AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La presse écrite est aujourd'hui un des secteurs économiques les plus lourdement impactés par la transition vers le numérique et l'évolution des pratiques des usagers qui en découle. La désaffection pour la presse « papier » non seulement ne faiblit pas mais semble maintenant s'enraciner dans le mode de vie des nouvelles générations qui n'accordent plus la même importance au « papier » que leurs aînées.

Ce basculement vers le numérique n'est pas propre à la presse, il concerne de très nombreux autres secteurs d'activité comme le commerce, le tourisme avec les sites de réservation d'hôtels et d'appartements et même le transport avec l'autopartage et les voitures de transport avec chauffeur (VTC). Avec les mêmes conséquences économiques et sociales : des faillites, des restructurations et l'émergence de nouveaux acteurs. Pourquoi, dès lors, faudrait-il faire un sort particulier à la presse, s'inquiéter de son devenir et mobiliser des moyens publics importants en sa faveur ?

La presse écrite constitue plus que jamais un pilier de notre système démocratique, elle est tout bonnement indispensable à l'exercice de la citoyenneté et participe à la conduite du débat public. Or l'information ne peut se résumer aux chaînes d'information en continu dont on connaît la tendance à privilégier l'instantané sur la durée et l'événementiel sur l'analyse. Quant aux sites d'information en ligne des grands journaux, même les plus fréquentés qui accueillent des millions de visiteurs ne sont pas encore rentables et ne peuvent, à ce stade, constituer un modèle économique alternatif qui permettrait d'assurer la pérennité du secteur. La presse écrite a donc besoin d'être aidée afin de pouvoir jouer son rôle « constitutionnel » en faveur de la défense du pluralisme et du contrôle démocratique.

Les terribles attentats intervenus ce mois-ci à Paris sont venus nous rappeler que les journalistes étaient également devenus des symboles et des cibles. Comme l'a indiqué la présidente de notre commission, Catherine Morin-Desailly, lorsqu'elle a rendu hommage aux victimes des attentats : « pour la première fois au monde, c'est une rédaction tout entière, au coeur de notre pays, qui a été tragiquement frappée. À travers cet acte barbare, c'est la liberté d'expression, la liberté de la presse, la culture, la liberté de création qui ont été atteintes » 1 ( * ) .

Si la défense de la liberté de la presse passe d'abord par une intransigeance sur nos valeurs au premier rang desquelles figure la liberté d'expression, elle ne peut faire l'impasse, pour autant, sur les menaces plus invisibles qui pèsent sur le modèle économique des groupes de presse en particulier concernant la distribution. Des évolutions sont maintenant devenues inéluctables afin de rendre la filière plus efficiente et de préserver la diffusion de la presse écrite et, ce faisant, organiser au mieux la transition numérique.

Ces évolutions ne sont pas aisées à conduire car le système de distribution hérité de l'après-guerre est fondé sur le principe coopératif alors même que les intérêts des différentes catégories d'éditeurs ne sont plus nécessairement concordants et que certains rechignent à continuer à mobiliser la solidarité interprofessionnelle.

Dans ce contexte, la situation des deux grandes messageries - Presstalis et les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) - continue de susciter l'inquiétude. Si la restructuration de Presstalis, l'acteur historique, a longtemps souffert de la volonté de son rival de profiter de son affaiblissement, elle est aujourd'hui fermement engagée et commence à produire des résultats. Les directions des deux entreprises ont d'ailleurs entamé une coopération réelle qu'il convient de saluer et d'encourager. Elle s'est traduite par la mise en place d'une filiale commune avec, enfin, le déploiement d'un système d'information partagé. Pour autant, l'équilibre du marché de la distribution semble difficile à concevoir à moyen terme sans aides publiques et il n'existe pas de consensus sur le scénario à privilégier comme l'a montré le débat autour du rapport réalisé par Alexandre Jevakhoff 2 ( * ) qui n'a toujours pas été publié par le Gouvernement.

Les questions sont pourtant nombreuses et les réponses à apporter urgentes. Faut-il regrouper les acteurs de la distribution ? Le moment est-il venu d'unifier la régulation du secteur ? La Poste peut-elle jouer un rôle plus important dans la distribution de la presse à condition de s'adapter aux contraintes des éditeurs ? Faut-il, au contraire, imaginer un nouveau modèle respectueux des identités des acteurs et fondé sur la mutualisation des moyens et l'interopérabilité des compétences ? La proposition de loi de Michel Françaix ne va pas jusqu'à répondre clairement à ces questions, privilégiant des ajustements nécessaires afin d'améliorer la situation existante de préférence à une réforme plus profonde qui aurait sans doute nécessité plus de temps pour se dessiner.

Le Gouvernement, comme l'Assemblée nationale, ont préféré, en effet, hâter l'examen de cette proposition de loi - pour laquelle la procédure accélérée a été engagée - afin de pouvoir adopter au plus vite les dispositions de ce texte concernant l'Agence France-Presse. Le second volet de la proposition de loi vise, en effet, à adapter la gouvernance de l'Agence France-Presse en reprenant, notamment, certaines propositions faites par notre collègue Jacques Legendre dès 2011 3 ( * ) et à modifier son statut afin de l'adapter aux exigences du droit européen en matière d'aides d'État.

La France s'étant engagée auprès de la Commission européenne à adopter ces modifications au statut de l'AFP avant la fin mars 2015, les dispositions relatives à la régulation du secteur de la presse se sont donc ajoutées à cette proposition de loi alors même qu'elles auraient sans doute nécessité un peu plus de temps pour être davantage approfondies.

Votre commission, consciente de la nécessité de modifier dans les meilleurs délais le statut de l'AFP, n'a pas souhaité modifier le périmètre de la proposition de loi afin, également, de rechercher, autant que faire se peut, un accord avec l'Assemblée nationale. L'attachement de la Représentation nationale à l'AFP, agence mondiale porteuse des valeurs d'indépendance de l'information et de liberté d'expression chères à notre pays, étant unanimement partagé et la situation de la presse nécessitant une action dans la durée, votre commission a pris le parti de rechercher un accord avec l'Assemblée nationale sur ce texte sans toutefois renoncer à l'améliorer concernant ses principales dispositions.

Dans cette perspective, votre commission vous proposera d'adopter l'essentiel des mesures proposées par la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en y apportant deux améliorations d'importance : une modification de l'article 1 er confiant l'homologation des barèmes des messageries à l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) et une fusion du conseil supérieur et de la commission financière de l'AFP afin de créer une véritable « commission de surveillance » permettant d'établir une gouvernance moderne et efficace pour accompagner le développement de cette institution. Ces modifications constituent davantage des améliorations et des approfondissements de la proposition de loi que des propositions alternatives ; elles apparaissent cependant indispensables afin de donner toute sa portée à ce texte et d'assurer sa pleine utilité.


* 1 Réunion de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du 14 janvier 2015.

* 2 Votre rapporteur a auditionné Alexandre Jevakhoff le 21 janvier 2015 sur les conclusions de son rapport.

* 3 Jacques Legendre, président de la commission, avait déposé le 17 mai 2011 relative à la gouvernance de l'Agence France-Presse qui proposait déjà une modernisation de la composition de son conseil d'administration.

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