N° 775

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 juillet 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , relative au fonctionnement des réseaux de soins créés par les mutuelles et aux modalités de mise en oeuvre des conventions conclues entre les organismes de protection sociale complémentaire et les professionnels de santé ,

Par M. Yves DAUDIGNY,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Claude Domeizel, Mme Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

296 , 424 et T.A. 51

Sénat :

172 et 776 (2012-2013)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Que de bruit et de fureur déchainés contre la proposition de loi relative aux réseaux de soins adoptée par l'Assemblée nationale en novembre 2012 ! Alors même que ces réseaux existent depuis une dizaine d'années, ce texte serait-il tout à la fois « la première marche vers un système de soins à l'américaine », « une rupture du pacte de protection sociale » et la manifestation de « changements radicaux [pour] notre système de soin s » ?

Comment imaginer une seconde que votre rapporteur puisse défendre, un tant soit peu, un quelconque projet qui se rapprocherait d'un système d'assurances privées à l'américaine, où le patient ne peut pas choisir son praticien ou son hôpital et subit des restes à charge très élevés, et qui constitue en définitive l'un des plus coûteux au monde ?

Ces bruits et ces fureurs doivent naturellement être entendus mais ils font d'abord écho à une appréhension plus globale de l'avenir. Nous devons revenir à la substance du texte proposé et aux réalités que vivent tous les jours nos concitoyens, dans l'objectif de lutter ensemble pour constamment améliorer leur accès aux soins.

Cette proposition de loi résulte d'un parcours législatif ancien, il est vrai chaotique : des dispositions relatives aux réseaux de soins, assez limitées en termes d'encadrement, avaient été adoptées en 2011 lors de l'examen de la proposition de loi qui avait été déposée par notre ancien collègue Jean-Pierre Fourcade, mais le Conseil constitutionnel avait estimé qu'elles constituaient un cavalier car n'ayant pas de lien, même indirect, avec la proposition de loi initiale.

Or, il y a urgence : la Cour de cassation a jugé qu'en l'état actuel des textes, les mutuelles ne pouvaient pas moduler les prestations qu'elles versent à leurs assurés selon qu'ils consultent ou non un professionnel avec lequel elles ont signé une convention. Or aucune limitation de ce type ne s'applique aux sociétés d'assurance et aux institutions de prévoyance, ce qui crée une rupture d'égalité entre les trois familles d'organismes complémentaires, au moment où l'objectif d'une généralisation des complémentaires santé de qualité a été affirmé par le Président de la République et où la concurrence entre organismes est vive.

Mais au-delà de l'urgence, cette proposition de loi fixe les principes que devront à l'avenir respecter l'ensemble des conventions conclues entre tout organisme complémentaire, quelle que soit sa nature, et les professionnels, établissements et services de santé. Tel est au fond l'intérêt principal de ce texte, voué aux gémonies par certains professionnels de santé, alors qu'il tend à diminuer les restes à charge des patients dans trois domaines où ils sont élevés : l'optique, les soins dentaires et l'audioprothèse.

Votre rapporteur estime qu'il serait irresponsable et illégitime de ne laisser aucune capacité d'action aux organismes complémentaires dans la gestion des contrats qui aboutissent à un montant total de dépenses de l'ordre de 26 milliards d'euros. C'est pourquoi il soutient cette proposition de loi et a proposé à la commission, qui l'a accepté, de mieux encadrer encore le fonctionnement des réseaux de soins.

I. POURQUOI LES ORGANISMES COMPLÉMENTAIRES ONT-ILS DÉVELOPPÉ DES RÉSEAUX DE SOINS À PARTIR DES ANNÉES 1990 ?

A. LES ORGANISMES D'ASSURANCE MALADIE COMPLÉMENTAIRE PRENNENT EN CHARGE 26,1 MILLIARDS D'EUROS, SOIT 13,7 % DES DÉPENSES DE SANTÉ

1. Du ticket modérateur de 20 % inscrit dans les ordonnances de 1945 créant la sécurité sociale au développement des organismes complémentaires

L'article 24 de l'ordonnance n° 45-2454 du 19 octobre 1945 relative au régime des assurances sociales applicable aux assurés des professions non agricoles prévoit que « la participation de l'assuré aux tarifs prévus aux articles 10, 11, 14, 16, 18 et 19 ci-dessus est fixée à 20 p. 100 ». Le principe d'une participation de l'assuré aux frais de santé est donc posé dès la création de la sécurité sociale après la Seconde Guerre mondiale : c'est ce « ticket modérateur » qui explique le développement des organismes complémentaires d'assurance maladie (Ocam), chargés de couvrir tout ou partie de ce reste à charge.

Après une période de montée en charge jusqu'au début des années 1980, la part des dépenses prises en charge par les régimes de base d'assurance maladie s'est légèrement réduite dans les années 80, stabilisée dans les années 90 puis à nouveau légèrement réduite à partir du milieu des années 2000. En contrepartie, la part des régimes complémentaires et celle des ménages se sont accrues : entre 2000 et 2011, la part des organismes complémentaires dans les dépenses de santé a crû sensiblement, passant de 12,4 % à 13,7 %.

En 2011, l'assurance maladie prend toujours en charge 75,5 % de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) 1 ( * ) en France, les autres acteurs publics (Etat, fonds CMU et collectivités territoriales) en représentant 1,2 %. Le reste à charge des ménages (23,3 % au total) est partiellement mutualisé grâce aux organismes complémentaires qui financent 13,7 % des dépenses de santé .

Financement par la sécurité sociale
de la consommation de soins et biens médicaux (CSBM)

Source : Drees, comptes de la santé 2011

Aujourd'hui, près de 95 % de la population est couvert par une assurance complémentaire (y compris CMU-c et ACS). Cette part a beaucoup progressé au cours des trente dernières années : elle n'était en effet que de 69 % en 1980. La CMU-c a notamment permis un élargissement sensible de la couverture complémentaire au début des années 2000.

1980

1990

2000

2010

Part de la population couverte par une assurance complémentaire

69 %

83 %

90,7 %

94,7 %

- dont CMU-c

-

-

5,0 %

5,2 %

- dont autres couvertures

69 %

83 %

85,7 %

89,5 %

Source : Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes)

La logique de tarification se distingue radicalement de celle de l'assurance maladie obligatoire . Elle met en place des cotisations forfaitaires ne variant pas avec le revenu (alors que la cotisation des régimes de base est fonction des revenus). Elle prend le plus souvent en compte l'âge (à la différence des régimes de base). Elle varie avec le nombre de personnes protégées (alors que la cotisation des régimes de base en est indépendante).

Trois types d'acteurs économiques opèrent sur le marché de la complémentaire santé :

- les sociétés d'assurance, à but lucratif ;

- les mutuelles, personnes de droit privé à but non lucratif dont les structures de gouvernance sont élues par les sociétaires ;

- les institutions de prévoyance, également personnes morales de droit privé à but non lucratif mais gérés paritairement par des représentants des employeurs et des salariés.

Sur les 495 organismes exerçant une activité de complémentaire santé et recensés par l'Autorité de contrôle prudentiel, 360 sont des mutuelles, 106 des sociétés d'assurance et 29 des institutions de prévoyance. Le secteur mutualiste connait, depuis une dizaine d'années, un mouvement de concentration important mais demeure morcelé.

Tous types d'opérateurs confondus, 56 % des bénéficiaires d'une couverture complémentaire s'assurent à titre individuel et 44 % profitent d'une garantie collective via leur employeur. Les mutuelles sont plus présentes sur le marché de l'individuel, couvrent une population relativement âgée et 91 % de leur chiffre d'affaires est issu de l'activité santé. En revanche, l'activité santé des sociétés d'assurance ne représente qu'une faible part de leur activité totale (14 % pour les sociétés qui ne distribuent pas d'assurance-vie et 6 % pour les sociétés dites mixtes, couvrant à la fois vie et non-vie). Les institutions de prévoyance, qui représentent un peu plus de 20 % des bénéficiaires d'une complémentaire santé, sont quasiment absentes du marché individuel mais sont le premier acteur du marché collectif et la moitié de leur chiffre d'affaires est générée par l'activité santé.

Les mutuelles, les sociétés d'assurances et les institutions de prévoyance représentent respectivement 55 %, 27 % et 18 % de la part de l'assurance maladie complémentaire dans le financement de la consommation de soins et de biens médicaux en 2011.

Répartition de la couverture complémentaire santé
par type d'organisme

(en % du nombre de bénéficiaires)

Individuel

Collectif

Total

Mutuelles

70 %

39 %

56 %

Institutions de prévoyance

4 %

41 %

20 %

Assurances

26 %

20 %

24 %

Source : Drees

2. Les dépenses des organismes complémentaires pour les « autres » biens médicaux (optique, prothèses, petit matériel et pansements) ont quasiment triplé en dix ans

Au total, les prestations versées par ces organismes se sont élevées à 26,1 milliards d'euros en 2011 2 ( * ) , dont 24,6 milliards inclus dans la consommation de soins et de biens médicaux et 1,5 milliard de prestations comptabilisées hors de la CSBM (en particulier 1,1 milliard pour des frais hospitaliers comme les suppléments pour chambre individuelle ou le long séjour).

Source : comptes nationaux de la santé 2011

Les soins hospitaliers représentent toujours la première ligne de dépense pour les Ocam (5,6 milliards d'euros en 2011, en incluant les suppléments éventuels notamment pour chambre individuelle), devant les médicaments (5,2 milliards), les « autres » biens médicaux, principalement l'optique (4,5 milliards), les soins dentaires des chirurgiens-dentistes (3,9 milliards), les soins dispensés par les médecins (3,7 milliards) et par les auxiliaires médicaux (1,5 milliard) et les dépenses de laboratoires d'analyses (1,1 milliard).

Si le financement par la sécurité sociale de base reste élevé, il s'effrite depuis une trentaine d'années au profit de la couverture complémentaire et il est inégal selon le type de soins et de prestations : la solidarité nationale demeure forte en hospitalisation, pour laquelle la part du financement public est déterminante, mais elle est nettement moins importante pour les soins de ville, les médicaments et les autres biens médicaux.

Plus précisément, les évolutions ont été diverses selon les catégories de dépenses de santé :

- pour les soins hospitaliers , les financements publics restent très dominants avec 91,5 % des dépenses en 2011, 5,4 % pour les Ocam (en progression par rapport à 2000) et 3,2 % pour les ménages (taux stable) ;

- pour les soins de ville , y compris transports sanitaires et hors dentistes , la part des financements publics passe de 77,7 % à 75,1 %, celle des Ocam est stable, au contraire de celle des ménages qui croît de 5,6 % à 8,5 %. Cette évolution est la résultante de la création des participations forfaitaires et des franchises qui ne peuvent être pris en charge par les complémentaires dans le cadre des contrats responsables et solidaires ;

- pour les soins dentaires , la part du financement public est minoritaire et en légère diminution entre 2000 (36,5 %) et 2011 (35,2 %). La part des Ocam progresse, passant de 32,4 % à 38,3 %, et celle des ménages diminue (31,1 % contre 26,5 %). On peut noter qu'en l'absence de la création de la CMU-c et de l'ajustement de son panier de soins, notamment en matière dentaire, la part du financement public aurait diminué encore plus ;

- pour les médicaments et les autres biens médicaux (optique, prothèses...), la situation est sensiblement différente de celle des autres postes de dépenses de santé car la part des financements publics a progressé entre 2000 et 2011. Elle reste majoritaire pour les médicaments (67,2 %) et minoritaire pour les autres biens médicaux (42,5 %). En raison de la mise en place de franchises sur les boîtes de médicaments, la part des Ocam dans les dépenses de médicaments a diminué, passant de 18,7 % à 15,1 %, au détriment de celle des ménages passée de 15,1 % à 17,7 %. Pour les autres biens médicaux qui concernent un ensemble de produits hétérogènes, la part à la charge directe des ménages a chuté, passant de 38,8 % à 20,4 %, et celle des Ocam a augmenté en passant de 26,7 % à 37,1 %.

Source : Commission des affaires sociales d'après Comptes nationaux de santé 2011

Entre 2000 et 2011, les dépenses des organismes complémentaires ont fortement progressé pour les autres biens médicaux (+ 188 %), ainsi que pour les soins hospitaliers 3 ( * ) (+ 129 %), les soins dentaires (+ 81 %) et les autres soins de ville (+ 62 %). Elles n'ont crû que de 17 % pour les médicaments durant cette période. En dix ans, les dépenses des Ocam ont donc quasiment triplé en ce qui concerne les biens médicaux, dont l'optique représente la part majoritaire .

3. La création de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (Unocam) a répondu au poids grandissant de la couverture complémentaire

La réforme de l'assurance maladie de 2004 4 ( * ) a prévu la création d'un organisme regroupant l'ensemble des opérateurs du secteur de l'assurance maladie complémentaire. Constituée en 2005 sous forme d'association, l'Unocam 5 ( * ) rend un avis sur les projets de loi relatifs à l'assurance maladie et de financement de la sécurité sociale, ainsi que sur certaines propositions de décisions de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam).

L'Uncam et l'Unocam examinent conjointement leurs programmes annuels de négociations avec les professionnels de santé et déterminent les actions communes en matière de gestion du risque .

En outre, depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 6 ( * ) , l'Unocam peut participer aux négociations conventionnelles entre l'Uncam et les professionnels de santé. Qui plus est, les conventions concernant des professions pour lesquelles la part des dépenses prises en charge par l'assurance maladie est minoritaire, ne sont valides que si elles sont également conclues par l'Unocam . Selon un arrêté du 5 mai 2009, ces professions sont au nombre de trois : les chirurgiens-dentistes, les audioprothésistes et les opticiens-lunetiers.

L'Unocam commence à mettre en application cette possibilité de signer des conventions conclues entre l'Uncam et les professionnels de santé. En 2012, pour la première fois depuis sa création, elle a décidé de signer ses trois premiers accords conventionnels : l'avenant n° 2 à la convention nationale des chirurgiens-dentistes, signé le 9 mai 2012, la convention nationale des pharmaciens titulaires d'officine, signée le 16 mai 2012, et l'avenant n° 8 à la convention nationale des médecins libéraux, signé le 25 octobre 2012. En 2013, l'Unocam est devenue signataire de trois autres textes : l'avenant n° 1 à la convention nationale des pharmaciens titulaires d'officine, l'avenant n° 9 à la convention nationale des médecins libéraux et l'avenant à la convention nationale des pharmaciens titulaires d'officine actualisant le dispositif de rémunération sur objectifs.


* 1 Indicateur statistique habituellement utilisé dans les comparaisons internationales et qui recouvre la consommation de soins hospitaliers, de soins de ville, de transports de malades, de médicaments et d'autres biens médicaux.

* 2 Source : Comptes nationaux de la santé 2011. Les statistiques peuvent varier selon les sources en raison de champs d'études différents (prise en compte de certaines primes d'invalidité ou de maternité par exemple) et de difficultés dans la collecte d'informations. Selon les comptes nationaux de santé 2012 publiés en juin 2013, les prestations totales de « frais de soins » versées par les complémentaires s'élèvent à 26,1 milliards d'euros en 2011 et les primes perçues à 32,3 milliards.

* 3 L'utilisation par les hôpitaux du tarif journalier de prestations (TJP) pour augmenter leurs recettes, par ailleurs contraintes dans le cadre des évolutions de l'Ondam et des tarifs, explique certainement cette hausse. En effet, le TJP sert de base au calcul du ticket modérateur à la charge des patients, donc des organismes complémentaires. Voir le rapport d'information Sénat de Jacky Le Menn et Alain Milon sur le financement des établissements de santé, n° 703 (2011-2012), pages 25 et 26.

* 4 Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie.

* 5 Article L. 182-3 du code de la sécurité sociale.

* 6 Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, article 36 ; dispositions insérées à l'article L. 162-14-3 du code de la sécurité sociale.

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