EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est invité à examiner la proposition de loi n° 210 (2013-2014) déposée par votre rapporteure et les membres du groupe socialiste et apparentés tendant à modifier la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

L'inscription à l'ordre du jour du Sénat de cette proposition de loi marque une nouvelle fois l'attention toute particulière que notre assemblée, toutes sensibilités confondues, accorde à la situation des personnes privées de liberté et au nécessaire respect de leurs droits fondamentaux. C'est ainsi qu'en avril 2001, un an après la publication du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires 1 ( * ) , notre assemblée avait adopté en première lecture une proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Hyest et de notre ancien collègue Guy-Pierre Cabanel visant à améliorer la situation dans les établissements pénitentiaires et à instaurer un Contrôle général des prisons 2 ( * ) . Plus récemment, le Sénat a joué tout son rôle en apportant des modifications substantielles à des textes importants comme la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 par exemple.

Accédant ainsi à une demande ancienne de notre assemblée, la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 a institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité indépendante à laquelle a été confié le soin de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux ».

Ce faisant, le législateur n'a pas souhaité limiter le champ de ce contrôle aux seuls établissements pénitentiaires, mais, donnant leur pleine application aux engagements internationaux souscrits par la France, a étendu le champ de compétence de ce dernier à l'ensemble des lieux susceptibles d'accueillir des personnes privées de liberté par décision d'une autorité publique (locaux de garde à vue, zones d'attente et centres de rétention administrative, dépôts des palais de justice, etc.) ainsi qu'aux établissements de santé habilités à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement.

Un décret du 12 mars 2008 a défini les modalités de fonctionnement de cette nouvelle institution et, après avoir été entendu par les commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale, M. Jean-Marie Delarue, conseiller d'État, a été nommé Contrôleur général des lieux de privation de liberté par décret du 13 juin 2008.

Au terme de cinq ans et demi d'activité, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) peut se prévaloir d'un bilan remarquable : plus de 800 établissements accueillant des personnes privées de liberté ont été visités et, grâce à la personnalité de son titulaire et à la qualité de ses collaborateurs, le CGLPL a largement contribué à faire progresser la situation des personnes privées de liberté dans notre pays.

L'arrivée prochaine à son terme du mandat (non renouvelable) de M. Jean-Marie Delarue est l'occasion de dresser un bilan des points forts mais également des faiblesses de l'institution, et de prendre les mesures nécessaires pour conforter sa place et son rôle dans le paysage de la défense des libertés publiques.

À cette fin, la présente proposition de loi propose d'apporter à la loi du 30 octobre 2007 un certain nombre de modifications destinées :

- à remédier, par un renforcement du cadre légal de son action, aux difficultés rencontrées par le Contrôleur général dans l'exercice de ses missions ;

- à aligner un certain nombre de ses prérogatives sur celles dont se dont vues dotées, postérieurement à sa création, certaines autorités indépendantes, en particulier le Défenseur des droits ;

- enfin, à consacrer dans la loi un certain nombre de bonnes pratiques mises en place par le Contrôleur général depuis sa prise de fonctions afin de les pérenniser.

I. LE CGLPL : UNE AUTORITÉ INDÉPENDANTE RÉCENTE, QUI S'EST RAPIDEMENT IMPOSÉE COMME UN ACTEUR INCONTOURNABLE DE LA DÉFENSE DES DROITS FONDAMENTAUX

A. UNE AUTORITÉ INDÉPENDANTE DONT L'EXISTENCE EST CONFORTÉE PAR LES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DE LA FRANCE

1. Les mécanismes internationaux de prévention de la torture

Née du constat, il y a une quinzaine d'années, des carences du dispositif français en matière de protection des droits des personnes détenues 3 ( * ) , l'institution d'une autorité chargée de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté a également été rendue nécessaire par les engagements internationaux souscrits par la France au cours des années 2000.

La loi n° 2008-739 du 28 juillet 2008 a ainsi autorisé le Gouvernement français à approuver le protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants, adopté par l'Assemblée générale des Nations-Unies le 18 décembre 2002 .

Ce texte, qui a pour objectif « l'établissement d'un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », demande en particulier à chaque État partie de « mettre en place, désigner ou administrer, à l'échelon national, un ou plusieurs organes de visite chargés de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », qui doivent être autorisés « à effectuer des visites [...] dans tout lieu placé sous [leur] juridiction ou sous [leur] contrôle où se trouvent ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté sur l'ordre d'une autorité publique ou à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite (ci-après dénommé lieu de détention). Ces visites sont effectuées afin de renforcer, s'il y a lieu, la protection desdites personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Aux termes de l'article 18 de ce protocole, ce mécanisme national de prévention doit en particulier présenter des garanties d'indépendance et ses experts posséder les compétences et les connaissances professionnelles requises.

Ce protocole institue parallèlement un sous-comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du Comité contre la torture, qui est chargé d'effectuer des visites dans les États parties et d'épauler si besoin le mécanisme national de protection.

Les missions de ce sous-comité rejoignent ainsi celles exercées dans les États membres du Conseil de l'Europe par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) , institué par la convention européenne du 26 juin 1987 pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, qui a pour mission de veiller au respect de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme 4 ( * ) et de visiter, à cette fin, les lieux de détention placés sous la responsabilité d'une autorité publique, judiciaire ou administrative (y compris les hôpitaux psychiatriques).

Le CPT a effectué à ce titre plusieurs visites en France, la dernière s'étant déroulée en novembre-décembre 2010 5 ( * ) .

2. L'institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté par la loi du 30 octobre 2007

La loi du 30 octobre 2007, qui a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a doté cette autorité d'un champ de compétences et de prérogatives étendues, manifestant par là la volonté du législateur de mettre en place un mécanisme de protection des droits des personnes privées de liberté ambitieux et effectif :

- le champ de compétences de ce dernier ne se limite pas aux lieux accueillant des personnes détenues, mais, comme l'exige le protocole facultatif précité, il couvre l'ensemble des lieux où se trouvent des personnes privées de leur liberté par décision d'une autorité publique (ce qui inclut les locaux de garde à vue, mais également les zones d'attente, les centres de rétention administrative ou encore les locaux de rétention douanière), ainsi que les établissements de santé accueillant des patients hospitalisés sans leur consentement ;

- le législateur n'a pas souhaité limiter ses compétences à la seule prévention de la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants comme l'exigent les instruments internationaux auxquels la France est partie, mais lui a confié le soin de veiller au respect de l'ensemble des « droits fondamentaux » des personnes privées de liberté ;

- le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, « nommé en raison de ses compétences et connaissances professionnelles », bénéficie de garanties d'indépendance . Son mandat de six ans n'est pas renouvelable ;

- il peut être saisi par le Premier ministre, les membres du Gouvernement, les membres du Parlement, le Défenseur des droits, mais également par « toute personne physique, ainsi que toute personne morale s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux ». Il peut également se saisir de sa propre initiative ;

- soumis au secret professionnel, sous réserve des éléments nécessaires à l'établissement des rapports, recommandations et avis qu'il formule, il peut visiter à tout moment, y compris de façon inopinée, tout lieu relevant de son champ de compétence et obtenir à cette occasion, sous certaines réserves limitativement énumérées, la plupart des documents nécessaires à l'exercice de sa mission de contrôle (voir infra ) ;

- enfin, il dispose de plusieurs moyens d'alerter les autorités responsables et les pouvoirs publics sur les atteintes aux droits fondamentaux et sur les carences constatées à l'occasion de l'exercice de sa mission.


* 1 Voir le rapport de commission d'enquête du Sénat n° 449 (1999-2000) de MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, déposé le 29 juin 2000 et consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l99-449/l99-449.html

* 2 Le dossier législatif de cette proposition de loi peut être consulté à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl00-115.html

* 3 Outre le rapport de la commission d'enquête du Sénat précitée, il convient de mentionner les travaux de la mission présidée par M. Guy Canivet consacrée à l'amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, remis en mars 2000, ainsi que ceux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la situation dans les prisons françaises (« La France face à ses prisons », Louis Mermaz, président, Jacques Floch, rapporteur, rapport n°2521, Assemblée nationale, 2000).

* 4 Aux termes duquel « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

* 5 Les rapports de visite du CPT en France peuvent être consultés à l'adresse suivante : http://www.cpt.coe.int/fr/etats/fra.htm. À l'occasion de sa dernière visite, le CPT avait notamment formulé plusieurs recommandations visant à améliorer les conditions de détention dans les cellules de police et de gendarmerie ainsi que dans les centres de rétention administrative, et avait préconisé diverses mesures visant à réduire les risques de violences policières. En matière pénitentiaire, le comité s'était inquiété de la surpopulation carcérale et des risques de violence en détention, notamment entre détenus. Il s'était préoccupé des conditions de transferts de détenus et des soins qui leur sont prodigués en milieu hospitalier de proximité. Enfin, en matière psychiatrique, le CPT avait recommandé l'adoption rapide de mesures à l'égard des personnes en attente de placement en unité pour malades difficiles et des détenus souffrant de troubles psychiatriques nécessitant une prise en charge hospitalière. Le comité avait par ailleurs souligné un certain nombre d'évolutions positives, notamment en matière législative, avec l'adoption de la loi pénitentiaire, de la réforme de la garde à vue et de l'encadrement des hospitalisations sous contrainte, en particulier.

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