II. L'ÉVOLUTION DE L'APD FRANÇAISE

A. LE MONTANT DE L'APD FRANÇAISE

1. Un niveau d'APD en légère hausse en 2012

L'APD française peut être appréhendée au travers de quatre « cercles concentriques » : la mission « Aide publique au développement », les crédits de l'ensemble des missions budgétaires concourant à l'aide au développement (à la fois dans et hors le budget général), les crédits publics (qui incluent la coopération décentralisée) et enfin les montants notifiés au CAD.

Sur la base de ces dotations, comme on l'a déjà vu ci-dessus en évoquant l'évolution internationale, la France est demeurée en 2012 à la quatrième place des États contributeurs les plus importants par le volume de leur APD, après les États-Unis, le Royaume Uni et l'Allemagne, mais avant, dans cet ordre, le Japon, le Canada et les Pays-Bas. Elle occupait la deuxième place en 2009.

L'APD versée par notre pays en 2012 s'est élevée à 12,106 milliards de dollars, soit 9,4 milliards d'euros.

APD de la France entre 2000 et 2012

Source : Commission des finances du Sénat à partir de données de l'OCDE

On retrouve ici le paradoxe soulevé par vos rapporteurs spéciaux lors de l'examen de la loi de règlement pour 2012 : le niveau de l'APD française diminue en dollars (il était de 12,997 milliards en 2011), mais augmente en euros (il était de 9,33 milliards en 2011) .

En termes de pourcentage du RNB, le montant de notre aide est stable, à 0,46 %. Il était de 0,5 % en 2010. Sur ce plan, la France est classée, dans l'ordre, derrière le Luxembourg, la Suède, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Finlande, l'Irlande et la Belgique, et devant la Suisse, l'Allemagne et l'Australie.

2. Les perspectives pour 2013 et 2014

Les prévisions de l'évolution de l'APD pour 2013 et 2014, retracées dans le document de politique transversale (DPT) sur la politique française en faveur du développement annexé au projet de loi de finances (PLF) pour 2014, prévoient une progression de 541 millions d'euros en 2013 et de 428 millions d'euros en 2014, pour atteindre 10,327 milliards d'euros .

Prévisions d'APD 2011-2015 par type d'activité

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

Aide bilatérale

6 169

6 594

7 158

Coopération technique

1 595

1 491

1 485

Aide-projet

2 393

3 320

2 984

Aide-programme

168

167

129

Annulation de dettes et refinancements

1 080

607

1 579

Divers

933

1 008

981

Aide multilatérale

3 190

3 305

3 169

Aide européenne

1 626

1 715

1 731

dont FED

576

689

711

dont budget communautaire

1 050

1 026

1 020

Aide multilatérale hors UE

1 563

1 591

1 438

TOTAL (*)

9 358

9 899

10 327

Source : Direction générale du Trésor

L'aide projet comprend notamment les prêts bilatéraux de l'AFD et de la RPE.

L'aide programme inclut les dotations des programmes 209 et 110 aux fonds fiduciaires considérés comme bilatéraux par le CAD.

La progression attendue entre 2012 et 2014 devrait provenir d'une augmentation importante de l'aide bilatérale (+ 989 millions d'euros) qui ferait plus que compenser une légère baisse de l'aide multilatérale (- 21 millions d'euros).

Ces évolutions se traduiront notamment par une augmentation des aides projets (+ 591 millions d'euros), des annulations de dettes et des refinancements (+ 499 millions d'euros) et, en matière d'aide multilatérale, l'augmentation du Fonds européen de développement (FED) (+ 135 millions d'euros).

Vos rapporteurs spéciaux se réjouissent de ces prévisions, mais soulignent que l'expérience montre que l'exécution n'est pas toujours conforme aux prévisions , en partie car elles dépendent d'éléments soumis à un calendrier externe, comme celui des traitements de dettes pratiqués dans le cadre du Club de Paris au bénéfice des pays éligibles.

Ainsi, depuis l'an dernier, le chiffre pour 2012 a été revu à la baisse de 347 millions d'euros, celui de 2013 de 63 millions d'euros et celui pour 2014 de 204 millions d'euros.

D'autre part, vos rapporteurs spéciaux rappellent que l'APD comprend certaines dépenses dont la comptabilisation est critiquable :

- l'aide versée à Wallis-et-Futuna, qui ne correspond pas à l'acception commune de l'aide au développement visant normalement les États étrangers, et l'APD à Mayotte (soit 450 millions d'euros en 2010) qui est restée incluse dans le montant français d'APD jusqu'à son accession au statut de département à compter du 1 er janvier 2011 ;

- l'aide aux réfugiés originaires des pays en développement.

Des interrogations demeurent aussi sur l'inscription en APD des frais relatifs à l'écolage des étudiants ressortissants de pays en développement, inclus dans les frais d'écolage de l'ensemble des étudiants étrangers en France (672 millions d'euros en 2010).

A l'inverse, certaines dépenses publiques qui concourent effectivement au développement ne sont pas comptabilisables en APD selon les normes du CAD, notamment la dépense fiscale assise sur les dons aux organisations de solidarité internationale (OSI), qui sont évalués entre 600 et 800 millions d'euros par an, les mécanismes de garantie (167 millions d'euros en 2011), la sécurisation de l'aide alimentaire et une part de la coopération militaire et de défense.

3. Le détail des prévisions d'APD française en 2014

Comme cela a été indiqué précédemment, l'APD française devrait atteindre 10,327 milliards d'euros en 2014. Ce montant résulte de la somme des versements de l'État assurés à partir du budget général et en dehors de celui-ci, de la coopération décentralisée mise en oeuvre par les collectivités territoriales, d'autres contributions d'organismes publics, parmi lesquelles celles de l'Agence française de développement (AFD) à partir de ses ressources propres, enfin du produit attendu de la taxe de solidarité sur les billets d'avion et d'une partie de la taxe sur les transactions financières.

Le tableau ci-après présente cette décomposition pour 2014. Vos rapporteurs spéciaux soulignent à nouveau que les décalages avec l'exécution peuvent être importants.

Ventilation par grandes masses des prévisions d'APD française en 2014

(en millions d'euros)

2013

2014

Aide publique au développement résultant des crédits budgétaires

7 513

6 938

- dont mission « Aide publique au développement » (hors aide à effet de levier)

2 824

2 622

- dont prêts AFD (hors impact des refinancements)

2 549

2 220

- dont autres

(y compris écolage et réfugiés)

2 140
(1 101)

2 097
(1 093)

Opérations de prêts (RPE et FMI)

195

149

- dont prêts RPE

65

71

Quote-part de l'APD financée sur le budget communautaire

1 026

1 020

Annulations de dettes et refinancements nets

607

1 579

Total État

9 341

9 686

Taxe de solidarité sur les billets d'avion

185

208

Taxe sur les transactions financières

60

100

Collectivités territoriales

65

70

Autres (agences de l'eau, ressources propres AFD)

248

262

Total APD

9 899

10 327

Total APD (en % du RNB)

0,47 %

0,48 %

Source : DPT « Politique française en faveur du développement » annexé au PLF

a) Des ressources budgétaires en baisse

Le document de politique transversale (DPT) « Politique française en faveur du développement » joint au projet de loi de finances pour 2014, fait apparaître que plus de 15 programmes, dont les deux programmes de la mission « Aide publique au développement », concourent, à la politique d'aide publique au développement.

L'effort global du budget général représente 6,938 milliards d'euros en CP , soit 67 % des apports de la France en APD estimés pour l'année, contre 7,513 millions d'euros en 2013.

La mission « Aide publique au développement », pour sa part, correspond à 38 % de ces crédits budgétaires et 25 % des dépenses totales d'APD. La mission « Recherche et enseignement supérieur », avec une prévision de 1,14 milliard d'euros en faveur de cette aide, représente 16 % de ces crédits budgétaires et 11 % de l'APD totale.

b) Une hausse de la contribution nette à l'APD française des opérations de prêts et de traitements de dettes  mais une baisse des décaissements
(1) Les prêts de la « Réserve pays émergents »

La Réserve pays émergents (RPE) est un des principaux outils de la politique d'aide publique au développement de la France, avec 3,5 milliards d'euros de prêts depuis 2000. Elle est mise en oeuvre par la direction générale du Trésor.

Peuvent bénéficier de la RPE les entités publiques (gouvernement central, provincial, agences, ...) des pays éligibles (la vingtaine de « pays RPE »). Les projets doivent ne pas être viables économiquement s'ils étaient financés aux conditions de marché et répondre aux besoins de développement économique durable des pays récipiendaires (critères OCDE).

Il s'agit d'une aide liée, c'est-à-dire que ces projets doivent également contribuer au développement international des entreprises françaises : 70 % au moins des contrats financés doivent correspondre à des achats de biens et services fournis par des entreprises françaises (critère français).

Le décaissement d'un prêt RPE donne lieu à l'enregistrement d'une contribution à l'effort d'APD de la France à hauteur du montant du prêt gouvernemental déboursé. Réciproquement, tout remboursement du capital d'un prêt d'APD s'impute en déduction des déboursements à hauteur du montant remboursé.

En 2014, les versements au titre de la RPE devraient atteindre 420 millions d'euros et les remboursements 357 millions d'euros. La contribution 2014 de la RPE serait donc de 71 millions d'euros.

(2) Les prêts de l'Agence française de développement

L'Agence française de développement (AFD) porte des prêts dont le financement est assuré par deux canaux complémentaires :

- d'une part, l'Agence lève des ressources sur les marchés financiers à des taux de marché (émissions obligataires, placements privés, etc.). Ces ressources font l'objet d'une bonification par l'État, afin que l'AFD puisse offrir aux pays partenaires des taux d'intérêt inférieurs à son propre coût de financement ; Ce dispositif est retracé par l'action n° 2 « Aide économique et financière bilatérale » du programme 110 « Aide économique et financière au développement » de la mission « Aide au développement » ( 174 millions d'euros en CP sont prévus, à ce titre, dans le présent PLF) ;

- d'autre part, l'État octroie à l'AFD des prêts à des conditions très concessionnelles, qui constituent pour l'Agence une ressource dite « à condition spéciale ». Les crédits nécessaires sont inscrits au sein du programme 853 « Prêts à l'Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers » de la mission « Prêts à des États étrangers » ( 370 millions d'euros en CP pour 2013).

L'impact de ces prêts, en termes d'APD, est positif à hauteur du montant déboursé lors du décaissement puis négatif, les années suivantes, à due concurrence des remboursements effectués par les pays bénéficiaires. L'impact annuel est égal à la variation de l'encours de prêts, sans qu'il y ait donc une correspondance directe avec les crédits des programmes 110 et 853 précités.

Dans le DPT annexé au présent PLF, cet impact est évalué à 2 220 millions d'euros pour 2014 1 ( * ) .

(3) Les prêts d'aide à l'ajustement structurel

Les prêts d'aide à l'ajustement structurel (PAS) sont octroyés à un taux concessionnel par l'AFD pour financer les programmes économiques et de redressement financier de certains États étrangers. Ils bénéficient de la garantie de l'État français.

La France a octroyé en 2007, dans le cadre de la conférence internationale sur le soutien au Liban qui s'est tenue le 25 janvier 2007 (dite conférence « Paris III »), un prêt de 375 millions d'euros mis en oeuvre par l'AFD pour soutenir le Liban dans la mise en oeuvre de son programme de réformes économiques. Il était prévu que ce prêt soit décaissé en trois tranches de respectivement 150 millions d'euros, 100 millions d'euros et 125 millions d'euros. La première tranche a été décaissée en avril 2008, et 30 millions d'euros de la tranche de 100 millions d'euros ont été décaissés en 2012.

Ce prêt budgétaire à la République libanaise a fait l'objet d'un avenant qui confirme l'annulation de la tranche de 125 millions d'euros initialement dédiée à des réformes dans le secteur des télécommunications, prévoit le report de la date limite de versement au 30 novembre 2014 sur les 70 millions d'euros restant à verser au titre de l'appui aux réformes dans le secteur de l'électricité.

(4) Les activités de refinancement

Des prêts de refinancement sont déboursés directement par l'État dans le cadre d'opérations de restructuration de dette. Les crédits budgétaires nécessaires au décaissement de ces prêts sont imputés sur le programme 852 « Prêts à des États étrangers en vue de la consolidation de dettes envers la France » de la mission « Prêts à des États étrangers ».

Le présent projet de loi de finances prévoit, à ce titre, 704 millions d'euros, pour une estimation d'APD nette de - 2 millions d'euros (les remboursements sont supérieurs aux décaissements).

(5) Les annulations de dettes

Les annulations de créances non militaires et d'échéances d'intérêts de prêts pour le développement participent à l'effort d'APD à hauteur des montants annulés.

L'impact est évalué à 1 198 millions d'euros pour 2014.

c) Une coopération décentralisée en légère hausse

La coopération décentralisée est essentiellement financée par les collectivités territoriales, sur leurs fonds propres. Le ministère chargé des affaires étrangères (MAE) intervient pour des cofinancements, en fonction des priorités retenues.

Les flux d'APD en provenance des collectivités territoriales ont représenté 63 millions d'euros en 2012, soit 7 millions de plus qu'en 2011. Ils devraient se stabiliser à 65 millions d'euros en 2013 et atteindre 70 millions en 2014 . Ces montants apparaissent toutefois nettement sous-évalués si l'on prend en compte les frais de structure - notamment les dépenses de personnel - associés à la mise en oeuvre des actions de coopération décentralisée des collectivités territoriales.

d) La revalorisation de la contribution de solidarité sur les billets d'avion

La contribution de solidarité sur les billets d'avion a été introduite en 2006 en vue de financer des programmes internationaux de santé publique et d'accès aux médicaments pour certaines maladies dans les pays en voie de développement.

Recettes de la contribution de solidarité sur les billets d'avion

(en millions d'euros)

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

45

164

173

162

163

175

185

185

208

Source : Questionnaire budgétaire

Les montants 2013 et 2014 sont respectivement une estimation et une prévision.

La hausse du produit attendue pour 2014 découle du relèvement de ses tarifs, qui étaient restés inchangés depuis sa création , prévu dans le présent projet de loi de finances 2 ( * ) . La modification introduite vise à procéder au rattrapage de l'inflation depuis 2006. Cette actualisation devrait permettre une augmentation, en base, des recettes de la taxe d'environ 12,7 % (environ 23 millions d'euros supplémentaires).

Le produit de la taxe, géré par l'AFD, alimente le Fonds de solidarité pour le développement (FSD) en vue de financer l'accès aux vaccins et médicaments dans les pays en développement : 10 % au plus à travers la Facilité financière internationale pour les vaccins (IFFIm) et 90 % au moins à travers la Facilité internationale d'achats de médicaments « Unitaid ».

Vos rapporteurs spéciaux observent que la mise en oeuvre de ce financement innovant n'a emporté aucun impact négatif visible, ni sur le trafic aérien, ni sur le tourisme. Depuis 2006, ce dispositif a été appliqué par huit autres pays : le Cameroun, le Chili, la République du Congo, la Corée du Sud, Madagascar, le Mali, Maurice et le Niger.

e) Le relèvement de la part de la taxe sur les transactions financières affectée au Fonds de solidarité pour le développement
(1) La taxe française

La taxe sur les transactions financières (TTF) a été créée en 2012. Son rendement attendu était estimé à environ à 1,6 milliard d'euros en année pleine. La loi de finances pour 2013 a prévu que le fonds de solidarité pour le développement (FSD) perçoive 10 % du produit, dans la limite d'un plafond de 60 millions d'euros.

Conformément à ce qui était prévu l'an dernier, le présent projet de loi de finances (article 31) relève à 15 % la part du produit de la taxe affectée au FSD et porte le plafond à 100 millions d'euros en 2014 ; il devrait encore être relevé l'an prochain, pour atteindre 160 millions d'euros en 2015.

Le produit de la TTF devrait s'élever à 690 millions d'euros en 2013 et le présent projet de loi de finances prévoit un montant de 700 millions d'euros en 2014. Les objectifs de 60 et 100 millions d'euros devraient donc être respectés.

En 2013, ces recettes ont permis de financer l'initiative « I3S » (Initiative Solidarité Santé Sahel) en faveur de la santé des enfants de moins de cinq ans dans six pays du Sahel (Mauritanie, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad), ainsi que de participer à l'Initiative pour l'Approvisionnement en Eau et l'Assainissement en milieu Rural (IAEAR) menée par la Banque africaine de développement.

(2) Une taxe qui pourrait faire école

L'avancée des débats sur l'adoption d'une taxe sur les transactions financières (TTF) au profit du développement reste une des priorités portées par la France sur la scène internationale, malgré les difficultés rencontrées avec les partenaires du G20 notamment.

Le G20 de Los Cabos n'ayant pas retenu de référence aux financements innovants dans la déclaration finale de juin 2012, la présidence russe n'a pas souhaité investir dans cette question malgré sa récente adhésion au Groupe pilote sur les financements innovants.

Néanmoins, la France compte toujours des partenaires mobilisés en faveur des financements innovants et de la TTF tant au niveau global (Argentine, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Ethiopie, Guinée, Japon, Mali, Maroc, Mauritanie, Norvège, Sénégal, Togo) qu'au niveau européen.

Au niveau communautaire , suite au constat de l'impossibilité de parvenir à un accord à 27, un groupe de 11 États européens se sont associés autour d'un projet de coopération renforcée approuvé par le conseil Ecofin le 22 janvier 2013 : Allemagne, France, Espagne, Italie, Belgique, Portugal, Grèce, Autriche, Estonie, Slovénie, Slovaquie.

La Commission européenne a présenté un nouveau projet de directive le 14 février 2013 qui fait actuellement l'objet de discussions entre les partenaires européens. Cependant, d'importantes critiques ont été formulées à l'égard de ce nouveau texte, tant par les pays non membres de la coopération renforcée que par ceux qui y ont souscrit .


* 1 Cette contribution à l'APD est présentée dans la partie « prêts » mais est comptabilisée dans la partie « ressources budgétaires », étant donné qu'elle est financée à partir de crédits budgétaires des programmes 110 et 853.

* 2 Voir le commentaire de l'article 36 et l'article 61 ter, rattaché à la présente mission.

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