B. DES INTERROGATIONS PERSISTANTES

En premier lieu, faute de définition légale de la notion de « mineur isolé étranger », la proposition de loi désigne les mineurs isolés étrangers par référence au 1° de l'article L. 511-4 et à l'article L. 521-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'expression « mineur isolé étranger » n'étant utilisée qu'au dernier alinéa de l'article 1 er . Or, la référence aux articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile fait entrer dans le champ des dispositions de la proposition de loi l'ensemble des mineurs étrangers, qu'ils soient ou non accompagnés d'un adulte titulaire de l'autorité parentale.

Pourtant, la différence de traitement impliquée par la mise en place de centres dédiés pour l'accueil et l'évaluation des mineurs isolés étrangers ne pourrait être justifiée que par la mission spécifique d'évaluation de la minorité et du statut d'isolement sur le territoire français. La mise en oeuvre de cette mission n'étant pas nécessaire pour des mineurs étrangers accompagnés, il n'y aurait pas lieu de les envoyer dans ces centres dédiés comme le prévoit l'article 5 dans sa rédaction actuelle, sauf à admettre une différence de traitement fondée sur le critère de la nationalité et non sur une différence de statut 18 ( * ) . Cela contreviendrait aux engagements internationaux de la France et serait contraire au principe communautaire de non-discrimination à raison de la nationalité posé par l'article 18 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

En second lieu, en regroupant les mineurs étrangers dans des centres dédiés placés en dehors du dispositif départemental de l'aide sociale à l'enfance, la proposition de loi procède à un transfert de compétence des départements vers l'État pour l'accueil, l'évaluation et l'orientation des mineurs étrangers. Bien que la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République ait été conçue pour faciliter la décentralisation, donc le transfert des compétences de l'État vers les collectivités territoriales, la rédaction du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution n'interdit certes pas le transfert de compétences des collectivités territoriales vers l'État. Il dispose en effet que « tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice . » Ainsi, si le transfert d'une compétence des départements vers l'État est possible, il est soumis au même principe de compensation financière qu'un transfert de compétence de l'État vers une collectivité. Or, la proposition de loi ne prévoit pas une telle compensation.

Par ailleurs, ainsi que la Commission nationale de l'informatique et des libertés le faisait remarquer à votre rapporteur, il existe une contradiction entre les objectifs affichés par l'exposé des motifs et le dispositif de l'article 6 de la proposition de loi qui se borne à assigner comme finalité au traitement de données créé une meilleure protection des mineurs étrangers : « afin de mieux assurer la protection des mineurs mentionnés au 1° de l'article L. 511-4 et à l'article L. 521-4,... ». Votre rapporteur s'interroge donc sur le manque de précision de cette disposition au regard du principe de finalité - déterminée, explicite et légitime -, posé par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Et ce, d'autant que le dispositif prévoit le recueil de données biométriques considérées comme des données sensibles, pour l'autorisation duquel il doit être procédé à un strict examen de proportionnalité au regard de la finalité recherchée - caractère adéquat, pertinent et non excessif des données recueillies.

Au surplus, il a semblé à votre rapporteur que le législateur ne pouvait laisser de côté la question de l'accueil des mineurs isolés étrangers outre-mer et tout particulièrement à Mayotte, le rapport de nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan ayant montré l'acuité du problème dans ce département 19 ( * ) .

Le législateur devrait également s'interroger sur le devenir des mineurs isolés étrangers à leur majorité. Le 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'autorise actuellement la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire à l'étranger ayant été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance qu'à condition que cette prise en charge soit intervenue avant l'âge de seize ans, alors même que la majorité des mineurs isolés étrangers arrivent sur notre territoire âgés de seize à dix-sept ans.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre rapporteur a proposé à votre commission l'adoption d'une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi, soulignant en outre que l'examen au printemps d'un nouveau projet de loi de décentralisation serait l'occasion idoine pour réfléchir de nouveau à la répartition des compétences entre l'État et les départements.


* 18 Le Conseil constitutionnel a en effet admis que le législateur puisse subordonner à la régularité du séjour le bénéfice des droits sociaux ; s'agissant de mineurs non soumis à l'obligation de détenir un titre de séjour, ce critère ne peut trouver à s'appliquer au cas d'espèce (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993).

* 19 Cf. rapport d'information fait au nom de la commission des lois (n° 675, 2011-2012)
http://www.senat.fr/rap/r11-675/r11-6756.html#toc317.

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