EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 5 février 2013

Mme Esther Benbassa , rapporteure . - Nous examinons la proposition de loi n° 232 de Mme Hélène Lipietz créant un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical. Cela répond à une préoccupation ancienne : en 2011, Mmes Alima Boumediene-Thiery et Nicole Borvo Cohen-Seat avaient déposé des propositions de loi d'objet similaire. Très récemment, notre collègue Cécile Cukierman a fait de même. Il s'agit de combler un vide juridique et de mettre un terme à une inégalité de droits entre prévenus et condamnés, comme l'ont préconisé en juillet 2012 M. Jean-René Lecerf et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat dans leur rapport d'évaluation de la loi pénitentiaire.

Ce texte crée un dispositif de suspension de la détention provisoire pour motif médical qui s'inspire très largement des dispositions de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale applicables aux détenus condamnés : rien ne justifie qu'aucun dispositif similaire ne permette à une personne prévenue d'obtenir la suspension de sa mesure de détention provisoire lorsque son état de santé est incompatible avec une détention ou que son pronostic vital est engagé. Au contraire, bénéficiant de la présomption d'innocence, les personnes prévenues devraient bénéficier de conditions plus favorables que les personnes condamnées. Or, elles se trouvent exposées à des conditions de détention plus défavorables : elles sont exclusivement incarcérées en maisons d'arrêt, établissements pour la plupart confrontés à une situation de surpopulation carcérale chronique, qui complique l'organisation des extractions médicales, pourtant nécessaires pour réaliser des examens médicaux ou subir un traitement particulier à l'extérieur de la maison d'arrêt.

Aux termes de la proposition de loi, la personne qui bénéficierait de la procédure proposée pourrait être soumise à un contrôle judiciaire ou assignée à résidence avec surveillance électronique. Le juge d'instruction pourrait à tout moment ordonner une nouvelle expertise et la suspension de détention provisoire pourrait prendre fin si les conditions n'en sont plus réunies ou si les obligations ne sont pas respectées.

Le dispositif retenu pour l'article 1 er présente certaines différences avec celui de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale. Alors que, pour les condamnés, deux expertises médicales distinctes et concordantes sont requises, la nouvelle procédure pourrait être mise en oeuvre au vu d'une unique expertise médicale. Contrairement à l'article 720-1-1 du code de procédure pénale, la proposition de loi ne prévoit pas d'exception lorsqu'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction. Elle ne prévoit pas non plus d'obligation de nouvelle expertise médicale régulière en matière criminelle. Enfin, elle assouplit le dispositif en prévoyant que l'état de santé du prévenu devrait être « incompatible avec le maintien en détention » et non « durablement » incompatible avec un tel maintien, et que la procédure d'urgence pourrait être mise en oeuvre lorsque le pronostic vital « semble » engagé, et non « est » engagé. Les articles 2 et 3 comportent les nécessaires coordinations prévoyant la compétence du juge des libertés et de la détention et permettant à la personne concernée de solliciter à tout moment la suspension de sa détention provisoire.

Je vous proposerai tout à l'heure un amendement pour sécuriser la proposition de loi sur le plan juridique.

M. Jean-Jacques Hyest . - J'ai toujours milité pour que les détenus dont le pronostic vital est engagé puissent être libérés. Il y a eu des cas dramatiques. Le dispositif des grâces médicales était très complexe et aléatoire. Le dispositif de suspension de peine que nous avons introduit en 2002 a constitué un réel progrès. Il n'est guère heureux qu'un certain Papon ait été l'un des premiers à en bénéficier... Ce dispositif permet à des personnes ayant commis d'affreux crimes de ne pas mourir au fond d'une cellule. Certains détenus peuvent être atteints d'une maladie dégénérative : ce sont alors d'autres détenus qui s'occupent d'eux.

Le débat ouvert par cette proposition de loi me semble un peu théorique. La détention provisoire devrait être exceptionnelle. Puis, y a-t-il un juge d'instruction qui mette en détention provisoire une personne qui est manifestement à bout ? La solution existe : chaque hôpital situé à proximité d'une maison d'arrêt dispose d'un quartier sécurisé. Je ne comprends donc pas l'objet de cette proposition de loi. Quels sont les cas qui ont posé problème ?

M. Jean-Pierre Michel . - Je partage l'opinion de M. Hyest : ce débat est largement théorique. Une simple modification de quelques articles du code de procédure pénale suffirait. Pour autant, nous pouvons accepter ce texte, à titre préventif. Après tout, une maladie grave peut survenir au cours de la détention provisoire. Et si un tel dispositif existe pour les condamnés, pourquoi ne pas le prévoir pour des personnes présumées innocentes ?

M. Jean-Pierre Sueur , président . - La détention provisoire peut durer plusieurs années : la situation du détenu peut donc évoluer...

Mme Hélène Lipietz . - C'est la raison pour laquelle j'ai repris, avec ce texte, une proposition de loi déposée il y a deux ans par notre ancienne collègue Alima Boumediene-Thiery. Les avocats savent bien - et je tiens à rendre hommage au travail d'Etienne Noel, qui a tant fait pour que le droit entre dans la prison - que leur client, surtout s'il est innocent, répugnera, face au juge, à mettre en avant son état de santé pour échapper à l'incarcération ; qu'une fois en prison, comme les cours d'assises sont débordées, il peut y rester pendant un certain temps, et qu'une maladie peut se déclencher dont l'évolution peut être très rapide ; qu'il est toujours possible de demander la mise en liberté de son client, mais que cela peut prendre du temps, sauf si l'on connaît le juge d'instruction, ce qui est profondément anormal ! Cette proposition de loi mettra notre droit en conformité avec le droit international. La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme car les conditions de détention provisoire n'y respectent pas la dignité humaine.

Mme Cécile Cukierman . - Nous avons rédigé une proposition de loi d'objet similaire car il est surprenant que ce dispositif existe pour les condamnés et non pour les personnes placées en détention provisoire, qui sont présumées innocentes. Elle n'a pas vocation à ouvrir le débat nécessaire sur les conditions de la détention provisoire et sur les conséquences qu'elle peut avoir. Elle doit être humanisée. Cette proposition de loi traite de son aspect médical. Nous voterons donc cette proposition de loi.

M. François Grosdidier . - Je la voterai aussi, même si elle reste largement théorique et ne concernera que peu de cas. Il est surprenant que le régime de la détention provisoire soit plus sévère que celui de l'exécution de la peine. De plus, la France se fait régulièrement rappeler à l'ordre par l'Europe sur la garde à vue, la détention provisoire et la toute-puissance du juge d'instruction qui ne prend pas toujours des mesures équilibrées et proportionnées. Nous ne pouvons pas laisser au seul juge d'instruction le pouvoir de remettre en liberté, pour raison médicale, des personnes en détention provisoire. De même, il était malsain que seule la grâce présidentielle permette aux détenus condamnés d'être remis en liberté. Je rappelle que les personnes gardées à vue peuvent, elles, être examinées par un médecin qui décidera si leur état de santé est compatible avec la garde à vue. Nous devons encadrer le pouvoir discrétionnaire des magistrats sur ce point.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Il me paraît cohérent que notre commission vote ce texte qui reprend strictement la préconisation n° 17 du rapport de Mme Borvo Cohen-Seat et de M. Lecerf que nous avions adopté.

Mme Esther Benbassa , rapporteure . - Actuellement, 17 000 personnes, soit un quart de la population carcérale, sont en détention provisoire, détention qui peut durer jusqu'à trois ans, parfois plus ! D'après le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, entre 200 et 300 détenus sont très malades. Les juges d'instruction ne demandent pas systématiquement une expertise médicale avant la détention provisoire. En outre, les hôpitaux des prisons ne sont pas adaptés au traitement des affections de longue durée : ainsi, l'hôpital de Fresnes n'est pas équipé pour les chimiothérapies, par exemple.

M. Jean-Jacques Hyest . - Il n'y a pas que Fresnes !

Mme Esther Benbassa , rapporteure . - Un rapport à la garde des sceaux et à la ministre de la santé, qui n'a pas encore été publié, établit des constats très critiques sur la situation des détenus très malades.

Il serait paradoxal qu'en matière de santé, le régime applicable aux personnes présumées innocentes soit plus sévère que pour celles qui ont été condamnées. Quant aux abus, ils sont exceptionnels. Il faut appliquer les textes en vigueur et faire acte d'humanité pour ces personnes malades.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE LA RAPPORTEURE

Article 1 er

Mme Esther Benbassa , rapporteure . - L'amendement n° 1 réécrit l'article 1 er pour tenir compte des remarques entendues lors de nos auditions et des observations du ministère de la justice. L'état de santé du prévenu pourra constituer non pas un motif de suspension de la détention provisoire mais une cause de mise en liberté. En cas d'amélioration de l'état de santé, il appartiendra au juge d'instruction de demander éventuellement le placement en détention provisoire de l'intéressé dans les conditions de droit commun, en justifiant cette demande par l'un des objectifs énoncés à l'article 144 du code de procédure pénale. La détention provisoire ne peut en effet pas être traitée de la même façon qu'une peine de prison ferme car, par principe, il s'agit d'une situation exceptionnelle et provisoire. Prévoir un simple mécanisme de suspension aurait permis la réincarcération quasi automatique de la personne prévenue en cas d'amélioration de son état de santé, sans débat préalable devant le juge. Cet amendement remédie à cette difficulté. Il améliore également le dispositif initial : afin de prendre en compte les situations les plus complexes, il introduit, comme à l'article 720-1-1 relatif aux condamnés, une exception lorsqu'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction. D'autre part, il précise les modalités d'application s'agissant des personnes atteintes de troubles mentaux et détenues en hôpital psychiatrique. Mme Campion, auteur de l'amendement qui avait prévu cette exception pour les condamnés lors de l'examen de la loi du 4 mars 2002, ne voulait pas prendre le risque de libérer une personne atteinte de troubles mentaux qui, même si elle n'a pas sa place en prison, pourrait s'avérer dangereuse pour elle-même ou pour autrui.

Toutefois, comme l'a expliqué lors d'une audition un des auteurs du rapport auquel je faisais référence tout à l'heure, cette restriction a été interprétée par les professionnels de santé comme interdisant de façon générale l'application du dispositif de suspension de peine aux personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Cela n'était pas l'intention du législateur, mais il y a eu incompréhension en raison de la rédaction de cet article. C'est pourquoi mon amendement précise que ce dispositif vise exclusivement le cas des personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur consentement.

M. François Zocchetto . - Je remercie notre rapporteure d'avoir tenu compte des travaux de la commission en 2005 lors de l'examen du texte sur la récidive : s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la libération ne doit pas intervenir.

M. Jean-Jacques Hyest . - Je regrette que dans un cas, il y ait deux expertises et dans l'autre une seule. Je ne voudrais pas que l'on nous reproche de favoriser les certificats de complaisance. En dehors de cette réserve, à la lumière de nos échanges et au bénéfice de l'amendement proposé par notre rapporteure, j'approuve le dispositif.

Ne mettons pas tout sur le dos des juges d'instruction : il y a des tas de gens qui restent en détention provisoire pendant dix-huit mois, voire deux ans, alors que l'instruction est bouclée ! Mme Lipietz a soulevé un vrai problème lorsqu'elle a évoqué les délais d'enrôlement avant le passage en cour d'assises.

Mme Hélène Lipietz . - Pour les présumés innocents, un seul certificat doit suffire, alors que pour les condamnés, deux sont nécessaires.

M. Jean-Jacques Hyest . - Il est surprenant de dire que la présomption d'innocence justifie un seul certificat.

Mme Esther Benbassa , rapporteure . - La pénurie d'experts a été évoquée au cours de nos auditions. Lors de la détention provisoire, qui doit être la plus courte possible, il est difficile de trouver un deuxième expert. En outre, la plupart de ces experts sont déconnectés du monde carcéral et ne tiennent pas compte de l'environnement spécifique des prisons, alors qu'ils doivent se prononcer sur la compatibilité de l'état de santé du détenu avec les conditions de détention !

M. Jean-Jacques Hyest . - On leur demande de connaître la pathologie !

Mme Esther Benbassa , rapporteure . - Certes, mais le contexte est essentiel.

L'amendement n° 1 est adopté et l'article 1 er est ainsi rédigé.

Article additionnel après l'article 1 er

Mme Esther Benbassa , rapporteure . - L'amendement n° 4 permet d'appliquer cette proposition de loi dans les collectivités d'outre-mer soumises, en matière pénale, au principe de spécialité législative.

L'amendement n° 4 est adopté et devient l'article 1 er bis (nouveau).

Article 2

L'amendement de conséquence n° 2 est adopté et l'article est supprimé.

Article 3

L'amendement de conséquence n° 3 est adopté et l'article est supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans le texte issu des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er

Mme BENBASSA, rapporteure

1

Réécriture du dispositif

Adopté

Article additionnel après l'article 1 er

Mme BENBASSA, rapporteure

4

Application outre-mer

Adopté

Article 2

Mme BENBASSA, rapporteure

2

Suppression

Adopté

Article 3

Mme BENBASSA, rapporteure

3

Suppression

Adopté

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