B. UNE MOBILISATION DES POUVOIRS PUBLICS QUI COMMENCE À PORTER SES FRUITS

Si l'examen de la « photographie » des inégalités entre les femmes et les hommes, à un instant donné, est préoccupant, l'analyse de tendances au cours des dix dernières années invite à davantage d'optimisme : dans de nombreux domaines, et même si l'égalité est souvent loin d'y être atteinte, des progrès sensibles peuvent être constatés - preuve qu'une action résolue et engagée du pouvoir politique en faveur de l'égalité peut, lentement mais durablement, contribuer à modifier les comportements .

1. Des femmes (un peu) plus présentes dans la vie politique

Si les femmes continuent à être sous-représentées dans les assemblées parlementaires et les collectivités territoriales, des progrès notables doivent néanmoins être mis au crédit des dispositifs mis en place à partir de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 qui a inscrit l'objectif de parité dans notre Constitution .

Ainsi, pour « favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives », selon les termes de l'article 1 er de la Constitution, le législateur a instauré deux types de mécanisme :

- le premier s'appuie sur les règles de déclaration de candidatures, en obligeant les listes présentées à comporter, de manière alternative, autant d'hommes que de femmes parmi les candidats . À l'origine appréciée par groupe de six candidats, cette obligation s'est progressivement renforcée par l'exigence d'alterner un candidat de chaque sexe. Une variante de cette règle existe pour les scrutins uninominaux où il peut être imposé au candidat titulaire de présenter un remplaçant de sexe différent du sien.

Ce mécanisme s'applique à l'ensemble des élections locales - à l'exception, désormais, de l'élection des conseillers municipaux pour les communes de moins de 1 000 habitants et l'élection des futurs conseillers départementaux pour laquelle la présentation d'un binôme paritaire avec un suppléant de sexe différent est prévue par la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013. De même, dans le projet de loi définitivement adopté par le Sénat le 27 juin 2013, ce dispositif a été retenu pour l'élection des conseillers consulaires et conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger ;

- un mécanisme alternatif favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux a été mis en place pour les élections connaissant un mode de scrutin uninominal (comme les élections législatives) et, jusqu'au prochain renouvellement général des conseils généraux, les élections cantonales. Dans ce cas, les partis ou groupements politiques sont susceptibles de voir l'aide publique dont ils peuvent bénéficier minorée s'ils présentent des candidats dont la part respective de femmes et d'hommes s'écartent de la stricte égalité.

Ce double mécanisme a permis une meilleure représentation des femmes au sein des assemblées locales et parlementaires .

Au sein de l'Assemblée nationale, l'évolution a été frappante entre les 5,6 % de femmes composant l'Assemblée constituante en octobre 1945 et les 10,9% de femmes députées en 1997. Cette progression a été renforcée sous l'effet des lois sur la parité puisque le taux de femmes à l'Assemblée nationale, depuis le renouvellement général de juin 2012, s'élève à un niveau inédit de 26,9 % . À cette occasion et pour la première fois depuis l'instauration du mécanisme de sanctions financières, la part relative de femmes à l'Assemblée nationale a été plus importante que celle au Sénat.

À cet égard, la féminisation du Sénat a été progressive, la part de sénatrices représentant désormais 21,8 % de ses membres, soit 76 sénatrices, alors qu'elles ne représentaient que 5,6 % de l'effectif total en 1998, 10,6 % en 2001, 16,9 % en 2004 puis 23,3 % en 2008. Le renouvellement partiel de 2011 s'est traduit, à cet égard, par un léger recul de cette tendance.

Au plan local, le mode de scrutin de liste pour les élections régionales a permis une quasi-parité avec la présence de 48 % de femmes parmi les conseils régionaux , contre seulement 27,5 % en 1997. De même, le Parlement européen compte 44 % de représentantes françaises parmi les députés élus en France.

En revanche, le scrutin uninominal avec pour seule obligation, depuis la loi n° 2007-128 du 31 janvier 2007, la désignation d'un remplaçant de sexe différent du titulaire a peu favorisé la représentation des femmes parmi les conseils généraux puisqu'ils ne comptent en leur sein, au niveau national, que 13,9 % de conseillères générales . Cette situation a motivé l'adoption d'un nouveau mode de scrutin pour l'élection des futurs conseillers départementaux par la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013.

Enfin, pour les communes, la moyenne des femmes présentes au sein des conseils municipaux s'élève à 35 % , cette donnée devant être relativisée dans la mesure où elle intègre l'ensemble des communes quel que soit le mode de scrutin applicable et notamment l'obligation ou non de présenter des listes comportant alternativement un homme et une femme.

Une caractéristique commune émerge toutefois de l'observation des résultats électoraux locaux : une part relativement et notablement plus faible de femmes dans l'exercice de fonctions exécutives locales . Ainsi, malgré une proportion quasi-équivalente de femmes et d'hommes au sein des conseils régionaux, seuls trois femmes président une assemblée régionale. La situation est similaire pour les conseils généraux qui ne comptent que cinq présidentes. De même, seuls 14 % des maires sont des femmes.

2. Les effets d'entraînement induits par la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes non seulement aux mandats électoraux et fonctions électives, mais aussi aux responsabilités professionnelles et sociales , parmi lesquelles figurent les fonctions d'administration et de direction dans les grandes entreprises publiques ou privées ou dans les établissements publics de l'État, ainsi que dans les chambres consulaires. Cette extension de la parité avait pour finalité explicite de surmonter la censure en 2006 par le Conseil constitutionnel 7 ( * ) de dispositions introduisant des obligations de parité dans certaines instances délibératives professionnelles et juridictionnelles. Plusieurs dispositions législatives ont depuis institué des règles en matière de représentation équilibrée des sexes dans diverses instances privées ou publiques, à caractère économique ou social.

Parmi ces dernières, la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle a modifié le code de commerce pour imposer une proportion minimale d'au moins 40 % de représentants de chaque sexe dans les conseils d'administration et de surveillance des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions , lorsqu'elles sont cotées ou qu'elles comptent plus de 500 salariés et plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ou de total de bilan. Comme l'avait indiqué notre collègue Marie-Hélène des Esgaulx, rapporteur de cette loi pour votre commission 8 ( * ) , les quotas sont « un mal désormais nécessaire » pour faire progresser la féminisation des organes d'administration ou de surveillance des grandes entreprises, compte tenu de la lenteur des évolutions spontanées observées jusqu'alors.

Lorsque le conseil n'est pas composé de manière régulière, des sanctions proportionnées et efficaces sont prévues par la loi : nullité des nominations qui ne respectent pas le seuil de 40 % et suspension des jetons de présence pour l'ensemble des membres du conseil, sous le contrôle des commissaires aux comptes. Dans un souci de sécurité juridique et économique pour la société comme pour ses partenaires, le Sénat avait supprimé la sanction de nullité des délibérations des conseils composés irrégulièrement.

L'obligation de 40 % et les sanctions afférentes entreront en vigueur au 1 er janvier 2017 pour les sociétés cotées et au 1 er janvier 2020 pour les autres . Des dispositions transitoires sont prévues avant cette date, notamment un seuil de 20 % pour les seules sociétés cotées en 2014.

Dès avant l'adoption de cette loi, plaidant pour l'autorégulation plutôt que l'intervention du législateur, l'Association française des entreprises privées (AFEP) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) avaient présenté, le 19 avril 2010, un complément à leur code de gouvernement d'entreprise des sociétés cotées, sous forme d'une recommandation relative à la présence des femmes et au principe de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d'administration et de surveillance, reprenant les principaux éléments de la proposition de loi.

La recommandation AFEP-MEDEF, très suivie dès le printemps 2010, puis la loi du 27 janvier 2011, ont produit des effets significatifs. Dans ces conditions, l'objectif de 40 % devrait pouvoir être aisément atteint en 2017 , un délai supplémentaire de trois ans étant prévu pour les sociétés non cotées.

La proportion de femmes dans les conseils des sociétés du CAC 40 a cru de 44 % entre fin 2009 et septembre 2010 : 15,7 % des mandats étaient détenus par des femmes, contre 10,8 % fin 2009. Ce mouvement était moins ample pour les autres sociétés cotées. Cette féminisation rapide des conseils des quarante plus grandes sociétés avait placé la France en troisième position en Europe pour la proportion de femmes dans les conseils, derrière la Norvège et la Suède. Par la suite, la proportion de femmes dans les conseils est passée pour les sociétés cotées du SBF 120 de 12,5 % après les assemblées générales de 2010 à 21,9 % après celles de 2012 et pour les sociétés cotées du CAC 40 de 16,3 % à 25,2 % sur la même période. L'intervention du législateur produit donc ses effets.

La problématique de la féminisation des conseils est à replacer dans le cadre d'un processus plus général, dans les grandes sociétés, de diversification des profils, des expériences et des points de vue, d'internationalisation et de professionnalisation des conseils d'administration et de surveillance. Un certain nombre d'études semblent en effet montrer un impact économique positif de la présence des femmes dans les conseils et plus largement de la diversification des membres des conseils , mettant en lumière l'existence d'un lien entre performance économique des entreprises et mixité et diversité du management 9 ( * ) .

Dans le secteur public, la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance a prévu pour les entreprises publiques, régies par la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, des dispositions similaires à celles qu'elle a instituées pour les sociétés anonymes, avec un calendrier spécifique de mise en oeuvre lié au rythme de renouvellement des conseils des entreprises concernées. Modifié par la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, le dispositif prévoit que la proportion de personnalités qualifiées de chaque sexe nommées en raison de leurs compétences, expériences ou connaissances administrateurs dans les conseils d'administration, les conseils de surveillance ou les organes équivalents des établissements publics non mentionnés à l'article 1 er de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public ne peut être inférieure à 40 %. Cette proportion doit être atteinte à compter du deuxième renouvellement du conseil à partir de la promulgation de la loi. Un mécanisme de nullité des nominations analogue à celui mis en place dans le code de commerce est prévu, sans entraîner la nullité des délibérations de l'organe irrégulièrement constitué.

Votre commission ne peut que se féliciter que ce dispositif très incitatif ait directement inspiré la proposition de directive relative à un meilleur équilibre hommes-femmes parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse et à des mesures connexes que la Commission européenne a publié il y a quelques mois et qui est actuellement en cours de discussion au niveau de l'Union européenne. Votre commission a d'ailleurs adopté, sur proposition de notre collègue Catherine Troendle, une proposition de résolution européenne sur cette proposition de directive 10 ( * ) .


* 7 Dans sa décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006 sur la loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, le Conseil constitutionnel avait considéré que le principe d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ne s'appliquait qu'aux élections à des mandats et fonctions politiques, ainsi qu'il ressortait des travaux parlementaires, et que, « si la recherche d'un accès équilibré des femmes et des hommes aux responsabilités autres que les fonctions politiques électives n'est pas contraire aux exigences constitutionnelles (...), elle ne saurait, sans les méconnaître, faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités et de l'utilité commune ; que, dès lors, la Constitution ne permet pas que la composition des organes dirigeants ou consultatifs des personnes morales de droit public ou privé soit régie par des règles contraignantes fondées sur le sexe des personnes ».

* 8 Rapport n° 38 (2010-2011), déposé le 13 octobre 2010. Le dossier législatif de cette proposition de loi dite « Copé-Zimmermann » est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pp109-223.html

* 9 Voir à cet égard le rapport n° 38 (2010-2011) précité.

* 10 Le dossier de cette proposition de résolution européenne est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr12-267.html

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