EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE IER - DISPOSITION TENDANT À TRANSPOSER LA DÉCISION-CADRE 2009/948/JAI DU CONSEIL DU 30 NOVEMBRE 2009 RELATIVE À LA PRÉVENTION ET AU RÈGLEMENT DES CONFLITS EN MATIÈRE D'EXERCICE DE LA COMPÉTENCE DANS LE CADRE DES PROCÉDURES PÉNALES

Article 1er (section 8 [nouvelle] du chapitre II du titre X du livre IV du code de procédure pénale : art. 695-9-54 à 695-9-57 [nouveaux]) - Échange d'informations entre les autorités pénales françaises et leurs homologues européennes, afin d'éviter le cumul de procédures sur les mêmes faits

Cet article vise à transposer dans notre droit la procédure définie par la décision-cadre 2009/948/JAI du Conseil de l'Union européenne du 30 novembre 2009, dont l'objet est d'éviter, par un échange d'informations suffisamment précoce, la conduite, dans plusieurs États membres de l'Union européenne, de procédures pénales parallèles portant sur les mêmes faits et mettant en cause les mêmes personnes.


L'absence actuelle, au sein de l'Union européenne, de mécanismes de dessaisissement d'une autorité judiciaire d'un État membre au profit de celle d'un autre État membre

La décision cadre du 30 novembre 2009 tente d'apporter une réponse, à l'échelle européenne, à une question - le conflit qu'engendre la poursuite, dans plusieurs États membres, de procédures pénales parallèles, relatives à la même affaire - qui est résolue, dans notre système judiciaire national, par le mécanisme du dessaisissement d'un juge au profit d'un autre.

En France, lorsque deux juges d'instruction ou deux juridictions pénales sont saisis des mêmes faits impliquant les mêmes personnes, le ministère public ou les parties peuvent demander le renvoi de l'affaire à un seul d'entre eux.

Dans le cas de l'instruction et seulement si la demande émane du parquet, ce dessaisissement peut être décidé d'un commun accord par les juges concernés (procédure dite du « dessaisissement amiable ») 17 ( * ) . À défaut d'accord ou lorsque le conflit de compétence concerne deux tribunaux correctionnels, deux tribunaux de police ou deux juridictions de proximité, la décision échoit à la chambre de l'instruction. Dans tous les autres cas, en particulier pour les cours d'assises, il revient à la chambre criminelle de la Cour de cassation de décider quel tribunal ou quel juge sera compétent pour l'affaire. L'arrêt rendu par les juridictions supérieures sur cette question est appelé « arrêt de règlement de juges ».

Un tel arrêt, rendu par une chambre d'instruction, est signifié aux parties et peut faire l'objet d'un recours en cassation 18 ( * ) . Lorsque la chambre criminelle de la Cour de cassation est saisie, elle peut communiquer la requête aux parties, afin qu'elles lui retournent leurs observations 19 ( * ) .

Ces procédures de dessaisissement ne concernent que des autorités judiciaires françaises. Le cas d'un dessaisissement au profit d'un juge étranger n'est pas prévu, sauf dans le cas très particulier de certains tribunaux pénaux internationaux 20 ( * ) .

Une telle procédure n'existe pas non plus, en matière pénale, au niveau européen.

La décision-cadre que transpose le présent article est une première tentative pour avancer dans cette voie, en laissant cependant aux autorités judiciaires toute latitude pour décider des suites à donner au constat que plusieurs procédures parallèles sont conduites dans plusieurs États membres.


Le dispositif proposé par la décision-cadre : une obligation d'information pour favoriser un dessaisissement amiable

Le dispositif promu par la décision-cadre comporte deux volets.

Le premier est contraignant pour les autorités judiciaires des États membres. Il s'agit d'une obligation de prise de contact et d'échange d'informations.

Si l'une d'entre elles a des motifs raisonnables de croire qu'une procédure pénale est ouverte dans un autre pays, qui met en cause les mêmes faits et les mêmes personnes que celle qu'elle conduit elle-même, elle doit contacter l'autorité compétente de l'État intéressé et lui fournir un certain nombre de renseignements (description des circonstances de l'affaire, renseignements pertinents sur les personnes impliquées, état d'avancement de la procédure, informations sur la détention provisoire ou la garde à vue des intéressés).

L'autorité interpellée est tenue de lui répondre, en confirmant si une procédure pénale identique est bien en cours dans son pays et quel est l'état de son avancement. Une trace écrite de ces échanges d'informations doit être conservée.

Les deux autorités doivent alors engager des consultations « en vue de dégager un consensus sur toute solution efficace visant à éviter les conséquences négatives découlant de l'existence d'une telle procédure parallèle et qui peut, le cas échéant, conduire à la concentration de la procédure pénale dans un État membre » 21 ( * ) . Il s'agit là du second volet du dispositif, qui relève plus d'une obligation de moyen que de résultat : chaque autorité apprécie souverainement quelles conséquences elle doit tirer de la situation.

Toutefois, pendant cette consultation, une obligation de réponse aux demandes d'informations qui lui sont adressées par l'autre partie continue de peser sur l'autorité judiciaire compétente, dans la mesure de ce qui est, selon les termes de la décision-cadre : « raisonnablement possible ». Cette dernière peut toutefois s'y opposer si les informations demandées sont susceptibles de nuire aux intérêts nationaux essentiels en matière de sécurité ou de compromettre la sécurité d'une personne 22 ( * ) .

En l'absence de consensus, Eurojust peut être saisi, pour les domaines qui relèvent de sa compétence. Cette mention d'Eurojust, dans la présente décision-cadre, ne crée pas un recours supplémentaire : il s'agit du simple rappel de la compétence générale d'Eurojust pour améliorer la coordination entre les autorités judiciaires des différents États membres.

La décision-cadre offre la possibilité aux États membres de décider quelles langues officielles de l'Union européenne ils utiliseront pour satisfaire aux obligations de communication ou de consultation prévues par ce texte. Enfin, elle autorise ces mêmes États à appliquer, pour le surplus, les dispositions plus favorables pour la coordination des procédures pénales parallèles qui résulteraient d'autres textes internationaux ou de conventions bilatérales.


Le choix d'une transposition a minima

Le Gouvernement propose de transposer le dispositif de la décision-cadre en ne retenant, dans la loi, que le strict nécessaire et en renvoyant le reste au décret d'application.

Ce choix témoigne d'une volonté de ne reprendre dans la loi que ce qui crée une obligation pour les autorités judiciaires nationales ou ce qui fait exception à certaines règles de notre code de procédure pénale. Les autres dispositions de la décision-cadre, qui fixent les modalités selon lesquelles il est procédé à la prise de contact ou à l'échange d'informations, relèveraient du pouvoir réglementaire.

Le présent article propose donc de créer une huitième section au sein du chapitre II du titre X du livre IV du code de procédure pénale, actuellement dévolu aux dispositions spécifiques en matière d'entraide judiciaire entre États membres de l'Union européenne, qui rassemblerait trois articles, 695-9-54 à 695-9-56 .

Le premier article ( article 696-9-54 du code de procédure pénale ) établit, à l'encontre des autorités judiciaires 23 ( * ) , une obligation d'échange d'informations en cas de procédures pénales parallèles. Il rappelle le but de cet échange d'informations : éviter la coexistence de telles procédures au sein de l'Union.

Le deuxième article ( article 695-9-55 ) crée une dérogation au secret de l'instruction, en faveur de ce dispositif d'échange d'informations. Cette disposition est rendue nécessaire par la généralité des termes employés à l'article 11 du code de procédure pénale qui dispose que, « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète ». En l'absence d'une mention expresse contraire, les magistrats qui livreraient à leurs homologues étrangers des informations sur les affaires en cours, se rendraient coupables d'une atteinte au secret professionnel auquel ils sont tenus 24 ( * ) .

La dérogation reprend presque mot pour mot trois des quatre types d'informations - outre les coordonnées respectives des autorités compétentes - dont l'article 8 de la décision-cadre impose la transmission : les informations relatives aux faits et aux circonstances, les renseignements pertinents sur l'identité des personnes poursuivies et des victimes, l'état d'avancement de la procédure.

Elle englobe aussi les décisions rendues sur les procédures, ce qui recouvre le dernier type d'informations obligatoirement transmises, celles relatives à la détention provisoire ou à la garde à vue, sans s'y limiter : les mesures de contrôle judiciaire, les actes d'instruction ou d'enquête pourraient ainsi faire l'objet de cet échange d'informations.

En revanche, le Gouvernement ne propose pas d'autoriser l'échange d'informations complémentaires pertinentes sur la procédure et les difficultés rencontrées dans ce cadre, comme le deuxième paragraphe de l'article 8 de la décision-cadre en offre la faculté.

Le troisième article ( article 695-9-56 ), proposé par le Gouvernement, vise à reprendre l'exception à l'échange d'informations prévue par l'article 10, §3 de la décision-cadre précitée, qui permet de ne pas communiquer les renseignements demandés de nature à nuire aux intérêts fondamentaux de l'État en matière de sécurité nationale ou à compromettre la sécurité d'une personne.

Le présent article ne limite pas cette exception aux seules consultations directes après les premiers échanges obligatoires d'informations, comme le prévoit la décision-cadre. Ce faisant, il autorise les autorités judiciaires françaises à refuser de communiquer dès le début sur certaines procédures en cours .


La position de votre commission

La transposition proposée n'est pas seulement nécessaire - comme on l'a vu précédemment, la Cour de justice de l'Union européenne pourra connaître, à partir du 1 er décembre 2014, de l'absence de transposition de cette décision-cadre par la France -, elle est aussi légitime. La souveraineté française est respectée, puisque les autorités judiciaires de notre pays resteront libres de poursuivre leurs investigations ou de les interrompre au profit des autorités d'un autre État membre.

Le choix du Gouvernement de n'inscrire dans la loi que les dispositions strictement nécessaires est aussi pertinent, puisqu'il évite de surcharger la partie législative du code de procédure pénale de dispositions qui n'intéressent que les relations administratives entre les autorités compétentes de pays de l'Union européenne et qui n'engagent pas les libertés de nos concitoyens.

Toutefois, votre rapporteur a attiré l'attention de votre commission sur plusieurs difficultés posées par le texte, qu'il lui a proposé de lever par voie d'amendement.

En premier lieu, la transposition ne distingue pas aussi clairement que la décision-cadre l'articulation de la procédure en deux phases : une première phase d'entrée en contact, avec un échange d'informations limité, une seconde phase de consultation, avec un échange d'informations beaucoup plus étendu, borné seulement par deux limites : ce qu'il est « raisonnablement possible » de répondre et ce qui ne nuit pas « aux intérêts nationaux essentiels » ni ne compromet « la sécurité d'une personne ».

Faute de bien distinguer ces deux phases, le présent article permet qu'il soit donné plus d'informations que nécessaire au cours de la première, mais moins que demandé par la décision-cadre au cours de la seconde.

Afin de procéder à une transposition plus conforme de la décision-cadre et éviter ainsi tout risque d'action en manquement à l'encontre de la France, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur, distinguant plus nettement les deux phases et y associant des régimes d'information adaptés.

En particulier, lorsque des consultations seront engagées entre les autorités compétentes des États membres, l'autorité judiciaire française pourra fournir à ses homologues toute information pertinente relative à la procédure qu'ils lui demanderaient, à la condition que cette communication « ne nuise pas au bon déroulement de l'enquête ou de l'instruction » 25 ( * ) . Cette exception, que votre commission a retenue, vise à traduire concrètement la limite du « raisonnablement possible » dans l'échange d'informations, utilisée par la directive : elle renvoie autant à des difficultés matérielles qu'au risque qu'une divulgation trop large de l'information ferait peser sur les investigations.

L'exception relative aux intérêts nationaux ou à la sécurité des personnes serait aussi conservée dans ce cas.

Elle ne jouerait pas en revanche, lors de la première phase de prise de contact entre les autorités judiciaires. En effet, les informations délivrées à cette occasion seraient limitées aux seules informations dont la décision-cadre rend la transmission obligatoire : il s'agit d'informations très générales qui ne paraissent pas susceptibles de compromettre ces intérêts.

La seconde difficulté posée par la présente transposition a trait aux conséquences de la procédure.

La décision-cadre assigne expressément comme objectif au dispositif proposé d'éviter la coexistence de procédures pénales parallèles en favorisant la concentration de celles-ci dans un seul État membre 26 ( * ) . Toutefois, elle ne crée pas une procédure de dessaisissement formel d'un juge au profit de son homologue étranger. Une telle procédure aurait limité la souveraineté des États en matière de poursuite pénale.

Votre rapporteur s'est donc interrogé sur les suites qui pourront être données aux consultations engagées entre les juges.

En réalité, en l'absence, comme on l'a vu, de toute procédure de dessaisissement d'un magistrat français au profit d'une autorité étrangère, la seule réponse qui pourra être apportée par la France à la demande qui lui sera faite de se dessaisir au profit de l'autorité compétente d'un autre État membre, sera soit d'abandonner les poursuites, si l'on est au stade de l'enquête préliminaire par le parquet, soit de mettre en suspens l'instruction de l'affaire, si une information judiciaire a été ouverte.

L'avantage d'une telle solution est d'éviter la clôture définitive de l'affaire, comme le ferait une ordonnance de non-lieu, en permettant qu'elle se poursuive, pour peu que la prescription des faits ait été interrompue par des actes d'investigation symboliques. À défaut de décision définitive et si l'affaire est classée sans suite à l'étranger, elle pourra alors être poursuivie en France. Elle n'interdit pas non plus que les magistrats coordonnent leurs efforts, en mobilisant pour ce faire les moyens de l'entraide judiciaire.

En revanche, l'inconvénient d'une telle solution est de laisser la partie civile désemparée, puisqu'elle ne pourra contester efficacement la décision du magistrat de laisser son collègue étranger conduire ses investigations, comme elle aurait pu le faire si une décision formelle de dessaisissement 27 ( * ) , une décision de classement sans suite 28 ( * ) ou une ordonnance de non-lieu 29 ( * ) avait été rendue. Le risque est alors qu'un justiciable français soit privé, dans les faits, d'un procès tenu en France, alors qu'il serait fondé à le réclamer.

Ce risque peut paraître abstrait si l'on considère que, bien souvent, ce qui déterminera un juge à interrompre ses investigations au profit de son collègue étranger sera sa plus grande difficulté à conduire efficacement les poursuites, parce que la personne mise en cause échappera à sa juridiction ou que les faits se seront déroulés à l'étranger.

Un tel risque n'est pas pour autant inexistant et il convient de donner au justiciable les moyens d'y parer, en étant dûment informé de la décision du magistrat de ne plus réaliser de nouvelles investigations. Ainsi la partie civile pourra, par exemple, adresser au juge d'instruction une demande d'actes pour l'amener à poursuivre son instruction 30 ( * ) .

À l'invitation de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement instituant une telle garantie d'information. Cette solution est préférable à celle de la création d'une procédure exceptionnelle de dessaisissement, qui serait allé bien au-delà de ce qu'exige la transposition de la décision-cadre et aurait fait perdre au dispositif la souplesse qu'il revendique et dont s'accommode parfaitement la conduite des investigations par les autorités judiciaires.

Votre commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié .


* 17 Art. 657 du code de procédure pénale et art. 663 du même code, pour les infractions connexes ou portant sur les mêmes personnes mises en examen. L'article 84 du même code prévoit le cas d'un conflit de compétence entre deux juges d'instruction d'un même tribunal. Il revient alors au président du tribunal de grande instance concerné de trancher entre les deux.

* 18 Art. 658 et 661 du même code.

* 19 Art. 660 du même code.

* 20 Une telle procédure n'existe pas devant la Cour pénale internationale qui repose sur le principe de complémentarité des poursuites et non de primauté, contrairement, par exemple, au tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie en vertu des articles 3 à 6 de la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 .

* 21 Article 10, §1 de la décision décision-cadre 2009/948/JAI du Conseil de l'Union européenne du 30 novembre 2009 relative à la prévention et au règlement des conflits en matière d'exercice de la compétence dans le cadre des procédures pénales .

* 22 Art. 10, §3 de la même décision-cadre.

* 23 La décision-cadre évoque, de manière plus générale, les autorités compétentes. Le Gouvernement français limite volontairement le champ d'application du dispositif aux autorités judiciaires, car seulement ces dernières peuvent décider de l'opportunité de poursuivre ou non les faits incriminés.

* 24 Art. 226-13 du code de procédure pénale.

* 25 L'expression est par exemple utilisée à l'article 695-6 du code de procédure pénale (sur la motivation de la décision de ne pas donner suite à une demande d'Eurojust).

* 26 Considérant 4 de la décision-cadre précitée.

* 27 Cf. supra , les recours en cas de dessaisissement d'un juge.

* 28 Informées du classement sans suite (art. 40-2 du CPP), les parties peuvent exercer un recours hiérarchique devant le procureur général (art. 40-3 du CPP) ou bien tenter de mettre en mouvement l'action publique en déposant une plainte avec constitution de partie civile (art. 79 CPP).

* 29 Conformément à l'article 186 du code de procédure pénale, les parties civiles peuvent interjeter appel d'une ordonnance de non-lieu.

* 30 Art. 82-1 du même code.

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