CHAPITRE II BIS - DISPOSITIONS RELATIVES À LA JUSTICE RESTAURATIVE

Article 7 quinquies (art. 10-1 [nouveau] du code de procédure pénale) - Possibilité de recourir à des mesures de justice restaurative à tout stade de la procédure pénale

Le présent article, issu d'un amendement du Gouvernement adopté par les députés en séance publique, vise à introduire dans le code de procédure pénale la possibilité de recourir à des mesures de justice restaurative à tout stade de la procédure pénale.

La justice « restaurative » ou justice « réparatrice » est une doctrine d'action pénale tendant à favoriser, lorsque les circonstances le permettent, des rencontres entre auteurs d'infractions et victimes, sous la responsabilité de médiateurs et en présence de représentants de la société civile.

Apparue dans les années 1970 aux États-Unis, sous l'impulsion de Howard Zehr, professeur de criminologie, la justice restaurative poursuit pour l'essentiel trois objectifs: tendre à la réparation du préjudice subi par la victime ; favoriser la réinsertion du condamné ; rétablir la paix sociale.

Le but de cette démarche est tout d'abord de donner à l'auteur des faits l'occasion de comprendre ses actes et d'en assumer le poids. Elle peut également permettre d'éviter sa désocialisation. Une étude menée en 2003 au Canada a montré qu'elle se traduisait par une diminution significative du risque de récidive.

Par ailleurs, les mesures de justice restaurative accordent à la victime une part active dans le processus judiciaire et participent à sa reconstruction, avec le soutien des travailleurs sociaux.

En théorie, la justice restaurative peut se traduire par diverses mesures, parmi lesquelles figurent la médiation victime - auteur, la « conférence de groupe familial », le « cercle de détermination de la peine » (ou « cercle de sentence »). D'autres mesures s'en rapprochent, comme les commissions vérité - réconciliation ou les cercles de soutien et de responsabilité.

Deux conditions doivent être remplies préalablement à leur mise en oeuvre : d'une part, l'ensemble du processus doit être maîtrisé par un professionnel d'un bout à l'autre ; d'autre part, toute mesure doit faire l'objet d'une préparation approfondie, destinée à vérifier notamment la capacité de la victime et de l'auteur des faits à s'investir dans la démarche. De ce point de vue, la justice restaurative n'est pas adaptée à toutes les infractions ou à toutes les personnes - auteurs des faits ou victimes - confrontées au système judiciaire.

Explorée dans une dizaine de pays, notamment au Canada et en Belgique, cette démarche est encore largement inconnue en France, où elle se heurte aux réticences d'un certain nombre d'acteurs du système judicaire, notamment de l'administration pénitentiaire. En l'état de notre droit, elle se limite, pour les majeurs, aux mesures de médiation pénale (qui ne peuvent être mises en oeuvre qu'au stade des alternatives aux poursuites) et, pour les mineurs, de réparation pénale .

La question de la justice restaurative a fait irruption dans le débat public français en 2010 avec la médiatisation qu'a reçue la correspondance échangée entre les parents d'un jeune homme assassiné en raison de son homosexualité et l'un des agresseurs de leur fils.

Puis, une expérience tendant à organiser une série de rencontres entre des victimes et des auteurs de délits, impliqués dans des affaires différentes, a été menée au printemps 2010 à la maison centrale de Poissy.

En mars 2011, l'École nationale d'administration pénitentiaire a organisé la première journée d'études consacrée à la justice restaurative.

Lors des XXVII èmes assises de l'Institut d'aide aux victimes (INAVEM), en juin 2012, la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, a annoncé son intention de développer en France les expériences de justice restaurative.

Dans ce cadre, une nouvelle expérience de rencontres « détenus - victimes » a été conduite en début d'année 2014.

Ces expériences disposent désormais d'un cadre législatif européen , avec la directive 2012/29/UE du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité, qui devra être transposée par les Etats membres au plus tard le 16 novembre 2015.

Aux termes de son considérant n°46, celle-ci considère que « les services de justice réparatrice, tels que la médiation entre la victime et l'auteur de l'infraction, la conférence en groupe familial et les cercles de détermination de la peine, peuvent être très profitables à la victime mais nécessitent la mise en place de garanties pour éviter qu'elle ne subisse une victimisation secondaire et répétée, des intimidations et des représailles. Par conséquent, ces services devraient accorder la priorité aux intérêts et aux besoins de la victime, à l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi et à la prévention de tout nouveau dommage. Des éléments tels que la nature et la gravité de l'infraction, le niveau du traumatisme occasionné, la violation répétée de l'intégrité physique, sexuelle ou psychologique de la victime, les déséquilibres dans les rapports de force, l'âge, la maturité ou la capacité intellectuelle de la victime, qui pourraient limiter ou réduire son aptitude à décider en connaissance de cause ou compromettre une issue positive pour elle, devraient être pris en considération lorsqu'il s'agit de renvoyer une affaire aux services de justice réparatrice et durant ce processus de justice réparatrice. Les processus de justice réparatrice devraient, en principe, être confidentiels, sauf accord contraire entre les parties ou lorsque le droit national en décide autrement en raison d'un intérêt général supérieur. Certains éléments, tels que l'expression de menaces ou toute autre forme de violence commise durant le processus, peuvent être considérés comme exigeant d'être divulgués dans l'intérêt général ».

Sur ce fondement, l'article 12 de la directive dispose :

« 1. Les États membres prennent des mesures garantissant la protection de la victime contre une victimisation secondaire et répétée, des intimidations et des représailles, applicables en cas de recours à tout service de justice réparatrice. Ces mesures garantissent l'accès de la victime qui choisit de participer au processus de justice réparatrice à des services de justice réparatrice sûrs et compétents aux conditions suivantes :

« a) les services de justice réparatrice ne sont utilisés que dans l'intérêt de la victime, sous réserve de considérations relatives à la sécurité, et fonctionnent sur la base du consentement libre et éclairé de celle-ci, qui est révocable à tout moment ;

« b) avant d'accepter de participer au processus de justice réparatrice, la victime reçoit des informations complètes et impartiales au sujet de ce processus et des résultats possibles, ainsi que des renseignements sur les modalités de contrôle de la mise en oeuvre d'un éventuel accord ;

« c) l'auteur de l'infraction a reconnu les faits essentiels de l'affaire ;

« d) tout accord est conclu librement et peut être pris en considération dans le cadre d'une procédure pénale ultérieure ;

« e) les débats non publics intervenant dans le cadre de processus de justice réparatrice sont confidentiels et leur teneur n'est pas divulguée ultérieurement, sauf avec l'accord des parties ou si le droit national l'exige en raison d'un intérêt public supérieur.

« 2. Les États membres facilitent, le cas échéant, le renvoi des affaires aux services de justice réparatrice, notamment en établissant des procédures ou des directives relatives aux conditions d'un tel renvoi ».

Afin de donner un cadre législatif aux expériences mises en oeuvre en France, le présent article propose d'insérer un nouvel article 10-1 dans le code de procédure pénale 82 ( * ) aux termes duquel les victimes et l'auteur d'une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, pourraient se voir proposer une mesure de justice restaurative à l'occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure , y compris lors de l'exécution de la peine.

Conformément à la définition proposée par l'article 2 de la directive précitée, la justice restaurative serait définie comme « toute mesure permettant à une victime ainsi qu'à l'auteur d'une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission ».

Cette mesure ne pourrait intervenir qu'après que la victime et l'auteur de l'infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer.

En tout état de cause, elle ne pourrait être mise en oeuvre que par un tiers indépendant formé à cet effet , sous le contrôle de l'autorité judicaire ou, à la demande de celle-ci, de l'administration pénitentiaire .

Comme l'indique l'exposé des motifs de l'amendement adopté par les députés, cette définition est suffisamment large pour permettre d'englober à la fois les expérimentations hétérogènes qui existent actuellement en la matière ainsi que les futures pratiques qui pourront se développer à l'avenir, sous l'impulsion du droit européen, et qui pourront, si nécessaire, être ensuite encadrées par décret.

La justice restaurative constituera ainsi une nouvelle forme de réponse de l'autorité judiciaire, complétant, au cours d'une procédure pénale, la mise en oeuvre de l'action publique tendant au prononcé d'une peine ainsi que la mise en oeuvre de l'action civile tendant à la réparation du préjudice. En aucun cas elle ne constituera une modalité ou une condition de leur mise en oeuvre : de ce point de vue, comme l'a indiqué Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, devant les députés, « pour que la justice restaurative conserve son essence et sa destination, à savoir qu'elle aide la victime qui y consent à se réparer et qu'elle permette à l'auteur de l'infraction de bien prendre la mesure du préjudice qu'il a infligé à la victime, il importe que l'acte soit vraiment volontaire et gratuit au sens le plus noble du terme : qu'on n'en attende pas une rétribution, qu'il n'y ait pas de dispense de peine, ou d'avantages retirés de la participation à cet exercice » 83 ( * ) .

Au vu des expériences intéressantes conduites dans d'autres pays, notamment au Canada, votre commission approuve pleinement ces dispositions qui, en parallèle de la poursuite du processus judiciaire « classique », offriront aux victimes et aux auteurs d'infractions qui y consentent un moyen de restauration durable d'un équilibre social remis en cause par l'infraction.

Votre commission a adopté l'article 7 quinquies sans modification .


* 82 Les articles 10-1 à 10-14 du code de procédure pénale, introduits à titre expérimental par la loi n°2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, étant devenus caduques, faute pour le législateur d'avoir confirmé et généralisé l'expérimentation à la date du 1 er janvier 2014.

* 83 JOAN, compte-rendu des débats de la troisième séance du jeudi 5 juin 2014.

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