CHAPITRE V - DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES HUMAINES

SECTION 1 - DISPOSITIONS RELATIVES À LA PROTECTION JURIDIQUE

Article 22 - Extension de la protection fonctionnelle aux ayants-droit des militaires décédés en opérations et à certains personnels civils

L'article 22, isolé, a pour objet d'étendre aux ayants droit des militaires décédés à raison de leurs fonctions la protection fonctionnelle (prise en charge par la collectivité publique des frais de justice engagés pour mettre en cause la responsabilité pénale de l'auteur des violences). Le même article crée un dispositif spécifique pour les ayants droit de certains agents civils du ministère de la défense particulièrement exposés.

Le droit en vigueur

La « protection fonctionnelle », autrement appelée « protection juridique », est la protection, par la puissance publique, de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, en cas de mise en cause par des tiers. Ce soutien institutionnel exprime un rapport de solidarité entre l'agent et son administration, et ce dans l'intérêt du service.

La protection fonctionnelle : définition

La protection fonctionnelle a pour objet de protéger les agents de l'État, civils ou militaires, des collectivités territoriales et des établissements hospitaliers, contre les violences, voies de faits, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui a pu en résulter. Elle permet également de protéger tout agent pénalement poursuivi pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute personnelle.

Cette protection juridique traduit la volonté des collectivités publiques de défendre leurs collaborateurs attaqués du fait de leurs fonctions et de réparer le tort qui a pu leur être causé. Les agents publics, en raison de la nature de leur action, peuvent voir mise en cause leur responsabilité juridique. À travers eux, c'est, en réalité, souvent l'État, ou la collectivité publique au sein de laquelle ils exercent leurs fonctions, qui est visé. C'est donc dans le but de ne pas laisser les fonctionnaires se défendre seuls et pour préserver la continuité et le bon fonctionnement du service public que le principe de leur protection statutaire a été instauré par le législateur

La protection fonctionnelle se manifeste concrètement, suivant les cas, par la prise en charge des honoraires d'avocat, par la mise à disposition de conseils, par un soutien psychologique ou médical... Une fois la protection juridique accordée dans son principe, il revient à l'administration, dans chaque cas d'espèce et sous le contrôle du juge, de la mettre en oeuvre, sous de multiples formes, pour faire cesser les attaques, réparer les préjudices subis ou, tout simplement, assister matériellement et moralement l'agent.

Ce principe, qui s'est vu reconnaître par la jurisprudence le statut de principe général du droit de la fonction publique, figure dans le statut général des fonctionnaires (article 11 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983).

L'article 25 du projet de loi n° 1278 relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires adopté au conseil des ministres du 17 juillet 2013 prévoit notamment de renforcer la protection fonctionnelle dont peuvent bénéficier les agents à l'occasion des attaques dont ils sont victimes dans l'exercice de leurs fonctions et de l'étendre à leurs ayants-droit.

L' article 25 réécrit l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires relatif à la protection fonctionnelle des agents publics afin de clarifier, d'une part, les droits du fonctionnaire mis en cause, et d'autre part, ceux du fonctionnaire victime et de ses ayant-droits.

La nouvelle rédaction introduit les notions d'atteinte volontaire à la vie et d'atteinte volontaire à l'intégrité de la personne qui, désormais, pourront être mobilisées par l'administration pour fonder l'octroi de la protection dans un certain nombre d'hypothèses. Le bénéfice de la protection est également reconnu lorsque le fonctionnaire est victime d'agissements constitutifs de harcèlement, sexuel ou moral. De même, lorsqu'un agent est entendu en qualité de témoin assisté, placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale dans des cas où les faits conduisant à de tels actes de procédure pénale n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, il est prévu que la protection fonctionnelle lui soit accordée.

Sont bénéficiaires de la protection fonctionnelle prévue par le statut des fonctionnaires :

- tous les agents publics (fonctionnaires et non titulaires des administrations de l'État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics à caractère administratif ainsi qu'aux intérimaires) et ce, quelle que soit leur position statutaire lorsqu'ils formulent leur demande (sont donc visés les personnels retraités, au titre des faits survenus durant la période où ils étaient en activité) ;

- les familles de certaines catégories d'agents, du fait de la nature particulière de leurs fonctions.

Ce projet de loi ne s'applique pas à des agents relevant d'autres dispositifs législatifs. En effet, plusieurs dispositions ont consacré le bénéfice de la protection des agents qui ne sont pas soumis au statut général de la fonction publique. Tel est le cas :

- des magistrats (article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) ;

- des militaires (la protection juridique trouve son fondement dans les dispositions de l'article L.4123-10 du code de la défense) ;

- de certaines catégories de militaires ainsi que leurs ayants-droit (article L.113-1 du code de la sécurité intérieure).

Ces divers textes n'offrent pas exactement les mêmes garanties ni aux agents ni surtout à leurs ayant-droits, ce qui n'est pas toujours très compréhensible.

S'agissant des militaires, des différences existent entre les gendarmes (dont les familles bénéficient d'un régime plus protecteur) et les autres militaires.

Les modifications proposées

Le 1° de l'article 22 vient ajouter les concubins de militaires et partenaires de pacte civil de solidarité, aux côtés des conjoints, au titre des bénéficiaires de la protection fonctionnelle pour les attaques dont ils sont victimes du fait de la profession de ces derniers (comme c'est le cas par exemple pour l'administration pénitentiaire) ;

Le 2° de l'article 22 vient accorder aux ayants droit des militaires un avantage que les ayants droit de certaines autres professions à risque (en charge de la sécurité intérieure) avaient déjà obtenu en 2003 et que le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires présenté au conseil des ministres du 17 juillet 2013 prévoit d'étendre aux ayants droit des fonctionnaires civils.

Il s'agit de prévoir que : " Le conjoint, concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité, à défaut, les enfants agissant conjointement, et, à défaut, les ascendants agissant conjointement du militaire victime d'une atteinte volontaire à sa vie du fait de ses fonctions mais hors le cas d'une action de combat bénéficient également de la protection de l'État pour les instances qu'ils décideraient d'engager contre l'auteur de l'atteinte ".

Un décret d'application viendra définir les conditions et modalités financières d'octroi de cette protection et instaurer un mécanisme qui concilie les exigences des règles de la profession d'avocat, en particulier celle du libre choix du conseil par le bénéficiaire de la protection fonctionnelle, avec le principe de bonne utilisation des deniers publics et celui d'égalité (instauration d'un plafonnement de la prise en charge, par exemple).

La position de votre commission

Cette disposition législative trouvera à s'appliquer dans trois dossiers particulièrement sensibles, tels que les affaires relatives aux demandes de protection juridique présentées par les ayants-droit des victimes décédés à la suite des attaques terroristes de Karachi, de Montauban et de Toulouse (trois militaires victimes de M. Mérah) ou les ayants-droit des militaires de l'armée de terre récemment tués en Guyane, dans le cadre d'une opération de lutte contre l'orpaillage illégal.

Elle pourrait par ailleurs s'appliquer dans un certain nombre d'hypothèses dans lesquelles le militaire décède du fait de ses fonctions, victime d'un acte volontaire d'atteinte à sa vie. Les actes de terrorisme illustrent malheureusement ce type de situation. Tel aurait été le cas si le militaire en patrouille Vigipirate, agressé le 25 mai 2013 dans le quartier de la Défense à Paris, était décédé des suites de cette agression. Les ayants-droit de ce militaire auraient pu alors demander le bénéfice de cette disposition législative.

Dispositions relatives aux ayants-droit des militaires victimes

On peut s'interroger : une telle extension de la protection fonctionnelle ne risque-t-elle pas d'alimenter la tendance à la judiciarisation contre laquelle le projet de loi lutte par ailleurs ?

Votre commission estime que trois limitations justifiées viennent encadrer la mise en oeuvre de cette nouvelle protection juridique :

- D'abord, les bénéficiaires étant limitativement énumérés par un ordre de priorité bien établi (conjoint, concubin ou partenaire, d'abord, puis enfants ensuite et enfin ascendants), cela devrait permettre de ne pas entretenir (sur denier publics) le phénomène de "judiciarisation" ;

- Il convient de noter ensuite que la protection juridique ne sera accordée que si le militaire est victime d'une atteinte volontaire à sa vie . Le projet de loi reprend ici à son compte la jurisprudence du Conseil d'État « Afflard » du 9 mai 2005. Dans cette décision, qui concernait l'application de l'article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure, le Conseil d'État a souligné que la notion « d'attaques » emportait l'idée d'action délibérée. Ne sont donc absolument pas concernés les cas de violences involontaires. Il n'est évidemment pas question de remettre en cause le principe même de l'existence d'une responsabilité pénale pour des faits non volontaires mais le gouvernement estime -à bon droit- que l'État ne doit pas alimenter financièrement la recherche d'une telle responsabilité. Seules les instances dirigées contre les auteurs d'un homicide volontaire pourront donc être prises en charge financièrement par l'État sur le terrain de la protection fonctionnelle.

- Enfin, et c'est là une particularité propre aux seuls militaires, est également exclu le cas de la mort au combat . Là encore, le gouvernement a entendu, dans la rédaction, exclure que le militaire mort au combat (en opération extérieure) puisse être juridiquement regardé a priori comme la victime d'une infraction.

Pour les ayants-droit de certains agents civils du ministère de la défense

Votre commission s'est interrogée sur l'insertion, dans le projet de loi, d'une disposition propre aux ayants-droit de certains agents civils du ministère de la défense, dans la mesure où ces derniers sont susceptibles d'être couverts par le dispositif de droit commun prévu par l'article 11 de la loi du 13 janvier 1983 présenté ci-dessus.

Le projet de loi insère en effet, « par précaution 83 ( * ) », une disposition spécifique aux ayants-droit de certains agents civils. La protection fonctionnelle serait " également accordée aux ayants droits de l'agent civil relevant du ministère de la défense victime à l'étranger d'une atteinte volontaire à sa vie du fait de sa participation à une mission de soutien à l'exportation de matériels de défense ".

Cette disposition permet de répondre à la volonté exprimée par le Président de la République à l'occasion de la journée nationale d'hommage aux victimes d'actes de terrorisme du 19 septembre 2012, que les familles des ouvriers d'État tués dans l'attentat de Karachi du 8 mai 2002 puissent également bénéficier de la prise en charge par l'État des frais de justice qu'ils ont engagés dans les procédures judiciaires initiées à la suite de l'attentat. S'il est adopté dans sa rédaction présentée en conseil des ministres le 17 juillet 2013, le projet de loi relatif à la fonction publique, qui modifiera notamment l'article 11 de la loi du 13 janvier 1983, ne permettra pas en effet d'accorder la protection juridique du ministère de la défense pour des faits passés et donc pour l'attentat de Karachi. C'est la raison pour laquelle une disposition spécifique a été insérée dans la loi de programmation militaire.

Les victimes de l'attentat de Karachi le 8 mai 2002

Le mercredi 8 mai 2002, à Karachi, un attentat-suicide provoque la mort de quatorze personnes dont onze employés et sous-traitants français de la direction des constructions navales (DCN), travaillant, directement ou en sous-traitance pour la direction des chantiers navals (DCN), à la construction d'un sous-marin pour la marine pakistanaise. Un contrat de construction et de vente de trois sous-marins à propulsion classique avait été signé entre la DCN et le Pakistan le 21 septembre 1994 et la DCN travaillait, au moment de l'attentat, à la construction du deuxième, sur place, au Pakistan. Cet attentat blesse également douze autres personnes.

- Sur le plan financier, dans la mesure où les cas d'octroi de la protection juridique dans de telles hypothèses, particulièrement graves pour la vie d'un agent civil ou militaire du ministère de la défense, seront, a priori, extrêmement rares, il n'a pas été possible au ministère de la défense d'indiquer de montant précis, outre la mention d'un coût « marginal ». Les montants accordés seront plafonnés. Ces dépenses s'imputeront sur le programme 212 « Soutien de la politique de défense » - action 11 « Pilotage, soutien et communication ».

Votre commission a adopté cet article sans modification.


* 83 Source : réponse écrite au questionnaire de votre commission

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