la configuration proposée, le président est clairement le chef. Nous voyons difficilement comment cela peut fonctionner avec deux procureurs.

Ensuite, et ceci est un argument essentiel : nous nous battons tous depuis des années pour dire que la frontière entre crime organisé, terrorisme, grand banditisme, délinquance financière est parfois très artificielle, les uns travaillant pour les autres. Il faut assurer une cohérence dans la lutte contre ces criminalités qui se rencontrent, or avec le procureur financier, cela sera traité de manière séparée. La création du procureur financier va ainsi à l'inverse de cette logique de transversalité.

Enfin, l'organisation nationale actuelle, qui reconnaît un rôle particulier au parquet de Paris, par exemple pour le terrorisme, fonctionne très bien. Aujourd'hui, le parquet de Paris sait s'organiser pour devenir un parquet national lorsque nous avons des grandes causes nationales, et une de ses structures y est dédiée. Les grandes fonctions prioritaires de l'Etat peuvent être mobilisées par ce parquet, sans qu'on ait besoin de lui adjoindre un autre parquet, dans des conditions de liens hiérarchiques compliquées.

Nous comprenons qu'il y a une dimension d'affichage dans cette mesure, mais, nous qui intervenons sur le plan technique, nous ne comprenons pas le besoin du procureur financier, à côté du procureur de Paris. Un procureur à Paris dont l'organisation peut lui permettre de jouer le rôle d'une grande équipe nationale qui travaille sur les 15 à 20 très grandes affaires économiques et financières par an nous paraît un dispositif adapté.

En outre, l'ensemble des grands services policiers (grands office centraux de lutte contre la délinquance financière par exemple) auraient deux patrons, ce qui pose problème.

M. Bernard Legras, procureur général près la cour d'appel de Montpellier. - Je fais moi-même partie des anciens magistrats financiers, et j'ai notamment été procureur général à Bastia peu après l'assassinat du préfet Érignac. J'avais alors été chargé par le Garde des sceaux de rédiger un rapport sur la criminalité organisée en Corse.

En analysant la criminalité organisée en Corse, nous avons constaté que l'inefficacité des services de l'Etat tenait au fait qu'on avait considéré qu'il y avait différents types de criminalités bien distinctes : banditisme, terrorisme, délinquance financière. Or nous avons démontré qu'il s'agissait des mêmes individus, qui changeaient de criminalité en fonction des circonstances.

L'idée de créer un procureur financier spécifique est donc une erreur, dans la mesure où les fonds qui sont constitués par la grande délinquance financière servent à alimenter les autres formes de criminalités. Il faut au contraire renforcer la solidarité entre les structures s'occupant de ces formes de criminalités sous l'autorité d'un procureur qui a une compétence nationale.

Pour le reste, j'ai beaucoup travaillé récemment avec l'OCDE sur l'évaluation du système français de lutte contre la corruption. Le rapport rendu en octobre 2012 était dur mais juste : il a mis le doigt sur la faiblesse de la répression en France en matière de corruption, notamment s'agissant de la corruption d'agents étrangers.

L'architecture proposée par le texte est conforme aux orientations de l'OCDE et va dans le bon sens. La grande faiblesse est ce système de plainte préalable de l'administration fiscale, après avis conforme de la commission des infractions fiscales, s'agissant de la répression de la fraude fiscale.

Depuis longtemps, nous nous battons à l'international pour que la fraude fiscale soit un délit de droit commun. Un certain nombre d'Etats nous ont refusé pendant des années toute coopération car la fraude fiscale était considérée comme un délit à part. Nous avons progressivement avancé sur ce terrain et obtenu une véritable coopération internationale et cohérente en matière de fraude fiscale. Alors pourquoi maintenir cette spécificité au niveau national qui continue à faire de la fraude fiscale un délit à part, un délit face auquel le procureur de la République n'a pas l'opportunité des poursuites ? C'est à mon avis une faiblesse dans le dispositif proposé.

Nous entendons l'argument de Bercy sur ce point : chaque année, la transaction permet de réintégrer 5 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat. Si on donne la main au ministère public, l'administration fiscale risque de perdre une partie de cette manne financière. Mais on peut très bien imaginer le maintien d'un droit de transaction par l'administration sous le contrôle du ministère public. Nous devons pouvoir dépasser ce blocage.

Parallèlement, les plaintes pour fraude fiscale sont rares, et elles interviennent souvent à une date proche de la prescription, et obligent le ministère public à reprendre quasiment toute l'enquête. Les affaires sont donc jugées 4, 5 et 6 ans après la commission des faits. On pourrait imaginer que l'administration fiscale, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, signale au procureur de la République les faits susceptibles de recevoir une autre qualification... Mais l'administration fiscale ne le fait pas, parce qu'elle craint que le juge perturbe ses procédures.

On constate que l'administration ne transmet à Paris que des procédures très cadrées, en état pratiquement d'être jugées. Ce qui fait que les autres infractions, qui peuvent être dissimulés par la fraude fiscale, échappent au procureur.

Concernant la corruption dans les administrations déconcentrées, le constat est aujourd'hui celui d'une situation loin d'être satisfaisante. Je pense notamment à des dossiers récents dans l'administration pénitentiaire, aux douanes... Or ces administrations se doivent d'être exemplaires, il faut que nous continuions à exercer une veille déontologique sur ces dernières.

M. Philippe Lemaire, procureur général à Amiens . - Je suis également un ancien magistrat financier, et suis actuellement un procureur général « infra-JIRS ».

Je voudrais insister sur deux points en particulier.

Sur le maillage territorial, je rappelle que nous avons 37 cours d'appel dont 9 JIRS. Nous voulons maintenir les 28 pôles infra-JIRS, car il faut conserver un maillage territorial de veille sur un certain nombre d'infractions dont la quasi-totalité ne concerneront pas des affaires complexes. Les pôles infra-JIRS permettent de maintenir une certaine spécialisation. Et si on veut se réapproprier la matière, il faut maintenir des perspectives de carrière dans cette spécialité, assurer notamment la formation des magistrats et leur permettre d'évoluer au sein de cette spécialité.

Concernant le procureur de la République financier, la communauté du ministère public ne comprend pas la logique de sa création. La primauté du parquet de Paris sur ces questions de grande cause nationale, je pense évidemment au terrorisme, est intégrée dans nos pratiques professionnelles. L'existence à Paris d'une section chargée des grandes affaires de corruption et de fraude fiscale ne posera aucun problème. Avec le procureur financier, nous ne voyons pas comment les choses pourront fonctionner de manière fluide.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Messieurs les procureurs généraux, je vous remercie pour l'exhaustivité de vos propos.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Ceux-ci recoupent en effet les réflexions que nous avons déjà entendues depuis le début de nos auditions. Tout le monde semble s'opposer au maintien du « verrou de Bercy », sauf l'administration fiscale qui en bénéficie ! Vos arguments me paraissent assez convaincants.

Si on crée un procureur financier, il faut lui donner l'appréciation de l'opportunité des poursuites en matière fiscale. Pour le reste, je m'interroge sur l'articulation entre le procureur financier, les pôles économiques et financiers régionaux et les parquets des tribunaux de grande instance.

Votre interpellation sur un renforcement des JIRS sans suppression des pôles existants est une préoccupation partagée. Je crois qu'elle pourrait l'être également par le ministère de la Justice. L'exemple de Bastia montre ce qui marche bien. Pourquoi devrait-on le supprimer ? L'efficacité dépend probablement d'un retour au droit commun.

M. François Zocchetto . - Je vous remercie à mon tour pour la clarté de vos interventions, qui va faciliter notre tâche et en particulier celle de nos rapporteurs. La difficulté en matière fiscale d'avoir une enquête au pénal et une enquête administrative devrait nous conduire à revoir l'organisation des corps d'enquête. Le système italien nous montre l'exemple d'une intégration réussie de ces corps d'enquête dans l'organisation judiciaire, sans que cela nuise à l'efficacité des enquêtes. Certes, les services de Bercy sont efficaces, mais on constate une déperdition due à l'absence de poursuites judiciaires. La question du rattachement à l'ordre judiciaire se pose donc.

M. Jean-Jacques Hyest . - Je ne voterai jamais ce texte ! On ne peut pas diviser le parquet. On doit conserver un parquet qui comporte des sections, et certaines affaires doivent continuer à être traitées au niveau local, c'est une question de niveau.

Concernant le monopole de Bercy, je pense qu'il faut permettre que des poursuites soient engagées par le parquet tout en conservant la possibilité de réaliser des transactions dans certains cas. C'est donc une question d'articulation entre l'administration fiscale et le parquet que l'on doit régler, si on supprime la commission des infractions fiscales.

Il faut rappeler que c'est Bercy qui dispose des informations nécessaires aux poursuites et que les transactions peuvent être très efficaces et rentables pour l'État.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Je tiens à préciser que la solution n'est peut-être pas aussi compliquée : la matière douanière nous montre l'exemple d'un système de transactions pénales qui fonctionne très bien.

M. Jacques Beaume . - On a en effet réussi l'opération en matière douanière ou de droit de la consommation par exemple, et le mécanisme est efficacement utilisé par les parquets. On pourrait imaginer un dispositif similaire en matière fiscale.

M. Bernard Legras . - Nous avons aujourd'hui un problème d'absence d'efficacité, souligné par nos partenaires européens. Nous nous sommes privés des moyens d'enquêtes nécessaires et nous en payons les conséquences !

La commission européenne va déposer un paquet de propositions sur le parquet européen, qui, dans un premier temps, sera spécialisé dans les atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne. On peut cependant espérer qu'il arrive sur le terrain de la grande criminalité financière transfrontalière par la suite, et l'on voit bien les difficultés que cela poserait avec le système, trop compliqué, qui nous est proposé. On le constate déjà en matière de condamnations pour corruption d'agents publics étrangers.

M. François Zocchetto . - Pouvez-vous nous préciser de quoi il s'agit ?

M. Bernard Legras . - Il s'agit d'une infraction désormais réprimée par notre droit, sous l'impulsion du droit international.

M. Jean-Jacques Hyest . - Cela concerne le versement de commissions !

M. Bernard Legras . - Le G8 et le G20 ont décidé de faire de la lutte contre ce phénomène une priorité. Or, nous n'avons eu que trois condamnations en France ! Nos partenaires nous interpellent sur notre insuffisance en la matière.

M. Philippe Lemaire . - Nous sommes très favorables à ce projet de loi, en ce qu'il doit permettre de moderniser le droit de la lutte contre les grandes fraudes. En revanche, concernant le procureur financier, nous estimons qu'il ne faut pas laisser passer l'occasion de simplifier le système !

Compte rendu de l'audition de M. François Molins,
procureur de la République de Paris, M. Jacques Carrère,
procureur de la République adjoint,
et M. Michel Maes, vice-procureur,
chef de la section des affaires financières
au Tribunal de grande instance de Paris

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous avons le plaisir d'accueillir MM. François Molins, procureur de la République de Paris, Jacques Carrère, procureur de la République adjoint, chargé de la deuxième division du parquet, suivant plus spécifiquement les affaires financières et commerciales, et Michel Maes, vice-procureur, chef de la section des affaires financières.

Nous souhaitons recueillir vos observations sur les deux textes qui nous sont soumis, et plus particulièrement sur la création du procureur financier. Comment les missions de ce dernier s'articuleront-elles avec celles que vous assumez ? En d'autres termes, quelle est son utilité ?

M. François Molins, procureur de la République . - Je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir bien voulu m'entendre sur ce projet de loi qui suscite un certain nombre d'observations de ma part, puisque Paris est le plus concerné tant au sens de l'organisation judiciaire que du nombre de procédures suivies.

La JIRS de Paris a su mener à son terme des procédures financières très complexes mais elle a eu moins de réussite en matière de crimes organisés. Cela tient à l'insuffisance des moyens en magistrats et surtout en enquêteurs de police spécialisés, dont la réduction s'est amorcée au début des années 1990.

Plusieurs dispositions du projet de loi vont cependant incontestablement dans le bon sens : citons le renforcement des moyens d'enquête ainsi que ceux de la police fiscale et du régime des saisies et confiscations, l'élargissement du cadre procédural de lutte contre la fraude en permettant, pour certaines infractions, le recours aux techniques spéciales d'enquêtes applicables en matière de criminalité organisée, l'ouverture aux associations de lutte contre la corruption de la faculté d'exercer les droits reconnus à la partie civile ainsi que l'instauration d'une protection des lanceurs d'alerte.

Il faut, en revanche, déverrouiller les circuits d'information qui représentent le fond du problème. Je regrette qu'il n'y ait aucune disposition sur le champ d'application de l'article 40 du code de procédure pénale et à la sanction pénale du non-signalement. De même, rien n'est proposé sur le « verrou de Bercy ». La fraude fiscale, à la différence d'autres délits, ne peut toujours être poursuivie d'office par le procureur de la République, qui ne peut mettre en mouvement l'action publique que si l'administration fiscale a préalablement déposé une plainte. Or, l'administration continue en la matière d'appliquer, non pas le principe de légalité, mais celui d'opportunité car c'est Bercy qui décide ce qui est renvoyé à la CIF.

Le texte est également positif car il remet de l'ordre dans les pôles économiques et financiers. La suppression de ces pôles et le transfert de leurs compétences aux JIRS s'inscrivent dans une démarche de simplification et de lisibilité. Dès lors, le seul critère pertinent et opérationnel de la JIRS financière resterait celui de grande complexité.

En revanche, en droit comparé, en dehors des systèmes fédéraux comme l'Allemagne ou à forte autonomie comme l'Espagne, il n'existe un procureur spécialisé dans la corruption que dans les pays dans lesquels les procureurs locaux sont soit corrompus, soit incapables de faire leur travail correctement. Dans le projet de loi, le procureur financier se verrait attribuer une compétence nationale exclusive qui est déjà celle du parquet de Paris pour certaines infractions boursières. Je m'interroge sur la cohérence du dessaisissement du parquet de Paris portant sur un contentieux qui ne se rattache pas, à l'évidence, aux atteintes à la probité, ni à la fraude fiscale, mais vise un tout autre objectif : celui d'assurer la transparence et le bon fonctionnement des marchés financiers. J'observe que la section financière du parquet de Paris est habituée au traitement de ce contentieux particulièrement technique, pour lequel elle entretient des liens réguliers et de bonne qualité avec l'autorité des marchés financiers. Il est parfaitement identifié dans ce rôle et reconnu comme un partenaire sérieux.

Le suivi de ces affaires par le parquet de Paris est cohérent puisque c'est lui qui représente le ministère public devant le tribunal de commerce de Paris, parfois saisi du volet commercial de ces mêmes affaires. Actuellement, une instruction est en cours à Paris à la suite de la plainte d'Hermès contre LVMH. Le tribunal de commerce de Paris est quant à lui saisi d'une assignation d'Hermès visant à faire annuler les « équity swaps » qui ont permis cette augmentation de participation dans le capital. Peut-on imaginer deux parquets, celui de Paris et le procureur national, qui interviendraient simultanément sur une même affaire ? Cela me paraît difficilement compréhensible.

Je souhaiterais formuler quatre remarques. Tout d'abord, la création du procureur financier traduit une méconnaissance de la réalité des mécanismes de corruption qui reposent sur la nécessité d'une approche globale et non sectorisée. Peu de magistrats sont à ce jour réellement spécialisés en matière économique et financière. A Paris, un procureur adjoint spécialisé et huit magistrats du parquet consacrent la totalité de leur temps au traitement des affaires financières. En ce qui concerne le parquet, la logique du projet ne peut reposer sur la recherche d'une plus grande indépendance du procureur financier puisque les garanties statutaires prévues pour celui-ci sont strictement identiques à celles dont bénéficie le procureur de la République de Paris, à savoir un avocat général à la Cour de cassation nommé pour au plus sept ans. La logique du projet ne pourrait donc résider que dans la recherche d'une plus grande spécialisation du ministère public. Or, par rapport aux magistrats de la section financière du parquet de Paris, la nouvelle architecture ne spécialisera pas davantage le ministère public puisque 80 % des affaires qui relèveraient du parquet financier sont actuellement traitées par le parquet de Paris.

En outre, s'il s'agit vraiment de spécialiser, je vois mal pourquoi le projet s'arrête au parquet et ne couvre pas l'ensemble de la chaîne pénale, l'exigence de spécialisation ne pouvant qu'être la même sur l'ensemble de la chaîne pénale et viser tant les magistrats du parquet que ceux de l'instruction et ceux des juridictions de jugement. Le parquet de Paris représente un schéma unique en Europe mais l'intégration de toutes les compétences au sein du même parquet permet d'avoir une vision globale des phénomènes de criminalité, particulièrement en matière économique et financière, et de criminalité organisée, ce qui garantit une réelle cohérence dans le traitement de ces dossiers.

Une vision globale, puisque l'architecture actuelle permet une meilleure lecture des problèmes. Mettre l'accent sur les seules infractions d'atteinte à la probité des décideurs publics, comme le fait le projet, revient à méconnaître le fait que ces délits s'inscrivent très souvent dans un processus complexe auquel participent d'autres catégories de délits, au premier rang desquelles figurent les délits d'abus de biens sociaux. Les infractions que le projet veut confier au procureur national sont, dans un très grand nombre de cas, révélés par des enquêtes qui portent sur les infractions qui ne relèvent pas de sa compétence.

En effet, c'est à l'occasion d'enquêtes distinctes que sont le plus souvent découverts des faits de corruption ou de prise illégale d'intérêts. Une fraude fiscale est le plus souvent associée à des faits de détournement, de travail dissimulé ou d'infraction des droits des sociétés. Cette réalité signifie d'abord que le procureur financier national ne sera pas maître des enquêtes révélant les infractions qu'il sera chargé de poursuivre. Ensuite, lorsque le parquet national sera en mesure de faire valoir sa compétence, il se trouvera en présence de stratégies d'enquêtes qui auront déjà été faites par les parquets locaux, choix qui n'auraient peut-être pas été les siens. Sur ce point, l'histoire judiciaire démontre que les JIRS sont toujours plus réticentes à se saisir d'affaires déjà traitées au niveau d'une juridiction locale.

On constate une hybridation de la grande criminalité qui se manifeste par un phénomène d'interpénétration entre le milieu du grand banditisme et la délinquance en col blanc. Le banditisme a le plus souvent recours aux compétences des financiers et à des réseaux structurés de blanchiment. Cela montre tout l'intérêt d'avoir, au sein du même parquet, une plénitude de compétences pour les affaires les plus complexes. Ces problématiques ne peuvent être traitées de façon efficace que par une vision complète et exhaustive intégrant, par une compétence générale d'attribution au sein du même parquet, l'ensemble des compétences.

Le bilan des JIRS établi en 2010 par l'inspection générale des services judiciaires soulignait que l'efficacité des réponses apportées par ces structures en matière de criminalité organisée et de délinquance économique et financière repose notamment sur une compétence d'attribution très large et non cloisonnée. Le présent projet de loi s'inscrit donc à contrecourant de cette approche.

Ma troisième observation est la crainte d'un alourdissement du traitement des contentieux puisque le critère de saisine du procureur financier serait la grande complexité en raison notamment du grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes, ou du ressort géographique sur lesquels ils s'étendent. Sous le régime actuel, la définition de la différence entre la très grande complexité et la grande complexité est parfois source de difficulté. Il va sans dire qu'il en ira a fortiori de même en ce qui concerne la distinction entre la grande complexité JIRS et la grande complexité relevant de la compétence du procureur financier. Les dysfonctionnements pourraient ainsi résulter de ces lourdeurs procédurales, ainsi qu'un risque fort de déperdition d'informations, alors même que l'efficacité commande une circulation rapide de celles-ci entre les différents intervenants et que l'urgence des investigations commande une décision très rapide sur la saisine du bon parquet et, parfois, une décision très rapide sur la saisine du service de police.

Enfin, le projet de loi introduit dans l'organisation un acteur supplémentaire et crée ainsi de nouvelles sources de conflits de compétences sans véritable moyen de les résoudre. La compétence concurrente en cette matière ne saurait être comparée à la matière terroriste. Dès que le caractère terroriste apparaît, personne ne songe à contester la compétence du parquet de Paris. Il en va différemment en matière financière où il existe aujourd'hui une réelle compétence dans les JIRS. Les parquets JIRS veulent garder les affaires quand ils estiment avoir les compétences pour les traiter. Il existe donc aujourd'hui déjà des difficultés se traduisant par des conflits de compétences, soit entre parquets JIRS ou entre parquets JIRS et parquets non JIRS. Au total, il est permis de s'interroger sur la cohérence et l'efficacité d'un projet qui ne repose pas sur une analyse pertinente des réponses susceptibles d'être apportées à une délinquance technique, mouvante et particulièrement habile.

Aucun magistrat n'a soutenu l'idée d'un procureur financier dans ces conditions. Ce dont nous avons besoin pour être plus efficaces, c'est davantage d'enquêteurs et surtout de modes d'arbitrage efficaces pour trancher les conflits de compétences. Nous n'en avons pas aujourd'hui et le projet de loi n'en prévoit pas.

Enfin, le projet ruine l'unité du ministère public à la française et l'équilibre de la dyarchie au sein de la juridiction parisienne. Le projet prévoit que le futur procureur financier serait rattaché au tribunal de grande instance de Paris qui est déjà doté d'un ministère public. Ce schéma ne correspond à aucun des schémas auxquels obéit notre organisation judiciaire. Il y aurait donc deux parquets près la même juridiction. Je rappelle qu'à l'instar des autres juridictions, l'administration et la gestion du tribunal de grande instance de Paris sont assurées par une dyarchie constituée du président du tribunal et du procureur de la République. Le fonctionnement harmonieux de cette dyarchie est essentiel pour le bon fonctionnement d'une juridiction. Il est fondé sur un subtil équilibre et repose sur une égalité de pouvoirs entre les deux chefs de juridiction qui permet de dégager de vraies synergies qui se traduisent par la conduite de politiques de juridiction engageant le siège et le parquet.

Introduire dans une juridiction un second procureur revient de fait à anéantir cette égalité puisque le président de la juridiction aurait pour le siège l'ensemble des pouvoirs de gestion et d'administration alors que ceux-ci seraient divisés pour le parquet entre deux procureurs en fonction de leurs compétences. Cela placera le ministère public dans une situation d'infériorité et rendra plus difficile l'administration et la gestion du tribunal.

Dans ce nouveau schéma en matière d'audiencement des affaires pénales, le président du tribunal aurait donc deux procureurs qui auraient des intérêts parfois opposés et avec lesquels il devrait négocier. Ainsi, ce projet pourrait conduire à de gros risques sur la fixation des pouvoirs respectifs des chefs de juridiction.

À côté de la réponse apportée par le projet de loi, deux autres solutions étaient possibles. La première : élargir la compétence de la JIRS de Paris à une compétence nationale pour les affaires de fraude fiscale et de corruption ou pour celles relevant de la compétence de deux JIRS au moins, ce qui, dans un contexte budgétaire difficile, aurait été à la fois moins coûteux, plus simple et plus rapide à mettre en oeuvre - l'étude d'impact ne motive d'ailleurs nullement la mise à l'écart de cette solution. La seconde aurait consisté en un projet plus ambitieux selon le modèle espagnol d'une juridiction spécialisée, mais cela aurait nécessité une réflexion de plus grande ampleur sur le statut du ministère public.

À défaut de juridiction dédiée, pour donner satisfaction au souhait exprimé par le Président de la République, il pourrait être imaginé de renforcer les moyens des huit JIRS existantes et d'inscrire dans la loi le principe de la spécialisation de certains magistrats en matière financière.

Je souhaiterais, pour finir, exprimer une crainte personnelle : que l'institution de ce procureur financier, qui présente plus d'inconvénients que d'avantages, soit, dans le meilleur des cas, inefficace, et, dans le pire, contre-productif.

M. Jean-Jacques Hyest . - Il y a unité du parquet sur ce sujet !

M. Alain Anziani , rapporteur . - Je constate donc qu'en dépit de ce que vous venez d'indiquer sur le procureur financier, vous êtes tout de même favorable à certains aspects de ce projet de loi !

Concernant le « verrou » de Bercy, je suis favorable à ce que nous réfléchissions à la façon de faire évoluer le texte sur ce point afin de le rapprocher du droit commun.

J'ai entendu vos observations de principe au sujet du procureur financier. Toutefois, il existe déjà des compétences concurrentes entre les JIRS et entre les JIRS et les pôles et la question de la régulation n'est donc pas nouvelle. Il est vrai qu'elle peut prendre une autre dimension. C'est une inquiétude que nous partageons.

Je souhaiterais maintenant connaître votre sentiment concernant l'équilibre général entre les nécessités de la lutte contre la fraude fiscale et la garantie des droits fondamentaux. Les objections les plus fréquemment soulevées sont au nombre de trois.

La première concerne le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment figurant à l'article 2 bis. Cela constituerait une nouveauté en droit français qui a été introduite par un amendement de M. Dupont-Aignan adopté à une confortable majorité malgré les avis défavorables du rapporteur et de la ministre.

La deuxième est l'utilisation des preuves obtenues de manière illicite transmises sous couvert de l'autorité judiciaire. J'ai noté l'inquiétude du Conseil national des barreaux à ce sujet.

La troisième tient à la possibilité de prolongation de la garde-à-vue jusqu'à quatre jours en matière de fraude fiscale aggravée. Des universitaires se demandent si cette prolongation est réellement nécessaire, sachant que la garde-à-vue n'intervient souvent qu'à la fin de l'enquête.

Je pourrais encore citer d'autres éléments comme les circonstances aggravantes pour le délit de fraude fiscale, cependant je m'en tiens pour le moment à ces trois questions.

Mme Virginie Klès , rapporteur du projet de loi organique . - Je souhaitais seulement vous signaler que j'envisage de faire évoluer l'article 2 du projet de loi organique.

M. Jean-Jacques Hyest . - Je constate une différence d'appréciation entre les procureurs généraux et vous-même concernant les pôles économiques et financiers et les JIRS. Les procureurs généraux estiment être en mesure de traiter certaines affaires sans avoir recours aux JIRS, le renvoi à une juridiction spécialisée n'étant nécessaire que dans le cas d'affaires complexes. On dresse un parallèle avec le terrorisme du fait de l'existence d'une concurrence de compétences, mais c'est en fait très différent, les juridictions en matière de terrorisme trouvant souvent satisfaction dans le dépaysement de certaines affaires. En l'occurrence, seules certaines affaires justifient d'être traitées de manière centralisée du fait de leur complexité, c'est pourquoi la concurrence entre juridictions est souvent plus compliquée à arbitrer. Cependant, si on décide la spécialisation d'une juridiction nationale - procureur national spécial ou pas -, il faudra tout de même prévoir une forme d'arbitrage.

M. Nicolas Alfonsi . - Vous avez évoqué les dysfonctionnements qui pourraient survenir dans les juridictions du fait du bouleversement de la dyarchie traditionnelle. N'y aurait-il pas moyen de permettre la spécialisation sans ce bouleversement ?

M. François Molins. - Il aurait en effet été également concevable d'instituer un procureur financier, conformément à l'engagement du Président de la République, mais intégré au sein du parquet de Paris.

Nous ne disposons pas actuellement de solution d'arbitrage en cas de conflit, nous en aurons encore moins à l'avenir avec l'arrivée d'un acteur supplémentaire. Dans les faits, que se passe-t-il quand il y a un « millefeuille » de compétences ? Qui choisit ? - La police. Cela ne correspond pas à l'image que je me fais du bon fonctionnement de la justice.

Sur le volet blanchiment, on ne peut avoir une approche réductrice calquée uniquement sur les conséquences de l'arrêt Talmon . Lorsqu'il y a des présomptions de blanchiment, cet arrêt permet tout de même d'agir. En l'absence de telles présomptions en revanche, la lutte contre la fraude fiscale passe nécessairement par Bercy.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Si vous le permettez, pourquoi la loi ne pourrait-elle prendre acte de ce que permet l'arrêt Talmon ?

M. François Molins . - Ne pourrait-on concevoir un système préservant le « verrou » de Bercy mais autorisant le procureur à saisir la Commission des infractions fiscales pour avis préalable au déclenchement d'une enquête ? Dans des cas extrêmes, des cas d'école comme l'affaire Cahuzac, cela permettrait au parquet d'agir, quitte à ce qu'il soit lié par l'avis de la CIF.

Sur l'article 2 bis , je crains qu'il n'y ait confusion entre deux infractions différentes : le blanchiment, qui consiste à « blanchir » des fonds provenant d'une infraction et pour lequel le plus difficile n'est pas d'apporter la preuve du caractère illicite des fonds mais de démontrer l'existence d'actes positifs de blanchiment, et la non justification des ressources, qui permet de réprimer des personnes en relations fréquentes avec la criminalité organisée.

M. Jacques Carrère, procureur de la République adjoint . - Pour en revenir à cette question des preuves obtenues de manière illicite, je pense que la proposition telle qu'elle figure dans le projet de loi a le mérite de mettre fin à une incertitude née de la jurisprudence de la Cour de Cassation. Dès lors qu'elle pose des garanties, comme le passage par la justice, je pense qu'on peut l'admettre.

M. Michel Maes, vice-procureur, chef de la section des affaires financières . - Pour compléter ce qui vient d'être dit : il est vrai que l'origine illicite s'inscrit aussi dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui permet justement d'utiliser ce type de renseignement dès lors que la validité effective des renseignements obtenus de cette manière est vérifiée et que le tout est soumis au contradictoire, donc devant une juridiction. Cela permettra de lever certaines hypothèques. Mais on est dans le droit fil de la jurisprudence de la chambre criminelle.

Sur les procédures : la durée de 96 heures est-elle justifiée en matière de fraude fiscale aggravée ? L'expérience le dira, mais j'ai le sentiment que dans les affaires actuellement traitées, ce n'est pas vraiment indispensable. Je relève que le parquet de Paris suit plus de la moitié des plaintes déposées au niveau national de ce type-là. On a suivi un peu la montée en puissance et la création de ces procédures. La spécificité des procédures fiscales est aussi que tout ce qui est fait en amont par les services fiscaux est de grande qualité. Peut-être que les 96 heures joueront dans les cas plus compliqués, ceux avec montages financiers complexes notamment.

M. Alain Anziani , rapporteur . - J'attire votre attention sur la réforme de la prescription prévue à l'article 9 quater. D'une part, elle étend la prescription pour tous les délits à compter de la connaissance de l'infraction, aujourd'hui admise pour les seuls abus de confiance. D'autre part, étrangement, elle ne concerne pas les infractions les plus graves, c'est-à-dire les crimes.

M. François Molins . - Il y a deux grosses affaires aujourd'hui devant le tribunal de commerce, les volets commerciaux de dossiers pénaux : le volet « Tapie » et le volet « LVMH/Hermès ».

Sur la prescription : en tant que praticien, je vois un intérêt à toucher à la prescription pour une infraction. Le débat est peut-être plus politique que juridique. Cela ouvrirait des débats extrêmement dangereux.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Ne vaut-il mieux pas en rester à la jurisprudence de la Cour de cassation ?

M. Jean-Jacques Hyest . - Oui.

M. François Molins . - Repousser le point de départ de la prescription au jour où les faits ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique peut avoir un intérêt en matière de corruption. Aujourd'hui, la prescription dans cette matière est décomptée à partir du dernier versement. Or, on peut se trouver dans des problématiques où des gens ont perçu des subsides assez importants, continuent à en profiter pendant des durées assez longues quand le dernier versement a été réalisé dans des conditions tellement opacifiées qu'on n'a pas pu le constater, on n'a pas pu poursuivre. La modification proposée permettrait d'être beaucoup plus efficace.

M. Jean-Jacques Hyest . - C'est très important. Ceci met tout l'équilibre juridique par terre.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je vous remercie, messieurs, d'avoir parlé au nom du parquet de Paris avec beaucoup de franchise.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page