B. LES CAUSES DU PHÉNOMÈNE

La Cour des comptes relève que les assureurs ont pu se montrer défaillants dans l'accomplissement de plusieurs de leurs obligations , notamment celle tenant à l'identification des assurés décédés. Celle-ci a été mise en oeuvre tardivement et de manière trop restrictive, au point que, lorsque les critères recommandés par les organismes professionnels représentatifs 7 ( * ) étaient appliqués, jusqu'à 90 % des décès d'assurés restaient potentiellement inconnus des assureurs. La part anormalement élevée de centenaires parmi les assurés sur la vie, dont certains battent tous les records de longévité, est un signe particulièrement révélateur de ces dysfonctionnements.

Le manque de diligence de certains assureurs à s'acquitter de leurs obligations de recherche et d'information des bénéficiaires d'un contrat d'assurance sur la vie après le décès de l'assuré a également été constaté et contribue à expliquer l'ampleur du phénomène.

Certes, la recherche des bénéficiaires n'est pas toujours aisée et les assureurs gagneraient à disposer de sources d'information et de moyens d'investigation supplémentaires. Toutefois, les difficultés auxquelles ils sont confrontés sont, au moins pour partie, de leur fait. Il en va ainsi de leurs bases de données, souvent incomplètes ou erronées , qui les empêchent de consulter avec efficacité le répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP) pour s'informer du décès éventuel d'un assuré, de chercher avec de réelles chances de succès les bénéficiaires ou de répondre de manière fiable aux particuliers souhaitant savoir si des sommes leurs sont dues au titre d'un contrat d'assurance sur la vie souscrit par un proche décédé.

À la suite des nombreux rapprochements intervenus dans le secteur des assurances, des informations ont en outre été perdues. Il a ainsi été expliqué à votre rapporteur que le transfert de certaines bases de données d'une compagnie à une autre ou d'un système informatique à un autre avait été effectué sans reprise des dates de naissance, les champs correspondants ayant ensuite été complétés par des données fictives. Or sans date de naissance, il peut s'avérer impossible de retrouver la personne recherchée parmi des dizaines voire des centaines d'homonymes.

En outre, sur de nombreux contrats, souvent anciens, figure le seul nom marital de l'assurée ou de la bénéficiaire, alors que le RNIPP ne comporte que les noms patronymiques.

Il faut à ce sujet souligner que, d'une manière générale, les assureurs ont longtemps prêté une attention insuffisante à la rédaction des clauses désignant les bénéficiaires , qui ne permettaient pas toujours d'identifier ces derniers sans ambiguïté.

Pourtant, comme l'avait souligné notre ancien collègue Henri de Richemont dans son rapport, au nom de la commission des lois, sur la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007 8 ( * ) , les dispositions relatives aux contrats d'assurance vie en déshérence ne donneront « des résultats probants à moindre coût pour l'assureur que si ce dernier a correctement conseillé le stipulant dans la rédaction de la clause bénéficiaire figurant au contrat ». Ce conseil constitue d'ailleurs une obligation pour l'assureur.

Le devoir de conseil de l'assureur en matière de désignation des bénéficiaires d'un contrat d'assurance sur la vie

La réponse ministérielle du 23 juillet 2009 à une question de notre collègue député Marc Laffineur rappelle que « l'article L. 132-9-1 du code des assurances prévoit que le contrat comporte une information sur les conséquences de la désignation du ou des bénéficiaires et sur les modalités de cette désignation » et indique qu'il « appartient à l'assureur de veiller à la parfaite adéquation entre les mentions figurant dans la clause bénéficiaire et les objectifs poursuivis par le souscripteur lors de la conclusion du contrat afin d'éviter toutes difficultés ultérieures ».

Il faut préciser que le professionnel de l'assurance doit conseiller son client lors de la souscription du contrat mais également pendant toute la durée de ce dernier.

La décision de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2013 (n° 1200558) donne un exemple d'application de ce principe. Elle sanctionne un agent général, sur le fondement d'un manquement à son obligation de conseil, pour ne pas avoir proposé à son client, après son mariage, de modifier la clause bénéficiaire de l'assurance vie souscrite antérieurement.

En effet, la veuve a pu démontrer que le défunt avait pris des dispositions afin d'assurer sa sécurité financière et que celui-ci aurait donc été susceptible de modifier en sa faveur la clause bénéficiaire si l'assureur l'avait proposé, alors que l'agent général n'a pas pu apporter la preuve qu'il avait interrogé l'assuré sur son souhait de modifier ou non cette clause à la suite à son mariage.

Source : commission des finances

Parmi les facteurs contribuant à l'ampleur du phénomène des contrats non réglés, on peut également citer les conditions de revalorisation post mortem des capitaux garantis en cas de décès , souvent peu protectrices des intérêts des bénéficiaires et n'incitant pas l'assureur à retrouver ces derniers.

Il faut enfin signaler l'insuffisance des contrôles effectués par l'ACPR sur le respect de ces obligations dans la période passée. Toutefois, ils se sont très nettement renforcés depuis 2011 et ont donné lieu à une première décision, rendue par la commission des sanctions de l'ACPR le 7 avril 2014 contre la société Cardif , du groupe BNP Paribas , et consistant en un blâme assorti d'une pénalité de 10 millions d'euros. Ce montant est important au regard des décisions passées mais à relativiser compte tenu des sommes en jeu et du plafond des sanctions pécuniaires qui a été porté de 50 millions d'euros à 100 millions d'euros par la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière.

Le législateur, en rehaussant ce plafond, ne pouvait pas inviter plus clairement la commission des sanctions de l'ACPR, souveraine dans son appréciation, à exercer la plénitude de ses pouvoirs lorsque les manquements constatés le justifient. On rappellera à ce sujet que votre commission des finances a décidé de conduire, conjointement avec la commission pour le contrôle de l'application des lois, une mission d'information sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers.

Le sort des sommes dues au titre de contrats d'assurance vie ou de capitalisation en déshérence est réglée par un régime de prescription double :

- la prescription prévue par l'article L. 114-1 du code des assurances, qui dispose que toutes les actions « dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance ». Toutefois, ce délai ne court qu'à compter du jour où les intéressés ont eu connaissance du fait générateur. De plus, ce délai est porté à dix ans « dans les contrats d'assurance sur la vie lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur ». Cette prescription vise les cas où les destinataires des fonds, dument avertis de l'existence de ces derniers et des conséquences d'une absence de réclamation, s'en sont totalement désintéressés et les ont abandonnés ;

- la prescription trentenaire fixée par l'article L. 1126-1 du CG3P et qui prévoit que « les sommes dues au titre de contrats d'assurance sur la vie comportant des valeurs de rachat ou de transfert et n'ayant fait l'objet, à compter du décès de l'assuré ou du terme du contrat, d'aucune demande de prestation auprès de l'organisme d'assurance depuis trente années ».

La Cour des comptes a observé que cette dernière disposition n'a été que très peu appliquée par les assureurs , qui ont parfois affecté, sans fondement légal, les sommes non réglées aux bénéfices des contrats, dont l'essentiel du montant est redistribué à la communauté des assurés 9 ( * ) .


* 7 Aujourd'hui en cours de révision.

* 8 Rapport n° 63 (2007-2008), fait au nom de la commission des lois, déposé le 30 octobre 2007.

* 9 La réponse ministérielle du 14 février 2008 à une question écrite de notre collègue sénateur Catherine Procaccia admet que, pour les contrats souscrits et dénoués avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 qui a affecté les capitaux prescrits au fonds de réserve des retraites, l'obligation de transfert des sommes dues au terme de la prescription trentenaire ne s'applique que « dans la mesure où la prestation n'a pas encore été payée, réclamée ou distribuée sous forme de participation aux bénéfices ». Cette tolérance de l'administration, qui n'a pas de valeur légale, est destinée à ne pas contraindre les assureurs à verser à nouveau une prestation prescrite dès lors qu'elle a déjà donné lieu à un versement, notamment sous forme de participation au bénéfice, même en infraction avec la loi. Il reste que les bénéfices financiers et techniques réalisés sur un contrat ne sont redistribués qu'à hauteur respectivement de 85 % et 90 %.

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