CHAPITRE II - DISPOSITIONS RELATIVES À L'AMÉLIORATION DES DÉDOMMAGEMENTS CIVILS

Article 2 (art. L. 331-1-3, L. 331-1-4, L. 521-7, L. 615-7, L. 623-28, L. 716-14 et L. 722-6 du code de la propriété intellectuelle) - Amélioration des dédommagements civils en cas de contrefaçon

L'article 2 de la proposition de loi vise à améliorer le montant des dommages et intérêts auxquels peuvent prétendre les titulaires de droits de propriété intellectuelle victimes de contrefaçon, en précisant davantage pour le juge les différents chefs de préjudice à indemniser, tout en conservant la possibilité d'une indemnisation forfaitaire. Ces dispositions ne bouleversent pas le droit en vigueur, mais visent à l'adapter.

Comme d'autres articles de la présente proposition de loi, compte tenu de la structure du code de la propriété intellectuelle, cet article duplique les mêmes dispositions pour les différents droits de propriété intellectuelle : d'une part, la propriété littéraire et artistique (droit d'auteur, droits voisins du droit d'auteur et droits du producteur de base de données) et, d'autre part, s'agissant de la propriété industrielle, les dessins et modèles, les brevets d'invention, les obtentions végétales, les marques et les indications géographiques. Les mêmes dispositions sont ainsi reproduites à six reprises.

Cet article reprend sans modification les articles 5 à 10 du texte adopté par votre commission le 12 juillet 2011 sur la précédente proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.

Partant du constat que l'état du droit ne permet pas aux entreprises détentrices de droits et lésées par une contrefaçon d'obtenir un montant suffisant de dommages et intérêts en cas d'action en responsabilité contre l'auteur de la contrefaçon, alors même que dans certains cas la contrefaçon reste une source de bénéfice pour le contrefacteur condamné en raison de la disproportion entre son chiffre d'affaires issu de la contrefaçon et le montant des dommages et intérêts, la proposition de loi veut conduire les tribunaux à augmenter le montant des indemnisations prononcées.

Depuis la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, le code de la propriété intellectuelle dispose, en la matière, que le juge doit prendre en considération « les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte » pour fixer le montant des dommages et intérêts.

Sur le fait de savoir si les tribunaux ont eu tendance, depuis 2007, à alourdir le montant des dommages et intérêts prononcés, les auditions de votre rapporteur ont abouti à des informations contradictoires, de sorte que la situation ne semble pas encore pleinement satisfaisante.

La proposition de loi veut être plus précise en indiquant que le juge prend en compte « distinctement » ces trois chefs de préjudice pour fixer ce montant, tout en ajoutant la prise en compte des économies réalisées grâce à la contrefaçon par son auteur :

- les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

- le préjudice moral causé à la partie lésée ;

- les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte et, le cas échéant, les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels qu'il en a retirées.

Ainsi, dans l'hypothèse où les dommages et intérêts correspondant aux premier et troisième chefs de préjudice seraient jugés insuffisants, il serait loisible au juge de prononcer des dommages et intérêts importants au titre du préjudice moral (atteinte à l'image et à la réputation...). En tout état de cause, demander au juge de distinguer ces trois critères a pour finalité de conduire à des dommages et intérêts d'un montant total plus élevé.

La proposition de loi ajoute que, si le juge estime que les sommes qui en découlent ne réparent pas l'intégralité du préjudice subi par la partie lésée, il ordonne la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par l'atteinte aux droits au profit de la partie lésée. Il s'agirait de verser à la personne lésée par la contrefaçon tout ou partie du chiffre d'affaires réalisé grâce à cette contrefaçon, de façon à éviter que la faute reste lucrative.

On peut toutefois s'interroger sur l'hypothèse concrète dans laquelle le montant des dommages et intérêts calculé en application des trois chefs de préjudice pourrait ne pas couvrir l'intégralité du préjudice. Les personnes entendues par votre rapporteur, en particulier les avocats spécialisés en droit de la propriété intellectuelle, ont partagé cette interrogation. Sauf à écarter à terme la condition d'absence de réparation intégrale du préjudice, on ne pourrait pas en pratique trouver une situation permettant de confisquer le chiffre d'affaires tiré de la contrefaçon au profit de la partie lésée. La portée réelle de cette disposition est en l'état difficile à percevoir.

Ajoutée au troisième chef de préjudice, qui va déjà au-delà du strict droit de la réparation et que certains analysent déjà comme des dommages et intérêts punitifs, cette disposition pourrait s'apparenter à des dommages et intérêts punitifs, notion américaine, consistant à fixer un montant de dommages et intérêts au profit de la personne lésée supérieur au montant du préjudice réellement subi par celle-ci, dans le but de « punir » la personne responsable du préjudice. Serait alors à craindre l'extension d'un tel mécanisme en droit français de la responsabilité.

Votre rapporteur indique cependant qu'il existe, uniquement en matière de propriété littéraire et artistique, une disposition spécifique, au dernier alinéa de l'article L. 331-1-4 du code, selon laquelle « la juridiction peut également ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par la contrefaçon, l'atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, qui seront remises à la partie lésée ou à ses ayants droit », sans condition particulière quant à la réparation du préjudice. Il s'agit d'un mécanisme de réparation propre à la propriété littéraire et artistique, que la proposition de loi remet d'ailleurs en cause en le subordonnant à l'absence de réparation intégrale du préjudice.

Les représentants des entreprises entendus par votre rapporteur - entreprises pourtant victimes de la contrefaçon en tant que titulaires de droits de propriété industrielle - ont exprimé une hostilité unanime à l'égard de l'introduction en droit français de la notion de dommages et intérêts punitifs, quand bien même les entreprises lésées pourraient en retirer des dommages et intérêts d'un montant plus conséquent qu'actuellement.

Votre rapporteur tient cependant à rappeler que notre collègue Alain Anziani et notre ancien collègue Laurent Béteille avaient envisagé, dans leur rapport d'information de 2009 sur la responsabilité civile 5 ( * ) , la mise en place de dommages et intérêts punitifs dans certains contentieux spécialisés, d'un montant limité, afin de mieux sanctionner la faute lucrative. La contrefaçon fait indéniablement partie des contentieux concernés, car le contrefacteur, même sanctionné civilement au versement de dommages et intérêts, peut tout de même retirer un bénéfice important de sa contrefaçon.

Pour autant, l'introduction des dommages et intérêts punitifs serait un grand bouleversement du droit civil français. En matière de sanction de la faute lucrative, il serait également possible d'explorer la voie de l'amende civile pour récupérer le chiffre d'affaires indu, au bénéfice du Trésor public et non de la partie lésée, qui aura obtenu réparation par le montant normal des dommages et intérêts dont la vocation, en l'état du droit, est de réparer intégralement, mais uniquement, le préjudice subi.

En tout état de cause, il est difficile d'apprécier si les dispositions de la présente proposition de loi ouvriraient la voie à des dommages et intérêts punitifs. Tout au plus votre rapporteur constate-t-il que le fait de confisquer les recettes tirées de la contrefaçon en cas d'absence de réparation intégrale du préjudice manque de consistance juridique. Dans ces conditions, votre rapporteur estime préférable de clarifier le texte en restant au plus près des chefs de préjudice déjà prévus en 2007, étant entendu que l'obligation pour le juge de distinguer les trois chefs de préjudice constituerait déjà un progrès au regard de la pratique actuelle des dommages et intérêts généralement prononcés « tous chefs de préjudice confondus ».

En conséquence, afin de lever toute ambiguïté dans la rédaction de la proposition de loi et d'écarter à ce stade la question controversée des dommages et intérêts punitifs, tout en gardant l'avancée que comporte la proposition de loi, votre commission a adopté à l'initiative de son rapporteur un amendement visant à supprimer la disposition selon laquelle le juge peut ordonner la confiscation des recettes au profit de la partie lésée s'il estime que les sommes indemnisant les trois chefs de préjudice n'assurent pas une réparation intégrale du préjudice causé par la contrefaçon. Cet amendement maintient en outre le dispositif de confiscation des recettes propre au régime de protection de la propriété littéraire et artistique.

Par ailleurs, votre commission a également adopté un amendement présenté par son rapporteur destiné à conserver le droit en vigueur lorsque le juge alloue une somme forfaitaire au titre des dommages et intérêts, sur demande de la partie lésée, pour simplifier le traitement de l'affaire. En l'état du droit, cette somme forfaitaire « ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ». La proposition de loi prévoit que cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits, afin d'améliorer l'indemnisation. Votre rapporteur estime que cette somme forfaitaire doit également pouvoir être égale à ce montant, en cohérence avec le droit en vigueur.

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .


* 5 Rapport d'information n° 558 (2008-2009) sur la responsabilité civile. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2008/r08-558-notice.html .

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