B. UNE OPPORTUNITÉ POUR LA MOLDAVIE

Pour la Moldavie, le bénéfice attendu de l'accord d'association avec l'Union européenne n'est pas qu'économique ; il est avant tout d'ordre politique et social, dans la mesure où l'intégration progressive de ce pays au sein du vaste ensemble européen pourrait lui assurer une stabilité qu'il n'a pas connue depuis son indépendance, malgré le chemin accompli.

1. Une opportunité économique

D'après l'étude d'impact annexée au présent projet de loi, l'accord prévoit la libéralisation des échanges pour 95 % des lignes tarifaires, dont 100 % pour les produits industriels, ce qui représente 99,2 % des droits en valeur commerciale pour la Moldavie.

S'agissant des investissements directs à l'étranger (IDE), le régime commercial plus stable et plus prévisible résultant de la reprise de la législation de l'Union européenne devrait stimuler le flux d'IDE en provenance de l'Union européenne vers la Moldavie, favorisant la création d'entreprises et le renforcement de la compétitivité de l'économie moldave.

Une étude 29 ( * ) commandée par la Commission européenne en 2012 évalue les effets de l'accord de libre-échange approfondi et complet sur l'économie moldave. Cette étude prévoit :

- une augmentation du PIB moldave de 142 millions d'euros, soit 5,4 % du PIB moldave ;

- une augmentation des exportations moldaves vers l'UE de +16 % ;

- et une augmentation des importations en provenance de l'UE de +8 %.

Ces effets devraient entraîner une augmentation des salaires et permettre d'offrir aux consommateurs des prix plus attractifs . Ce point est essentiel, car il répond à la préoccupation principale de la population moldave, qui est d'ordre socio-économique plutôt que géopolitique : la concrétisation des effets bénéfiques de l'accord de libre-échange sur la vie quotidienne des Moldaves sera le plus sûr moyen d'assurer le maintien, à terme, du consentement de la population à l'ancrage pro-européen et donc de garantir une certaine stabilité politique.

Pour la Moldavie, le rapprochement avec l'Union européenne constitue un rééquilibrage de ses relations économiques extérieures, plutôt qu'un basculement, dans la mesure où elle est également partie à l'accord de libre-échange de la Communauté des États indépendants (CEI) , signé le 18 octobre 2011 et entré en vigueur le 1 er janvier 2013, qui a été ratifié par le Parlement moldave le 27 septembre 2012. Si cet accord de libre-échange au sein de la CEI est compatible avec l'accord d'association UE-Moldavie, ce ne serait en revanche par le cas de l'union douanière , dans le cadre de l'Union économique eurasiatique, qui impliquerait des transferts de compétence (douanes, régulation tarifaire et non tarifaire, instruments de défense commerciale) à une autorité supranationale (la Commission eurasiatique). Ces transferts de compétence seraient incompatibles avec la mise en oeuvre des dispositions de l'accord de libre-échange approfondi et complet, qui est le principal pilier de l'accord d'association, et qui implique une pleine souveraineté dans le domaine commercial. Sur le plan tarifaire, les tarifs douaniers ne peuvent être à la fois abaissés dans le cadre des accords de libre-échange avec l'UE et relevés au titre de l'Union douanière.

2. Une opportunité politique et sociale

Pour la Moldavie, l'accord constitue un puissant levier de modernisation , qui doit servir à accompagner les réformes engagées . La Moldavie a, en effet, signé 81 conventions du Conseil de l'Europe. Elle coopère avec l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), ainsi qu'avec le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe. Elle fait progressivement converger sa législation avec les acquis de l'UE, dans le cadre du processus de rapprochement précédemment décrit, qui fut continu depuis la signature, en 1994, de l'accord de partenariat et de coopération. Néanmoins, un certain nombre d'obstacles à l'application effective des engagements pris demeurent.

La coopération étroite, mise en place par l'accord d'association, dans de nombreux domaines, est un instrument essentiel pour faire aboutir les réformes engagées. Le soutien des partenaires européens de la Moldavie est nécessaire, pour parvenir à rendre les effets de ces réformes plus concrets et plus visibles.

La lutte contre la corruption est, en particulier, l'une des clefs de l'avenir de la Moldavie. Elle a été engagée, notamment dans le cadre de la réforme du secteur judiciaire, mais demeure un problème important, qui nuit à la confiance des citoyens dans leurs institutions, ce qui a des répercussions sur les plans tant politique qu'économique et social. Ce problème est reconnu par les autorités moldaves, qui ont notamment mis en place un centre de lutte contre la criminalité économique et la corruption, devenu centre national anticorruption (2012), ont adopté un plan pour la mise en oeuvre de la stratégie nationale anticorruption, et mis en place une commission nationale pour l'intégrité chargée de vérifier les patrimoines et d'identifier les éventuels conflits d'intérêt des responsables publics 30 ( * ) , à quoi il faut ajouter une réforme du système judiciaire, incluant une intensification des contrôles et des sanctions, adoptée par le parlement moldave en octobre 2013.

Recommandations de la Commission européenne à la Moldavie,
dans le domaine de la lutte contre la corruption

Dans son rapport annuel sur les progrès accomplis par la Moldavie, réalisé dans le cadre du suivi de la politique de voisinage, la Commission recommande à la Moldavie d'intensifier la lutte contre la corruption à tous les niveaux, en particulier :

- en assurant le bon fonctionnement et l'indépendance du centre national anticorruption,

- en adoptant le cadre législatif nécessaire à l'action de la commission nationale pour l'intégrité ;

- en prévenant les conflits d'intérêt, notamment dans l'appareil judiciaire ;

- en assurant la transparence des marchés publics et des privatisations.

La Commission recommandait également d'assurer une application effective de la réforme du secteur judiciaire, de finaliser la réforme du Parquet et de poursuivre la réforme structurelle du ministère de l'intérieur, ainsi, que de renforcer la coopération avec les autorités judiciaires et policières des États membres. Elle formulait également des recommandations dans les domaines des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'agissant notamment de la liberté de la presse et de sa pluralité, ainsi que dans les domaines institutionnel, économique, éducatif etc.

Enfin, la Commission recommandait de développer le dialogue avec la Transnistrie, de permettre aux agents économiques basés dans cette région de profiter des effets de l'accord de libre-échange complet et approfondi, et, enfin, de soutenir la mise en oeuvre des préconisations du rapport Hammarberg (ONU) de 2013 sur la situation des droits de l'Homme en Transnistrie.

Source : ENP (European neighbourhood policy), Country progress report 2013 - Republic of Moldova.

Dans le domaine de la lutte contre la criminalité , des progrès importants ont été réalisés dans le cadre du plan d'action de libéralisation des visas de court séjour, précédemment évoqué. La Moldavie a signé avec Europol un accord de coopération stratégique et opérationnelle le 18 décembre 2014, qui succède à un précédent accord de coopération stratégique, signé en 2007. La lutte contre la criminalité organisée figure également parmi les objectifs du présent accord d'association.

La poursuite des réformes engagées par la Moldavie, et leur réussite, sera l'un des marqueurs essentiels de la réussite du processus de rapprochement entre la Moldavie et l'Union européenne.

Enfin, les bénéfices économiques de l'accord, et le programme de modernisation engagé par la Moldavie, notamment dans le domaine de la lutte contre la corruption, sont un facteur d'apaisement des tensions existant au sein de la société moldave. En effet, « en réalité, les minorités nationales se préoccupent aujourd'hui avant tout des questions socio-économiques, et répètent régulièrement qu'elles ne veulent pas d'une guerre comme celle en cours en Ukraine orientale » 31 ( * ) .

Le soutien de la population à l'intégration européenne a connu une érosion progressive, attestée par des sondages, qui montrent que ce soutien est passé de 63 % en 2009 à 44 % en 2014 32 ( * ) . Toutefois, il est probable que cette diminution du soutien au processus de rapprochement avec l'Europe résulte d'une défiance vis-à-vis du pouvoir en place, à la suite des scandales qui ont rythmé la vie politique moldave au cours des dernières années, plutôt que d'un rejet de l'Union européenne.

Cette diminution du soutien à l'intégration européenne est plus marquée encore au sein des minorités nationales que dans l'ensemble de la population. La Gagaouzie, dont la population représente 4,5 % de la population, a notamment exprimé sa volonté de rejoindre l'Union douanière autour de la Russie, plutôt que de se rapprocher de l'Union européenne. Votre rapporteure a rencontré, en septembre 2014, à Comrat, des représentants de l'Unité territoriale autonome de Gagaouzie, qui ont fait part de leur ressentiment vis-à-vis de Chisinau, s'appuyant notamment sur les résultats d'un référendum illégal organisé en février 2014, par lequel 98 % des électeurs ont affirmé leur souhait d'intégrer l'Union douanière proposée par la Russie, plutôt que l'Union européenne.

Il importe, par conséquent, de rendre évidents, pour l'ensemble de la population moldave, les bénéfices du rapprochement avec l'UE , y compris sur le plan du développement régional .

Les effets bénéfiques de l'accord d'association pourraient aussi être un facteur de déblocage de la situation en Transnistrie , en répondant à un enjeu d'attractivité vis-à-vis de cette région, qui, d'après les informations communiquées à votre rapporteure lors de ses auditions, exporte déjà davantage vers l'Union européenne que vers la Russie.


* 29 Trade sustainability impact assessment in support of negociations of a DCFTA between the EU and Moldova (2012).

* 30 Source : Le respect des obligations et engagements de la République de Moldova, Rapport de la Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), de Mme Lise Christoffersen (Norvège, groupe socialiste) et M. Piotr Wach (Pologne, Groupe du parti populaire européen), Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

* 31 « Les minorités nationales en Moldavie : pourquoi sont-elles eurosceptiques ? », Marcin Kosienkowski et William Schreiber, novembre 2014, Russie.Nei.Visions n° 81, IFRI.

* 32 Institute for Public Policy, Barometer of public opinion, cité par M. Kosienkowski et W. Schreiber (précités).

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