COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
DE LA COMMISSION

M. Bernard Pêcheur
Président de la section de l'administration du Conseil d'Etat

14 janvier 2015

La commission auditionne M. Bernard Pêcheur, président de la section de l'administration du Conseil d'Etat, accompagné de M. Alexandre Lallet, maître des requêtes au Conseil d'Etat, sur les conclusions de son rapport sur le droit d'association dans les armées.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . -Nous recevons aujourd'hui M. Bernard Pêcheur, Président de la section de l'administration du Conseil d'Etat, qui a remis, le 18 décembre dernier, un rapport au président de la République sur « le droit d'association professionnelle des militaires ». Ce rapport a été confié à M. Pêcheur peu de temps après la publication, le 2 octobre dernier, de deux avis de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) condamnant la France en raison de l'interdiction faite aux militaires de se syndiquer. Il s'agissait de réaliser une étude sur les conséquences de ces arrêts en droit français et de proposer, le cas échéant, une adaptation du dispositif juridique en vigueur.

Monsieur le Président, nous sommes particulièrement honorés de votre présence aujourd'hui car je crois que c'est la première fois que vous présentez publiquement votre travail. C'est pour nous un sujet particulièrement sensible dans la mesure où, d'une part, la France a été condamnée, d'autre part, la perspective de l'introduction du droit syndical dans les armées, alors que celles-ci sont sous tension du fait du nombre d'opérations extérieures engagées et des difficultés budgétaires, suscite des inquiétudes.

Dans ce contexte, vos propositions, qui sont approfondies et opérationnelles puisqu'elles comportent un avant-projet de loi, sont particulièrement importantes. Nous discuterons, bien entendu, avec l'exécutif des conclusions qui en seront tirées. Mais il nous importe de connaître votre analyse et la démarche qui a été la vôtre pour formuler ces propositions à partir de la position exprimée par la CEDH dans ses arrêts.

M. Bernard Pêcheur, président de la section de l'administration du Conseil d'Etat : C'est un honneur pour mon collègue et moi d'être ici et ce sera effectivement pour nous la seule occasion - outre, une audition à l'Assemblée nationale - de nous exprimer publiquement sur ce rapport, qui appartient désormais au gouvernement. Ce rapport débute par une citation tirée du Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de 2013, qui définit les deux fondements de la stratégie de défense et de sécurité de notre pays : « La France préservera sa souveraineté en se donnant les moyens de l'action et de l'influence ; elle contribuera à la sécurité internationale en inscrivant ses action dans une légitimité nationale et internationale ». Il se termine également par une citation, tirée du Fil de l'Epée (Charles de Gaulle, 1933) : « Certaine illusion pourrait donner à croire que le rôle des soldats, si vaste fut-il dans le passé, est en voie de disparaître et que l'univers d'à présent peut enfin se passer d'eux. Une telle théorie, répandue dans une génération dont le destin politique, social, économique, moral fut précisément réglé à coups de canon, est, par elle-même, assez singulière ». Nous rappelons ainsi que nos armées ont combattu, combattent et combattront et que notre état du droit traduit cette réalité.

Cette mission m'a été confiée à titre personnel, en tant que conseiller d'Etat et président du Haut Comité d'évaluation de la Condition militaire, et je l'ai acceptée comme telle, en choisissant moi-même pour m'accompagner dans cette mission mon collègue, M. Alexandre Lallet, maître des requêtes au Conseil d'Etat. Notre état d'esprit initial était de contester la position de la CEDH. Nous avions alors la conviction qu'il fallait demander le renvoi des arrêts devant la grande Chambre de la Cour.

Conformément aux recommandations de la commission présidée par M. Renaud Denoix de Saint Marc en 2003, l'interdiction d'adhésion à des groupements ou associations, prévue au niveau législatif par la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, avait en effet été débattue et confirmée en 2005 à l'occasion de l'examen et du vote de la loi de refonte du statut général des militaires (loi n° 2005-270 du 24 mars 2005). Cette loi avait en outre permis des évolutions en matière de concertation, de participation et de représentation : création d'un Haut Comité d'évaluation de la Condition militaire, développement des commissions participatives et des présidents de catégorie, qui représentent les militaires dans les unités, adaptation du Conseil supérieur de la fonction militaire et des conseils de la fonction militaire. Par ailleurs, des évolutions étaient engagées dans la gendarmerie, dont les présidents de personnel sont élus depuis 2010. Nous pensions donc avoir atteint un juste équilibre entre discipline et dialogue.

Enfin, la question était beaucoup plus complexe que la Cour n'avait pu l'appréhender dans son approche, dans la mesure où nos armées conduisent des opérations militaires à l'extérieur mais aussi sur le territoire national (des gendarmes ayant, rappelons-le, été tués en Guyane dans le cadre de la lutte contre l'orpaillage). C'est pourquoi il nous est apparu nécessaire de faire dans notre rapport une mise en perspective de l'état du droit et de rappeler dans quelles circonstances il s'est cristallisé, en rappelant le rôle des armées françaises depuis la Révolution.

Fallait-il demander le renvoi devant la grande Chambre de la Cour ? Quelles étaient les chances de succès de cette démarche et les objectifs poursuivis ? Et que faire si l'on ne le demandait pas ? Cela supposait d'engager une réforme ne conduisant pas à ébranler notre édifice militaire et qui soit suffisante pour qu'on n'ait pas à y revenir.

Concernant l'idée de demander le renvoi, nous avons changé d'avis par rapport à notre conviction initiale car nous n'avions aucune chance de gagner. Si nous avions eu une seule chance de l'emporter, nous aurions recommandé le renvoi. Ce n'était pas le cas.

Nous aurions pu faire valoir le manque de clarté de la motivation des arrêts, qui mélange droit d'association et droit syndical, mais cela ne nous donnait pas un intérêt à agir. En outre, l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales lui-même mêle les deux notions.

Sur le fond, nous n'avions pas davantage d'espoir de gagner, eu égard à la position qu'avait exprimée la Cour dans un arrêt de 2008 (CEDH, 12 novembre 2008, Demir et Baykara c/Turquie). Jusqu'alors, sur le fondement de l'article 11§2 de la Convention, la Cour admettait très largement la possibilité de« restrictions légitimes » à l'exercice du droit d'association. Mais à compter de cet arrêt de 2008, la CEDH a évolué vers une interprétation restrictive de cette notion, les exceptions devant être justifiées, nécessaires et ne pas porter atteinte à la substance du droit. Les exceptions sont donc de plus en plus limitées et elles ne peuvent affecter les « éléments essentiels de la liberté syndicale ».

Enfin, nous n'aurions eu aucun soutien de la part des autres Etats. En ce qui concerne le droit dans les Etats voisins, il faut noter que la Grande-Bretagne interdit le droit syndical mais tolère, sans l'autoriser formellement, l'activité d'une association professionnelle nationale, la British Armed Forces Federation (BAFF) . L'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Suède admettent le droit syndical mais leurs armées n'assument pas les mêmes missions que les nôtres. Seule l'Italie est un peu comparable à la France puisqu'elle interdit le droit d'association et le droit syndical, tout comme les Etats-Unis.

Les propositions que nous faisons tiennent compte d'une double nécessité : faire évoluer le droit pour assurer sa conformité à l'article 11 de la Convention tout en respectant les limites et les principes fixés par la Constitution, notamment la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.

Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 28 novembre 2014, a affirmé le principe de « la nécessaire libre disposition de la force armée par le pouvoir exécutif ». Il existe donc un chemin étroitement borné, dans lequel s'inscrit la solution que nous proposons. La transposition pure et simple du droit syndical dans les armées, sans restriction, se heurterait au principe constitutionnel précité ; à l'inverse, son adaptation par des mesures restrictives conduirait à dénaturer le droit syndical, ce que condamnerait également le Conseil Constitutionnel. Il en serait de même s'agissant du droit de créer des associations régies par le droit commun. D'où notre proposition de créer des associations sui generis, régies par le code de la défense, et en tant qu'elles n'y sont pas contraires, par la loi de 1901 sur les associations.

Confirmant l'interdiction pour les militaires de créer et d'adhérer à des syndicats, le projet de loi autoriserait la création d'associations professionnelles nationales de militaires (APNM) dont l'objet serait exclusivement de préserver et promouvoir les intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire. Une définition de la condition militaire serait, à cet égard, introduite dans le code de la défense, à l'article L. 4111-1, permettant de délimiter le champ matériel aussi bien des associations professionnelles de militaires que du Haut Comité d'Evaluation de la Condition militaire et des instances de participation. Les associations professionnelles de militaires seraient exclusivement nationales. Elles seraient constituées par des militaires d'active et de la réserve opérationnelle, ainsi que par des fonctionnaires détachés dans les forces armées, à l'exclusion des retraités. Elles seraient ouvertes à tous les grades, ne devraient procéder à aucune discrimination et devraient respecter les principes fondamentaux de l'état militaire et les valeurs de la République. Leurs sièges sociaux se trouveraient en France. Les ANPM reconnues représentatives auraient des droits particuliers comme celui d'être entendues au niveau national (ministres, chefs d'états-majors...) ou de siéger dans les conseils d'administration de certains établissements publics tels que la Caisse nationale de sécurité sociale des militaires. Celles représentatives au niveau interarmées pourraient désigner des représentants au Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) dans la limite d'un tiers, celles représentatives au niveau d'une armée ou d'une formation rattachée pourraient siéger au Conseil de la fonction militaire (CFM) correspondant. En aucun cas, elles ne pourraient siéger dans les instances locales de participation.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Je vous remercie. Il s'agit d'une innovation très importante : un droit d'association spécifique, répondant à un certain nombre de contraintes, et s'appuyant sur les piliers structurants que vous avez évoqués.

M. Jacques Gautier . - Je salue votre rapport et vous remercie pour la précision et la liberté de ton de votre présentation. Début octobre, nous avons été nombreux à partager votre première réaction. Il était donc important que vous puissiez nous faire part de votre analyse et des convictions que vous avez acquises au cours de votre travail.

L'adoption des propositions que vous nous présentez nous mettrait-elle à l'abri d'une nouvelle condamnation par la Cour européenne ? Serions-nous véritablement protégés par l'institution d'un droit d'association, qui ne serait pas un droit syndical ? Par ailleurs pourquoi préconisez-vous la mise en oeuvre de la procédure accélérée ?

M. Joël Guerriau . - La question d'un droit d'association dans l'armée se pose depuis longtemps. Il existe des associations d'anciens officiers et des associations de soutien à l'armée qui sont autorisées et permettent une expression publique. Je m'interroge sur l'influence, au sein de la Cour européenne des droits de l'homme, de juges issus de pays non directement concernés par les questions militaires.

Par ailleurs, il y a un risque que les futures associations prennent publiquement la parole, y compris devant les médias, par exemple pour commenter les propos du chef de l'Etat, s'exprimer sur un engagement extérieur de la France. Comment limiter ce risque ? Il faudra convenir des moyens d'éviter ce genre de situation.

M. Gaëtan Gorce . - Au moment où chacun sent bien la nécessité de conforter l'autorité de l'Etat et donc des moyens mis à sa disposition pour assurer sa sécurité, on ne peut que s'interroger sur les conséquences de cette réforme. Nous devons néanmoins respecter nos engagements et chercher une solution qui prenne en compte ces deux préoccupations. Dès lors, comment concilier le droit de ces associations de s'exprimer publiquement et leur non-ingérence dans la définition de la politique de défense ?

Mme Nathalie Goulet . - Les associations locales de militaires retraités nous ont alertés au sujet de ce projet dans la mesure où elles seraient exclues des nouvelles associations professionnelles. Quelle serait dès lors la place des retraités dans le nouveau dispositif ? Par ailleurs, n'y a-t-il pas un risque que le principe hiérarchique s'impose au sein de ces associations et réduise à néant le droit d'expression ?

M. Bernard Pêcheur . - La nouvelle loi nous mettra-t-elle à l'abri d'une condamnation ? Nous le pensons. Nous nous sommes entourés d'un certain nombre d'avis qui ont convergé avec notre analyse. En effet, la convention européenne des droits de l'homme ne distingue pas le droit syndical du droit d'association. Nous pouvons remplir nos obligations en garantissant la substance du droit prévu par l'article 11 de la Convention, et les moyens d'exercer ce droit, sans pour autant adopter le modèle du droit syndical.

Par ailleurs, plus le consensus sera fort sur ces questions qui touchent à l'identité d'un pays, plus la Cour sera sensible à la position adoptée par le législateur de ce pays.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Ce point est extrêmement important pour nous. Un consensus général donnera de la force à notre position.

M. Bernard Pêcheur . - Pourquoi aller vite ? Depuis le 3 janvier dernier, dès lors que la France n'a pas demandé le renvoi de l'affaire devant la grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme, la loi, c'est-à-dire l'article L4121-4 du code de la Défense, est contraire à la Convention. Toute association peut se constituer et demander au juge que des facilités lui soient accordées. A défaut de cadre juridique précis, c'est le juge qui devra alors fixer des limites au cas par cas, en s'appuyant sur les grands principes. Il est souhaitable que ce soit le législateur qui détermine rapidement et clairement le cadre d'exercice de ce droit d'association.

Quels sont les risques que présente l'évolution du droit proposée ? Le premier est celui d'une dérive syndicale, qui se traduirait par l'émergence d'un syndicalisme s'érigeant en contre-pouvoir, en contre-hiérarchie. Ce ne serait pas acceptable.

Le deuxième risque serait que les associations de militaires ne deviennent, en réalité, les instruments des états-majors. Une telle instrumentalisation de l'action des associations, pour obtenir gain de cause auprès des pouvoirs publics, est observée dans certains pays. Or le pouvoir civil doit conserver son autorité sur les armées.

Le troisième risque est celui d'une politisation de ces associations.

Il est indispensable, pour réduire ces risques, que le législateur réaffirme de grands principes : l'indépendance des associations vis-à-vis des partis, des confessions, de la hiérarchie et le respect par elles des obligations de l'état militaire.

Que faire pour empêcher que certaines associations ne viennent contester des orientations stratégiques ? C'est l'objet de la définition de la condition militaire, qui n'inclut ni la politique de défense ni la conduite des opérations, mais se rapporte aux hommes, c'est-à-dire au soutien, et notamment aux rémunérations.

M. Gaëtan Gorce . - Les choix budgétaires pourraient-ils être contestés ?

M. Bernard Pêcheur . - Les choix budgétaires sont à la charnière de ce qui pourrait, ou non, être contesté par les associations. Le droit d'expression sera probablement utilisé dans le sens d'une augmentation des moyens. Mais il ne doit pas s'agir de contester les choix du Parlement. Le devoir de réserve sera réaffirmé. L'évolution proposée n'est pas sans risques ; c'est la moins mauvaise solution. La loi devra comporter un certain nombre de verrous pour cantonner l'expression des associations.

Plusieurs considérations nous ont conduits à ne pas prévoir la présence des retraités au sein de ces associations. D'une part, les retraités possèdent leurs propres associations, très attachées à la condition militaire, qu'ils ont souvent défendue, notamment dans la gendarmerie. Les retraités disposent aussi d'une instance, le conseil permanent des retraités militaires. D'autre part, si les militaires quittent le service pour la réserve, ils pourront siéger dans les associations. Mais il n'est pas souhaitable que des retraités, qui n'ont plus aucun lien, sinon affectif, avec l'état militaire, soient membres des associations, les armées n'ayant plus aucune prise sur eux. Les associations de militaires doivent être de nature purement professionnelle.

Mme Nathalie Goulet . - Et s'agissant du lien hiérarchique à l'intérieur de ces nouvelles instances ?

M. Bernard Pêcheur . - Les associations seront inter-catégorielles et inter-grades. Les militaires ne sont évidemment pas en nombre équivalent selon les grades. Les associations seront ouvertes à tous les grades et susciteront probablement l'émergence de leaders parmi les représentants de catégorie ayant déjà fait leurs preuves. Dans les unités, les présidents de catégorie sont élus. Ce sont des professionnels reconnus et légitimes. Il est souhaitable qu'ils s'investissent dans les associations.

M. Robert del Picchia . - Je reste sceptique, voire inquiet, à l'égard de certaines de vos propositions. La création d'associations professionnelles présente des risques que nous devons mesurer. Ces futures associations n'auront-elles pas tendance à défendre des idées politiques ? Quel sera le rapport entre elles et la presse ? Nous avons l'exemple des syndicats de policiers qui interviennent dans la presse dès qu'il y a un incident et qui jouent un rôle de communication. Lorsque nous nous rendons sur des théâtres d'opération extérieure, les soldats nous parlent de leurs difficultés, en termes de conditions de vie mais aussi de matériels ou équipements. Les associations évoqueront-elles ce type de sujets devant les journalistes ? On voit bien que cette évolution présente des limites et des dangers.

M. Gilbert Roger . - Nous appartenons tous à une ou à plusieurs associations et nous avons tous été à l'origine de la création d'au moins une d'entre elles. Nous savons bien comment elles fonctionnent. C'est pourquoi l'exposé des motifs de la loi et l'objet social des futures associations doivent être particulièrement clairs, notamment en ce qui concerne l'absence de position politique ou confessionnelle et le respect de la hiérarchie et des objectifs.

Je rejoins par ailleurs la question qui vient d'être posée en ce qui concerne les syndicats de police qui s'expriment devant les journalistes. Les associations de militaires seront-elles amenées à jouer un rôle similaire ?

Enfin, comment organiser les droits des fonctionnaires civils dans les armées et réciproquement ceux des personnels militaires détachés dans le civil ?

M. Michel Boutant . - On assiste depuis plusieurs années au rapprochement entre la police et la gendarmerie. Dans ce droit fil, les associations de gendarmes n'auront-elles pas tendance à imiter les syndicats de police ?

Par ailleurs, que se passerait-il si nous ne donnions pas suite à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme ?

M. Gaëtan Gorce . - L'article 11 de la Convention évoque des « restrictions légitimes » aux libertés. La limitation à la liberté d'expression constitue-t-elle une restriction légitime au regard des enjeux que nous avons évoqués ?

M. Jacques Legendre . - Je regrette que nous n'ayons pas su traiter ce problème avant que la Cour ne statue. En tant que membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je participe à l'élection des juges de la Cour et il est vrai que nous assistons à une surreprésentation des petits Etats, dont la culture juridique ou militaire diffère profondément de la nôtre. Depuis la disparition de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), nous n'avons plus, à un niveau équivalent, de réflexion sur des problèmes de défense, ce qui est dommage. Il eut été préférable d'anticiper cet arrêt, par exemple en suscitant un débat approfondi au sein des instances du Conseil de l'Europe. Ce type de débat aurait permis d'éclairer le sujet d'un point de vue politique et historique, contribuant ainsi à la réflexion et aux délibérations des juges de la Cour dans le complet respect de leur indépendance. Nous prêtons souvent plus d'attention aux travaux du Parlement européen et aux arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne qu'à ceux du Conseil de l'Europe. Enfin, je redoute aussi, comme certains de mes collègues, l'évolution de ces associations vers un fonctionnement similaire à celui des syndicats de police.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Les responsables des futures associations verront dans la loi française une voie médiane vis-à-vis de la jurisprudence de la Cour et auront tendance à développer leurs propres prérogatives. C'est une évidence du simple point de vue de la sociologie des organisations ! Et donc un point de vigilance pour nous.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Peut-on imaginer que le nouveau contexte d'insécurité puisse amener la Cour à faire évoluer sa jurisprudence ?

M. Bernard Pêcheur . - Notre ordre constitutionnel et la Convention européenne des droits de l'Homme répondent à des logiques différentes. Le législateur français, comme celui de beaucoup d'autres pays, doit opérer une conciliation entre des principes de même force mais qui peuvent être antagonistes : la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, les libertés, la sécurité... La Convention n'a pas été conçue ainsi : elle pose d'abord le principe des droits de l'Homme, la puissance publique ne constituant en quelque sorte qu'une ingérence dans ces libertés.

En ce qui concerne la composition de la Cour, sur laquelle je ne saurais me prononcer mais qui peut en effet soulever des interrogations, il est clair qu'il existe des cultures juridiques, militaires ou historiques très différentes entre les Etats membres et qu'elles peuvent dépendre de la taille de l'Etat.

Si notre droit n'est pas adapté en conséquence de l'arrêt de la Cour, la France sera à nouveau condamnée.

M. Alexandre Lallet, maître des requêtes au Conseil d'Etat . - En outre, le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe peut saisir lui-même la Cour européenne des droits de l'Homme pour manquement.

Surtout, conformément à l'article 55 de la Constitution, les juges nationaux saisis d'un contentieux pourraient écarter l'application de la loi française et seraient amenés à élaborer au cas par cas une jurisprudence pour autoriser ou non telle ou telle association, tel ou tel syndicat.

M. Bernard Pêcheur . - Le juge national applique le droit européen, conformément à la Constitution.

M. Jeanny Lorgeoux . - Il s'agit donc d'un projet de loi de conciliation a minima ?

M. Bernard Pêcheur . - Non. Nous saisissons l'opportunité de l'arrêt de la Cour pour améliorer plus largement notre droit, par exemple en renouvelant certaines instances ou en donnant une définition de la condition militaire. Mais il est vrai que la loi devra être particulièrement bien écrite pour que le cadre qu'elle fixe soit pleinement opérationnel dans la durée.

En ce qui concerne le rapprochement entre la police et la gendarmerie, je constate que, depuis 2009, les gendarmes ont en fait redécouvert leur « militarité », notamment parce qu'ils ne sont plus en concurrence avec les autres militaires sur le plan budgétaire. La participation de la gendarmerie aux opérations extérieures modifie également la perception des choses. Je suis donc plutôt optimiste.

Les fonctionnaires détachés dans les armées, par exemple les policiers détachés dans la gendarmerie, pourront, dans la proposition que nous faisons, adhérer à des associations professionnelles puisqu'ils font bien partie des armées. Nous proposons d'ailleurs un mécanisme de mise en oeuvre de la loi relative à la mobilité dans la fonction publique car des difficultés subsistent pour publier certains décrets d'application. Un militaire détaché dans le civil relève à la fois du militaire et du civil et pourrait donc se syndiquer à ce dernier titre.

L'usage qui sera fait de la liberté d'expression relève d'abord de la pratique et présente, il est vrai, un risque réel. Dans la rédaction que nous proposons, les associations ont pour seul objet de préserver et promouvoir les intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire, ce qui exclut les missions ou les opérations.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Je vous remercie. Nous voyons bien que nous sommes dans une forme d'impasse juridique mais que la solution est complexe à trouver et à mettre en oeuvre. Le contexte actuel ne facilitera pas l'émergence d'un consensus sur cette question.

Général Jean-Pierre Bosser
chef d'état-major de l'armée de terre
le 8 avril 2015

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Mes chers collègues, j'accueille en votre nom le général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre, afin qu'il nous présente le projet de nouveau modèle pour cette armée qu'il vient de soumettre au ministre de la défense.

Mon Général, nous apprécions que vous veniez nous informer de ce projet. Vous connaissez notre sensibilité à la présence des forces armées sur nos territoires. Tout ce qui touche aux structures de défense nous importe beaucoup, et ce modèle nous intéresse particulièrement. Nous sommes très sensibles aux mouvements d'organisation stratégique, comme l'opération Sentinelle, par exemple, et aux conséquences de décisions de cette nature en termes d'organisation. Nous voudrions donc connaître les grands paramètres du nouveau modèle de l'armée de terre. En quoi change-t-il l'organisation existante ? Quel va être son impact sur les effectifs ?

Nous mesurons toute la complexité que revêt la mise en place d'un tel modèle. Il est sans doute difficile d'atteindre tous les objectifs à la fois, et certains arbitrages peuvent se révéler douloureux...

Général Jean-Pierre Bosser . - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, merci de m'accueillir une nouvelle fois.

Je voudrais tout d'abord avoir une pensée pour le Sénateur Jean Germain, qui nous a quittés dans des conditions tragiques, et dont je voudrais souligner l'attachement à la défense. Il était notamment membre du jury du prix « La plume et l'épée », remis chaque année par la direction des ressources humaines de l'armée de terre, à Tours. Jean Germain y était très attaché. Ce prix récompense chaque année un civil et un militaire pour une oeuvre écrite autour d'un sujet ayant trait à la défense.

Ainsi que vous l'avez souligné, Monsieur le Président, beaucoup de choses sont intervenues depuis l'automne dans le paysage de la défense. La dégradation de la situation sécuritaire de notre pays et dans certaines régions du monde justifie de réexaminer notre posture de défense. On peut dire que l'actualisation de la loi de programmation militaire constitue un exercice lourd de sens.

L'armée de terre, dans les épreuves que la France a traversées en janvier dernier, a totalement fait bloc avec la Nation, ainsi que vous avez pu le mesurer. C'est visible dans les rues de Paris. L'armée de terre a aussi immédiatement fait front en déployant 10 500 soldats en trois jours pour protéger nos concitoyens. Elle continue à le faire avec 6 400 soldats déployés sur les 7 000 engagés.

Je les rencontre presque chaque semaine à Paris et en province, et je pense pouvoir vous dire qu'ils mesurent l'importance de cette mission, qu'ils remplissent avec fierté. Leur adhésion reste intacte après trois mois et permet d'ancrer encore davantage le lien qui unit déjà la Nation à son armée de terre.

Ce début d'année, que l'on qualifiera de période risquée, a fait émerger trois besoins parmi la population, besoins que ressentent nos soldats au contact de celle-ci : un besoin de protection du territoire national, un besoin de sauvegarde de nos concitoyens et un besoin de cohésion nationale. L'armée de terre se trouve directement impliquée dans ces trois actions, puisque son milieu naturel est le territoire national.

Nous avons ainsi redécouvert la prégnance du « continuum » entre l'intérieur et l'extérieur, que les services de renseignements connaissent depuis longtemps et que l'affaire Mohamed Merah a révélé voilà plus de deux ans. Ce continuum sécurité-défense n'a jamais revêtu une importance aussi grande et il se concrétise, sur le terrain, par la volonté du Président de la République de maintenir l'opération Sentinelle à son niveau actuel et de la prolonger autant de temps que nécessaire, avec la possibilité de passer de 7 000 à 10 000 hommes.

L'armée de terre est donc entrée dans une nouvelle séquence avec un niveau d'engagement extrêmement élevé : 12 000 hommes déployés en dehors du territoire national, 7 000 à 10 000 sur le territoire national dans la durée ; il s'agit d'un taux d'emploi bien au-delà des contrats fixés par le Livre blanc de 2013. Vous comprendrez que l'actualisation de la loi de programmation militaire soit fondamentale pour l'armée de terre, puisque son enjeu consiste à retrouver un équilibre entre les missions et les moyens.

Le retour à l'équilibre passe par la hausse des effectifs de la force opérationnelle terrestre. Le ministre de la défense en a acté le principe devant vous, en séance publique, jeudi dernier. Les évolutions du contexte stratégique incitent à cette actualisation, qui ne bouleversera pas pour autant le cadre général défini dans le dernier Livre blanc. Elles en modifient simplement les grands équilibres. Aussi, conserver le spectre complet des capacités stratégiques, par exemple, me parait essentiel.

À l'automne dernier, je vous avais déjà fait part de ma volonté de rapprocher l'armée de terre du territoire national. Les événements de janvier dernier ont montré, hélas, que les réflexions qui étaient les miennes au moment de ma prise de fonction étaient fondées. C'est cette analyse qui a guidé mon état-major dans l'élaboration du nouveau modèle, dénommé « Au contact ! ». Avec ce modèle, l'armée de terre affiche sa volonté d'être au contact avec ses amis, ses alliés, ses partenaires, mais aussi au contact de ses ennemis. Le contact s'entend aussi du chef avec ses soldats, du mécanicien avec ses matériels. Ce slogan place bien le soldat de l'armée de terre au coeur des missions qui sont les siennes. J'ai présenté ce modèle au ministre de la défense le 2 avril dernier. Il en a approuvé les grandes lignes. « Au contact » est non seulement en phase avec le contexte actuel, mais sa souplesse garantit son adaptabilité aux besoins sécuritaires de demain. C'est pourquoi il s'intègre bien dans l'actualisation de la loi de programmation militaire.

Tels sont les axes principaux d'un propos que j'articulerai en trois parties. La première sera consacrée aux enseignements de l'opération Sentinelle. La deuxième me permettra de vous livrer mon analyse sur les conséquences de l'évolution du contexte stratégique et sur l'actualisation de la programmation. La troisième partie exposera dans les grandes lignes le modèle futur de l'armée de terre.

L'opération Sentinelle, déclenchée de façon brutale et inopinée début janvier, au cours du week-end, a permis de déployer 10 000 hommes sur le territoire national. Quatre constats en ont été tirés. Le premier concerne la réactivité de l'armée de terre. Elle en avait déjà fait la démonstration en opérations extérieures, avec Serval, au Mali : elle le fait maintenant sur le territoire national. Le déploiement de Sentinelle a permis la protection de 720 sites et a mobilisé plus de 170 unités « Proterre », soit cinq fois plus que ce qui est attendu en 48 heures dans le contrat opérationnel. L'excellent déroulement de cette phase de l'opération reflète la maîtrise acquise ces vingt dernières années en matière d'intervention et de projection de forces. Nous avons des hommes rompus aux conditions exigeantes des déploiements dans l'urgence et une organisation qui est structurée et commandée pour y répondre. Je tiens d'ailleurs à préciser que certains de nos militaires d'active et de réserve, qui étaient en week-end et qui n'étaient pas d'astreinte, ont rejoint spontanément leur formation.

Le second constat a trait à la robustesse et à la continuité de la chaîne de commandement. L'armée de terre et les armées sont organisées sur le territoire national à partir d'un maillage du territoire, qui a servi d'ossature pour déployer le dispositif. C'est la raison pour laquelle j'accorde dans le modèle « Au contact !» une telle importance à l'empreinte territoriale de l'armée de terre. L'organisation territoriale interarmées de défense, dont certains se demandaient si elle était encore pertinente, a fait la démonstration de sa nécessité. L'opération Sentinelle a aussi permis de confirmer qu'il manquait à l'armée de terre, dans son modèle, une structure de commandement, reliée à l'état-major des armées et au circuit interministériel, pour préparer et piloter le déploiement de nos unités. Le futur modèle crée cette structure, qui sera le commandement du territoire national.

Troisième constat : un tel déploiement n'aurait pu avoir lieu sans un soutien interarmées extrêmement réactif. Cet événement a, en quelque sorte, permis de tester la nouvelle organisation des soutiens du ministère. Je tiens à saluer ici l'action du service du commissariat des armées et de la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information, qui ont montré dans l'urgence leur aptitude à soutenir le rythme de déploiement des forces. Je retiens au passage deux facteurs de succès importants. Le premier, c'est la nécessaire militarité des soutiens interarmées. Le second, c'est la conservation d'emprises militaires, comme à Satory et à Saint-Germain-en-Laye, qui s'avère indispensable pour accueillir, équiper et héberger les détachements militaires de plus de 5 000 hommes engagés en Ile-de-France. Enfin, ne négligeons pas l'expérience dont dispose l'état-major de zone de défense pour l'Ile-de-France en matière d'accueil, d'équipement, de transport et d'intendance de détachements militaires en région parisienne.

Le quatrième et dernier constat porte sur l'excellent comportement de nos soldats. De ce point de vue, l'incident de Nice, qui aurait pu être fatal à l'un des nôtres, constitue un bon exemple de ce que nous enseignons à nos soldats en matière de formation et de comportement individuel. Ce cas me permet de mettre en avant quatre qualités fondamentales. La première concerne l'autonomie et l'esprit de décision du chef, en l'occurrence un sergent de 34 ans. La seconde porte sur le courage physique et le sens de l'engagement qui ont été nécessaires pour maîtriser l'assaillant, au corps à corps, en dépit des multiples blessures subies par chacun des soldats. La troisième est la maîtrise de la force et le discernement dont le trinôme a fait preuve en choisissant délibérément de ne pas riposter par le feu, et de s'exposer au danger pour protéger la population alentour. La quatrième aptitude concerne l'éthique du soldat et le code comportemental, qui a conduit le trinôme à protéger l'agresseur des passants devenus menaçants.

Avec l'opération Sentinelle, l'armée de terre montre qu'elle est à la fois spécialisée quand elle intervient dans les opérations extérieures, et polyvalente quand elle protège sur le territoire national. C'est une armée homogène, qui couvre l'ensemble du spectre opérationnel, qu'il s'agisse de l'intervention, de la protection ou de la prévention. En somme son ennemi étant le même à Gao et à Paris, ses soldats sont les mêmes à Gao et à Paris. L'armée de terre marchait jusqu'à maintenant sur deux pieds : l'intervention d'une part et la préparation opérationnelle et la remise en condition d'autre part. Depuis janvier dernier, la protection s'est ajoutée à l'intervention, avec 12 000 soldats à l'extérieur et 10 000 soldats à l'intérieur. Pour répondre à ce nouveau « tempo » opérationnel, l'armée de terre a été amenée à diminuer la préparation opérationnelle et à réduire les exercices internationaux ainsi que les permissions de février, tout comme elle le fera pour celles de Pâques. Comme je vous l'avais indiqué lors de ma première audition par votre commission, nous devons être vigilants à ne pas éroder à l'excès le capital opérationnel. Le prolongement de l'opération Sentinelle sans renfort d'effectifs constitue, à ce titre, un risque réel et un défi immense.

Je voudrais rappeler que l'armée de terre consacre en « temps normal » des moyens importants au territoire national : brigade des sapeurs-pompiers de Paris, unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile (UIISC), régiment de Saumur (qui est expert dans le domaine de la défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique), plongeurs... Je veux aussi évoquer les capacités duales, comme la cynotechnie, les hélicoptères, les moyens de franchissement et les drones tactiques qui sont, ou pourraient être, fort judicieusement mobilisés. La création d'un pilier consacré au territoire national au sein du projet « Au contact !» ne m'a initialement pas valu un grand succès d'estime au sein de l'institution, ni même à l'extérieur, compte tenu de l'étendue des champs éthiques, juridiques et conceptuels que ce chantier ouvre. L'actualité nous a malheureusement rattrapés, et l'armée de terre veut être force de proposition pour la protection du territoire et de nos concitoyens, pour construire l'avenir. Chacun est conscient du fait que le continuum paix-crise que nous avons bien maîtrisé durant de nombreuses années en assurant au loin la défense de l'avant est en train d'évoluer, pour se rapprocher du territoire avec des actions proches de situations de guerre. Sans être irréversible, ce mouvement est à présent bien engagé... Ce constat appelle un impératif : maintenir au niveau nécessaire les moyens dont nous avons besoin pour conduire à la fois des opérations extérieures dont l'intensité va croissante, comme nous le voyons bien dans la bande sahélo-saharienne et les opérations intérieures.

C'est tout l'enjeu de l'actualisation de la loi de programmation militaire, qui doit rechercher un nouveau point d'équilibre entre le contrat opérationnel, redimensionné par l'engagement durable sur le territoire national, et les moyens nécessaires pour disposer d'une force terrestre en nombre suffisant, bien préparée et correctement équipée. En effet, compte tenu des effectifs actuels, tenir les contrats opérationnels, en incluant Sentinelle dans la durée, imprime un taux de rotation des unités trop important pour pouvoir s'entraîner et se remettre en condition de façon acceptable. Entre janvier et juin 2015, 40 000 soldats auront été engagés dans l'opération Sentinelle, auxquels il faut ajouter ceux qui se trouvent déployés hors de métropole. À cette cadence, et sans renforcement des effectifs, nos unités finiront par alterner les opérations extérieures et les opérations intérieures avec trop peu de temps entre les deux pour pouvoir se régénérer. En matière d'efficacité opérationnelle, ce rythme a un coût qu'il est possible d'absorber temporairement, grâce à la maturité de l'armée de terre et à l'expérience de ses soldats. Mais il n'est pas réaliste dans le long terme sans risquer de voir nos effectifs fondre rapidement. Pour équilibrer cette activité, redonner la capacité de se préparer au plan opérationnel et permettre à nos soldats de se remettre en condition, nous avons évalué le volume de la force opérationnelle terrestre à 77 000 hommes, afin de pouvoir tenir dans la durée. Aujourd'hui, la force opérationnelle terrestre en compte 66 000. La déclinaison de cette hypothèse en termes d'organisation, de recrutement et d'équipements est en cours avec l'état-major des armées et le cabinet du ministre de la défense. Cette nouvelle trajectoire d'effectifs ne remet pas en cause l'optimisation et la modernisation que l'armée de terre conduit dans le cadre du projet des armées « Cap 2020 » : comme le modèle futur de l'armée de terre le prévoit, elle s'y intègre.

Le modèle « Au contact !» constitue une nouvelle offre stratégique, en phase avec le contexte sécuritaire actuel, et adapté aux enjeux que dessinent, d'une part, l'augmentation de la menace sur le territoire national et, d'autre part, l'accroissement des incertitudes géopolitiques, grâce au maintien d'une capacité d'action en cas d'urgence. Ce modèle prend en compte les menaces de la force, celles émanant du djihad radical, au sud, ou celles d'États ayant des difficultés sur le plan intérieur. On peut y ajouter le continuum intérieur-extérieur. L'armée de terre va donc probablement devoir élargir son champ d'action habituel en mettant l'accent sur le volet « protection » de son contrat, en plus de sa contribution aux interventions et à la prévention. C'est un premier constat.

Second constat : l'armée de terre était auparavant organisée sur un modèle hérité des années 1975, très vertical. Les grandes unités y étaient autonomes. Or les opérations ne se déroulent plus ainsi aujourd'hui. Comme on l'a vu avec la libération des otages au Mali ce week-end, on combine dorénavant les forces de l'armée de l'air et de l'armée de terre, le renseignement, l'aéromobilité, les forces spéciales. L'écart entre l'organisation classique et celle qui est à présent la nôtre en opération n'est pas supportable, tant dans la préparation opérationnelle que dans la « vie courante ». L'objectif de ce nouveau modèle consiste donc à se rapprocher de l'organisation dont on a besoin sur le terrain. Avec ce modèle, l'armée de terre fait le choix audacieux d'une nouvelle organisation, plus souple, donc plus conforme aux futurs enjeux de défense. Elle exploite aussi les atouts opérationnels dont elle hérite : sa maturité, la polyvalence de ses hommes et la différenciation de ses capacités.

Cette nouvelle organisation repose sur trois grands piliers : les ressources humaines, ouvertes sur le recrutement, le monde du travail, la reconversion ; la maintenance du matériel, ouverte sur le monde de l'industrie, et sur les autres armées ; enfin la force opérationnelle, cette dernière étant elle-même décomposée en plusieurs éléments, dont le commandement du territoire national. Il est impérieux qu'un seul et même chef soit désigné à la tête de ce commandement, pour faire des propositions sur un certain nombre de problématiques abandonnées depuis la chute du mur de Berlin en matière d'actions sur le territoire national. Cette mission sera attribuée dès l'été.

Un autre commandement sera consacré aux forces spéciales. L'armée de terre est « actionnaire majoritaire » des forces spéciales, à hauteur de 80 %. Il nous a donc semblé cohérent de les regrouper au sein d'un seul pilier, pour en faciliter l'employabilité interarmées.

Un troisième axe majeur est consacré à l'aéromobilité. Il s'agit d'une création. Mon ambition est de recréer une brigade d'aérocombat, capable de faire manoeuvrer des unités de contact. L'armée de terre disposant de 95 % des hélicoptères de combat, il m'a paru judicieux de concentrer, sous les ordres d'un chef unique, la sécurité des vols, la navigabilité, le maintien en condition des hélicoptères, les écoles de formation de pilotes, et l'outil consacré à la troisième dimension que constitue la brigade d'aérocombat. À sa tête, un état-major sera capable de mener des opérations de troisième dimension : raids en profondeur, flanc-garde ou opérations à caractère interarmes, comme l'utilisation d'hélicoptères de manoeuvre pour transporter une force, saisir un pont, récupérer des otages, exfiltrer des personnes...

Un pilier central : celui de la force opérationnelle terrestre que vous connaissez, qui sera organisé autour du système Scorpion. C'est Scorpion qui déterminera l'organisation et non l'organisation qui s'adaptera à Scorpion. Cette force de combat Scorpion sera scindée en deux divisions, composées chacune de trois brigades interarmes. Il s'agira de deux brigades de haute intensité, équipées du char Leclerc rénové, de deux brigades médianes, équipées des blindés Jaguar et Griffon, qui constituent le coeur de Scorpion, et de deux brigades légères que sont les brigades parachutistes et d'infanterie de montagne. Ceci permettra de mener des actions de haute intensité et des actions « ultralégères ».

Un commandement de la formation et de l'entraînement y sera adossé. Il fédère les écoles d'armes en charge de la formation opérationnelle des cadres et les rapproche du « premier employeur » que sont les unités opérationnelles. Enfin, quatre commandements spécialisés sont créés : le commandement du renseignement renforcé, celui des systèmes de commandement renforcés par la cyberdéfense, celui de la logistique et celui de la maintenance. On peut d'ailleurs penser qu'à l'avenir, le renseignement et les systèmes d'information pourraient être regroupés, ainsi que la maintenance et la logistique, l'approvisionnement et la réparation constituant deux actes assez complémentaires.

Enfin, le futur modèle intègre les moyens visant à contribuer, avec nos savoir-faire, au renforcement de la cohésion nationale. C'est le sens de l'expérimentation du service militaire volontaire qui sera conduite en 2015.

M. Jacques Gautier. - Merci pour la présentation de ce nouveau modèle, qui s'adapte à la réalité des menaces que vous avez décrites.

Vous n'avez toutefois pas abordé le sujet de la réduction des effectifs. La réduction prévue par la loi de programmation militaire portait sur 24 000 hommes. À la suite des arbitrages du Président de la République, il semble que 11 000 à 18 000 vont demeurer, dont une forte proportion pour l'armée de terre. Vous avez laissé entendre que vous ne souhaitiez pas supprimer de régiment. Vous ne voulez pas non plus employer le terme d'échenillage, et préférez parler de réduction de certaines unités périphériques, les régiments n'étant plus que des réservoirs de force. Vous en avez d'ailleurs tiré les conséquences dans votre présentation. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Autre sujet : l'opération Sentinelle : celle-ci devrait être pérennisée à hauteur de 7.000 hommes, contre 10 500 actuellement. Nous saluons cette décision, car on ne pouvait tenir dans la durée au même niveau d'effectifs. Certaines missions en opération extérieure (OPEX) ont été prolongées d'un mois, des permissions ont été supprimées... Par ailleurs, il s'agissait initialement de gardes statiques ; vous êtes heureusement passé en phase dynamique, en prenant en compte les moments où ces gardes ne s'imposent pas.

Ressentez-vous malgré tout une fatigue des militaires sur ces missions intérieures ? Depuis quelques jours, l'équivalent de trois compagnies de CRS, qui n'ont pourtant pas les mêmes obligations que les vôtres, se sont mis collectivement en arrêt maladie. Qu'en est-il de vos troupes ? Leur engagement sur le sol national constitue-t-il une véritable mobilisation ? Rentrer d'OPEX pour surveiller des gares par exemple, est-ce motivant ?

Général Jean-Pierre Bosser. - Ce sont deux questions extrêmement lourdes.

Lorsque j'ai été désigné à la tête de l'armée de terre, nous étions dans une dynamique qui visait la compression des effectifs plutôt que la montée en puissance. Quand j'ai initié mon modèle, j'ai imaginé, autour d'un seuil critique que j'évaluais alors à 100 000 hommes, une zone permettant de redescendre ou de remonter objectivement le format de l'armée de terre. Cette démarche présente l'avantage de définir un horizon du besoin opérationnel, qui établit un modèle de référence opérationnel, et un horizon des ressources, qui fixe quant à lui la maquette de l'armée de terre. Six à huit mois après, nous assistons à une volonté de remonter en puissance qui donne toute sa pertinence à cette approche. Grâce à elle, nous pouvons aujourd'hui proposer au ministre de la défense des choix éclairés en termes de capacités. La décision du Président de la République de suspendre des déflations d'effectifs est motivée par la nouvelle situation sécuritaire. Notre responsabilité collective consiste donc à lui proposer des solutions qui répondent aux défis qui sont devant nous et pas à ceux d'hier. L'effort de défense supplémentaire que notre pays s'apprête à faire en renonçant à une partie des économies qui étaient programmées n'a pas vocation à reproduire le passé, mais bien à préparer l'avenir. Et une partie de cet avenir se joue actuellement avec l'opération Sentinelle. J'y suis très attentif. Faire comme s'il ne s'était rien passé constituerait une erreur fondamentale. Ce n'est en tout cas pas la direction que je prends.

Vous avez évoqué la suppression de régiments. J'ai la volonté de maintenir le nombre des régiments pour conserver une présence militaire dans les territoires. Cette volonté m'a mis en contradiction avec certains, qui voulaient réduire la surface de l'armée de terre sur le territoire national pour des raisons d'économie en termes de soutien. J'ai souhaité au contraire maintenir ce maillage territorial, qui me semble capital en matière de sécurité et de capacité de réaction en cas de crise.

Il existe désormais beaucoup de « déserts militaires » et nous savons bien que le maillage territorial est important pour le lien armée-Nation, mais aussi pour la sécurité des Français. On parle des villes, mais assez peu des campagnes, et jamais des frontières. Or on ne sait jamais de quoi demain sera fait !

Pas plus que par le passé, je n'ai aujourd'hui l'intention de supprimer des régiments, alors que l'on va me rendre des effectifs - en tous cas, je l'espère. En revanche, il ne vous a pas échappé que, dans mon modèle à deux divisions et six brigades, une brigade sera transformée en brigade d'aérocombat. Je vais donc répartir les régiments de cette septième brigade dans d'autres brigades. Ma volonté est de rééquilibrer les effectifs des brigades pour les densifier. Il existe en effet des brigades dont les effectifs varient parfois du simple au double, ce qui pose des problèmes de préparation opérationnelle.

Un mot à propos de l'opération Sentinelle. Je suis intervenu, en novembre dernier, dans le cadre du cours d'état-major où se trouvent tous les capitaines qui viennent de finir leur temps de commandement. J'y ai évoqué le territoire national. Je n'ai pas ressenti un élan enthousiaste de cette jeune génération, qui n'a connu que les théâtres d'opérations extérieures. Je les ai prévenus qu'il fallait qu'ils s'attendent à passer une partie de leur futur parcours en alternance entre opérations extérieures et opérations intérieures.... Ce sujet est un sujet de fond, qui reste d'actualité. Celle-ci nous a montré que parler du territoire national pouvait avoir du sens.

Je ne note aucun signe de faiblesse s'agissant du déploiement de l'armée de terre au titre de l'opération Sentinelle. Je pense que l'adhésion est réelle. Les jeunes de vingt ans sont fiers d'effectuer cette mission. Nous demeurons cependant très vigilants. Le 11 janvier, nous avons en effet mis en place, sur le terrain, un dispositif très exigeant pour nos hommes, parfois présents 24 heures sur 24, sept jours sur sept, dans des conditions météorologiques assez rudes. Nous avons employé les forces armées comme des forces de sécurité intérieure, sur un mode de garde statique. Tout le monde l'a compris, dans le contexte de l'époque ; personne n'a discuté cette situation.

Il est vrai qu'aujourd'hui les militaires sont favorables à la mise en place de dispositifs plus dynamiques, car la garde statique de points sensibles, si elle peut dissuader, perd de son efficacité avec le temps et réduit l'adhésion à la mission. Une plus grande mobilité permettrait de mieux rentabiliser les atouts spécifiques des forces terrestres. Le fond du sujet est là, et l'armée de terre réfléchit actuellement à la façon de faire évoluer son action, aux côtés des forces de sécurités intérieures, pour tirer le meilleur parti de ses aptitudes spécifiques et de son expérience opérationnelle. On pourrait ainsi réfléchir à l'emploi sur réquisition de capacités de type équipes cynophiles, modules NRBC ou drones ? ou à l'utilisation des savoir-faire relatifs à la surveillance d'une zone. Il est essentiel de dépasser des procédés qui pourraient s'avérer comme une nouvelle « ligne Maginot » et proposer une « offre de service » intelligente, conforme à la spécificité d'une force militaire.

M. Daniel Reiner. - Est-ce déjà mis en oeuvre ?

Général Jean-Pierre Bosser. - En partie, mais les choses sont parfois difficiles à obtenir.

Par ailleurs, avec l'opération Sentinelle, chacun s'est rendu compte que nos effectifs étaient très comptés. Depuis de nombreuses années, nous avons du mal à remplir les missions du fait de la diminution des effectifs. Avec celle-ci, et en additionnant les missions intérieures et extérieures, il n'y a plus de « rab », pour employer un mot typique du milieu de la défense ! Aujourd'hui, je ne dispose plus que de 79 régiments, contre 95 en 2008 et 210 en 1977. L'adéquation entre les missions et les moyens a franchi les limites.

Il nous faut donc être vigilants, travailler sur l'adaptation des dispositifs, en liaison avec les préfets, et transformer le cycle de projection au sein des forces terrestres. Avec deux divisions et six brigades, chaque division suivra probablement de façon alternative le cycle « territoire national » (TN), puis le cycle « opérations extérieures » (OPEX). Nous espérons pouvoir disposer d'effectifs, remonter en puissance et retrouver des marges de manoeuvre.

Il est sûr que si l'opération Sentinelle perdure, ce ne peut pas être sous la forme d'un plan Vigipirate renforcé. 7 000 hommes déployés dans la durée nécessitent d'adopter un autre mode de fonctionnement et de soutien, avec des installations dignes de nos soldats. Nos hommes comprennent parfaitement que, l'urgence primant, l'installation des tous premiers mois d'une opération, ici comme à l'extérieur, soit spartiate, ils sont entraînés pour ça. En revanche, à partir du moment où l'urgence fait place à la permanence, ils méritent des conditions décentes pour se reposer, s'alimenter et se détendre. Probablement faudra-t-il recréer des bases autour de Paris. Les sites existent : Satory, Vincennes, etc. Ces bases doivent pouvoir regrouper 1 000 hommes, afin qu'ils puissent mener une vie normale durant quatre à six semaines. Il serait paradoxal qu'ils soient mieux installés à Gao qu'à Paris !

M. Jacques Gautier. - Ce sont souvent les communes qui les ont nourris et logés.

Général Jean-Pierre Bosser . - Je leur en suis d'ailleurs très reconnaissant. Ils ont été fort bien accueillis, mais cela peut-il durer ? La mise à disposition des restaurants administratifs, des chambres proposées par les pompiers, la gendarmerie ou les mairies, peut-elle continuer ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Il y a eu consensus, mais on peut imaginer des périodes plus complexes.

La parole est aux commissaires.

M. Jean-Marie Bockel. - N'est-ce pas le moment de repenser la place de la réserve opérationnelle dans notre dispositif de défense ? Quelle est sa part dans l'opération Sentinelle ? Ne peut-on imaginer sa montée en puissance, compte tenu de tous les problèmes de budget et de personnel qui sont rencontrés ? L'emploi de cette réserve a certes un coût, mais peut aussi présenter un certain intérêt, surtout si l'on s'inscrit dans la durée, en lien avec la gendarmerie nationale et sa propre réserve, qui est assez largement développée. On peut d'ailleurs dire que c'est un modèle.

Par ailleurs, le repositionnement de nos forces en Afrique, tel qu'il a été présenté par le ministre de la défense, a sa cohérence. Mais qu'en est-il de sa mise en place ? Quelles seront les conséquences pour les unités mères ?

Enfin, quel est aujourd'hui l'état des matériels dont dispose l'armée de terre ? Qu'en est-il de la capacité de mise en condition opérationnelle ? Vous avez cité l'exemple de la future brigade aéroportée : on voit bien que vous composez avec des matériels à bout de souffle. Du reste, lorsque les troupes sont engagées sur le terrain, les formations sont interrompues. C'est un enjeu important : pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

M. Jeanny Lorgeoux. - Aujourd'hui, que signifie être militaire ? Est-ce être un rempart de la Nation, un soldat de la République, un croisé de la liberté ? Qu'est-ce que cela représente pour un jeune homme de 20 ans ou de 25 ans qui entre dans l'armée ?

M. Joël Guerriau . - Tout d'abord, un grand bravo aux forces spéciales pour leur superbe réussite dans l'Adrar des Ifoghas !

Je voudrais prolonger la question de Jacques Gautier sur le moral des troupes : la compression et la déflation des effectifs ont forcément contrarié certains plans de carrière. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Par ailleurs, les problèmes du logiciel Louvois sont-ils totalement réglés ?

Général Jean-Pierre Bosser . - Lorsque j'ai imaginé le pilier du territoire national, j'avais déjà pensé accorder un intérêt tout particulier à la réserve, ainsi qu'une place au service militaire civique ou volontaire, dans le sillage de ce que l'armée de terre fait dans le cadre du service militaire adapté (SMA) pour l'outre-mer. Je comptais travailler ces sujets à froid. L'actualité m'a malheureusement rattrapé.

La réserve, on le sait, a fait l'objet d'une réflexion particulière à chaque Livre blanc sur la défense. Sa difficulté majeure, en France, provient d'un problème culturel : tous les réservistes que je croise hésitent à dire à leur employeur qu'ils sont réservistes. Pour caricaturer, on dit parfois qu'un réserviste est un chômeur en puissance ! C'est un problème de citoyenneté.

Il existe plusieurs types de réserves. Beaucoup de jeunes réservistes se sont portés volontaires au lendemain des attentats ; ils ont tous regretté que le cadre soit juridiquement trop étroit. Aujourd'hui, le code de la défense stipule qu'un réserviste qui accomplit son engagement dans la réserve opérationnelle pendant son temps de travail doit prévenir l'employeur de son absence un mois au moins avant le début de celle-ci. On comprend bien que cela pose un problème de réactivité en cas de crise. Un délai de 15 jours paraitrait aujourd'hui plus adapté. En outre, lorsque les activités accomplies pendant le temps de travail dépassent cinq jours par année civile, le réserviste doit obtenir l'accord de son employeur. Afin d'améliorer la disponibilité des réservistes, il faut s'interroger sur ce délai.

Nous disposons d'une réserve bien administrée, mais en revanche très mal organisée. Les gendarmes, dans ce domaine, sont excellents. Nous allons travailler sur ce sujet, voire imaginer des unités de réserve dans les zones où il n'existe plus aucun régiment.

Je me suis rendu à Lille pour visiter l'état-major interarmées de zone de défense et de sécurité : celui-ci compte la moitié de réservistes ! Ils n'ont pas besoin de cartes : ils connaissent le terrain par coeur !

Nous avons là un potentiel humain d'une immense qualité dont on ne tire pas le meilleur parti. Aujourd'hui, on compte environ 15 700 réservistes. L'objectif est de passer à 22 000 et de pouvoir engager en permanence 1 000 réservistes sur le territoire national, dans la durée.

M. Jean-Marie Bockel. - C'est une partie de la réponse à la question de Jeanny Lorgeoux.

Général Jean-Pierre Bosser . - En effet.

Un mot sur le dispositif en Afrique. Face à une menace transnationale, nous avons eu l'intelligence de construire un dispositif transnational. Cette méthode s'est révélée être la bonne. Dispositif d'action transnationale, zone d'action transnationale constituent des procédés très ambitieux diplomatiquement, mais aussi tactiquement. Il s'agit d'un espace très vaste, qui représente quasiment l'Europe. Il convient en outre de parler avec cinq pays africains en même temps et de les amener à dialoguer entre eux. Je pense que c'est une très belle réussite.

Cela permet aussi d'appuyer les forces africaines dans leurs pays. Certaines armées sont montées en puissance, comme au Mali. Ce dispositif militaire, qui donne aujourd'hui entièrement satisfaction, mérite donc d'être cité en exemple. Pendant de nombreuses années, nous nous sommes demandé comment allaient évoluer les relations militaires entre la France et ses partenaire en Afrique ; je crois qu'on en a là un bel exemple !

Vous avez évoqué l'usure des matériels. Nous avons effectué un important travail de régénération au retour de l'Afghanistan. Ce travail n'est pas terminé. Un véhicule de l'avant blindé (VAB) fait, en France 1 000 kilomètres par an ; il faisait 1 000 kilomètres par mois en Afghanistan ; il en fait 1 000 par semaine au Mali. Cela donne un ordre de grandeur de l'usure des matériels.

Je tempérerai la vision négative que l'on peut avoir de l'état de nos matériels en opération. Grâce à l'action de mes prédécesseurs, nos soldats ont le meilleur des équipements ; et si nous devons nous en priver en métropole - car il est vrai qu'on n'a pas besoin d'hélicoptères Cougar dans le cadre de l'opération Sentinelle - c'est parce que leur place est en opération extérieure.

Que signifie être militaire aujourd'hui ? C'est une question difficile. Pour y répondre, je vais laisser parler mes jeunes soldats : ils me disent que les Français n'accepteraient pas d'être mieux protégés à Gao qu'à Paris ! Ce raccourci résume l'évolution récente imposée au militaire d'aujourd'hui. Mais, dans le fond, il s'agit toujours de défendre ce que nous avons de plus cher, au plus loin et au plus près.

Nos soldats se sont engagés pour servir la France et protéger les Français. Ils estiment assez naturellement que, si la menace se situe à Paris, il n'est pas anormal pour eux de s'y trouver. Un soldat reste bien entendu un soldat au sens où nous l'entendons depuis vingt ans. Il assure aussi la défense des Français en combattant au loin au Mali, comme il l'a fait pendant plusieurs années en Afghanistan. Il faut donc rester en mesure de remplir toute la palette des missions, de la protection à la coercition par la manoeuvre interarmes. Le soldat doit être capable de tout faire pour assurer notre défense.

Une armée de terre à deux vitesses n'est pas souhaitable, et je pense que nos soldats ne souhaitent pas non plus être des soldats à deux vitesses.

Quant aux plans de carrière contrariés par les effets des réductions d'effectifs, je voudrais dire que l'armée de terre, comme les autres, a dû dans ce domaine déployer tous ses efforts pour accompagner humainement les trop nombreux départs. Avec un certain succès, d'ailleurs, car nous réussissons à susciter des départ volontaires et à les encourager par des mesures incitatives, nous refusant à les contraindre. Je suis attaché à maintenir cette politique d'accompagnement, qu'il nous faudra poursuivre en raison des objectifs de dépyramidage et de contingentement par grades qui nous imposent de réduire les effectifs dans les hauts de pyramide.

S'agissant de la remontée des effectifs de la force opérationnelle terrestre, nous n'avons pas aujourd'hui une vision assez claire de ses effets. Plusieurs annonces successives ont eu lieu, mais le Président de la République n'a pas encore décidé. Nous sentons toutefois que c'est une tendance qui s'affirme. Elle s'appliquera dans les régiments en portant sur le recrutement initial des engagés volontaires, des sous-officiers et des officiers pour élargir la base.

La question est forcément bénéfique pour le moral. Les militaires disposent d'un nouveau modèle et savent que le scénario est plutôt celui d'une remontée en puissance que d'une compression. Ils savent que nous sommes attachés au régiment : 75 % de l'horizon des soldats est constitué par le régiment. Ils sont donc rassurés.

En revanche, ceux qui pensaient partir s'interrogent. Va-t-on encore les y autoriser l'année prochaine ? L'effet induit a lieu à contretemps...

Pour ce qui est de Louvois, celui-ci est à peu près maîtrisé même si ses effets négatifs perdurent. Je ne vous cache pas que le logiciel continue à bugger, mais on l'a entouré d'une interface homme-machine efficace.

M. Jeanny Lorgeoux. - Il est rassurant que l'homme soit considéré comme supérieur à la machine !

Général Jean-Pierre Bosser . - C'est le cas, je le confirme ! Nos hommes n'ont aujourd'hui plus peur d'avoir une solde à zéro. C'est peut-être dit brutalement, mais c'est la réalité. Ils savent qu'un double comptage est réalisé à la main ; en dessous d'un certain plancher et au-delà de 10 000 euros, somme tout à fait anormale pour un militaire, un mécanisme se met en place pour éviter les moins perçus ou les trop-perçus.

De toute façon, on n'améliorera pas Louvois. Cependant, on met les bouchées doubles pour que son successeur, qui est très attendu, voie le jour le plus tôt possible.

M. Robert del Picchia . - Qu'en est-il de la récupération des sommes versées indûment ?

Général Jean-Pierre Bosser. - Le nombre de dysfonctionnements, dont les trop-perçus font partie, est extrêmement élevé. L'armée de terre s'est lancée dans une démarche vertueuse consistant à rétablir nos hommes et les finances publiques dans leurs bons droits. Nous avons achevé une première campagne de régularisation portant sur 56 000 administrés touchés par des trop-versés. Une deuxième campagne est en cours pour 120 000 cas, incluant des moins-versés. Le vrai problème vient du fait que nos personnels n'ont pas forcément les moyens d'identifier les erreurs de solde, dont la plupart sont insidieuses. Ils ne sont pas toujours en train de gérer leur compte, et sont parfois partis en opération. Ce sont alors les conjoints qui s'occupent des comptes et font les déclarations de revenus. Or, quand il faut déclarer des trop-perçus qui les font sortir des minima sociaux auxquels ils avaient droit, cela leur pose un problème administratif énorme. Ils préféreraient presque ne rien percevoir plutôt que de percevoir trop d'argent.

C'est encore pire lorsqu'ils enchaînent, comme en ce moment, les opérations. Imaginez le travail du ministère des finances pour reconstituer financièrement le parcours de l'intéressé ! Les officiers remontent alors leurs manches, et emmènent le militaire à l'hôtel des impôts pour y mener eux-mêmes les discussions.

M. Robert del Picchia. - Les dysfonctionnements de Louvois ont aussi créé des difficultés à ceux qui doivent s'endetter pour acheter un bien immobilier !

Général Jean-Pierre Bosser. - Il existe en effet tout un tas de problèmes dont celui de la suppression d'aides et de subventions sociales.

M. Jeanny Lorgeoux . - Combien représente la masse des trop-perçus ?

M. Robert del Picchia . - 200 millions d'euros !

Général Jean-Pierre Bosser. - C'est un peu moins que cela. On a toutefois instauré un véritable dialogue entre le trésor public et les régiments dans les garnisons. Les choses se passent plutôt bien. Le système est donc stabilisé, mais c'est comme un grand brûlé : on a l'impression qu'il est cicatrisé, et si on lui souffle dessus, il hurle !

M. Joël Guerriau. - Combien de personnes ce palliatif de Louvois mobilise-t-il ?

Général Jean-Pierre Bosser . - Comme je vous le disais, c'est toute la chaîne de commandement qui est mobilisée, plus les spécialistes des ressources humaines de nos régiments qui sont intégrés dans les compagnies, auxquels j'ajoute ceux des groupements de soutien de base de défense et le personnel servant au Centre expert des ressources humaines et de la solde (CERHS) de Nancy, qui atteint aujourd'hui un effectif de 730 personnes dont 240 contractuels, plus 55 consultants privés dont la mission s'achève cette année. En somme, le CERHS cumule les effectifs des centres territoriaux d'administration et de la comptabilité (CTAC) d'antan pour assurer le service de la solde et la correction des effets du dysfonctionnement de Louvois.

M. Daniel Reiner. - Au centre de paiement de Nancy, on a recruté 300 civils intérimaires depuis deux ans et demi.

Mme Gisèle Jourda. - Dans la présentation du modèle que vous proposez pour l'armée de terre, vous avez mis l'accent sur le pilier national, dont on sait l'importance depuis les événements de Paris, début janvier. Vous avez également exprimé votre attachement au maillage territorial ; en tant que Carcassonnaise, et ayant un régiment dans mon département, je ne peux qu'y être sensible.

Vous avez cependant peu parlé de la gendarmerie. Mon département compte beaucoup de zones de gendarmerie. Comment envisagez-vous les liens avec celles-ci ?

M. Jacques Gautier. - Je voudrais revenir un instant sur la déflation des effectifs et sur la remontée en puissance des forces. Vous avez chiffré des économies liées à la suppression de postes et au dépyramidage des grades initialement programmés. Vous avez donc dû prévoir de nouvelles dépenses pour financer les 11 000 hommes dont vous proposez le maintien. Avez-vous une idée précise du montant que cela représente ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Comment allez-vous coordonner l'annonce du nouveau modèle que vous avez élaboré pour l'armée de terre avec les décisions qui vont être prises au titre de l'actualisation de la loi de programmation militaire ?

Général Jean-Pierre Bosser . - Le maintien des régiments de Carcassonne et de Brive reflète les besoins d'infanterie. Je ne l'ai pas cité quand j'ai évoqué les opérations extérieures, mais la notion de combat au contact de l'adversaire est au coeur de nos engagements. Ce besoin d'infanterie comme des autres capacités qui est mis en avant dans le futur modèle est prégnant, et on va avoir besoin de cet outil dans les années qui viennent.

Vous avez évoqué la relation entre les militaires et les gendarmes. Concernant l'opération Sentinelle, la question ne se pose pas dans la mesure où on est surtout en zone de police. Nous n'avons donc pas de relations directes avec les gendarmes dans le cadre de cette opération ; mais les problématiques sont exactement les mêmes.

M. Daniel Reiner. - Les gendarmes mobiles ne remplissent-ils pas des missions urbaines ?

Général Jean-Pierre Bosser. - Très peu dans les zones où nous sommes déployés.

En revanche, lorsque j'ai construit mon modèle, j'ai rencontré le Général Favier pour lui dire qu'il serait intéressant de pouvoir travailler en commun sur une défense opérationnelle du territoire rénovée, et imaginer une complémentarité entre la gendarmerie et l'armée de terre au travers des moyens dont nous disposons - drones, chiens, démineurs, plongeurs... Cela n'a pas encore été formalisé. Le sujet est en cours d'étude.

Il s'agit de deux forces militaires. Il est donc assez facile de construire quelque chose ensemble. Je suis très optimiste quant au fait de retrouver le concept qui portait autrefois sur la défense opérationnelle du territoire. Celui-ci remontait à la guerre froide ; il est tombé en désuétude en même temps que le mur de Berlin, en 1991. Il y a là quelque chose à reconstruire.

La question des économies est une question sensible. Il y aura effectivement des déflations portées par le nouveau modèle. La création ou le surlignage d'un niveau divisionnaire va servir à dépyramider et à déconcentrer tous les états-majors intermédiaires qui se sont créés au fil du temps. Il y a aura donc trois niveaux, correspondant aux trois grades de généraux. Au-dessus des brigades et des divisions, les échelons de décision, de conception et de pilotage seront réduits, mis en cohérence et en synergie.

Aujourd'hui, nous étudions la balance des moins et des plus, dont on ne connaît pour l'instant ni le volume, ni le calendrier. Mon souci est clair : sans ces 11 000 hommes supplémentaires dans la force opérationnelle terrestre, je consomme mon capital opérationnel au quotidien. Mes hommes font Sentinelle, un peu d'instruction individuelle et collective, mais ne font plus de préparation opérationnelle au sens où on l'entend, c'est-à-dire dans le cadre d'opérations de haut niveau.

Nous sommes une armée professionnelle. Nos militaires qui ont fait Sangaris et Serval durant les trois dernières années ne vont pas devenir brutalement mauvais, mais leur durée de présence dans l'institution est comprise entre cinq et huit ans en moyenne. Si l'on ne fait rien, dans cinq ans, nous n'aurons plus l'armée Serval, mais l'armée Sentinelle. Il faut en être conscient : c'est un vrai choix de fond.

Pour être plus précis, j'ai besoin d'un sur-recrutement d'environ 5 000 hommes d'ici à la fin de l'année. Ce chiffre est mon objectif. L'été va arriver, et ce n'est pas en deux mois que l'on va pouvoir recruter 5 000 hommes, alors qu'on en recrute environ 10 0000 sur une année entière. C'est une pression importante en matière de recrutement.

Pour l'instant, j'attends de pouvoir lancer officiellement la campagne de recrutement, après que les annonces auront été faites. C'est un vrai défi. Je ne vous cache pas que j'utiliserai des leviers qui ont été jusqu'ici peu utilisés, mais imaginés au moment de l'armée professionnelle, comme par exemple le fait de déconcentrer le recrutement au niveau des régiments, en accordant aux chefs de corps un droit de recrutement de trente personnes. On va essayer de reconquérir de la ressource de cette manière, mais le temps est compté.

M. Daniel Reiner. - C'est au moment de l'actualisation de la loi de programmation militaire que l'on va y voir plus clair.

Général Jean-Pierre Bosser . - Un conseil de défense doit avoir lieu très bientôt. Je n'attendrai pas le 14 juillet pour mettre le recrutement en route. Pourquoi 5 000 ? Honnêtement, je pense que je ne suis pas capable de faire plus en 2015. Au-delà, ce ne serait pas raisonnable. Il ne faut pas sacrifier la qualité.

M. Daniel Reiner. - Allez-vous engager une campagne de recrutement ?

Général Jean-Pierre Bosser . - Comme chaque année, nous le ferons, mais en adaptant en 2015 nos objectifs au chiffre que je vous ai indiqué. L'année 2016 marquera les vingt ans de l'armée professionnelle. J'ai imaginé une grande communication autour de cet anniversaire qui a, je pense, beaucoup de sens, ces vingt ans ayant amené l'armée de terre à maturité.

J'ai l'intention de mettre en valeur les jeunes engagés qui ont eu un autre métier après l'armée. Certains sont aujourd'hui chefs d'entreprise. Mon idée est de réaliser des portraits et de communiquer autour de ceux-ci.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Quand présenterez-vous publiquement votre nouveau modèle ?

Général Jean-Pierre Bosser. - Nous avons jusqu'à présent réussi à maintenir un certain niveau de confidentialité vis-à-vis des médias. Une présentation en sera faite le 28 mai à l'École polytechnique. Vous y êtes d'ailleurs conviés. Nous y dévoilerons un logo, un slogan, l'organisation et l'architecture.

J'espère que nous aurons alors réuni tout ce qui nous permettra, à l'été, de passer à la vitesse supérieure.

Mme Michelle Demessine . - Après avoir subi tant de bouleversements, l'armée de terre est-elle capable d'en supporter un à nouveau ? En combien de temps pensez-vous mener à bien la révolution que représente le modèle que vous proposez ?

Général Jean-Pierre Bosser. - Je rends hommage à mes prédécesseurs qui, dans le scénario de compression, ont su conserver la quasi-totalité des savoir-faire et des capacités, parfois en petit nombre, mais qui nous permettent de relancer aujourd'hui l'effort. Si l'on perd certains savoir-faire, c'est définitif.

Par exemple, la livraison par air, qui nous sert à ravitailler les forces en carburant, au fond du désert, les populations, etc., est un savoir-faire aussi particulier que la catapulte pour les marins.

On peut dire que nous n'avons quasiment rien perdu aujourd'hui. On peut donc ajuster les capacités en fonction des besoins. J'avais d'ailleurs prévu, dans l'ancien modèle, des mises en sommeil de ce qui nous sert le moins en opération.

La question aujourd'hui est de savoir comment un système qui, comme le nôtre, a utilisé la marche arrière pendant des années, peut culturellement enclencher, d'un seul coup, la marche avant. C'est un sujet sur lequel les officiers d'état-major travaillent. J'ai vécu la même chose à la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), lorsque je l'ai réorganisée.

Comment faire pour convaincre nos jeunes cadres que l'on peut remonter en puissance, alors qu'ils n'y croyaient pas il y a encore quelques semaines ? Comment rebâtir intelligemment quelque chose de nouveau ? Il nous faudra un certain temps pour faire admettre aux jeunes officiers qu'il est aussi glorieux de défendre les Français à l'intérieur qu'à l'extérieur de notre territoire. Il y a là toute une pédagogie à mettre en oeuvre. Mais cela peut aller assez vite. L'armée de Serval pourrait être détruite en cinq ans ; je préfère pour ma part, en cinq ans, construire l'armée de demain !

Général Denis Mercier
chef d'état-major de l'armée de l'air
le 3 juin 2015

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Mon général, c'est toujours un plaisir de vous retrouver. Je vous félicite au nom de la commission pour votre nomination au poste de commandant suprême allié chargé de la transformation au sein de l'OTAN, SACT. Connaissant vos qualités nous savons pouvoir compter sur vous pour poursuivre et amplifier le travail engagé par vos prédécesseurs les généraux Abrial et Paloméros.

Nous avons pu mesurer, lors de notre récent déplacement au centre de commandement de Lyon Mont de Verdun, l'intensité de l'engagement des aviateurs, tant pour la sécurité du territoire national qu'en opérations extérieures, notamment dans la bande sahélienne ou en Irak. Vous nous avez fait l'honneur de nous faire voler vers Lyon en A400M : pourrez-vous nous dire un mot des conséquences pour l'armée de l'air de l'accident récent et des problèmes d'assemblage récemment reconnus par Airbus ? Notre commission attend votre regard sur ce sujet d'importance.

Peut-être nous direz-vous également quelles sont les conséquences de la livraison imminente de plusieurs Rafale à l'Égypte - puisque certains sont prélevés dans la flotte de l'armée de l'air - sur la disponibilité de la flotte de l'armée de l'air et les répercussions pour l'entrainement et les opérations ?

Enfin et surtout, nous inaugurons avec vous ce matin notre cycle d'auditions sur l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM), qui sera examinée demain par l'Assemblée nationale. Quelles seront les modifications à attendre par rapport aux trajectoires que vous aviez fixées pour l'armée de l'air dans la lignée de la LPM de 2013 ? Dans quelle mesure êtes-vous concerné par le renforcement des capacités aériennes - je pense notamment aux avions C 130 qui pourraient être achetés ? Quelle est votre approche du nouveau droit d'association qui sera ouvert aux militaires ? Mon Général, vous avez la parole

Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air .- Je commencerai mon propos en évoquant l'accident récemment survenu à l'A400 M dont la presse s'est faite l'écho. Tout avion vole en vertu d'un certificat de navigabilité et celui de l'A400 M concerné, qui effectuait un vol de réception, disposait d'un certificat de navigabilité spécifique impliquant la présence à bord de pilotes d'essais. Or, les appareils qui composent notre flotte et qui volent dans l'armée de l'air ont un certificat de navigabilité distinct. Dès lors, il n'y avait aucune raison de ne pas poursuivre notre utilisation de cet appareil, qui reste l'avion dont l'armée de l'air a besoin et qui nous permet notamment d'acheminer, sur les théâtres d'opérations extérieures, d'importantes quantités de fret. Un sixième appareil vient de nous être livré et il présente une excellente disponibilité, du fait d'un système plus mature que celui des appareils précédents ; la disponibilité des avions qui vont être livrés devrait être du même niveau.

S'agissant de la construction de la LPM, qui, comme la précédente a conduit à la diminution de notre budget global, elle nous permet d'assumer la pleine souveraineté sur l'emploi de nos moyens, et de répondre seuls quand c'est nécessaire aux décisions du Président de la République, c'est-à-dire, par exemple, de garder la pleine maîtrise de nos systèmes de commandement et de conduite, que la plupart des pays ont d'ailleurs souvent délégués. La LPM nous permet également de poursuivre la modernisation de notre dispositif de radars et de surveillance de notre espace aérien. Des efforts ont été consentis, comme l'étalement de la livraison des avions Rafale comprenant quatre années blanches, en prévision des premiers succès à l'exportation tant attendus pour cet appareil. Ces années blanches impliquent l'utilisation accrue des Mirage 2000 pour tenir le format déjà contraint de l'aviation de combat. L'ouverture d'un escadron de Rafale destiné à remplacer celui des Mirage F1 fermé en 2014 devrait intervenir en 2024, soit trois ans après la reprise des livraisons prévue en 2021. Conformément aux décisions du Président de la République, un second escadron Rafale à vocation nucléaire devra être mis en service en 2018 en remplacement des Mirage 2000 N. La livraison des appareils A400 M a également été étalée - 15 ont été prévus par la LPM ; 14 avions C-160 devraient être utilisés jusqu'à 2023. En outre, 14 C130 devront être modernisés afin de tenir compte de la réglementation et des évolutions tactiques. Mais la disponibilité des C160 et C130 nous a conduit à prévoir quatre C130 supplémentaires dans l'actualisation de la LPM, pour assurer l'entraînement des équipages et limiter l'exploitation des C-160 vieillissants dont l'utilisation coûte cher.

L'augmentation du nombre des théâtres d'opérations extérieures est notable depuis l'élaboration de la LPM, qui prévoyait une hauteur de contrats opérationnels désormais largement dépassée. Par ailleurs, faisant suite à la sous-dotation de l'entretien programmé des matériels (EPM) dans la précédente LPM, et malgré l'effort consenti dans celle-ci, nous avons fait le pari de dégager un milliard d'euros à réinvestir sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) pour augmenter l'activité. Afin de dégager ce milliard d'euros, des ajustements ont concerné trois postes : le projet « CAP 2016 » de la SIMMAD qui amène une renégociation de tous les contrats sous un angle nouveau, la réforme « supply chain », et la mise en place de la formation différenciée pour les pilotes de chasse. Il nous a par ailleurs été demandé d'assumer le coût des carburants dans ce budget. Par contre, la suractivité en opérations extérieures doit être compensée, ce qui a été prévu dans l'actualisation de la LPM par un effort supplémentaire sur le MCO.

L'armée de l'air apporte son soutien à l'exportation du Rafale. Les deux contrats qui viennent d'être signés ne seront pas les seuls. Je veux insister sur le fait que le succès de cet appareil est dû à la volonté de nombreux États de se doter d'une puissance aérienne. L'armée de l'air participe à la formation des forces aériennes qui investissent sur le Rafale, ce qui vient se rajouter à nos opérations. Mais nous nous sommes organisés pour.

Avec l'Egypte, la formation des personnels est intégrée dans le contrat signé par l'industriel - Dassault Aviation. Elle est assurée par l'armée de l'air qui la facture en quelque sorte à l'industriel. Permettez-moi d'ailleurs de vous confirmer que les pilotes et les mécaniciens égyptiens que nous avons accueillis et qui sont actuellement en formation sont d'un excellent niveau. En outre, les six appareils livrés à l'Égypte ont été prélevés sur les livraisons qui nous étaient destinées pour l'année 2015, ces appareils devant nous être restitués avant 2018. On ne saurait, en aucun cas, réitérer une telle démarche pour les autres exportations du Rafale, sous peine d'hypothéquer l'ensemble de nos efforts visant à préserver notre capacité opérationnelle.

Le Qatar, second pays client du Rafale, souhaite quant à lui doubler sa puissance aérienne dans les prochaines années. Pour répondre à cet enjeu, nous proposons directement aux Qataris, par le biais d'un arrangement technique entre les deux armées de l'air, des formations sur plusieurs années, comme le permet un décret de 2009 encadrant la vente de patrimoine immatériel de l'état. Cet arrangement technique pourrait être signé lors du prochain salon du Bourget et mis en oeuvre dans deux ans. L'offre de formation proposée par l'armée de l'air constituait d'ailleurs un atout pour l'acquisition de cet appareil, le distinguant des propositions commerciales des concurrents de Dassault Aviation.

Pour assurer ce soutien à l'exportation, en globalité, il nous faut dégager 200 instructeurs mécaniciens et pilotes sur du personnel déjà fortement engagé dans les opérations. Ceci a été demandé dans le cadre des non-déflations d'effectifs prévues par l'actualisation de la LPM.

Les autres prospects export doivent tenir compte de la capacité à monter en puissance des chaines de fabrication du Rafale, un processus qui comprend tout un ensemble de sous-traitants autour de la société Dassault. Après l'Egypte, on ne pourra plus, comme je l'ai précédemment souligné, prélever des avions sur nos propres livraisons afin de répondre aux commandes à l'exportation du Rafale.

Dans ce contexte, s'agissant des effectifs et des moyens, il est essentiel que la LPM soit respectée à la lettre. Nous avons, au titre de l'actualisation, demandé que soient intégrés dans la période de programmation les trois derniers avions ravitailleurs (Multi Role Transport Tanker - MRTT) et 25 « pods de désignation » de nouvelle génération supplémentaires, ainsi que l'anticipation à 2016 de l'arrivée du prochain système de drones «Reaper». Il nous faut également répondre à des besoins primordiaux, pour lesquels le personnel doit être préservé : les commandos qui assurent des missions de surveillance des bases situées dans des zones difficiles et dont le nombre doit être augmenté ; le soutien à l'export (SOUTEX) ; des interprétateurs de photographie et des agents employés à la cyber-défense ; et les effectifs correspondant à la non-fermeture d'une base qui avait été proposée aux restructurations - soit, au total, 1 400 hommes, tous postes confondus. Il nous paraît essentiel d'obtenir, au plus tôt, une visibilité sur la cible des effectifs afin de construire le modèle de ressources humaines 2019 et de donner la transparence nécessaire à notre personnel.

La création des associations professionnelles nationales de militaires n'a jamais été demandée par nos personnels qui, d'ailleurs, s'en inquiètent tant ils restent attachés aux structures de concertation existantes. À cet égard, nous ne sommes pas favorables à l'intégration de ces associations dans les conseils de la formation militaire (CFM), au moins à court terme, ni à leur présence au niveau local dans les bases aériennes. Elles ont en revanche vocation à siéger au Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM).

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je vous remercie, mon Général. Je passe maintenant ma parole à mes collègues.

M. Xavier Pintat. - Qu'attendez-vous de la coopération franco-allemande dans le développement des capacités d'observation par satellite de nouvelle génération (CSO-MUSIS et SARah) ? Quel est l'état d'avancement du projet de construction d'un drone MALE européen en collaboration avec l'Italie et l'Allemagne ? Quelles sont les avancées marquées par la communication satellitaire ? Enfin, pouvez-vous nous faire un point sur le système de conduite et de commandement des opérations aérospatiales (SCCOA), qui doit porter nos centres de détection et de contrôle au standard OTAN en 2016, dans le cadre de l'ACCS (Air Command and Control System) ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - L'OTAN reste, à mes yeux, une organisation sous domination américaine et il arrive à la France d'avoir, sur certaines crises, un regard différent. Aussi, que pensez-vous apporter à cette organisation ? Par ailleurs, et je relaie là une préoccupation partagée par notre collègue Leila Aïchi, l'armée de l'air joue un rôle important auprès de la jeunesse. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur les actions en cours dans ce domaine ?

M. Christian Cambon. - Le déploiement de troupes sur l'Arctique et dans les Pays Baltes, dans le cadre de l'OTAN, ne risque-t-il pas de fragiliser davantage encore nos relations avec la Russie ? En outre, la participation de l'armée de l'air ne doit-elle pas être questionnée, dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons ?

M. Robert del Picchia. - Sur la question des effectifs, dont je m'occupe comme rapporteur de la commission, pensez-vous que l'actualisation de la LPM va permettre la réalisation des déflations d'effectifs prévues dans de meilleures conditions pour l'armée de l'air ? S'agissant des associations qui nous sont imposées par la jurisprudence de la CEDH, sommes-nous réellement en mesure d'en refuser la création ?

M. Philippe Paul. - Si les contrats à l'exportation des avions Rafale sont une bonne chose pour notre économie, le décalage des livraisons d'appareils à notre propre armée fournit un réel motif d'inquiétude. La reprise de ces livraisons est-elle assurée et permettra-t-elle de rattraper celles qui ont été décalées, pour ainsi garantir le maintien de nos capacités opérationnelles ?

M. André Trillard. - Comment réagissez-vous aux déclarations des responsables indiens selon lesquels l'avion Rafale est trop onéreux ?

M. Daniel Reiner. - Il semble que la diminution des déflations annoncées va porter avant tout sur l'armée de terre ; aussi, nous souhaiterions connaître vos besoins précis en effectifs. S'agissant des drones et de la dotation en matériels de nouvelle génération, quel est l'état d'avancement de nos discussions avec les Etats-Unis ?

Par ailleurs, alors que l'acquisition des C-130 est parfois présentée comme une conséquence de la réalisation du programme A400 M, il faut souligner que ce n'est pas le cas, et que les besoins auxquels répondent ces appareils sont différents. Mais dans quelles conditions les nouveaux C-130 vont-ils être achetés ?

Enfin, quel est l'état réel des livraisons de l'avion Rafale qui devait initialement concerner 26 appareils sur six ans à destination de l'armée de l'air et de la marine nationale ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - À cet égard, je signale que M. Éric Trappier, président-directeur-général de Dassault aviation, devrait être prochainement auditionné par notre commission.

Général Denis Mercier. - La synergie franco-allemande dans le programme « ISR » est un réel succès. Je me réjouis également de leur participation au programme MUSIS et que le développement d'un drone MALE européen en partenariat avec eux et les Italiens soit programmé. Pour répondre favorablement au besoin de souveraineté dans l'utilisation des capacités ISR, il faut que les drones soient réalisés en Europe. Nous en avons les capacités et la perspective d'y parvenir d'ici à 2025 apparaît réaliste. Néanmoins, les besoins opérationnels qui sont actuellement les nôtres nous conduisent à acquérir des drones Reaper, faute d'un marché MALE européen, car c'est un besoin primordial sur les théâtres d'opérations.

Les capacités satellitaires nous sont également essentielles pour la surveillance des zones d'opérations extérieures. Nous avons besoin de bande passante et nous louons actuellement ces dernières à des opérateurs civils, à des coûts très élevés. Ce domaine offre des opportunités de coopération européenne.

Le programme SCCOA se poursuit comme prévu et un nouveau radar assure désormais la protection de notre centre de lancement de Kourou en Guyane. La composante ACCS de ce programme SCCOA devrait être opérationnelle en 2016. Elle intégrera ensuite le centre de commandement (C2) du dispositif anti-missile. Ce programme résulte d'une coentreprise (« joint-venture ») entre Thalès et Raytheon. Il montre un projet OTAN qui implique les Européens et l'industrie européenne. En ce sens, il est possible de concilier l'appartenance à l'OTAN avec la sauvegarde des intérêts européens !

Mme Hélène Conway-Mouret. - Cette coopération en matière industrielle est une bonne chose, mais je parlais plutôt de divergences d'analyse et de point de vue sur les crises au sein de l'OTAN.

Général Denis Mercier . - Dans le système ACCS que je viens de vous décrire, nous préservons notre entière souveraineté car nous sommes en mesure de maitriser les échanges de données. La défense anti-missile balistique sera l'enjeu de cette année avec la question centrale du C2 et de la déclaration opérationnelle. Ce sera un thème majeur du prochain sommet de l'OTAN qui se tiendra en 2016 à Varsovie. En outre, une vision européenne demeure et si de nombreux pays ne souhaitent pas dupliquer dans l'UE ce qui existe au sein de l'OTAN, l'inverse est aussi vrai, comme le Commandement européen de transport aérien (EATC). Une telle démarche démontre que l'Europe est à même de proposer des initiatives à l'OTAN. De manière plus prospective, les visions du combat futur motivent aussi l'intégration de plateformes de toutes natures au sein de systèmes fédérateurs, ce qui permettra en retour aux plus petits États de faire partie des architectures opérationnelles, quelle que soit la dimension de leur capacité de combat.

S'agissant de l'implication de l'armée de l'air dans la société civile, je m'apprête à signer l'extension d'une convention de partenariat avec l'Éducation nationale. L'opération de tutorat que nous avions initiée avec le rectorat de l'académie d'Aix-Marseille, associant des élèves parfois en difficulté sélectionnés par les proviseurs, permet de les préparer au brevet d'initiation aéronautique (CBIA) et ainsi de parfaire notamment leurs connaissances scientifiques dans une approche plus réaliste. La fidélisation des élèves est une vraie réussite, portée notamment par la réalisation de vols d'initiation, financés avec le soutien de sponsors locaux. Forte d'un tel succès, cette démarche associe désormais de nombreux professeurs de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, associés en binôme à nos jeunes cadres militaires. Le BIA existe déjà ailleurs, mais nous allons bientôt étendre ce projet plus vaste à l'ensemble du territoire national. En outre, la Fondation de l'armée de l'air devrait nous permettre de solliciter un soutien financier plus important.

Les États Baltes et la Pologne, où sont organisées les manoeuvres de l'OTAN, considèrent la menace de la Russie comme sérieuse, une perception renforcée par les dernières déclarations du Kremlin et la situation en Crimée. Dans un tel contexte, les mesures auxquelles participe entre autres l'armée de l'air française visent à rassurer ces États et à envoyer un signal fort à la Russie. Nous assurerons à nouveau un détachement opérationnel de défense aérienne dans la région avec un déploiement d'aéronefs en 2016. Les manoeuvres organisées dans la région de l'Arctique obéissent à une logique différente, puisqu'elles résultent d'une opportunité d'utiliser des vastes zones d'entraînement dans les pays scandinaves pour entraîner nos équipages, décidée bien avant la crise ukrainienne et la crise diplomatique qui en a résulté. Outre la taille des espaces aériens et l'intérêt des exercices qui s'y déroulent, ces manoeuvres offrent aussi un coût très intéressant.

S'agissant des déflations d'effectifs, sur les 18 750 équivalents temps plein (ETP) maintenus, 7 000 correspondent à des suppressions de postes qui n'étaient pas réalisables, toutes armées confondues. L'armée de l'air a estimé ses besoins à 1 400 postes dans le cadre de la loi de programmation militaire. Notre grand problème demeure la réduction du nombre d'officiers, comme je l'avais souligné devant vous à l'automne dernier, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, l'objectif fixé ne nous semblant pas atteignable. L'engagement de l'armée de l'air est de « dépyramider », c'est-à-dire de diminuer les cohortes des officiers et des sous-officiers les plus gradés. Mais il importe avant tout de maintenir la capacité opérationnelle de nos forces !

La création des associations de personnels résulte d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme. Il faut ainsi les intégrer dans les organismes de concertation existants, mais elles ne suscitent pas l'engouement de notre personnel.

La livraison de 26 avions Rafale Air et Marine, dont 19 au profit de l'armée de l'air, est prévue par la LPM. Après le deuxième escadron à vocation nucléaire qui sera opérationnel en 2018, la livraison des Rafale devant équiper le cinquième escadron opérationnel devrait reprendre à compter de 2021 et permettre ainsi de constituer un nouvel escadron vers 2023-2024. Reporter à nouveau ces livraisons impliquerait d'étendre encore l'utilisation des Mirages 2000, ce qui peut s'avérer techniquement très problématique. L'armée de l'air a d'ores et déjà engagé de nombreux avions Rafale dans des opérations extérieures, sans compter les Rafale qui assurent en permanence la défense aérienne du territoire national et la dissuasion. Qui plus est, nous avons aussi besoin d'appareils pour assurer l'entraînement de nos propres équipages, Il faut s'assurer que l'armée de l'air ne soit pas la dernière lotie dans ce domaine !

La totalité de nos drones est utilisée en opérations extérieures dans la bande sahélo-saharienne. Leur utilisation assure une identification optimale des cibles et une meilleure description de l'environnement tactique, du fait de leur capacité d'observation permanente sur une zone d'intérêt donnée. Nous avons demandé aux Américains de nouveaux simulateurs Reaper, ainsi que le déploiement d'une cabine de contrôle au sol sur la base de Cognac dans le cadre du prochain système qui devrait être livré en 2016. Il sera alors possible de conduire depuis la France les opérations de drones décollant du Niger, une capacité qui devrait soulager les équipages dont le rythme de détachement en opérations extérieures est particulièrement éprouvant.

Les C130 assurent des missions différentes de celles réalisées par l'A400 M, et ils sont utilisés entre autres pour les opérations spéciales. Il faudra que les C130 prévus dans l'actualisation puissent ravitailler des hélicoptères. En ce sens, nous pouvons acheter des appareils neufs C 130-J ou des C 130-H d'occasion afin de répondre à ces enjeux opérationnels.

M. Christian Cambon, président. - Au nom du président Raffarin et de tous mes collègues présents, je tiens à vous remercier pour la qualité de votre intervention et de vos réponses à nos questions. Nul doute que le succès du Rafale à l'exportation doit beaucoup aux opérations extérieures conduites par l'armée de l'air - laquelle est, je tiens à le signaler, l'armée la plus féminisée, avec 23 % des effectifs, tandis que le taux de féminisation des autres armes ne dépasse pas 15 % !

Général Denis Mercier. - À ce sujet, l'escadre d'A400 M, qui devrait prochainement être constituée à Orléans, sera commandée par une femme.

M. Christian Cambon, président. - Mon Général, je vous remercie !

Général Pierre de Villiers
chef d'état-major des armées
le 10 juin 2015

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Le projet de loi d'actualisation de la loi de programmation militaire marque une inflexion importante. J'aimerais insister sur la nécessité de parvenir si possible à un texte stabilisé avant le 14 juillet prochain, dans la mesure où nos armées ont besoin d'une base pour une mise en oeuvre rapide.

M. Jacques Gautier, président. - Nous accueillons le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. Général, vous nous aviez dit lors d'une précédente rencontre que la programmation 2013 était taillée au plus juste et que toute mission nouvelle impliquait des moyens nouveaux. Vous évoquiez les difficultés à identifier les déflations d'effectifs restantes. Vous nous aviez également indiqué que les ressources de la défense devaient impérativement être au rendez-vous « en temps et en heure » pour l'achat des équipements nécessaires aux missions de nos armées.

Votre engagement sincère nous avait convaincus. Nous avions d'ailleurs demandé au Gouvernement des éclaircissements sur les sociétés de projet et les solutions alternatives pour pallier le manque de ressources exceptionnelles, ce qui nous a conduits à effectuer un contrôle sur pièces et sur place à Bercy.

Nous nous retrouvons alors que les Rafale ont été exportés, que l'opération Sentinelle a été pérennisée, que les sociétés de projet ont été abandonnées et surtout que le Conseil de défense du 29 avril, traduit dans le projet de loi d'actualisation de la programmation militaire, a fixé de nouvelles orientations.

Ce projet de loi apporte-t-il à votre sens des réponses satisfaisantes aux questions que vous vous posiez ? Les crédits budgétaires seront-ils au rendez-vous, en particulier dès 2015 ? Je salue vos efforts pour obtenir que les économies réalisées sur le coût des facteurs soient directement investies dans de nouvelles capacités. La question des associations professionnelles de militaires se pose également.

Il faut aller rapidement de l'avant. Sur tous ces sujets, je vous laisse maintenant la parole.

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. - La dernière fois que je suis venu devant vous, c'était en octobre dernier pour le projet de loi de finances pour l'année 2015. Aujourd'hui, il s'agit de l'actualisation de la loi de programmation militaire et du projet de loi qui la porte et qui vient d'être voté hier à l'Assemblée nationale.

Je voudrais en premier lieu vous remercier de me donner une nouvelle fois l'occasion de m'exprimer devant vous. C'est toujours un plaisir de sentir l'intérêt que porte votre commission à nos préoccupations de défense. Merci pour cette relation de confiance entre vous, les parlementaires, et nous, les militaires. C'est un signe fort, incarné, du lien entre la Nation et son armée.

Je vous parlerai comme à mon habitude : sans langue de bois, en vérité et en toute transparence. La situation l'exige.

Si cette actualisation était prévue dans la LPM, c'est bien la dégradation du contexte sécuritaire national et international qui l'a accélérée ; elle est à l'origine de la décision du Président de la République, lors du conseil de défense du 29 avril dernier, de maintenir dans la durée 7 000 soldats dans l'opération Sentinelle, de réviser la cible des déflations, d'augmenter le budget de la défense et d'abandonner l'incertitude des recettes exceptionnelles au profit de ressources budgétaires.

Ces décisions, en termes budgétaires et d'effectifs, sont celles que je souhaitais, en accord total avec le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. Si j'ai été entendu, c'est aussi grâce aux soutiens apportés par les parlementaires et singulièrement ceux de votre commission, ici au Sénat, dont je connais l'engagement et le sens de l'intérêt général.

Grâce à votre appui, le redressement de l'effort de défense permet de maintenir une cohérence entre les moyens qui nous sont donnés et les missions qui nous sont confiées. C'est bien l'idée maîtresse de ma démonstration aujourd'hui devant vous.

Dans le cadre de la LPM, nous avions défini un modèle complet d'armée, certes taillé au plus juste - je vous l'ai dit déjà plusieurs fois - mais cohérent et adaptable. C'est grâce à ces qualités que nous avons pu, jusqu'à présent, remplir les missions qui nous ont été confiées. C'est grâce à ces qualités que nous pouvons maintenant l'actualiser à l'aune du nouveau contexte.

Nous sommes dans un exercice de densification d'un modèle toujours pertinent et que nous voulons plus robuste, c'est-à-dire à la fois adapté à un contexte sécuritaire qui s'est durci et prenant en compte les missions nouvelles que nos armées doivent désormais assumer.

Pour remplir ces missions, l'augmentation du budget de la défense est plus qu'un besoin, c'est une nécessité.

Je ne mésestime pas l'effort que cela représente pour la nation dans le contexte économique actuel, mais ce n'est pas une faveur faite aux armées. C'est la preuve que notre pays, dans un monde de plus en plus imprévisible et menaçant, veut demeurer maître de son destin. C'est l'honneur de la France de prendre cette décision courageuse.

Renforcer le budget de la défense est strictement nécessaire : sans les ajustements proposés dans cette actualisation de la LPM, nous ne serions bientôt plus en mesure d'assurer correctement la totalité de nos missions, ni de conserver notre modèle d'armée, aujourd'hui et demain, notamment sur la période 2016-2019. Pour vous le démontrer, j'articulerai mon discours en trois parties :

- les facteurs qui mettent sous tension nos armées et justifient l'actualisation de la LPM ;

- la réponse qui est portée par le projet de loi ;

- mes points d'attention.

Pour commencer donc : les facteurs qui justifient l'actualisation de la LPM.

J'aborderai trois domaines : la protection du territoire national, les opérations extérieures et le soutien aux exportations.

1 er domaine : les missions des armées qui concourent directement à la protection du territoire national. Au-delà bien sûr de la dissuasion nucléaire que je n'évoquerai pas ici et qui n'est pas directement impactée par l'actualisation, elles comprennent la protection des approches maritimes et aériennes de notre territoire - à laquelle concourent quotidiennement plusieurs milliers de marins et d'aviateurs - ainsi que l'engagement de nos soldats sur le sol national en protection de la population.

Sur le territoire national, jusqu'à 10 000 hommes ont été déployés en quelques jours en janvier dernier après les attentats parisiens. Ce déploiement sans précédent s'inscrit désormais dans la durée avec les 7 000 soldats de l'opération Sentinelle. Ce volume de troupes déséquilibre actuellement les armées, et singulièrement l'armée de terre. La préparation opérationnelle a été réduite, des engagements internationaux ont été annulés, des relèves modifiées. Des soldats ont eu leurs permissions diminuées, voire supprimées ; certains entament en ce moment leur troisième rotation, ce qui correspond parfois à 12 semaines d'engagement depuis la mi-janvier : 12 semaines sur 19. C'est considérable ! Qui assumerait cette charge sans faire valoir ses droits individuels ? Nos militaires, ces jeunes Françaises et Français que vous croisez dans Paris et dans vos circonscriptions, le font sans se plaindre. C'est mon devoir de vous le dire : ils méritent la reconnaissance de la Nation ; ils méritent en tout cas les moyens de leurs missions ; c'est un minimum. Les armées n'ont pas de syndicat ; leur seul syndicat, c'est la voix de leurs chefs ... et la mienne aujourd'hui devant vous !

Soyons clair : cet engagement n'est pas tenable sans effectifs supplémentaires. Le volume de forces engagées sur le territoire national s'ajoute en effet à celui en opérations extérieures, dans les missions permanentes, aux forces de présence et de souveraineté. Au total, à l'heure où je vous parle, environ 35 000 soldats sont déployés dans ces missions et dans la durée. On ne peut pas aller au-delà sous prétexte que les militaires ne se plaignent pas !

Sur l'emploi des armées sur le territoire national en protection de la population, une nécessaire réflexion doit être poursuivie : quel cadre, quelles missions, quelle coopération avec les forces de sécurité intérieure ? Un rapport sous l'autorité du Premier ministre a été demandé par le Président de la République sur ce sujet. Il permettra, je l'espère, de préciser l'emploi des forces déployées à l'intérieur de nos frontières.

2 e domaine, après la protection du territoire national : les opérations extérieures.

Plus de 8 000 hommes et femmes de nos armées sont actuellement déployés en opérations extérieures. Ils remportent d'indéniables succès opérationnels. L'actualité du mois dernier le montre encore avec le bilan de l'opération qui a conduit, lundi 18 mai, au Nord Mali, à mettre hors de combat le principal chef opérationnel touareg d'AQMI au Nord Mali, Adelkrim le touareg, ainsi que l'adjoint d'Iyad Al Ghali en charge de la police religieuse et des éliminations ciblées d'opposants, Ibrahim Ag Inawalen. C'est un exemple emblématique, car la disparition de ces deux terroristes porte un coup sévère à nos adversaires. C'est aussi un exemple qui montre la qualité de la boucle vertueuse : renseignement ; suivi de la cible 24 heures sur 24 ; neutralisation au bon moment, au bon endroit, avec les bons modes d'action et les bons moyens.

Au-delà du volume de troupes, la pression opérationnelle exercée par les OPEX sur les armées est accentuée par deux facteurs principaux :

- 1 er facteur : les élongations. Les opérations se déroulent sur des zones aux dimensions très importantes qui mettent sous tension nos moyens de transport aériens avec une surconsommation de leurs potentiels. La zone d'opération au Sahel représente, à elle seule, près de 8 fois la superficie de la France, ce qui implique des temps de vol importants pour que nos avions arrivent sur leurs objectifs ; et nécessite deux fois plus de moyens de commandement qu'un autre théâtre. Autre illustration de ces élongations : l'évacuation, par la marine, de nos ressortissants au Yémen il y a quelques semaines, s'est déroulée à 5 000 kilomètres de nos frontières.

- 2 e facteur : la dureté des théâtres et des opérations. Les conditions d'engagement sont extrêmes pour le personnel comme pour les équipements. Au Nord Mali, du fait des 45° de chaleur, chaque homme consomme chaque jour plus de 12 litres d'eau. Le caractère abrasif des sables du Sahel et du Levant, de la rocaille des massifs du Nord Mali et de la latérite centrafricaine, conjugués aux vents violents, à la chaleur et aux amplitudes de températures de ces théâtres, provoquent également une usure accélérée de nos matériels. Pour les vecteurs aériens, notamment les hélicoptères, ces conditions extrêmes provoquent une dégradation accélérée des ensembles mécaniques. Pour les matériels terrestres, 20 % d'entre eux qui rentrent en panne de retour de l'opération Barkhane sont irréparables.

Sans moyens financiers supplémentaires pour régénérer ces matériels, et considérant leur âge, le maintien du niveau d'engagement actuel se traduirait à court terme par une diminution rapide de plusieurs parcs, dont les avions de transport tactique et de patrouille maritime, les hélicoptères de manoeuvre et les véhicules blindés. Sans moyens financiers supplémentaires pour l'entretien des matériels, nous mettons en danger notre personnel.

Il faut avoir en tête l'état réel de nos équipements : lors de mon dernier déplacement à Tessalit, j'ai embarqué dans un véhicule de l'avant blindé - un VAB - livré en 1983 !

Si nous ne réagissions pas, les conditions actuelles porteraient le risque de compromettre rapidement notre efficacité et notre capacité à durer. Nos amis britanniques ont connu ce phénomène de retour d'Irak et plus récemment d'Afghanistan. Pour éviter ce risque, des mesures urgentes sont nécessaires.

Cette nécessité s'impose avec d'autant plus de force que le contexte sécuritaire international se dégrade aussi bien sur le flanc Est que sur le flanc Sud de l'Europe. En effet, aujourd'hui :

- Ce sont Daech et le terrorisme islamiste radical qui continuent à se déployer en s'appuyant sur une propagande mondiale.

- Ce sont environ 1 600 résidents Français partis combattre à l'étranger, dont le retour, réel ou potentiel, accentue la menace à l'intérieur même de nos frontières.

- C'est AQMI et les groupes armés terroristes de la bande sahélo-saharienne, qui se jouent de la porosité des frontières pour se camoufler, puis agir.

- C'est Boko-Haram, qui déstabilise la région du lac Tchad et terrorise la population.

- C'est le risque de connexion entre les groupes armés terroristes des différents théâtres : AQMI au Sahel, Daech et Jabhat An-Nusra au Levant, Boko-Haram au Nigéria, sans parler des Shebabs de Somalie, etc.

- C'est la crise ukrainienne, qui fait peser le retour de la guerre en Europe. L'évolution de la situation y reste mouvante et incertaine.

- C'est la misère qui pousse des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants à prendre tous les risques pour rejoindre l'Europe.

Mesdames et messieurs les sénateurs, ne nous payons pas de mots : la guerre, l'affrontement, sont de retour de façon durable avec une multiplication de crises de plus en plus violentes, qui nous menacent très directement.

3 e domaine : les exportations.

C'était un point d'attention de la LPM, et c'est un pari réussi ! Nous nous en réjouissons.

Grâce aux ventes de Rafale à l'Egypte, au Qatar, et probablement à l'Inde, d'une frégate pour ce qui concerne encore l'Egypte et de différents matériels pour le Liban, l'augmentation des exportations d'armements est significative. Nous devons collectivement en être fiers ; c'est le fruit d'années d'effort ; ce sont autant de succès pour « l'équipe France » et ils consolident l'équilibre et la soutenabilité de la LPM, tout en renforçant notre plateforme industrielle de défense.

Les armées ont pris leur part dans ces réussites avec, en amont, la participation aux travaux de conception et de définition du besoin, puis la crédibilité opérationnelle apportée aux équipements sur les théâtres d'opération.

Les armées participent également, par la qualité des relations internationales militaires qu'elles entretiennent de par le monde, à faciliter les négociations.

Les armées sont aussi mises à contribution pour l'accompagnement de ces marchés. Nous devons prendre en compte cette mission nouvelle, qui comprend notamment la formation des équipages, des pilotes et des maintenanciers. L'impact sur l'équipement de nos forces doit également être considéré. Deux exemples concrets :

- le prélèvement d'une frégate multi-missions FREMM pour l'export impose de prolonger 3 frégates anciennes, d'un an chacune. Cela représente une charge de 212 « équivalents temps plein » sur la période 2016-2019, effectifs auxquels s'ajoutent 35 marins dédiés au soutien à l'export.

- de la même manière, l'export de Rafale impose, entre autre, un surcroît d'activités et donc la nécessaire prolongation d'un parc de 6 MIRAGE 2000c pendant 4 ans.

Je tiens à préciser sur ce plan que ces exportations ne remettent pas en cause les cibles d'équipements au terme de la LPM : nos 26 Rafale et nos 6 FREMM seront bien livrés sur la période de la LPM. Seuls leurs calendriers de livraison devront être ajustés en fonction des engagements d'exportation.

L'actualisation de la LPM doit aussi intégrer ces paramètres. Et je dois vous dire que l'aléa de l'export Rafale levé, c'est un grand soulagement pour le chef d'état-major des armées que je suis.

Pour résumer cette première partie : sur la base d'une LPM sans marge, je souligne un engagement massif sur le territoire national qui remet en cause le format cible de nos armées ; des opérations extérieures qui usent les matériels ; des exportations qui impliquent de modifier sensiblement la LPM. Telles sont, sommairement décrites, les principales problématiques auxquelles l'actualisation de la LPM doit répondre. Cela m'amène à ma deuxième partie : la réponse à ces enjeux.

Cette réponse est à la fois capacitaire et organisationnelle : elle n'est possible qu'avec des ressources budgétaires adaptées.

Elle est d'abord capacitaire et se décline en trois domaines principaux : les effectifs, les équipements et le maintien en condition opérationnelle des matériels.

Premièrement : les effectifs.

La mise en oeuvre du contrat protection a montré la nécessité de pouvoir disposer d'effectifs militaires en nombre suffisant. Vous le savez, le Président de la République a décidé de réduire de 18 750 la déflation des effectifs du ministère d'ici 2019. Je rappelle d'ailleurs que ce n'est pas une augmentation des effectifs, mais bien une moindre baisse ; nous aurons en 2019 moins de militaires professionnels qu'en 1996 avant la professionnalisation. Ce n'est donc pas une inversion, mais une moindre déflation. Elle marque cependant une réelle inflexion de tendance et une mise en cohérence entre le constat sécuritaire et les conclusions qu'il faut en tirer ; entre les missions et les moyens.

Cette décision desserre l'étau des effectifs ; elle nous permettra une remontée en puissance rapide de la force opérationnelle terrestre de 66 000 à 77 000 soldats, afin de maintenir dans la durée 7 000 hommes dans l'opération Sentinelle. Elle donne la capacité permanente d'aller, si besoin et sur court préavis, jusqu'à déployer 10 000 soldats pour 4 semaines. À travers la force opérationnelle terrestre, qui est aussi le réservoir pour les OPEX, c'est donc bien aux unités de combat que va la priorité en effectifs. Pour la première fois depuis 50 ans, on va recréer des compagnies de combat dans les régiments. Donc, sur les 18 750, 11 000 seront affectés à la Force opérationnelle terrestre.

Mais cette dynamique bénéficie aussi à l'ensemble des armées. Les 7 750 restants se découpent en plusieurs tranches :

Environ 1 000 postes supplémentaires par rapport à la LPM initiale seront consacrés au domaine du renseignement et de la cyber. L'actualisation de ces besoins est incontournable. Traquer des terroristes et anticiper au plus tôt leurs attaques ; se protéger contre les attaques Cyber de Daech, telle que celle qui a ciblée TV5 monde au mois d'avril ; retrouver la trace d'un otage, comme le ressortissant néerlandais, au milieu du désert malien ; toutes ces actions nécessitent des moyens matériels perfectionnés et des ressources humaines de grande qualité.

Le reste des effectifs préservés permettra aux armées, directions et services :

- de répondre aux besoins nouveaux liés principalement au soutien des exportations et au renforcement de la protection des sites militaires ;

- de limiter les risques dans la conduite de leurs plans de transformation, en évitant un bourrage par des effectifs non identifiés dans les déflations.

La moindre déflation en effectif a un coût : il correspond à la masse salariale, la formation, la vie quotidienne - je pense en particulier à l'infrastructure -, l'équipement et l'entraînement de ces militaires.

Ce coût doit aussi prendre en compte la rénovation de notre système de réserve. Les réserves font partie intégrante de notre modèle d'armée professionnelle. Je suis pour ma part persuadé que le développement de la réserve pourrait contribuer, davantage encore, à la cohésion nationale. Elles doivent participer, plus et mieux, aux nouvelles missions et singulièrement à celle de la protection du territoire. Il s'agit d'un projet cohérent : une réserve plus jeune, plus réactive, plus nombreuse - avec une dotation budgétaire supplémentaire de 75 millions d'euros sur 2016-2019 -, avec des périodes plus longues, et plus attractive vis-à-vis de la fonction publique et du secteur privé.

Effort sur les effectifs, développement de la réserve, effets induits par le soutien à l'exportation nécessitent au total un financement de 2,8 milliards d'euros sur la période 2016-2019.

Je voudrais maintenant aborder les équipements et le maintien en condition du matériel.

Si le cap d'un modèle complet d'armée pour 2020 reste inchangé, nous avons dû, là encore, nous adapter au nouveau contexte en portant notre effort sur la modernisation de nos capacités renseignement et cyber, sur les frappes dans la profondeur, sur la mobilité et sur la protection des forces. C'est surtout le bon moment pour intégrer les enseignements de nos engagements des trois dernières années au Sahel, au Levant, en RCA et ailleurs.

Nous devons en fait veiller à quatre aptitudes principales. Ce ne sont pas les équipements qui dictent les choix, mais les aptitudes, dont doit disposer le chef militaire sur le terrain. Des mesures capacitaires portées par le projet de loi viennent les appuyer pour un montant total de 2 milliards d'euros : 1,5 milliard d'euros pour les équipements et 500 millions d'euros pour l'entretien programmé des matériels.

1 ère aptitude : garder l'initiative.

Dans la bande sahélo-saharienne, nos opérations aéroterrestres nécessitent de disposer d'une grande réactivité pour conserver l'initiative. Nos actions combinent hélicoptères de transport de troupes et hélicoptères d'attaque. Le potentiel de nos parcs est actuellement insuffisant pour tenir le rythme des opérations. Pour y remédier, l'acquisition d'hélicoptères est primordiale. Le projet de loi prévoit d'anticiper l'acquisition de 6 NH90 et de valider la tranche conditionnelle de 7 Tigre supplémentaires.

Maîtriser le processus de ciblage, s'assurer de la précision des tirs et maîtriser les effets collatéraux, sont aussi des savoir-faire qui font la différence sur le terrain. C'est l'objectif de l'acquisition de 25 « pods » supplémentaires de désignation laser de nouvelle génération pour nos avions de chasse. Ils s'ajoutent aux 20 « pods » déjà prévus par la LPM initiale, soit au total 45 « pods » à l'horizon 2019.

De la même façon, l'achat de matériels, comme celui de 3 900 jumelles de vision nocturne complémentaires permettra à nos forces spéciales de conserver l'avantage technologique dans le combat de nuit.

2 e aptitude : accroître la mobilité de nos forces.

Avec la dispersion des théâtres et leur étendue, face à un ennemi fugace, nous devons renforcer nos capacités de mobilité stratégique et opérative. Elles sont, vous le savez, particulièrement sous tension.

Le besoin sur les théâtres en transport tactique et en ravitaillement en vol est supérieur de 50 % à ce que prévoient les contrats opérationnels du Livre blanc. Nos avions de transport tactiques sont vieillissants et d'un fonctionnement très coûteux. L'urgence de la situation ne permet pas d'attendre plus longtemps la montée en capacité tactique des A400M. Par ailleurs, le vieillissement de la flotte de ravitailleurs fait peser un risque sur l'action aérienne. Il est donc de première importance d'acquérir 4 avions de transport tactiques C130 et d'avancer la livraison des trois derniers MRTT, soit 12 effectivement livrés avant 2025.

3 e aptitude : optimiser l'endurance et la disponibilité de nos matériels.

Pour cela, nous devons consolider le soutien logistique avec un effort nécessaire pour « l'entretien programmé du matériel », indispensable à la régénération des équipements les plus sollicités.

Le projet de loi prévoit 500 millions d'euros sur la période 2016-2019. C'est un minimum, car actuellement, nous consommons plus vite que nous sommes capables de régénérer : c'est vital pour le maintien des capacités opérationnelles de nos armées.

4 e aptitude : anticiper nos engagements.

Il s'agit de nos capacités de renseignement, de surveillance et de maîtrise des espaces matériels et immatériels.

La nécessaire anticipation stratégique et tactique passe notamment par l'observation spatiale avec l'acquisition en coopération avec l'Allemagne d'un 3 e satellite pour le programme de la composante spatiale optique. Elle passe également par des capacités d'écoutes tactiques. Ces capacités amélioreront la surveillance des vastes zones d'opérations et l'appui direct des forces au contact ainsi que les actions de ciblage.

Au-delà de ces aptitudes essentielles, nous devons aussi répondre à l'urgence de ruptures de capacités réelles ou potentielles.

Nous le faisons avec des mesures de cohérence opérationnelle qu'il ne nous est plus possible de reporter, comme l'achat de lots OPEX pour les Rafale, la régénération des véhicules blindés légers, l'acquisition d'un bâtiment de souveraineté et d'assistance hauturier et d'un bâtiment multi-missions.

Répondre à l'urgence, c'est aussi améliorer la sûreté aérienne face aux menaces des mini-drones, que l'on a pu observer récemment au-dessus de sites sensibles, militaires, nucléaires ou urbains.

La mobilité, l'initiative, l'endurance et l'anticipation : toutes ces aptitudes ne valent que si elles sont mises en oeuvre par des hommes et des femmes compétents au sein d'une organisation performante ; ce qui m'amène à aborder, après ce premier volet capacitaire de la réponse, le volet organisationnel.

Ce volet est porté par la transformation des armées, directions et services qui continue. Oui, la transformation continue. Elle est, elle aussi, un enjeu de cohérence, une exigence de réussite et un gage d'avenir pour notre outil de défense.

Les objectifs de rationalisation et de réforme interne demeurent. Vous pouvez compter sur moi et sur les chefs d'état-major d'armées pour poursuivre le projet CAP 2020. Il s'agit toujours d'optimiser nos capacités opérationnelles et d'affûter notre organisation générale.

La transformation concerne toutes les armées, directions et services. Vous connaissez les différents projets mis en oeuvre par chacun : « au contact » pour l'armée de terre, « Horizon Marine 2025 » pour la marine, « Unis pour faire face » pour l'armée de l'air, « SCA 21 » pour le service du commissariat des armées, « SSA 2020 » pour le service de santé des armées, « projet DRM » pour la direction du renseignement militaire, « Quartz » pour la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense, « SEA 2020 » pour le service des essences des armées, « SIMu 2019 » pour le service interarmées des munitions. Si je vous les cite tous, c'est pour montrer qu'un modèle d'armée, c'est bien un tout cohérent avec nos trois armées et les directions et services. Tous ces projets sont en marche autour de trente-deux chantiers ministériels. Ces projets visent en particulier :

- La rationalisation du soutien, de l'environnement des forces et de nos organisations. Cela, sans fragiliser l'efficacité opérationnelle.

- La rénovation de notre modèle de ressources humaines. Nous voulons un modèle plus dynamique dans ses flux, avec un vrai dépyramidage, plus souple dans la gestion des carrières, plus attractif par des parcours professionnels mieux adaptés aux besoins opérationnels des armées, en renforçant la cohérence entre le grade, les responsabilités et la rémunération.

- L'optimisation des structures de commandement symbolisée par le regroupement du ministère à Balard et qui concerne tous les états-majors.

La transformation, c'est en somme un nouveau logiciel de fonctionnement des armées, directions et services, avec, en prime, un recentrage encore plus marqué sur le coeur opérationnel.

Au bilan, je considère que l'effort humain et financier qui est porté par ce projet de loi nous donnera les moyens d'atteindre ces objectifs.

Je souhaite maintenant vous livrer précisément mes points d'attention. Ce sera ma troisième et dernière partie.

Ils sont au nombre de trois : la préparation de l'avenir, le budget et le moral de nos soldats.

Premier point d'attention : préparer l'avenir.

Les décisions que nous prenons dans le domaine de défense engagent toujours l'avenir sur le long terme. Aucun de nous ne sait de quoi demain sera fait. Préparer l'avenir, c'est notre devoir vis-à-vis des générations futures.

Le tragique du monde pourrait de nouveau changer les configurations actuelles. La défense des Français doit être globale et sans maillon faible. Elle est l'ultime garantie de la Nation. Elle doit s'adapter à toute surprise stratégique.

Face à un très large spectre de menaces, l'équilibre entre les 5 fonctions stratégiques - protection, dissuasion, intervention, connaissance et anticipation, prévention - décrites dans le Livre blanc, ne doit pas être remis en cause.

Pour assurer la cohérence d'ensemble, je reste attentif :

- à l'adéquation entre les missions et les moyens, j'en ai parlé ;

- à l'adéquation entre les besoins et les ressources. On touche là à la problématique des ressources exceptionnelles : le Président de la République a tranché, en sécurisant l'essentiel des ressources en crédits budgétaires ;

- à l'adéquation entre le physique et le financier, là où parfois la seule approche comptable peut faire des dégâts dévastateurs.

Ce qui m'amène naturellement à mon deuxième point d'attention : le budget.

En dépit d'un abondement en ressources, l'équation financière reste tendue. C'est la raison pour laquelle nous restons concentrés et organisés pour mobiliser en interne les ressources nécessaires au financement des capacités. C'est, entre autres, l'enjeu des plans de transformation dont je vous ai parlé.

Nous avons conjuré plusieurs risques initialement portés par la tension sur les effectifs, les hypothèses d'export, le montant des ressources exceptionnelles. Mais des préoccupations subsistent : ce sont principalement le surcoût des opérations extérieures et intérieures, le tempo d'arrivée des ressources et les conséquences des contrats d'exportation.

Le surcoût des opérations : au-delà de la provision annuelle de 450 millions d'euros, le mécanisme de financement des opérations doit continuer à répondre à une logique de besoins et non à une logique de moyens avec le principe de couverture par recours à la réserve interministérielle de précaution, conformément à l'article 4 de la LPM. Une revue des opérations est en cours afin de déterminer les potentielles sources d'économies. Nous veillons à modérer les coûts des opérations en prenant en compte un juste équilibre entre les effets à obtenir sur le terrain et les moyens engagés. À ce stade, pour 2015, la prévision est au moins de 1 milliard d'euros, auquel il faut ajouter le financement de l'opération Sentinelle.

Le tempo d'arrivée des ressources financières :

Je resterai très attentif pour éviter tout grignotage de nos ressources financières en gestion. Je vous l'ai dit, certains de nos matériels arrivent en fin de vie. Il n'est plus possible de les prolonger sans faire prendre des risques inconsidérés à nos soldats. Le calendrier d'arrivée des équipements ne peut être tenu que si le tempo de mise en place du budget correspondant est respecté. Il en va de l'équilibre structurel et indispensable entre les effectifs, les équipements et le budget.

Je vois trois domaines à surveiller en gestion :

- Le coût des facteurs. Actuellement, la conjoncture économique est favorable et a permis de prendre sous enveloppe certaines charges additionnelles sans remettre en cause les équilibres de la LPM. Nous restons néanmoins attentifs à un retournement, évidemment toujours possible, de la conjoncture économique, comme l'histoire nous l'a montré. Pour couvrir ce risque, la mission d'évaluation des conditions économiques confiée à l'inspection générale des finances et au contrôle général des armées a été prolongée. Elle devra analyser les conséquences des derniers indices économiques de mai, ainsi que l'évolution des charges nouvelles au sein du ministère de la défense qui viennent diminuer d'autant les économies putatives issues du coût des facteurs et du prix du carburant. Je rappelle sur ce plan qu'un milliard d'euros doit être dégagé pour financer les dépenses d'équipements. Je resterai vigilant.

- Le financement du service militaire volontaire. L'adaptation à la métropole du principe du service militaire adapté était une proposition des armées au titre de la cohésion nationale. Je crois en effet que nos armées peuvent aider les jeunes en marge des dispositifs traditionnels sociaux-éducatifs. Les armées sont déjà engagées dans des dispositifs d'aide aux jeunes en difficulté. Le service militaire volontaire est un enjeu de cohésion nationale et son coût - estimé annuellement entre 30 et 40 millions d'euros pour la phase expérimentale - ne doit pas être pris sur le budget de la défense. Mon discours ne varie pas : « à mission nouvelle, moyen nouveau ».

- Les conséquences du soutien aux exportations sont également l'un de mes sujets de vigilance. Il est encore trop tôt pour les évaluer avec précision, contrat après contrat. Je reste d'ailleurs persuadé que notre excellent dialogue avec les industriels et la DGA nous permettra de bénéficier d'éventuels dividendes liés à l'accroissement de l'export. La copie reste à construire au fur et à mesure sur la période 2015-2019. Sur ce plan, je vous redis de la manière qui soit la plus claire possible combien nous sommes soulagés par cette bonne nouvelle de l'accroissement de nos chiffres à l'exportation des matériels militaires et singulièrement du Rafale. C'était un des aléas majeurs de la LPM ; il est désormais levé.

Troisième et dernier point d'attention : le moral.

Il reste pour moi un sujet majeur de préoccupation. Dans le contexte actuel, nos subordonnés, ne nous méprenons pas, ressentent parfois un double sentiment :

- d'une part, une surchauffe et une lassitude engendrée par l'opération Sentinelle, la livraison reportée de certains équipements majeures, et les conséquences des multiples réformes de ces dernières années ;

- d'autre part, une condition du personnel dégradée. Je pense au report de permissions, au célibat géographique, à l'état de certaines infrastructures, etc.

Les décisions prises par le Président de la République et leurs annonces publiques ont créé un soulagement certain et une espérance réelle. Mais les effets des décisions ne se feront pas tous sentir à court terme.

Le moral est à surveiller aussi dans le contexte de la création des associations professionnelles nationales des militaires. À défaut d'avoir été souhaitée par les militaires eux-mêmes, c'est une évolution inéluctable imposée par les arrêts de la cour Européenne des droits de l'homme. Le texte qui est inclus dans l'actuel projet de loi a été préparé en totale concertation avec les armées, sur la base du rapport Pêcheur. Ce texte est équilibré : il préserve la finalité opérationnelle des armées ainsi que le commandement de proximité.

Je n'ai pas d'inquiétude à ce stade. Je resterai attentif dans la mise en oeuvre, pour que la concertation ne s'oppose pas au commandement, mais que les deux s'enrichissent mutuellement, pour une plus grande efficacité de nos armées.

Le moral de nos armées est un sujet majeur, car ce sont les forces morales qui font la différence sur le terrain. Nous avons de formidables soldats. Ces femmes et ces hommes font preuve d'un courage, d'un sens du devoir et d'une générosité incroyables, alors que leurs conditions de vie et de travail sont souvent rudimentaires. Ils ne demandent que les moyens nécessaires pour remplir décemment les missions qui leur sont confiées. Depuis des années ils acceptent, ils endurent, ils risquent leurs vies et avec des rémunérations modestes. Nous leur devons une attention à la hauteur des sacrifices personnels, familiaux et financiers qu'ils consentent au quotidien pour protéger la France et les Français.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, pour conclure, je dirai que le projet qui vous est proposé est un bon projet et si je ne le pensais pas, je ne vous le dirais pas !

Je me suis battu, avec le ministre de la défense, pour obtenir trois décisions :

- Premièrement : la réduction des déflations d'effectifs à hauteur de 18 750 postes.

- Deuxièmement : l'augmentation du budget de la défense à hauteur de 3,8 milliards d'euros et le maintien du bénéfice des économies réalisées grâce à un environnement économique plus favorable, à hauteur d'un milliard d'euros.

- Troisièmement : la consolidation du budget avec des ressources désormais garanties et l'abandon de la majorité des recettes exceptionnelles qui le rendaient fragile, à hauteur d'environ 5,3 milliards d'euros.

Cette actualisation donne aux armées les moyens de remplir toutes leurs missions, telles qu'elles sont inscrites dans le Livre blanc et dans la LPM.

Dans un contexte économique difficile, j'ai bien conscience que le Président de la République, chef des armées, a pris une décision stratégique très volontariste. Elle répond à l'état du monde et aux menaces qui pèsent sur notre pays.

Vous pouvez compter sur mon engagement sans faille et sur ma totale loyauté pour mettre en oeuvre ce projet. Je suis dans l'action et c'est pour cela que j'ai besoin de décisions rapides et d'un calendrier resserré.

Nous sommes à un tournant stratégique de notre histoire où, pour la première fois depuis des années, nous avons l'occasion de redresser l'effort de défense. Un tournant historique à la mesure de la situation que nous vivons.

Nous comptons sur votre appui pour le respect du calendrier de mise en oeuvre de ces mesures de densification de notre outil de défense. Nos soldats, marins et aviateurs, soyez-en persuadés, demeurent fidèles à la belle devise du maréchal de Lattre, qui est illustrée par cette actualisation de la LPM aujourd'hui : « Ne pas subir ».

Je vous remercie et je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Jacques Gautier, président. - Je vous remercie d'avoir pris le temps de nous exposer votre vision de l'actualisation de la LPM, en soulignant les points positifs, majoritaires, et en évoquant les quelques inquiétudes qui peuvent demeurer et les points de vigilance, auxquels nous serons très attentifs.

M. Xavier Pintat. - Je vous remercie, Général, pour la clarté de vos propos et pour votre force de conviction. Les membres de notre commission sont conscients que nos armées font admirablement face à des défis nombreux, dans des conditions très tendues.

Ma première question est d'ordre budgétaire. L'actualisation de la LPM prévoit de consacrer un milliard d'euros, issu d'économies sur divers postes (inflation, carburant...), au renouvellement des équipements. Nous devons être vigilants sur ce point. Avez-vous des garanties sur la réalité de ce montant et sa disponibilité ? Les indices économiques sur lesquels reposent ces économies sont volatiles. Une clause de sauvegarde ne doit-elle pas être introduite dans la LPM ? Par ailleurs, le collectif budgétaire nécessaire à la mise en oeuvre de l'actualisation sera-t-il très prochainement déposé ?

Ma seconde question porte sur l'OTAN. L'OTAN a prévu de renforcer sa force de réaction rapide NRF (Nato Response Force) et de créer, en outre, une force « fer de lance » de 5 000 hommes mobilisables sous 48 heures. La France assume le rôle de nation-cadre de cette nouvelle force. Aurons-nous les moyens d'exercer cette responsabilité, qui prendra effet à compter de 2021 ?

M. Robert del Picchia . - Quel est l'impact des moindres déflations sur les fermetures et restructurations d'unités ?

S'agissant des associations professionnelles de militaires, elles recueillent l'approbation des associations existantes, même si certains points soulèvent des interrogations, mais votre position est claire à ce sujet.

Vous avez évoqué rapidement les réservistes. Comment passer concrètement de 28 000 à 40 000 réservistes ? Quel travail effectuer auprès des employeurs ?

M. Gilbert Roger. - Nos points de vigilance sont communs, dans un contexte de dégradation de l'actualité internationale. L'actualisation est conforme à ce que ma famille politique attendait.

Ma première question porte sur les redéploiements. Un plan de restructuration des unités devait être présenté. Quand aurons-nous des précisions à ce sujet ?

Les industriels pourront-ils suivre le rythme prévu par l'actualisation, dans le contexte des marchés qu'ils ont gagnés à l'exportation ?

Général Pierre de Villiers . - Le montant d'un milliard d'euros d'économie sur le coût des facteurs constitue effectivement un point de vigilance. Les hypothèses retenues par le rapport conjoint de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Contrôle général des armées (CGA) me paraissent réalistes. Nous devrons évidemment être attentifs aux évolutions de ces indices de coût des facteurs. C'est pourquoi cette mission a été prolongée. En outre, il existe des charges additionnelles, non prévues par la précédente LPM, qui sont de deux types : celles applicables à l'ensemble des ministères (TVA, taxes foncières...) et celles spécifiques au ministère de la défense (par exemple, le projet Telsite à Mururoa, le surcoût de Louvois...).

Au cours des prochaines semaines, nous allons procéder au fléchage de ce montant d'un milliard d'euros, par rapport aux besoins capacitaires sur la période 2016-2019. Il nous faut prendre en compte le fait que le montant de 500 millions d'euros, par ailleurs consacré aux équipements, sera plutôt disponible en fin de période. L'exercice implique aussi d'identifier quels sont les programmes qui bénéficient des économies sur le coût des facteurs. Pour la première fois, la LPM a été construite en euros courants et non constants. Or les indices se révèlent favorables. Mais ce montant d'un milliard d'euros est indispensable à l'équilibre d'ensemble.

La création de la VJTF (Very High Readiness Joint Task Force) de l'OTAN correspond à une demande des chefs d'état-major, afin que l'OTAN puisse répliquer très rapidement, au moment d'une crise et non après cette crise. À partir du dispositif de NRF, nous avons souhaité accélérer la rapidité de déploiement. La VJTF sera opérationnelle en 2016. La France y participera à partir de 2021. Nous serons alors en mesure d'assumer nos responsabilités de nation-cadre.

Concernant les restructurations, elles se poursuivront car la transformation des armées et des services continue de façon globale, même si dans certains cas elles seront atténuées. Il faut que cette loi d'actualisation soit votée rapidement pour que l'on puisse poursuivre les chantiers de rationalisation et d'optimisation en cours.

Concernant les associations professionnelles, les chefs d'état-major d'armées et moi-même étions favorables à ce qu'elles siègent au conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) mais pas aux conseils de la fonction militaire (CFM) des armées. Le projet de loi laisse une porte ouverte, en prévoyant un délai de cinq ans pour les intégrer aux CFM, ce qui permettra d'apprécier au préalable la manière dont les choses se déroulent au CSFM.

M. Robert del Picchia. - La liberté d'expression accordée aux associations professionnelles ne risque-t-elle pas de conduire à certaines dérives, dans la mesure où elles seront sollicitées par les médias ?

Général Pierre de Villiers.- Le projet de loi comporte un certain nombre de garanties. Ainsi les associations ne pourront se saisir de problèmes individuels ou de questions d'organisation. Elles ne pourront intervenir qu'au niveau national afin de ne pas alourdir le commandement de proximité. Concernant la réserve, il est vrai que l'objectif fixé, qui est de passer de 28 000 à 40 000 réservistes, suppose d'en développer l'attractivité dans les entreprises et dans la fonction publique. Pour ce qui est des entreprises, des discussions sont menées actuellement par le ministère avec le Medef. La montée en puissance de la réserve prendra du temps. S'agissant des relations avec les industriels, le dialogue est organisé et efficace. L'augmentation des ventes à l'export, de 6 milliards à 8, voire à 10 milliards d'euros, signifie des recettes en plus pour les industriels mais doit aussi se traduire pour les armées par des économies sur les équipements. La démarche que nous conduisons consiste à comparer, contrat par contrat et année par année, ce que les exportations d'armement nous coûtent et ce qu'elles nous rapportent. Cette démarche est nécessaire, compte tenu du changement d'échelle qu'implique la progression des ventes.

M. Jeanny Lorgeoux. - Pourriez-vous nous faire un point sur les forces de présence en Afrique ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - L'utilité des gardes statiques dans le cadre de l'opération Sentinelle fait-elle l'objet d'une évaluation ? Quel est votre point de vue sur l'efficacité de l'action de la coalition internationale contre Daech ? Enfin, l'ilot du boulevard Saint-Germain que vous allez prochainement libérer sera-t-il cédé à la Ville de Paris ou mis en vente sur le marché ?

M. André Trillard. - Où en est-on des conséquences du dysfonctionnement du système de solde Louvois et de la récupération des sommes indûment versées? Concernant les formations dispensées par les armées dans le cadre des ventes à l'export, les recettes perçues en contrepartie reviennent-elles au budget de la défense ? Enfin, il semblerait que la pratique consistant, en fin d'année, à reporter le paiement des équipements sur l'année suivante progresse, ce qui est regrettable. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Général Pierre de Villiers.- Le dispositif des forces de présence en Afrique reste globalement stable par rapport à ce qui était prévu par la LPM, au Sénégal, au Gabon, au Tchad et en Côte d'Ivoire. Pour Djibouti, des réflexions sont en cours mais je suis favorable au maintien des deux composantes - aérienne et terrestre -

La question de l'utilité des gardes statiques dans le cadre de Sentinelle va être au coeur d'un débat qui se profile pour les prochains mois. Une réflexion stratégique, doctrinale, interministérielle et interarmées sur ce que doit être la défense du territoire national dans toutes ses dimensions (aérienne, terrestre, navale, cyber) est nécessaire. Il faut d'abord définir une stratégie avant de se poser la question du concept d'emploi puis des équipements et des moyens. Je plaide pour qu'on ne se focalise pas sur Sentinelle mais sur cette réflexion stratégique globale qui devrait aboutir au plus tard au deuxième semestre 2015.

En ce qui concerne Daech, la Turquie a une approche spécifique de la crise syrienne ; elle doit notamment prendre en compte la question kurde et celle des réfugiés, particulièrement nombreux sur son territoire. Il me semble que l'action de la coalition internationale est efficace - Badgad ou Erbil ne sont pas tombés aux mains de Daech -, mais pas suffisante. Une action supplémentaire au sol sera en tout état de cause nécessaire, elle se fera par les forces irakiennes, d'où l'importance de leur formation à laquelle nous contribuons. Or cette formation, ainsi que l'émergence d'un esprit de combativité, prennent du temps, surtout face à la sauvagerie dont font preuve Daech et les autres groupes terroristes.

Il est bien prévu, dans les recettes exceptionnelles liées à des cessions immobilières, que l'ilot Saint-Germain soit vendu, mais les modalités de cette vente n'appartiennent pas à mon champ de compétences.

Louvois continue d'être une question qui nous empoisonne : je rencontre régulièrement des personnels de toutes catégories qui sont affectés par des dysfonctionnements. Nous avons mis en place un dispositif de suivi et de prévention qui est efficace, mais nous sommes dans l'attente de la nouvelle solution informatique en cours de développement. Nous tentons toutefois de tirer des expériences de cet épisode, par exemple pour organiser notre déménagement à Balard : nous devons être absolument certains du bon fonctionnement de l'ensemble des réseaux avant de procéder aux dernières phases du déménagement.

Chaque contrat à l'exportation est un cas particulier mais nous avons une ligne de conduite constante : le soutien à l'export ne doit pas peser d'une manière ou d'une autre sur la réalisation de la LPM. Je suis vigilant sur ce point, comme je le suis sur la gestion courante. Pour cela, la budgétisation des anciennes recettes exceptionnelles (2,1 milliards d'euros en 2015) doit arriver suffisamment tôt dans l'année. Nous n'avons pas encore de données consolidées en 2015 sur le report de charges, qui pèse notamment sur les PME ce qui est inacceptable, mais nous nous attendons à ce qu'il diminue.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - A mon tour de saluer la force de votre engagement ! J'aurai deux questions de nature différente. La mobilisation des réserves pose des difficultés avec les employeurs et le nombre de réservistes a déjà beaucoup diminué ces dernières années. Au-delà des mesures qui ont été décidées, une réserve plus « interarmées » ne pourrait-elle pas améliorer la situation ? Ne serait-il pas pertinent de mobiliser davantage la réserve citoyenne, par exemple en matière de cyberdéfense ? Par ailleurs, en ce qui concerne Daech, quel est votre sentiment sur son renforcement récent et que pouvons-nous faire face à la crise en Syrie ?

M. Aymeri de Montesquiou . - Vous n'avez quasiment pas parlé de coopération européenne ! Est-ce à dire que l'idée d'une Europe de la défense est morte ? Serions-nous condamnés à nous en remettre aux Etats-Unis via l'OTAN ?

M. Alain Gournac. - Je suis étonné, et déçu pour tout dire, de l'évolution du programme A400M. Nous avions fondé beaucoup d'espoirs sur cet avion. Comment voyez-vous l'avenir sur ce sujet ? Par ailleurs, quelles sont vos orientations en ce qui concerne l'évolution du nombre des officiers généraux, ce qu'on appelle le « dépyramidage » ? Enfin, est-ce que le nombre de 7 000 militaires pour la protection nationale est arrêté de manière durable ou sera-t-il amené à évoluer ?

Général Pierre de Villiers.- La réserve est l'incarnation de la défense de la Nation, en particulier sur le territoire. Concernant la réserve civile, j'ai tenu à ce que le texte comporte des dispositions relatives à la cyberdéfense. Certains civils ont des compétences éminentes et sont très désireux d'en faire profiter la défense nationale : il faut moderniser la réserve pour les attirer davantage.

Quant à la situation en Irak d'une part, au Yémen d'autre part, elle relève avant tout de la diplomatie. Certes, la campagne aérienne de la coalition a produit des effets. Mais les forces disponibles au sol sont encore insuffisantes face à Daech. Je rappelle que nous n'en sommes qu'au 9 e mois d'une campagne qui doit durer au moins 3 ans : il faut s'inscrire dans le temps long, que le rythme de nos sociétés fait perdre de vue. J'ai coutume de dire qu'il faut quinze ans pour résoudre une crise : regardons le Kosovo ! Il faut en outre une approche globale, politique, diplomatique et économique, telle qu'elle a été discutée lors de la dernière réunion des ministres des affaires étrangères de la coalition en format « small group ». D'un point de vue militaire, nous continuerons à participer aux opérations avec nos avions, à former les Peshmergas à Erbil et les forces irakiennes à Bagdad.

En ce qui concerne la coopération européenne, elle existe sur le terrain depuis des années ! Lorsque j'étais en Afghanistan, j'avais sous mes ordres un bataillon turc, un bataillon italien et un bataillon français, et mon état-major regroupait 15 pays, pour la plupart européens. La veille de ma dernière réunion à l'OTAN, j'assistais à la réunion des chefs d'état-major européens ! Il faut promouvoir des coopérations européennes sur des projets précis, comme c'est le cas par exemple en matière de transport aérien. Il existe bien une action européenne comme on le voit dans les opérations menées pour la formation des forces maliennes (EUTM Mali). En revanche, il est indispensable de bien réfléchir à la répartition des missions entre les différentes institutions, en particulier entre l'Union européenne et l'OTAN, afin d'éviter les redondances : ne sont-ce pas les mêmes moyens, les mêmes hommes, les mêmes crédits ? En tout état de cause, je suis en contact permanent avec mes partenaires européens et la coopération sur le terrain est une réalité, que ce soit au Mali, en République centrafricaine ou dans le golfe d'Aden avec l'opération Atalante, sans oublier l'opération, en cours de préparation, sur les migrants en Méditerranée. Certes, certains aspects de cette coopération restent perfectibles : je pense notamment à la clarification de la chaîne de commandement. Au total, cette dimension européenne n'a pas évolué par rapport à la LPM, c'est pourquoi je ne l'avais pas évoqué spontanément.

L'A400M est assurément un exemple de programme perfectible. Pour ma part, j'ai un besoin crucial de cet avion et je subis directement les retards du programme. L'A400M sera un bon avion, j'en suis certain. Il y aura des enseignements à tirer de cette expérience, loin de toute idéologie.

Par ailleurs, je me suis lancé dans une politique de dépyramidage clairement affichée : il y aura moins d'officiers généraux et moins de colonels. La tendance naturelle en temps de paix est d'augmenter le poids des états-majors. Au contraire, il faut rétablir le lien entre grade, responsabilité et rémunération et garantir des carrières attractives aux bons éléments.

La question des 7 000 hommes de l'opération Sentinelle doit être replacée dans le contexte plus large de la posture d'ensemble de nos forces : défense aérienne, cyberdéfense, action de l'Etat en mer, protection des flux maritimes, etc. Les 7 000 hommes de Sentinelle ne doivent assurément pas faire le même travail que des policiers ou des gendarmes, en raison de leurs modes d'action, de leurs équipements, et de leurs savoir-faire. Le Président de la République a décidé que cette opération s'inscrivait dans la durée car elle est nécessaire pour assurer la protection des citoyens et pour maintenir leur confiance en l'Etat. Nous diminuerons peut-être un peu l'amplitude pendant l'été. Mais aujourd'hui, qui peut convaincre les Français qu'il n'est plus nécessaire que les soldats assurent cette mission, compte tenu du risque persistant d'attentats ?

M. Jacques Gautier, président. - Daniel Reiner, qui n'a pu être présent aujourd'hui, aurait souhaité que je fasse une remarque pour souligner les efforts sur l'aéromobilité. En outre, il serait préférable d'acquérir des avions C130H plutôt que des C130J plus onéreux. Ensuite, il serait peut-être plus pertinent d'acheter un hélicoptère Tigre de moins pour pouvoir acquérir des pièces de rechange pour ceux que nous avons déjà.

Au nom de tous mes collègues, je vous remercie pour votre intervention.

M. Jean-Yves Le Drian
ministre de la défense
le 10 juin 2015

M. Jean-Pierre Raffarin , président. - Mes chers collègues, après le général de Villiers, nous avons l'honneur de recevoir M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, à propos de la loi de programmation militaire (LPM), dont nous allons débattre début juillet.

Monsieur le ministre, nous constatons avec satisfaction que vous savez défendre vos dossiers dans les conseils interministériels, et que les arbitrages tombent du bon côté. Nous avons, à notre modeste niveau, contribué au combat que vous menez. Nous pensons qu'il est en effet important de renforcer les moyens de la défense nationale.

Vous nous aviez convaincus qu'il fallait défendre les sociétés de projet mais nous sommes heureux que les ressources de la défense soient budgétisées. Nous étions prêts à nous orienter vers d'autres solutions, mais nous préférons celle qui a été choisie.

Même si des avancées financières sont proposées sur la première partie de la programmation, les rendez-vous financiers qui auront lieu après 2017 sont tout aussi importants. Nous devons en débattre pour que chacun ait bien en tête les données du problème.

Nous apprécierions également de vous entendre à propos du commerce extérieur français, auquel vous contribuez de manière très active. Ceci est très important pour notre industrie de défense. Nous sommes tous très sensibles aux emplois qui sont derrière, en particulier en matière de technologie.

Toutes ces questions nous passionnent. Nous sommes également heureux de vous entendre au sujet des associations professionnelles de militaires, même si notre enthousiasme est un peu moins prononcé. Le Conseil d'Etat nous a expliqué pourquoi nous nous trouvions dans cette situation, en raison de l'arrêt de la CEDH, mais on peut constater l'impasse sans pour autant être totalement satisfait de la manière d'en sortir !

Sachez que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat prend tous ces sujets très au sérieux, et mesure l'implication qui est la vôtre dans ce domaine. Nous savons que vous entendez agir dans l'intérêt du pays.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est toujours un plaisir pour moi de me retrouver devant vous, je le dis avec conviction.

J'évoquerai rapidement la situation internationale ; elle mériterait certainement de plus amples développements, mais je suis disponible pour venir une autre fois apporter des informations sur l'évolution des différentes crises.

L'actualisation était déjà prévue pour fin 2015 dans la LPM votée en décembre 2013. Il s'agissait d'une mesure de sagesse. Elle est aujourd'hui accélérée avec la procédure d'urgence, à la demande du Président de la République, en raison des développements internationaux et du très grand engagement de nos forces depuis le début 2015. Il fallait absolument agir vite. Des observations ont été émises à l'Assemblée nationale à propos de l'urgence, mais celle-ci était une nécessité : dans la situation où se trouvaient nos forces, il fallait en effet absolument définir un cadre et une perspective à moyen terme rénovés, en particulier pour rompre le rythme très dur aujourd'hui subi par nos forces, en raison de l'importance de leurs missions. L'urgence, c'est la sécurité, et il me paraît donc souhaitable que l'on puisse aboutir rapidement.

Quelques mots sur l'environnement stratégique avant d'évoquer les principales mesures d'actualisation...

Depuis le vote de la LPM, l'environnement stratégique a évolué de manière négative et très préoccupante - mes différentes auditions devant votre commission en témoignent. Depuis janvier 2015, comme tous les autres États européens, la France est directement exposée à la menace terroriste, qui a pris une ampleur et des formes sans précédent. Je crois l'avoir déjà dit au Sénat en séance publique, cette menace nouvelle se joue des frontières, et il existe une à imbrication croissante entre la sécurité de la population sur le territoire national et la défense de notre pays à l'extérieur. Il n'y a donc pas de rupture entre la menace extérieure et la menace intérieure. C'est là une donnée tout à fait nouvelle.

Cette accélération se justifie également par le fait qu'il y a eu en même temps une simultanéité des risques et une aggravation de l'ensemble des menaces ; ceci a nécessité de revenir à une actualisation plus rapide que prévue.

Par rapport aux engagements de la LPM de décembre 2013, et en raison de la soudaineté et de la simultanéité des crises, nous avons mobilisé nos forces au-delà des contrats opérationnels retenus en 2013. Nous avons régulièrement plus de 9 000 hommes déployés en opérations extérieures, un engagement sur le territoire national allant bien au-delà des 10 000 hommes pour un temps court prévu par le contrat « Protection », ainsi que des avions de combat déployés en nombre une fois et demi supérieur en gestion de crise. L'ensemble des contrats consécutifs à la LPM ont été dépassés par la simultanéité et la gravité des crises que nous vivons depuis fin 2013.

Je parle d'actualisation et non de révision, les principes fondamentaux sur lesquels nous nous sommes engagés en décembre 2013 restant les mêmes. En particulier, le triptyque protection-dissuasion-intervention doit impérativement continuer à structurer notre stratégie de défense et les missions de nos forces. J'entends parfois des voix qui suggèrent quelques abandons dans ce domaine. Je le dis avec force : ce n'est pas notre choix ni ce que je propose !

J'ajoute que ces menaces se poursuivent. Les crises sont toujours là. Il existe des éléments plutôt encourageants en ce moment, grâce à la perspective d'un règlement de paix au Mali, qui devrait se régler le 20 juin, dans la suite des accords d'Alger. Nous sommes là dans une évolution positive. J'espère que tout cela va durer.

Quant à la situation en Centrafrique, nous sommes dans un processus plutôt positif, après le forum de Bangui. On peut maintenant envisager de manière lucide des élections avant la fin de l'année, ce qui était le but recherché depuis longtemps. Du coup, le désengagement se poursuivra. Les nouvelles sont encourageantes, même si ces deux territoires nous ont réservé des surprises dans le passé.

Pour le reste, la situation en Ukraine est celle que vous connaissez ; en Lybie, les choses sont très préoccupantes, et je ne suis pas certain que les discussions de Berlin aboutiront au compromis nécessaire. En Syrie et en Irak, Daech reprend du territoire. C'est ce que j'avais dit au tout début de la crise en Irak. Après avoir pris Syrte, ils ont pris une autre ville, Haroua, à l'est, et ont maintenant deux cents kilomètres de linéaires de côtes.

La situation reste préoccupante, chacun en est convaincu. On peut craindre que les « combattants étrangers » de Syrie puissent arriver assez vite en Libye et entraîner d'autres difficultés. Nous vivons donc dans une période de menaces aggravées.

Cette prise de conscience n'a pas uniquement lieu en France. J'observe avec intérêt que d'autres pays européens ont décidé d'infléchir dans un sens positif leurs orientations budgétaires de défense. D'autres pays et d'autres acteurs se posent par ailleurs des questions. Je pense au débat qui vient de s'ouvrir en Grande-Bretagne sur la sécurité, qui va se poursuivre jusqu'à la fin de l'année, et qui ne manquera pas d'être intéressant.

Je voudrais à présent lister les neuf orientations majeures de l'actualisation, en rappelant que les grands équilibres de la LPM sont maintenus.

Premier point : le Président de la République a d'abord fait le choix de définir un nouveau contrat de « Protection » sur le territoire. L'objectif est désormais que nos armées disposent de la capacité de déployer sur la durée 7 000 soldats sur le territoire national, avec la faculté de monter presque instantanément jusqu'à 10 000 hommes pour un mois. C'est là une nouvelle donne.

Les effectifs de la force opérationnelle terrestre (FOT) seront ainsi portés à 77 000 hommes, au lieu des 66 000 initialement prévus. La contribution de la réserve opérationnelle sera également accrue. Cette augmentation de capacité de notre armée de terre représente un tournant majeur dans notre histoire militaire récente. Un choix a été fait. Si d'autres idées ont été émises, comme l'hypothèse d'une garde nationale, d'une réserve territoriale massive, ou d'un renfort da la police ou de la gendarmerie, la décision a été prise de renforcer nos unités de combat professionnelles.

Nous écartons toute idée d'armée à deux vitesses. Il faut une armée professionnelle, un commandement, du renseignement, des capacités appropriées et renforcées. Il est hors de question de considérer ces forces comme supplétives. C'est une mission militaire, qui figure historiquement parmi les missions de nos armées. C'est une activation du concept de défense opérationnelle du territoire (DOT).

Je souhaite que l'on puisse, dans les semaines et les mois qui viennent, réfléchir ensemble, avec votre commission et avec celle de l'Assemblée nationale, sur les conséquences de ce renforcement de la force opérationnelle terrestre et sur le concept de protection du territoire, pour bien marquer l'importance d'une armée professionnelle pour remplir ce rôle. Il n'y aura pas de régiments affectés à la protection du territoire et d'autres aux interventions extérieures : c'est la même armée qui aura, en fonction des décisions du chef d'état-major de l'armée de terre, des missions différentes. Les régiments auront des itinéraires et des missions sur une année qui permettront d'agir à la fois sur le territoire national ou de remplir des missions à l'extérieur, en interventions, en projection extérieure ou en prépositionnement, comme c'est le cas aujourd'hui.

Second point : le Président de la République a décidé en conséquence un allégement des déflations d'effectifs, dans le but de renforcer nos capacités opérationnelles, très sollicitées, mais aussi de faire face à certains besoins majeurs, comme les services de renseignement ou la cyberdéfense.

Prise globalement, la diminution de la déflation permettra de gager des postes au bénéfice de la force opérationnelle terrestre, de créer plus de 650 postes dans le domaine du renseignement, au moins 500 postes - pour un total de mille postes sur 2014-2019 - dans le domaine de la cyberdéfense, et de renforcer le soutien aux exportations d'armement.

Cette réduction de la déflation est de 18 500 postes. Le nombre de postes à déflater est ainsi ramené à 14 925 sur la période 2014-2019, au lieu des 33 675 prévus initialement par la LPM votée en 2013. La déflation réalisée en 2014 s'élevant à un peu plus de 8 000, il reste donc 6 918 postes à supprimer sur la période 2015-2019, ce qui reste significatif.

Troisième point : le Président de la République a décidé d'accroître la dépense de défense de 3,8 milliards d'euros par rapport à la LPM initiale.

Ces crédits additionnels vont bénéficier tout d'abord au nouveau contrat « Protection », avec 2,8 milliards d'euros consacrés aux effectifs et aux coûts d'infrastructures et de soutien afférents à ces emplois.

Ensuite, cet effort supplémentaire va permettre d'améliorer l'équipement des forces, y affectant un milliard d'euros de crédits budgétaires supplémentaires, avec 500 millions d'euros de capacités nouvelles, et 500 millions d'euros pour l'entretien du matériel, sujet que j'avais déjà eu l'occasion d'évoquer longuement lors du débat sur la LPM en 2013.

Je ne souhaite pas que le maintien en condition opérationnelle soit une variable d'ajustement, comme cela a été le cas antérieurement. Il n'y a pas de ma part de volonté de polémique : je constate simplement que, depuis un certain nombre d'années, l'entretien des matériels faisait les frais d'ajustements divers et variés. Il fallait l'arrêter ; on l'a fait ! La LPM prévoyait 4,3 % d'augmentation annuelle d'entretien programmé des matériels. On ajoute à cette augmentation 500 millions d'euros sur la période, soit 100 millions d'euros par an de plus. C'est une nécessité, car les matériels utilisés et sollicités en opérations subissent des détériorations auxquelles il faut remédier.

Par ailleurs, 500 millions d'euros seront affectés à des capacités nouvelles, auxquels s'ajoutera 1 milliard d'euros issu de la réaffectation des gains de pouvoir d'achat liés à l'évolution favorable des indices économiques, du fait de l'inflation et des prix des carburants depuis le vote de la LPM. Ce gain sera affecté non au fonctionnement, mais investi dans de nouvelles capacités.

1,5 milliard d'euros de capacités viendra donc renforcer un certain nombre de capacités, comme la composante « hélicoptères ». L'actualisation prévoit l'acquisition de sept Tigre, de six NH 90 supplémentaires, et le déploiement d'un plan spécifique destiné à améliorer la disponibilité des hélicoptères.

Nous allons également renforcer nos capacités de transports aériens tactiques, excessivement sollicités, et confirmer la livraison des six FREMM sur la période de programmation, malgré le prélèvement de la Frégate égyptienne, en accélérant ce programme pour être dans le scénario prévu initialement. Nous allons boucler le financement du troisième CSO, réalisé en coopération avec l'Allemagne. Enfin, nous équiperons nos drones de surveillance d'une charge d'écoute électromagnétique, indispensable aujourd'hui, et renforcerons les moyens de nos forces spéciales, en particulier les lunettes de vision nocturne.

L'ensemble des engagements capacitaires que j'avais pris devant vous au moment de la LPM sont maintenus. Dans le dispositif que je propose, j'accélère également les trois MRTT manquants.

Quatrième point : le Président de la République a décidé de simplifier la structure des ressources financières de la programmation militaire. Il n'y aura donc plus de ressources exceptionnelles, à l'exception des ressources immobilières et des cessions de matériel, qui ne représenteront plus que 0,6 % de la programmation financière. Tout le reste sera budgété à partir de 2015.

Ainsi, la très grande majorité des 6,2 milliards d'euros de ressources exceptionnelles qui restaient à trouver sur la période 2015-2019 seront converties en crédits budgétaires, à hauteur de 2,14 milliards d'euros, dès cette année. Le collectif permettra d'atteindre les 31,4 milliards d'euros sur lesquels le Président de la République s'était engagé.

Exit , donc, les sociétés de projet. J'ai déjà eu l'occasion de dire que j'étais preneur d'autres solutions. Celles-ci sont arrivées, et je trouve que c'est une meilleure gestion. On tourne donc la page, définitivement j'espère, des ressources exceptionnelles affectées au ministère de la défense.

Au total, notre effort de défense s'élèvera ainsi sur la période 2015-2019 à 162,4 milliards d'euros courants, contre 158,6 milliards d'euros votés en 2013.

Enfin, lors du débat à l'Assemblée nationale, vos collègues députés ont introduit trois dispositions auxquelles le Gouvernement a apporté son soutien :

- d'une part, l'inscription dans les articles de loi, et non plus dans le rapport annexé, de la clause de sauvegarde relative à la couverture des volumes de carburant nécessaires à l'activité des armées en cas de hausse des cours ;

- d'autre part, la remise d'ici fin 2015 de deux rapports du Gouvernement sur l'opportunité d'introduire dans la loi de programmation des clauses de sauvegarde financières dans le cas d'un retournement des indices économiques, et dans le cas où les cessions immobilières et de matériels ne seraient pas au rendez-vous.

Ces amendements ont été déposés par M. Lamour. Je les ai soutenus. Ils ont été intégrés dans le texte.

Cinquième point : la LPM comporte une véritable ambition pour notre industrie de défense. Par sa politique d'acquisition, l'État favorisera notre industrie du fait du surcroît d'investissements que j'ai décrit précédemment : en moyenne annuelle, le ministère dépensera 17,6 milliards d'euros pour ses acquisitions d'équipements.

La question des Rafale est maintenant derrière nous, les deux commandes fermes du Qatar et de l'Égypte étant là. Quant à l'Inde, la décision d'achat de trente-six Rafale a été prise lors de la visite du Premier ministre de l'Inde. Les discussions techniques sur la conclusion de l'accord se déroulent dans les meilleures conditions. La conclusion interviendra dans des délais assez courts, certainement avant la fin de l'année.

J'ajoute que nous souhaitons des leaders européens compétitifs. Dans cet esprit, un projet de drone MALE, qui pourrait équiper les armées à partir de 2025, s'élabore en coopération avec l'Allemagne et l'Italie. Nous avons conclu un accord avec les industriels concernés. Le débat sur le concept de drone même a été quelque peu compliqué en Allemagne, mais les choses s'éclaircissent. J'ai signé cet accord il y a environ un mois et demi.

Dans le même ordre d'idée, le rapprochement entre Nexter et KMW se déroule dans de bonnes conditions et pourrait se conclure très rapidement. Il sera bouclé d'ici la fin de l'année. Il s'agit là d'une avancée très significative.

Je précise que le chiffre des exportations de l'année 2014 est de 8,4 milliards d'euros, en augmentation de 18 % par rapport aux chiffres de 2013, eux-mêmes en augmentation de 40 % par rapport au chiffre précédent ! Nous avons déjà, en juin 2015, atteint le chiffre de 2014, niveau très significatif. Je puis vous annoncer, l'Élysée venant de le rendre officiel, qu'un nouveau contrat d'un milliard d'euros a été conclu avant-hier avec l'Émir du Koweït, lors de mon déplacement dans ce pays, pour l'acquisition d'hélicoptères Caracal, qui seront construits à Marignane - et ce n'est pas fini ! Cet accord avec le Koweït est très important, ce pays étant sous dominante anglo-saxonne totale

Sixième point : la création des associations professionnelles nationales de militaires. Même si vous avez évoqué votre réserve, monsieur le président, nous étions contraints par deux arrêts prononcés le 2 octobre 2014 par la Cour européenne des droits de l'homme. Le projet de loi instaure le droit pour les militaires de créer et d'adhérer librement à des associations professionnelles nationales de militaires (APNM) - et seulement à elles. Ces adhésions comportent les restrictions légitimes qui conviennent.

C'est une avancée pour la condition militaire, qui ne doit ni heurter, ni être précipitée, mais au contraire rassurer sur le fait qu'elle ne remet en cause ni les obligations fondamentales et constitutionnelles de nos armées, ni l'unicité du statut militaire.

Septième point : associer davantage les réserves au renforcement de la posture de protection de nos armées, qu'il s'agisse des déploiements ou de la cyberdéfense. Le projet comporte un effort sans précédent au profit de la réserve opérationnelle, qui passera de 28 000 hommes à 40 000 hommes, en favorisant un élargissement des recrutements vers la société civile, une augmentation du temps de période et de la rapidité de mobilisation.

Je me suis entretenu avec les responsables du MEDEF à ce sujet, et je pense que nous devons nous imposer comme discipline d'aboutir, car on a souvent tendance à négliger les réserves. Or, on a bien vu l'importance qu'elles pouvaient représenter.

Huitième point : nous allons lancer l'expérimentation d'un service militaire volontaire en métropole, à l'instar du service militaire adapté qui existe dans les Outre-mer. Deux centres accueilleront des jeunes à compter de la rentrée 2015, à Montigny-lès-Metz, en Moselle, et à Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne ; un troisième centre complètera l'expérimentation en 2016, à La Rochelle, pour accueillir un millier de volontaires. La défense est prête à mener l'expérimentation, mais si l'on souhaitait élargir ce dispositif, il faudrait que les choses soient financées et portées par d'autres organismes que le ministère de la défense.

Neuvièmement : l'ensemble de ces dispositions n'empêchera pas la transformation du ministère de la défense, qui est en cours. Il existait déjà des plans stratégiques pour l'armée de l'air, la marine, le service de santé et le service du commissariat des armées (SCA). Ces projets de service se poursuivront.

Il y a désormais le plan stratégique de l'armée de terre appelé « Au contact » qui va modifier de façon assez singulière cette armée : elle sera composée de sept brigades, dont une brigade d'aérocombat, la BAC, disposant de l'ensemble des hélicoptères que j'évoquais précédemment.

Je suggère à ce sujet que la commission auditionne le chef d'état-major de l'armée de terre pour qu'il vous présente l'ensemble du dispositif. C'est un changement assez significatif pour l'armée de terre, qui s'adapte ainsi à la nouvelle donne stratégique.

M. Jean-Pierre Raffarin , président. - Merci.

La parole est aux rapporteurs.

M. Jacques Gautier , rapporteur. - Merci, monsieur le ministre, pour votre engagement personnel dans le combat que vous avez mené pour les ressources de la Défense, avec l'appui du Président de la République, il faut le dire.

Nous vous avions soutenu lors de la LPM de 2013, et vous nous aviez fait confiance ; malheureusement, nous y avions relevé quelques faiblesses : vous les corrigez globalement.

Nous souhaitions la réduction de la déflation d'effectifs compte tenu de l'évolution des menaces. On ne peut qu'applaudir à la préservation de 18 500 effectifs. Nous saluons l'augmentation du budget destinée à compenser ces effectifs et au-delà. Vous avez obtenu le maintien des économies d'un milliard d'euros réalisées en faveur de la défense grâce aux indices macroéconomiques. Nous vous en félicitons.

Vous vous êtes beaucoup battu au sujet de la consolidation du budget. Les sociétés de projet ont peut-être joué un rôle de l'épouvantail qui a fait céder Bercy.

Les recettes exceptionnelles (REX) disparaissent ; elles deviennent des crédits budgétaires, mises à part les REX immobilières, marginales.

Nous sommes donc globalement satisfaits, vous vous en doutez, les choses allant dans le sens que nous souhaitions. Nous avions émis des réserves lors de la loi de finances pour 2015 : vous y avez totalement répondu.

Je voudrais apporter cinq points au sujet desquels nous avons besoin d'être rassurés.

Les deux premiers points concernent les amendements Lamour au sujet de la garantie des REX immobilières, d'une part, ainsi que le retournement de l'évolution des indices économiques, d'autre part. Nous devons vous accompagner et vous soutenir sur ces questions.

Nous voulons également avoir la certitude que la Défense sera remboursée des frais engagés pour accompagner la vente à l'export des Rafale ou la FREMM. Il n'est pas naturel que ce soit la défense qui paie la formation de pilotes ou de marins - sauf cas exceptionnels. Il faut que nous obtenions le remboursement de ces frais de la part des pays ou des industriels concernés.

Quatrièmement, vous avez évoqué la montée en puissance de la réserve opérationnelle, à laquelle nous souscrivons. Elle nécessitera cependant des textes complémentaires, notamment pour allonger les contrats des réservistes et permettre aux employeurs, publics ou privés, d'accepter ces nouvelles organisations. Nous attendons donc que lesdits textes arrivent rapidement.

Enfin, vous venez d'évoquer l'expérimentation de mille services militaires volontaires : il n'y a pas de raison que ce soit la défense qui paie une décision qui la dépasse largement. Celle-ci peut être évaluée à 30 millions d'euros environ, si l'on extrapole les coûts du service militaire adapté (SMA). Ce n'est pas la peine que la défense aille plus loin sur son propre budget. Le SMA représente un coût direct de 18 000 euros par stagiaire et 30 000 euros en coût indirect. C'est un prix moyen qui représente au total 25 millions d'euros.

Voilà les éléments sur lesquels nous avons besoin d'être rassurés. Je sais que notre président Jean-Pierre Raffarin, rapporteur du texte, ira en ce sens pour vous accompagner.

Daniel Reiner est en déplacement en Iran, mais il ne me pardonnerait pas de ne pas évoquer notre soutien à l'aéromobilité. Nous avons là un petit différend : nous sommes d'accord avec les avions tactiques et, au-delà de la rénovation des C-130 actuels, très vieillissants, nous soutenons l'enveloppe prévue pour l'achat de nouvelles versions de C-130, mais nous sommes plutôt favorables à l'achat de C-130H d'occasion aux Américains, qui ont un bon potentiel. Cela peut paraître technique, mais l'enveloppe n'étant pas très importante, il nous faut en acheter le plus possible pour pouvoir réaliser les adaptations dont nous avons besoin.

Par ailleurs, vous avancez la livraison des NH90 dont les forces ont besoin, et vous commandez sept Tigre HAD supplémentaires, mais nous avions acheté quarante HAP. Seuls vingt appareils volent, les armées n'ayant pas commandé suffisamment de pièces de rechange. Nous sommes prêts à supporter la suppression du septième Tigre pour acheter des pièces de rechange afin de faire voler une dizaine de Tigre HAP supplémentaires !

M. Robert del Picchia , rapporteur. - Monsieur le ministre, il faut être très vigilant concernant le droit de communication des associations professionnelles de militaires, c'est un ancien journaliste qui vous le dit.

Pour le reste, bravo pour le Koweït. Vous dites que nous avons aujourd'hui déjà atteint le chiffre d'exportations de 2014. Cela comprend-il les livraisons d'armes au Liban ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Oui, ainsi qu'au Qatar.

M. Robert del Picchia , rapporteur. - Enfin, vous nous avez dit que Daech contrôle 200 kilomètres de côtes au Nord de la Libye. D'éventuelles interventions destinées à bloquer voire à détruire les bateaux de passeurs qui transportent des immigrés clandestins vers l'Europe ne risquent-elles pas de nous conduire à une confrontation directe avec Daech ?

M. Xavier Pintat , rapporteur. - Monsieur le ministre, merci encore pour votre engagement et pour des décisions qui vont dans le sens de ce que souhaitait notre commission.

Vous avez rappelé que l'actualisation de la LPM prévoyait 3,8 milliards d'euros de crédits, dont 2,8 milliards d'euros pour les effectifs, et 500 millions pour le MCO. Il reste donc 500 millions pour l'équipement. Vous avez rappelé que l'effort de la LPM en matière d'équipements représentait 1,5 milliard d'euros. Il reste donc un milliard, que l'on dégage grâce à ce que vous avez appelé le « pouvoir d'achat ».

L'inflation, les taux d'intérêt et les prix des carburants peuvent fluctuer. N'avez-vous pas quelques craintes sur la réalité de ce milliard d'euros ? Ne faut-il pas prévoir une sanctuarisation de ces crédits ?

Par ailleurs, les crédits budgétaires doivent être rapidement mis en place pour compenser les REX. Il s'agit de le faire par le biais d'un collectif budgétaire, mais il est urgent que ces crédits soient disponibles. Avez-vous une date à nous annoncer pour ce collectif ? Si les choses arrivent trop tard, cela pourrait complexifier les achats.

Enfin, vous avez affirmé que la coopération internationale progressait. C'est une bonne nouvelle pour la défense. Est-on bien en accord sur l'étude de définition lancée avec l'Allemagne à propos de la nouvelle génération de drones ? Seront-ils armés ou non ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Ils ne seront pas armés.

M. Xavier Pintat , rapporteur. - Je crois que les choses avancent également en matière de satellite...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Oui, je l'ai évoqué.

M. Yves Pozzo di Borgo , rapporteur. - Monsieur le ministre, l'entretien programmé des matériels, après avait longtemps subi de plein fouet les contraintes budgétaires, a été sensiblement mis en avant dans la LPM de décembre 2013, et doit bénéficier, sur la période 2014-2019, d'une progression annuelle moyenne de 4,3 %.

Pour autant, il existe toujours des tensions importantes de trésorerie sur le programme 178 qui comporte en particulier l'entretien programmé des matériels (EPM). Les retards de paiement sont importants ; les opérations extérieures accroissent les besoins. En outre, cette année, 2,14 milliards d'euros de crédits budgétaires destinés à remplacer les recettes exceptionnelles ne seront disponibles qu'en toute fin d'année, le collectif ne devant pas être présenté avant. Comment allez-vous surmonter ces tensions de trésorerie en 2015 ?

Par ailleurs, sur les 3,8 milliards d'euros de nouveaux crédits annoncés dans cette actualisation, 500 millions d'euros sont consacrés à l'EPM pour la période 2016-2019.

Nous pouvons nous féliciter de ce nouvel effort particulièrement nécessaire au regard de l'usure des matériels en OPEX ou de l'importance de la préparation et de l'activité opérationnelle, mais il semble que le message est quelque peu brouillé par le milliard d'euros annoncé pour de nouveaux équipements et financé par des gains de pouvoir d'achat qui peuvent varier.

Vous expliquez cette enveloppe d'un milliard d'euros par la baisse des coûts des facteurs, ce qui concerne l'entretien programmé des matériels. D'un côté, on constate une économie d'un milliard d'euros par rapport aux prévisions, largement sur le programme 178, et on l'affecte à de nouveaux matériels, dont ont par ailleurs besoin nos armées ; d'un autre côté, on annonce une enveloppe supplémentaire de 500 millions d'euros.

Il est difficile de comprendre le solde net de l'entretien programmé des matériels et le programme 178 dans son ensemble. Pouvez-vous nous éclairer sur ces évolutions ?

Enfin, permettez-moi de vous adresser une question en tant que sénateur de Paris : allez-vous vendre l'îlot Saint-Germain à la Ville de Paris bien moins cher que le prix du marché, ou allez-vous le mettre en vente normalement ?

M. Gilbert Roger , rapporteur. - Monsieur le ministre, n'est-il pas à craindre que Daech prenne de plus en plus de pouvoirs dans la bande de Gaza ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - S'agissant de Daech, M. Bernardino León, envoyé de M. Ban Ki-moon, mène des négociations difficiles depuis un certain nombre de semaines. On arrive aujourd'hui, à Berlin, à une butée avec la quatrième proposition de M. León. Nous souhaitons que les partenaires libyens puissent accepter ces solutions, qui nous conviennent. Il faut le faire avant le ramadan et la fin de la légitimité du Parlement de Tobrouk. Certains, qui ne sont pas décidés à trouver un accord, jouent la montre pour parvenir à l'invalidation du Parlement de Tobrouk, qui se retrouvera alors dans la même situation que le Congrès de Tripoli. Il s'agit là d'une nouvelle donne extrêmement compliquée.

Pour le Gouvernement, il n'y a pas de solution militaire à la crise libyenne. Je participais hier à Tunis à une réunion des ministres de la défense marocain, algérien, tunisien, espagnol, portugais, etc. Nous sommes tous convenus, même les Algériens et les Marocains, que seul cet accord permettrait de trouver une transition. J'espère qu'elle pourra avoir lieu. Dans le cas contraire, on sera dans une situation très difficile. Daech joue de deux façons en Libye, à la fois par la pénétration propre et par des ralliements successifs. Faute d'un accord, les ralliements vont se poursuivre. Nous ne sommes pas dans une logique d'intervention.

S'agissant des bateaux de migrants, il existe une proposition d'action en trois phases dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune. Un état-major a été installé à Rome la semaine dernière, sous commandement italien, avec un adjoint français.

La première phase, à laquelle nous comptons participer, concerne la connexion de toutes les informations dont on dispose, la deuxième consiste en l'interpellation en haute mer et la troisième phase a trait à l'intervention sur la base des mouvements.

Ces décisions reposent soit sur une demande des Libyens, qui n'a pas eu lieu, soit sur une résolution des Nations unies, qui n'a pas non plus vu le jour. On est dans une situation intermédiaire, mais il ne s'agit en aucun cas d'une logique d'intervention massive sur la situation intérieure libyenne.

Concernant les interventions contre les passeurs, nous ne pouvons agir que dans le cadre d'une légitimité internationale, qui n'existe pas. Elle ne peut émaner que de deux sources, soit de l'État concerné, soit des Nations unies. Ce n'est pas le cas pour le moment. Le Conseil européen du 22 ou du 23 juin va devoir aborder cette question. L'état-major installé à Rome fait pour le moment du renseignement et de la connexion d'informations.

S'agissant des ressources immobilières, l'îlot Saint-Germain va être mis en vente, après définition du prix par la Direction nationale d'interventions domaniales (DNID). On est aujourd'hui habitué à ces ventes. Pour l'instant, on ne s'en porte pas trop mal. J'espère que cela continuera. Seul sera conservé l'hôtel de Brienne, où se trouvent les anciens bureaux de Clemenceau et du général de Gaulle, qui font partie du patrimoine national.

Pour répondre à la question de M. Pozzo di Borgo, l'évolution des facteurs présente toujours un risque ; pour le moment, cela va dans un sens positif. Avec le Contrôle général des armées et l'Inspection des finances, nous avons évalué la réalité de l'avantage qui nous est affecté du fait de l'évolution favorable des indices à un milliard d'euros. Ceci est identifié agrégat par agrégat. Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, je suis prêt à le détailler. Cette somme servira uniquement à se doter de capacités nouvelles.

S'agissant de l'exportation, le coût de l'accompagnement est relativement modeste. Le risque le plus important concerne les FREMM, mais les choses sont aujourd'hui réglées. On accélère la construction de la sixième FREMM, et on a décidé de lancer dès à présent, dans le cadre de l'actualisation, un programme de cinq Frégates de taille intermédiaire, ce qui nous permettra d'être plus performants à l'exportation, et qui correspond aux besoins de la marine nationale. Le nombre de FREMM s'élève donc à quinze.

Concernant les Rafale, nous en fournissions à l'Égypte trois au mois d'août et trois à la fin de l'année, que nous prélevons sur nos propres Rafale. Ils seront compensés assez rapidement.

M. Jacques Gautier , rapporteur. - La formation des personnels et leur mise à disposition seront donc bien compensées financièrement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Oui. Quatre cent postes sont affectés au soutien à l'exportation dans le cadre du redéploiement des effectifs. L'effort des armées à l'exportation se limite à cela.

M. Jacques Gautier , rapporteur. - Quels sont les textes nécessaires à la réserve opérationnelle ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Autant que je m'en souvienne, on n'a pas besoin de textes supplémentaires...

M. Jacques Gautier , rapporteur. - Il va bien falloir un texte pour que les employeurs acceptent que les salariés s'absentent plus longtemps !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - A priori , je ne le crois pas.

Concernant le SMV, il est hors de question que le ministère de la défense aille au-delà des trois sites expérimentaux, des mille personnels et des 35 millions d'euros.

Nous avons l'expérience du service militaire adapté (SMA) dont nous nous inspirons pour le SMV. On verra si on peut la prolonger ou non.

Pour ce qui est des C-130, nous avons provisionné des crédits pour l'achat de quatre appareils.

Quant aux hélicoptères, nous veillerons que les pièces détachées soient fournies. Les achats de pièces détachées avaient été sous-dimensionnés. Il avait été prévu d'en acheter pour vingt appareils, alors que le parc était de quarante. Le phénomène est corrigé. J'ai pu moi-même constater quelques difficultés dans ce domaine.

Je n'ai pas répondu à la question de M. Pintat à propos du budget 2015. Les sommes sont inscrites au collectif budgétaire. Les 2,14 milliards d'euros ne concernent que des équipements. Le dégel sera effectif à l'automne, et nous disposerons d'un décret d'avance anticipé. 31,4 milliards d'euros seront budgétés pour la défense. Les éventuels problèmes de trésorerie seront réglés soit par décret d'avance, soit par la levée du gel.

Concernant les drones et les discussions avec l'Allemagne, c'est un drone d'observation, et non de combat qui succède au Reaper. Pour le moment, les choses se passent bien, même si les approches de départ étaient différentes. J'espère que cela pourra aboutir. Nous l'avons déjà dénommé « Eurodrone ». Je souhaite qu'il connaisse une belle histoire.

M. Jean-Pierre Raffarin , président. - La parole est aux commissaires.

M. Alain Néri . - Monsieur le ministre, on ne peut qu'être satisfait de voir que votre action reçoit l'approbation unanime de notre commission. Chacun se félicite des succès que vous avez enregistrés, et c'est un plaisir pour nous de constater que la France joue pleinement son rôle dans la lutte contre le terrorisme. Aujourd'hui, les choses sont pratiquement réglées sur le plan budgétaire, et il semble que l'on n'aura pas de grandes difficultés à faire adopter la LPM 2015.

Je me félicite que la France tienne son rôle. Le général de Villiers nous a dit ce matin que les Américains s'adressaient prioritairement à nous, reconnaissant ainsi la qualité de nos armées et de notre action, ainsi que de nos armements. Tout cela représente des rentrées budgétaires intéressantes, mais aussi des emplois : dans la situation actuelle, on ne peut que s'en réjouir.

Je me pose cependant une question. Bien que l'on soit à la pointe de l'action en Afrique, en Syrie, voire en Libye ou en Ukraine, on éprouve cependant des difficultés budgétaires. Les choses s'améliorent grâce à la baisse de l'inflation, du prix du pétrole, mais elles peuvent se retourner. Ne conviendrait-il pas de mettre cette situation favorable à profit pour relancer la défense européenne ?

Chacun nous félicite, mais personne ne met la main au portefeuille ! La solidarité en paroles est certes extrêmement appréciable, mais partager les dépenses, c'est faire preuve de solidarité réelle ! On le pratique dans nos communes et nos départements : ceux qui ont des facilités doivent participer à l'effort commun. C'est pourquoi il me paraîtrait souhaitable que les Allemands, toujours prompts à nous donner des conseils en matière de réduction de notre déficit, tiennent compte de nos efforts de défense et dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Ce serait une preuve de solidarité européenne !

M. Aymeri de Montesquiou . - La phrase du général de Gaulle sur le Moyen-Orient compliqué semble de plus en plus d'actualité. J'ai l'impression que l'on est un peu « contaminé ». En Syrie, il y a une hiérarchie de l'horreur entre le président Bachar al-Assad et Daech, et il semblerait que ce soit Daech qui gagne. De plus, Daech est devenu un objectif stratégique.

La ville d'Alep est défendue par les troupes gouvernementales, mais aussi par le PID et par le Hezbollah. Or, vous avez tenu, à Beyrouth, des propos assez durs contre le Hezbollah qui, malgré tout, est notre allié dans la lutte contre Daech. Quelle est la position de votre ministère vis-à-vis de Daech ?

M. Robert Hue . - Je ne pourrais être malheureusement présent à l'audition de M. Fabius, mais je voudrais revenir sur l'évolution de Daech en Afrique.

Ce matin, le général de Villiers nous disait qu'anticiper constituait un enjeu stratégique majeur. Or, un certain nombre de réseaux apparaissent dans toute l'Afrique. C'est ainsi que des réseaux dormants de Daech sont présents en Afrique du Sud, alors que ce pays ne compte que 1,7 % de musulmans ! N'est-il pas temps d'imaginer, au plan militaire, mais aussi au plan diplomatique, une coordination pour que son expansion s'arrête ? C'est une question majeure ! N'est-il pas optimiste de dire qu'il n'y aura pas de dérives financières, si l'on doit s'élargir dans le cadre d'une intervention plus générale ? On ne serait pas les seuls, mais ces questions doivent malgré tout être posées.

M. Jeanny Lorgeoux . - Monsieur le ministre, je considère que vous conduisez le ministère de la défense avec beaucoup de maîtrise ; vous remportez par ailleurs beaucoup de succès, et je vous en remercie pour la France !

Ma question sera très courte : selon vos informations, l'armée nigériane est-elle toujours déterminée à réduire Boko Haram ?

M. Cédric Perrin . - Monsieur le ministre, vous avez parlé de « diminution de la déflation des effectifs ». J'ai trouvé la formule particulièrement poétique !

J'aimerais cependant que vous nous fournissiez davantage d'informations concernant la restructuration des régiments. Il avait été demandé que des informations soient apportées bien en amont, au cas où ces restructurations devraient intervenir, d'une part pour le moral des soldats et, d'autre part pour l'information des élus. Je désirerais donc obtenir une réponse à cette question.

En second lieu, je rentre de Norvège, où nous avons rencontré un certain nombre d'entreprises françaises travaillant pour la défense de ce pays, des diplomates et du personnel du ministère de la défense norvégien. Ce pays va devenir dans quelques années l'un des plus riches au monde, avec un fonds souverain qui se montera bientôt à mille milliards d'euros ! Des contrats sont en train d'être négociés avec des entreprises françaises, comme DCNS, pour presque 4 milliards d'euros. Ces entreprises ont besoin d'un soutien efficace ; or, elles n'ont pas reçu la visite d'un ministre de la défense français depuis plus de dix ans ! Je vous invite donc fortement à effectuer un déplacement. Ce pourrait apporter une aide significative pour conquérir de nouveaux marchés !

M. Philippe Paul . - Monsieur le ministre, je voudrais évoquer les Rafale, sujet dont je me suis entretenu la semaine dernière avec le général Mercier. Ce dernier a dit que la livraison de ces appareils interviendrait en 2018 ; ce matin, le CEMA a indiqué que la reprise des livraisons se ferait en 2019, en fonction des livraisons aux pays étrangers. Pour le moment, on n'en sait guère plus. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? L'armée de l'air française pourrait en effet n'avoir aucune livraison durant quatre ans !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Tout d'abord, la question de la défense sera à l'ordre du prochain Conseil européen, qui va avoir lieu les 25 et 26 juin. Les chefs d'État et de gouvernement en ont parlé pour la dernière fois en décembre 2013. Ils avaient décidé d'aborder à nouveau le sujet dix-huit mois plus tard. C'est une grande nouveauté, car ils n'avaient pas traité la question depuis 2005. Cela démontre le faible intérêt que suscitait la préoccupation de stratégie commune. Elle est en train de se renforcer ; le président de la Commission est très allant sur cette nécessité, et avance même parfois des objectifs extrêmement ambitieux - armée européenne, etc. Certes, il faut ouvrir des perspectives, mais il faut également tenir compte de la dure réalité !

La question du financement commun de la défense sera sûrement posée. Je constate que ce sujet est bien plus d'actualité qu'auparavant. Beaucoup de ministres de la défense sont directement intéressés, l'évoquent très librement et en parlent à leur chef de gouvernement. Ce sujet ne sera pas définitivement réglé ici, mais il va venir dans la discussion.

Le premier acte très important qui présente un double intérêt serait qu'un groupement tactique de l'Union européenne (GTUE), ou battlegroup, puisse être mobilisé au nom de l'Union européenne lors d'une crise. Ceci ne s'est jamais produit. Il se trouve que la France, l'Allemagne et l'Italie - je ne sais plus dans quel ordre - vont devoir successivement assurer la veille, afin d'intervenir en cas de crise. Il faut d'abord que la décision politique soit prise, et que le financement du déplacement soit acté. Ce serait là une avancée considérable. C'est ce que je suggère au Président de la République de dire lors du Conseil européen. M. Junker est d'accord sur ce point. La Haute représentante également. Avancer dans cette direction constituerait un bon moyen d'entrer dans l'Europe de la défense. C'est pour cela que je me bats.

Quant à Daech, le Hezbollah n'est pas à ma connaissance à Alep. Notre position est claire : nous combattons Daech, avec l'ensemble des moyens qui sont à notre disposition, mais nous combattons aussi Bachar al-Assad, qui a créé Daech et qui l'a laissé prospérer ! Il n'y a pas de choix à faire entre l'un ou l'autre. Or, le Hezbollah soutient totalement Bachar al-Assad... Il faut trouver les voies et les moyens pour ce faire, mais il n'est pas question de s'allier avec le Hezbollah pour combattre Daech, puis de réinstaller ensuite Bachar al-Assad. Ce n'est pas dans notre logique.

Les combattants étrangers se trouvent également au sein de Daech et peuvent ensuite prospérer en Afrique. J'espère que ce ne sera pas le cas.

Je rappelle à Robert Hue que cela fait longtemps que j'ai cherché à attirer l'attention sur Daech. Sans changement de la situation en Libye, je crains le pire ! C'est très préoccupant.

Je réponds en même temps à M. Lorgeoux à propos de Boko Haram : le changement de présidence, au Nigeria, a donné une impulsion plus forte à l'engagement des armées nigérianes dans la lutte contre Boko Haram. Une bonne coordination se met enfin en place entre le Tchad, le Niger, le Cameroun, le Bénin et le Nigeria. Nous l'accompagnons avec un soutien technique, logistique, ainsi qu'en matière de renseignement. Je suis plutôt optimiste, car il existe une véritable volonté d'endiguer tout cela.

Certes, on peut nous accuser de soutenir tel ou tel chef d'État qui a par ailleurs peut-être un passé compliqué, mais la réalité de la menace principale réside bien dans le risque d'extension du conflit en Afrique.

Boko Haram avait fait allégeance à Daech, mais il s'agissait uniquement de communication et de publicité. Daech, après avoir pris Syrte, a repris hier soir une centrale thermique. On est dans une situation préoccupante. Il faut souhaiter qu'un accord intervienne aujourd'hui ou demain à Berlin, faute de quoi les choses seront très compliquées.

Monsieur Perrin, je ne peux imaginer que ce n'est pas DCNS qui se plaint de ne pas être assez soutenu... Nous avons là deux métiers différents : celui des politiques est d'ouvrir les portes. C'est ce que j'essaye de faire. Le second métier consiste à vendre. Je suis très au courant de ce qui se passe en Norvège en matière de sous-marins pour avoir déjà reçu en France mon homologue de ce pays. J'irai volontiers lui rendre visite à mon tour !

Le sujet principal pour les sous-marins se situe aujourd'hui en Australie. Sans sous-estimer la Norvège, je vais me rendre en Australie au mois d'août. Ce pays prendra sa décision avant la fin de l'année.

S'agissant des prises de commandes, on est à 15 milliards d'euros depuis le début de l'année. En termes de stock, la réduction est très significative, mais nous travaillons en flux. Cela n'empêchera pas des diminutions d'effectifs, car il ne s'agit pas automatiquement des mêmes métiers. Je ne veux pas l'affirmer avec une totale fermeté, mais il n'existe pas, actuellement, de perspectives de fermeture d'unités lourdes. Je n'exclus pas des fermetures ponctuelles de certains dispositifs qui nécessitent une cohérence plus globale - essence, matériels -, car nous avons en même temps un processus de rationalisation de trente et un chantiers en cours que j'ai initié dans le cadre du ministère de la défense. Dans certains cas, cela signifie une restructuration, une meilleure performance, entre autres en matière de matériels et de carburant.

Concernant les Rafale, je me réfère à mes tableaux. La production minimum de Dassault Aviation est de onze Rafale par an. Une livraison de onze appareils a eu lieu en 2014. Onze autres devraient être livrés en 2015 à l'armée française, et quatre en 2016, prévus dans la LPM. À un certain moment, nous étions dans un certain flou. Une cinquième tranche de livraison à l'armée de l'air française allait au-delà de 2019. Je ne sais si c'est à cette phase que vous faites allusion, mais celle-ci était destinée à remplacer les Mirage 2000. La base de notre flotte de chasse est de deux cent vingt-cinq Rafale. On en est aujourd'hui à cent cinquante.

Au titre de l'actualisation, l'échéancier qui été arrêté est le suivant : onze ont déjà été livrés en 2014 à l'armée de l'air française, cinq le seront en 2015, six en 2016, un en 2017, trois en 2018. On arrive au même chiffre global.

Il y aura donc bien six Frégate et vingt-six Rafale, un petit peu moins en 2015, du fait de l'accord avec l'Égypte, mais davantage en 2016.

M. Jean-Pierre Raffarin , président. - Merci beaucoup de nous aider à aller au fond de ce dossier, et de faire en sorte que nos armées obtiennent les bonnes nouvelles qu'elles attendent du chef des armées le 14 juillet prochain, avec une LPM actualisée. Nous allons tout faire pour qu'il en soit ainsi !

Amiral Bernard Rogel
chef d'état-major de la Marine
le 17 juin 2015

M. Jean-Pierre Raffarin , président. - Amiral, c'est un grand plaisir de vous retrouver. Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de vous faire part de la sympathie de la commission alors que vous êtes à la veille d'un déménagement vers Balard qui apportera, certes, toutes les facilités d'un cadre de travail moderne et rationalisé, mais qui vous amènera à quitter l'Hôtel de la Marine où la Marine a jeté l'ancre il y a deux siècles et demi : il est des pages que l'on tourne sans doute avec plus de facilité que d'autres...

Vous nous aviez dit lors d'une précédente rencontre que la programmation de 2013 était taillée « au plus juste », que la Marine était à « plein régime » sur le plan opérationnel, avec 4 à 5 zones de déploiement contre deux prévues au contrat opérationnel, et que toute mission nouvelle (comme les migrants en Méditerranée par exemple) impliquerait des renoncements. Vous évoquiez les difficultés à identifier les déflations d'effectifs restantes, et des problèmes, en ressources humaines, pour la gestion de micro-populations de marins très spécialisés.

Il y avait la question cruciale du renouvellement, en cours, d'une flotte de navires vieillissante.

Depuis, le Conseil de défense du 29 avril, traduit dans le projet de loi d'actualisation de la programmation militaire, a fixé de nouvelles orientations et dégagé de nouveaux moyens. Une FREMM, la « Normandie », a été vendue à l'Égypte et prélevée sur la Marine ; le gouvernement nous dit que le format global - 15 frégates de premier rang - a été préservé, que les Frégates de taille intermédiaire, les FTI, ont été avancées : qu'en est-il ? Je ne parle pas du « trou capacitaire » outre-mer à compter de 2017, car en la matière, hélas, rien n'a changé.

Quel est votre degré de confiance dans l'arrivée des crédits budgétaires en particulier en 2015 ? Quelle est votre position sur les associations professionnelles de militaires ? Sur tous ces sujets, à vous la parole, Amiral !

Amiral Rogel, chef d'état-major de la Marine. - Monsieur le président, Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui pour évoquer avec vous le projet d'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) et ses implications pour la marine. C'est toujours un moment de solennité pour moi, car nous parlons non seulement du quotidien, mais encore de l'avenir de notre marine, de nos armées, de notre pays.

Cette actualisation était prévue par la LPM. Comme vous le savez, elle intervient plus tôt que prévu, dans le contexte des attentats de janvier 2015, qui a donné lieu à la mise en place de l'opération « Sentinelle ». Le contexte international est lui aussi en pleine évolution, la marine est très sollicitée sur le plan opérationnel et je ne vois pas cette situation changer à court terme.

Ce projet de loi est une bonne chose pour la défense. Il doit être soutenu. Il est le résultat de la conviction avec laquelle le ministre s'est engagé pour que soient respectées les conclusions du Livre blanc : je rends hommage à son action. Nous devrons bien sûr par la suite rester vigilants, année après année, à sa mise en application.

Ce projet de loi comporte des avancées bienvenues : la transformation des recettes exceptionnelles en crédits budgétaires, les moindres déflations en effectifs, la confirmation de certains programmes d'armement. Si je devais résumer, je dirais que l'actualisation de la LPM nous permet de confirmer globalement pour la marine la trajectoire du Livre blanc et nous permet de mener comme prévu le plan « Horizon marine 2025 », ce qui est en soi une très bonne chose.

Je voudrais commencer par replacer ce projet de loi dans son contexte vu de la marine. Ce contexte, c'est celui d'un durcissement de la situation stratégique mondiale, perceptible en mer. C'est un contexte où la marine reste fortement sollicitée sur le plan opérationnel. C'est également un contexte où elle doit poursuivre son effort de transformation pour s'adapter aux nouveaux enjeux et aux nouvelles menaces. C'est l'objet du plan stratégique « Horizon marine 2025 », qui est pour la marine une révolution plutôt qu'une évolution, un changement en profondeur. Cet effort passe notamment par le nécessaire renouvellement de sa flotte, aujourd'hui vieillissante.

Les aspects maritimes de l'évolution du contexte stratégique sont relativement peu abordés dans le projet de loi - on ne pouvait pas tout y mettre. Et pourtant, ce milieu connaît aujourd'hui d'importantes ruptures stratégiques dont nous devons tenir compte. Le rapport d'information sur la maritimisation, publié au nom de votre commission en juillet 2012 avait vu certaines de ces ruptures et je rends hommage une fois de plus aux sénateurs Trillard et Lorgeoux pour ce travail. Ses conclusions sont confirmées et restent parfaitement d'actualité aujourd'hui. Au cours de ces derniers mois, les grandes tendances liées aux espaces maritimes se sont confirmées.

La redistribution des puissances maritimes se poursuit. J'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer devant vous : la Chine, la Russie, le Japon, le Brésil, l'Inde, sans oublier bien entendu les Etats-Unis, sont les acteurs de cette redistribution.

Pour ne citer qu'un de ces pays, la croissance de la marine chinoise est probablement la plus spectaculaire. J'ai pu m'en rendre compte en me rendant en Chine au mois d'avril. La Chine vient de publier un nouveau Livre blanc de la défense. Ce document met un accent particulier sur le volet maritime de la stratégie de défense chinoise et affirme la vocation planétaire de sa marine. Il y a 4 ans, la marine chinoise opérait essentiellement en mer de Chine. Aujourd'hui on la voit partout, en océan Indien, en Méditerranée, dans le golfe de Guinée... Il en va de même pour la Russie.

Je n'oublie pas les autres pays que je vous ai cités. Dans ce bouillonnement des puissances maritimes, je trouve que l'Europe reste pour le moins absente et c'est l'une de mes préoccupations.

La territorialisation des espaces maritimes est à l'oeuvre, comme on peut le constater en mer de Chine, dans le grand Nord avec le changement climatique ou à l'Est de la Méditerranée pour ses gisements gaziers. Face à la question des ressources, cet enjeu s'étendra partout, j'en suis absolument convaincu.

Certains conflits régionaux ont des répercussions en mer. Je pense à la crise yéménite, qui, ces dernières semaines, a fait naître des tensions autour du détroit de Bab-el-Mandeb. Ce détroit voit passer 17 000 navires par an, soit 30% de nos approvisionnements en hydrocarbures et 90% des biens manufacturés en provenance d'Asie. Une fermeture de ce détroit aurait des conséquences immédiatement visibles sur nos économies. L'alternative serait de contourner l'Afrique, ce qui représente environ trois semaines de délai. Dans une économie à flux tendus, cela se répercuterait immédiatement par des pénuries sur les rayonnages de nos supermarchés. Je pense également à la crise syrienne ou à la situation politique dans certains pays d'Afrique, qui, combinées avec la situation en Libye, poussent un très grand nombre de personnes à tenter le voyage vers l'Europe. Nous en constatons les effets aujourd'hui, avec des flux de migrants toujours plus importants et une exploitation de ces flux par des réseaux de passeurs sans aucun scrupule.

La piraterie et les trafics en mer ne tarissent pas. Sous contrôle en océan Indien, la piraterie repart en Asie du Sud-Est et sévit dans le golfe de Guinée, sous des formes parfois nouvelles comme le « bunkering ». Dans de nombreux cas, ces activités criminelles ont des liens étroits avec les groupes armés terroristes. Les administrations françaises ont saisi 5 tonnes de drogue en mer depuis le début de l'année.

Je pense enfin au changement climatique, qui aura un impact croissant sur les mouvements de population et qui, en ouvrant à terme de nouvelles routes ou en permettant l'accès à de nouvelles ressources, se répercutera sur les espaces maritimes.

La marine est aujourd'hui en surrégime opérationnel : je vous indiquais en effet lors de ma précédente audition que la marine opère en permanence dans 4 à 5 zones, alors que le Livre blanc n'en prévoyait que « 1 à 2 ». De nouvelles sollicitations ont fait leur apparition depuis et certains dispositifs ont été renforcés. Au cours de ce début d'année 2015, la marine a connu des périodes où elle était déployée simultanément sur 6 théâtres (Atlantique nord, Afrique de l'ouest, Méditerranée orientale, océan Indien, golfe arabo-persique, mer de Chine). Cela me contraint à proposer des choix au CEMA et à démunir au profit de l'urgence certaines missions de l'AEM ou certains exercices internationaux majeurs, importants pour le maintien de nos savoir-faire.

La mission Frontex, puis à terme, l'opération européenne de surveillance et de contrôle de l'immigration en Méditerranée centrale constitue à cet égard pour la marine un nouveau défi.

En océan Indien, au début de cette année, le groupe aéronaval a été engagé aux côtés de nos camarades de l'armée de l'air pendant plusieurs semaines dans l'opération Chammal, réalisant des frappes en Irak à partir du golfe arabo-persique. Début avril, trois de nos bâtiments ont assuré l'évacuation par voie de mer - la seule praticable - d'une centaine de ressortissants français et étrangers du Yémen. La marine a également participé, dans le cadre d'une coalition, à une mission de sécurisation du détroit de Bab-el-Mandeb avec la présence d'un chasseur de mines.

La marine contribue également à la protection et à la défense du territoire national à travers un dispositif permanent, qui permet d'assurer la surveillance des approches maritimes et portuaires, ainsi que la protection de ses emprises (dont les emprises nucléaires). Ce dispositif comprend les sémaphores, les centres régionaux opérationnels de sauvetage et de surveillance (CROSS), la gendarmerie maritime ou encore les fusiliers marins. Il implique 3000 marins soit environ 10% des effectifs de la marine. Ce dispositif permanent n'a pas attendu le mois de janvier 2015 pour être mis en place. Il a toutefois été renforcé à la suite des attentats. Nous devrons pouvoir le faire tenir dans le temps, au même titre que l'opération « Sentinelle ».

Dans le même temps, la marine poursuit sa participation à l'opération Atalanta, mission de lutte contre la piraterie en océan Indien. Elle maintient un bâtiment déployé dans le cadre de l'opération Corymbe en Afrique de l'ouest aux côtés des marines africaines. Elle poursuit sa participation à Barkhane, aux côtés des autres armées.

Je n'oublie pas la dissuasion ou les missions d'action de l'Etat en mer.

Dans le même temps, la marine poursuit sa transformation. C'est l'objet de son plan stratégique « Horizon marine 2025 », qui s'inscrit dans le projet général du CEMA « Cap 2020 ». La marine a choisi 2025 plutôt que 2020 parce que sa construction s'inscrit dans le temps long. « Horizon marine 2025 » est articulé en 4 volets, qui constituent les 4 enjeux de la marine : « Agir », « Adapter », « Etre marin », « Bâtir ».

Le premier enjeu est la tenue du contrat opérationnel. C'est l'objet du volet « Agir ». Ce volet s'appuie sur un MCO naval toujours plus performant et la pleine contribution de la marine aux efforts interarmées d'amélioration du MCO aéronautique. Il fait appel à une préparation opérationnelle innovante et adaptée à l'évolution des menaces en mer, ainsi qu'à une organisation du commandement qui s'adapte en permanence au tempo élevé et au contexte des opérations. L'une des principales qualités de nos armées aujourd'hui est leur réactivité, rendue nécessaire par la contraction des temps, médiatiques, politiques et militaires. Le volet « Agir » s'appuie enfin sur une coopération et une interopérabilité renforcées avec nos principaux partenaires internationaux, au premier rang desquels les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne.

J'ai intitulé le deuxième volet « Adapter ». Ce volet vise à faire évoluer les organisations de la marine vers toujours plus d'efficacité dans un contexte interarmées. Le déménagement vers Balard, qui interviendra dans les jours qui viennent, constitue un des jalons de ce volet et représente pour les échelons parisiens de la marine un changement profond et un vrai défi pour un organisme très centralisé. La direction du personnel militaire de la marine verra ainsi ses effectifs répartis entre Paris, Tours et Vincennes. Cela nécessitera pour elle la mise en place de nouvelles méthodes de travail. Toujours dans le cadre de ce volet, la marine fait évoluer ses capacités de bâtiments à dominante mécanique vers des bâtiments à dominante informatique. Une FREMM faisant appel aux technologies de calcul les plus modernes n'a plus grand chose à voir avec une de nos anciennes frégates anti-sous-marines de 35 ans d'âge, où l'on trouve encore des équipements de type « armoire normande » remplis de fils soudés. Une telle mutation a des implications profondes sur tout le modèle RH. Elle requiert des compétences moins nombreuses, mais plus spécialisées, tout en restant capable de maintenir au service les matériels les plus anciens. Ce changement de structure est pour la marine un véritable défi, car elle doit préserver ses compétences humaines et technico-opérationnelles et assurer la transition entre anciens et nouveaux équipements.

Le troisième volet du plan « Horizon marine 2025 » s'intitule « Etre marin ». Il touche au coeur des ressources humaines de la marine et s'appuie sur une gestion de carrière individualisée, à travers la valorisation de l'identité de marin, ou encore à travers un dispositif de dialogue interne qui permet de prendre en compte les contraintes des marins et leurs aspirations. Ce volet comprend ce que j'appelle l'« escalier social », c'est-à-dire la mise en place de carrières valorisées, avec des équivalences généralisées entre qualifications militaires et diplômes civils qui bénéficient tout autant à la marine qu'aux marins eux-mêmes. Cela permet à 80% des marins qui quittent l'institution de se reclasser en moins d'un an : c'est à la fois mon meilleur et mon pire indicateur. La marine doit par ailleurs prendre en compte dans la formation qu'elle dispense les nouvelles caractéristiques de la société, par exemple l'arrivée d'une jeune génération e-connectée, pour qui être déconnecté comme on peut l'être par exemple sur un sous-marin n'est pas une chose naturelle.

Enfin, le quatrième volet s'appelle « Bâtir » et concerne la modernisation de l'outil. Ce volet vise à intégrer les nouvelles capacités de la marine, en prenant en compte l'adaptation de nos infrastructures, de nos doctrines ou encore de nos formations. A titre d'exemple, le premier tir de missile de croisière naval a été réalisé avec succès à partir de la frégate « Aquitaine » il y a quelques jours. Cette nouvelle capacité apporte à la France un outil de dimension stratégique et offre ainsi au chef des armées un nouveau moyen dans la palette des options stratégiques en cas de crise. Cette nouvelle option stratégique doit être prise en compte à tous les niveaux.

À travers ce plan « Horizon marine 2025 », c'est une profonde transformation que traverse aujourd'hui la marine. J'ai pour habitude de comparer sa transformation à un grand carénage, au cours duquel le bateau « marine » subirait à la fois un changement de moteurs, un remplacement de son système d'armes, la livraison d'un nouveau système de combat requérant des compétences rares et un resserrement de son équipage... un changement profond et de grande ampleur.

Je voudrais maintenant vous parler des implications de l'actualisation de la LPM pour la marine. L'exercice consiste pour la marine à trouver le juste équilibre entre effectifs, équipements, activité et infrastructure. Dans le domaine de l'équipement, les nouvelles sont satisfaisantes. Je reste attentif aux effectifs, à l'activité et aux infrastructures, car des fragilités demeurent aujourd'hui et tous les arbitrages internes aux armées n'ont pas encore été rendus.

Je commencerai par vous livrer mon analyse concernant les effectifs. La moindre déflation est une très bonne chose, car elle apporte un bol d'air aux armées dans un contexte de renforcement de certaines de leurs missions (en particulier, la protection).

Je voudrais rappeler trois caractéristiques de la marine : premièrement, elle est la plus petite des trois armées ; deuxièmement, c'est une armée hautement technique ; troisièmement, les contraintes vécues par les marins sont importantes. Un marin embarqué sur frégate connaît 180 jours de contrainte opérationnelle par an, dans des conditions de vie à la mer parfois difficiles.

La marine doit conduire une manoeuvre comportant deux volets.

Le premier volet consiste à poursuivre l'effort de déflation auquel la marine s'est engagée dans le cadre de la LPM. Ceci n'a pas changé. Cet effort porte sur un peu plus de 2 000 postes dont la moitié a été supprimée en 2014 et 2015. Ces postes ont été identifiés grâce à une analyse fonctionnelle. L'essentiel de cet effort de déflation repose sur la réduction du format et le remplacement de bâtiments d'ancienne génération par des bâtiments modernes aux effectifs resserrés (les effectifs sont divisés par 2,5 dans le cas du passage d'une frégate anti-sous-marine d'ancienne génération à une FREMM). Les équilibres sont actuellement tenus et nous atteignons nos objectifs, mais, dans le cadre de cet effort de déflation, je dois veiller à trois points particuliers : premièrement, ne pas aller au-delà de l'effort actuellement consenti, sous peine de mettre en péril les compétences rares et précieuses dont la marine a besoin ; je rappelle qu'elle s'appuie sur de nombreuses micro-filières de marins hautement qualifiés. Ce sera chaque jour un peu plus le cas avec l'arrivée des nouveaux équipements. Deuxièmement, je dois veiller à ce que la manoeuvre de dépyramidage ne prenne pas le contre-pied du nouveau modèle de la marine. La flotte que nous sommes en train de bâtir sera composée de bâtiments avec un niveau de technologie accru, avec des effectifs resserrés. Mécaniquement, le taux d'encadrement embarqué est donc appelé à augmenter. Enfin, le cadencement des déflations devra rester en phase avec le calendrier des retraits de service et des entrées au service des nouveaux équipements. Dans le cas contraire, cela nous poserait vraiment de gros problèmes.

Le deuxième volet de la manoeuvre RH que je dois conduire consiste à profiter des moindres déflations pour renforcer les effectifs dans certaines fonctions, pour répondre à des besoins nouveaux. Ces renforcements sont de deux ordres : des créations de postes à caractère définitif et des renforts à caractère temporaire.

En premier lieu, un renfort définitif justifié par l'évolution du contexte sécuritaire. Comme je vous l'indiquais, la marine a renforcé son dispositif de protection à la suite des attentats du mois de janvier, mais toujours avec le même volume de fusiliers. Ce dispositif est aujourd'hui sous forte contrainte, avec un taux d'emploi extrêmement élevé des marins concernés par cette tâche. Certains marins (c'est notamment le cas des fusiliers) sont mobilisés plus de 70 heures par semaine pour des tâches de protection qui ne sont pas les plus gratifiantes. Ils n'ont pas de relève. J'ai donc demandé que la marine puisse disposer de 500 postes de fusiliers marins supplémentaires. 300 autres postes environ permettront de renforcer la sécurité et la sûreté des installations de la marine. Voilà pour le renfort définitif directement issu des événements de janvier.

S'agissant du renforcement temporaire en effectifs, la marine a besoin de 250 postes en renfort.

La frégate « Normandie », qui devait être livrée à la marine, est finalement vendue à l'Egypte. De manière à tenir le contrat opérationnel, trois frégates anti-sous-marines d'ancienne génération, en fin de vie, seront prolongées d'un an chacune. Leur équipage est plus nombreux que celui d'une FREMM.

Il a été demandé à la marine de contribuer à la formation des marins égyptiens, en mettant à disposition une trentaine de marins. Ces marins seront prélevés sur le vivier encore très réduit des spécialistes FREMM de la marine. C'est ce même vivier qui doit assurer la montée en puissance du programme FREMM.

Le plan d'équipement de la marine reste conforme aux prévisions. L'actualisation de la LPM confirme certains engagements qui étaient attendus : la feuille de route des programmes frégates, le 4ème B2M (bâtiment multi-missions), les BSAH (bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers). Elle n'est pas revenue sur des problèmes que la LPM a d'ailleurs déjà identifiés comme les patrouilleurs de haute mer, singulièrement outre-mer, ou le renouvellement des hélicoptères légers, mais c'est un risque accepté par le Livre blanc. Nous resterons donc pour ces derniers sur la feuille de route initiale de la LPM avec la même prise de risque liée à la prolongation d'équipements vieillissants.

Je commencerai par évoquer la flotte de premier rang, c'est-à-dire les capacités de combat de la Marine.

Le projet de loi confirme tout d'abord le calendrier de livraison des FREMM. Pour autant, le programme subit un retard d'une année à la suite de la vente de la frégate « Normandie » à l'Egypte, ce qui contraint la marine à maintenir en activité des bâtiments de génération plus ancienne. La capacité de lutte anti-sous-marine de la marine reste pour le moment sous forte tension, avec un déficit de 3 bâtiments sur 8 en attendant l'admission au service actif des 2 premières FREMM et une capacité reposant sur des bâtiments vieillissants, ce qui a un coût en ressources humaines et en MCO.

Le lancement du programme « frégates de taille intermédiaire » (FTI) est lui aussi confirmé et avancé de deux ans, avec une première livraison en 2023. Ce programme, qui comprendra 5 unités, permettra d'atteindre en 2029 le format de 15 frégates de premier rang de nouvelle génération. Ce format comprendra donc les 2 frégates de défense aérienne « Forbin » et « Chevalier Paul » actuellement en service, 6 FREMM anti-sous-marines livrées avant 2019, 2 FREMM à capacité renforcée de défense aérienne livrées respectivement en 2021 et 2022 et 5 FTI. Nous serons sur le trait en 2019 ;

Le lancement du programme « FLOTLOG » au cours de la période de la LPM est lui aussi confirmé. Le pétrolier ravitailleur « Meuse » a été retiré il y a quelques jours du service actif dans le cadre de la réduction de format. Avec ce désarmement, le format de la flotte logistique prévu par le Livre blanc (3 bâtiments) est désormais atteint, mais les bâtiments vieillissants qui la composent ne correspondent plus aux exigences modernes. Ce vieillissement est l'un des risques importants de la LPM. Le lancement du programme FLOTLOG est donc essentiel pour renouveler la capacité de la marine à se déployer loin et longtemps. Mon homologue danois me rappelait il y a peu sa satisfaction d'avoir pu disposer d'un pétrolier-ravitailleur français lors des opérations de désarmement chimique en Syrie.

Je voudrais maintenant en venir aux bâtiments de souveraineté, qui assurent les missions de surveillance et d'assistance dans nos espaces maritimes, c'est-à-dire à la fois nos missions de souveraineté, mais aussi celles de la protection de nos concitoyens contre les menaces maritimes ou venant de la mer.

Le projet de loi prévoit la commande du 4ème bâtiment multimissions (B2M) et de 4 bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH). Ces bâtiments étaient fortement attendus par la marine et par l'ensemble des responsables interministériels de l'action de l'Etat en mer, je vous en avais déjà beaucoup parlé.

C'est donc une excellente chose. Les B2M rempliront des missions de soutien logistique et de surveillance dans nos espaces de souveraineté outre-mer. Les BSAH conduiront pour leur part des missions d'assistance, de remorquage ou de lutte anti-pollution en métropole. 4 BSAH militaires et 4 BSAH affrétés par la marine doivent à terme remplacer 11 bâtiments de soutien actuellement en service, dont l'âge devient vénérable.

S'agissant des patrouilleurs, 2 patrouilleurs légers guyanais (PLG) sont livrés d'ici 2017 pour répondre au besoin urgent de remplacement des P400 qui y assuraient les missions de police des pêches. Je suis très vigilant sur le reste de la flotte des patrouilleurs outre-mer, dont la situation est préoccupante. Avec le vieillissement accéléré des patrouilleurs outre-mer, la rupture de capacité sera de 30% en 2017 et de 60% en 2020. C'est un risque accepté par le Livre blanc. L'échéancier de livraison des patrouilleurs BATSIMAR est toujours annoncé pour 2024. Cette arrivée très tardive est pour moi une préoccupation. Les B2M compenseront le départ des bâtiments de transport léger (BATRAL) pour assurer les missions de soutien logistique dans les DOM/COM, ils ne combleront donc pas la réduction capacitaire des patrouilleurs. Il faudra se reposer la question lors de la future LPM pour essayer d'avancer le programme BATSIMAR au moins à 2020.

Je suis également préoccupé par les hélicoptères légers. L'âge de nos hélicoptères est aujourd'hui vénérable (42 ans pour les Alouette 3, 33 ans pour les Lynx). Ces hélicoptères rendent encore de bons services, mais leur maintien en condition opérationnelle est délicat et leur taux de disponibilité aléatoire. Là encore, la date d'arrivée des hélicoptères interarmées légers me paraît bien tardive.

Au bilan, en matière d'équipements, cette actualisation de la LPM nous permet d'être sur le schéma du Livre blanc.

En matière d'activité, je voudrais tout d'abord rappeler que la marine autofinance en quasi-totalité ses opérations : 98% de son activité est en effet prise sur son enveloppe budgétaire propre. Elle émarge très peu au budget des opérations extérieures : en 2014, elle a bénéficié de 30 millions d'euros sur 1,1 milliard alloué à ce budget. Ce sont notamment ses crédits d'entretien qui supportent cette charge. C'est important de le rappeler quand on parle d'arbitrages financiers.

L'activité est un domaine essentiel, sans lequel la marine ne serait pas en mesure de conduire ses missions. Le niveau d'activité de la marine est actuellement en-deçà de la norme. La LPM prévoit une remontée de l'activité à partir de 2016. Je suis confiant sur le fait que nous allons y arriver.

En attendant, je suis contraint de faire des choix, en privilégiant l'activité opérationnelle sur la préparation opérationnelle et notamment en réduisant les entraînements majeurs ou la participation aux exercices multinationaux. Cette situation devra rester temporaire pour ne pas risquer de porter atteinte aux compétences de la marine.

Le projet d'actualisation de la LPM abonde les crédits d'entretien du ministère à hauteur de 500 millions d'euros. Il prévoit également de porter un effort particulier sur les équipements en redéployant à leur profit 1 milliard d'euros. Cet effort est obtenu en tablant sur ce que certains appellent l'effet « coût des facteurs », c'est-à-dire sur des gains qui seront réalisés grâce à l'amélioration des indices économiques : inflation, coût des hydrocarbures, coût des matières premières. Il conviendra de bien les identifier. A cet égard, les amendements votés à l'Assemblée pour sécuriser les ressources non budgétaires subsistant dans cette actualisation de la LPM constituent, à mes yeux, un signal rassurant.

Similairement, je ne voudrais pas que, pour une raison ou pour une autre, le financement des projets d'infrastructure de la marine soit fragilisé. L'arrivée dans les forces des nouveaux équipements, comme les FREMM ou les Barracuda, s'accompagne de travaux d'infrastructure importants et incontournables pour pouvoir assurer le soutien de ces unités.

Dans le même temps, nos infrastructures industrielles et portuaires, dont beaucoup datent du plan Marshall, sont vieillissantes. C'est le cas des installations électriques des ports de Brest et Toulon. Ces infrastructures sont indispensables au MCO et à l'activité. Or aujourd'hui, la ressource programmée pour ces remises à niveau ne couvre que 60% des besoins.

Pour conclure, je voudrais faire trois observations.

Tout d'abord, nous sommes toujours dans un costume taillé au plus juste, comme le dit le CEMA. Il est désormais important d'appliquer année après année cette LPM révisée, d'autant que, le paramètre des effectifs étant figé, ce sont les équipements et l'activité qui portent tous les risques financiers dus aux aléas annuels.

Ensuite, les événements qu'a connus la France au mois de janvier dernier sont tragiques et le renforcement du dispositif de protection était nécessaire. Pour autant, il me semble important que cette menace n'éclipse pas les autres menaces et les autres enjeux, qui n'ont pas disparu en janvier 2015. Parmi elles la menace terroriste en mer ou venant de la mer.

Je voudrais enfin redire toute ma fierté vis-à-vis des marins qui servent sous mes ordres. Ils font preuve d'une disponibilité sans faille et conduisent leurs missions avec professionnalisme et détermination. Les contraintes qu'ils vivent aujourd'hui sont importantes et se ressentent sur leur moral. Cela pourrait avoir des conséquences en matière de fidélisation. Cela reste pour moi une préoccupation forte, dans la mesure où, en l'absence de marges, toute répercussion en termes de ressources humaines aurait un impact immédiat pour la marine.

M. Jean-Pierre Raffarin , président. - Merci beaucoup. Je vous propose de commencer par les questions des deux rapporteurs du rapport d'information sur la maritimisation, qui a fait date, Messieurs Trillard et Lorgeoux.

M. André Trillard . - Pourriez-vous nous faire un point sur le déménagement à Balard qui pourrait, si on n'y prend garde, manquer à son objectif de mise en cohérence des moyens ?

L'extension maritime de la crise yéménite vous paraît-elle une simple extension territoriale de ce qu'il se passe avec la Somalie ? Ou est-ce un risque de nature différente ?

Reste-t-il des scories du système Louvois ? Possédez-vous les moyens de contrôler tout cela ?

Je souhaiterais enfin souligner votre implication pour la structuration de la coopération internationale dans le Golfe de Guinée, avec les Marines africaines, coopération que je trouve indispensable et très utile.

M. Jeanny Lorgeoux . - Où en sommes-nous dans le dialogue avec la Marine britannique ? Quelle est en la teneur ?

M. Jacques Gautier . - Je souhaiterais saluer l'engagement de vos marins ; et notamment la disponibilité des Rafale sur le porte-avion Charles de Gaulle dans le golfe arabo-persique, à hauteur de 80% - c'est mieux que s'ils étaient à terre - ainsi que souligner l'engagement des marins embarqués sur les « vieilles frégates ». Comment parvenez-vous à intégrer l'impact de la livraison de la FREMM à l'Egypte dans la trajectoire de déflation des effectifs que l'on vous demande ? Comment parvenez-vous à gérer cela alors que le maintien de frégates anciennes mobilisera des centaines de personnels de plus que ceux prévus ?

Lors du Salon du Bourget, Airbus nous a présenté le drone à voilure tournante, le Tanan, dont les capacités correspondraient parfaitement aux besoins de la Marine. Une expérimentation devrait d'ailleurs vous être proposée.

Dans cette satisfaction générale, je m'inquiète cependant sur un montage budgétaire qui semblerait faire glisser la rénovation du Charles De Gaulle d'un exercice de fin 2016 à début 2017, et sur le décalage de la livraison du premier SNA, le Barracuda. Pourriez-vous me confirmez cela Amiral ?

M. Robert del Picchia . - Avec Gilbert Roger, nous nous occupons du volet « personnel » de la Loi de programmation militaire. Les députés ont fixé un délai maximum de cinq ans pour intégrer les associations professionnelles de militaires au sein des conseils de la fonction militaire (CFM) ; cela vous semble-t-il raisonnable ?

Pourriez-vous également nous donner votre avis sur la réserve opérationnelle ? La LPM votée en 2013 prévoit qu'un militaire bénéficiaire d'une pension afférente au grade supérieur ne puisse prétendre à rejoindre la réserve opérationnelle, alors que cela est possible pour les militaires bénéficiant d'un pécule. Est-ce justifié ?

Quand vous parliez de nouvelles zones d'intervention, entendiez-vous la Libye si l'Union Européenne ou les Nations unies donnent leur feu vert ?

M. Xavier Pintat . - Amiral, pourriez-vous nous dire quelques mots sur la contribution française dans le renforcement de la présence de l'Union Européenne en mer Méditerranée et dans son action dans la lutte contre les réseaux criminels qui exploitent les migrants, suite au Conseil européen du 23 avril ? En avons-nous les moyens d'y contribuer, en plus de toutes les autres missions ?

Je souhaiterais également avoir une autre précision ; le décalage du Barracuda est-il un problème ou est-ce anecdotique pour la Marine ?

Concernant les effectifs, la moindre déflation des effectifs décidée par le Président de la République vous permet de renforcer vos effectifs de 1050 hommes. Comment seront affectés ces effectifs « en plus », que vous pourriez maintenir ou réorienter grâce à cette moindre déflation ?

Mme Hélène Conway-Mouret . - Vous avez mentionné la révolution et les changements importants que vous traversez en ce moment. Concernant l'engagement opérationnel, vous avez fait référence à la piraterie, qu'en est-il aujourd'hui de la situation de bateaux qui continuent peut être d'être arraisonnés, mais dont les médias ne parlent plus ? Quels moyens et actions ont été mis en place pour prévenir et combattre ces actes?

Il existe un certain nombre de zones maritimes sous tensions, notamment à cause de la présence de ressources naturelles sous-marines, telle que Chypre. Je souhaiterais avoir votre opinion sur cette question. Je souhaiterais également savoir quel rôle nous avons dans la surveillance de ces zones ? Comment voyez-vous leur évolution ?

M. Christian Cambon . - Vous avez exposé le paradoxe de la multiplication des missions dans un contexte marqué par les contraintes budgétaires et financières que nous connaissons. Au-delà des missions traditionnelles, il existe des missions nouvelles et notamment la lutte contre la piraterie, mais surtout la lutte contre l'immigration sauvage en Méditerranée. Dans ce contexte, quel est le niveau de coopération avec les marines européennes en Méditerranée et particulièrement avec l'Espagne et l'Italie qui subissent de plein fouet cette immigration ?

Sur un plan purement technique, que pourrions-nous faire si la situation se dégradait brusquement en Libye, avec le risque de voir des bateaux entiers s'échouer volontairement sur nos côtes ? Les dernières déclarations de dirigeants qui suggèrent des mesures telles que le blocus des côtes libyennes sont-elles des évolutions réellement envisageables ? Que pensez-vous des scenarii de djihadistes qui atteindraient, de façon coordonnée, notre territoire par ce moyen ? Qu'est-il possible de faire ?

D'autre part, la coopération européenne est-elle un moyen de pallier l'arrêt technique majeur du Charles de Gaulle, prévu en 2017, dans un cadre international qui ne risque pas de voir les tensions s'apaiser ?

M. Joël Guerriau . - La protection reste tout de même une des fonctions majeures de la Marine et je voudrais revenir sur les zones économiques exclusives. L'Albatros arrête ses fonctions, et il sera remplacé par les B2M. Ces derniers permettent-ils de réaliser des fonctions de même nature ? Comment évolue le contexte de protection des ZEE par rapport à l'expérience qu'acquiert la Marine ? Et de façon plus précise, où seront construits les B2M ?

M. Gilbert Roger . - Vous avez évoqué le dépyramidage de nos équipages, mais à l'envers avec l'arrivée des nouveaux bâtiments. Si j'ai bien compris vous y souhaitez une augmentation des professionnels de haute technicité ?

M. Alain Gournac . - Quels services resteront localisés à Houilles ?

Amiral Rogel, chef d'état-major de la Marine. - Concernant le projet Balard, il y a naturellement une cohérence certaine. Rassembler toutes les DRH des armées à Tours me parait être une bonne idée, bien que nous aurons moins de contacts physiques avec ces personnes. L'essentiel des services qui doivent être centralisés, ceux qui concourent aux décisions centrales, le seront à Balard et c'est cela l'important. Le service de recrutement de la Marine sera positionné à Vincennes.

Concernant la crise yémenite, nous la suivons de très près car elle peut avoir des implications à la mer et notamment dans le détroit de Bab-El-Mandeb. Si des missiles sol-air de longue portée venaient à tomber dans des mains indésirables, cela pourrait faire peser une large menace sur ce détroit vital.

Louvois est en effet un logiciel capricieux qui ne supporte pas les changements, et qui a du mal en particulier à prendre en compte les mutations vers l'outre-mer ou en retour en métropole. Cependant, nous arrivons à le contrôler aujourd'hui grâce au Centre d'Expertise des Ressources Humaines de la Marine. La surveillance personnalisée qu'exerce tout le personnel de notre chaîne RH fait que nous n'avons eu aucun cas de solde non payée dans la Marine. Je souligne par ailleurs que la qualité de cette gestion a conduit le Ministre de la Défense à nous désigner première armée à passer sous le futur système de solde, « Source Solde ». C'est un nouveau défi pour nous que d'aider à bâtir ce nouveau système tout en maîtrisant l'ancien ; un défi que je relève avec confiance grâce à la qualité de mon personnel des ressources humaines.

Le Golfe de Guinée, qui me tient particulièrement à coeur, est aujourd'hui une zone de non-droit où prolifèrent la piraterie, et tous les trafics - d'armes, de drogues, et d'êtres humains - ainsi que la pêche illégale. Notre ambition, en appui du Ministère des affaires étrangères, c'est la mobilisation des pays africains. Bien qu'ils ne soient pas tous naturellement tournés vers la mer, il existe aujourd'hui une véritable prise de conscience ; la mise en place d'un réseau de centres de crise et de surveillance le long des côtes du Sénégal à l'Angola le prouve. Nous apportons notre contribution, en particulier à travers la mission « Corymbe » qui assure la permanence d'un bâtiment français dans le Golfe de Guinée destinée initialement à permettre une évacuation de nos ressortissants qui sont 70 000 dans le Golfe de Guinée. Cette mission a évolué au cours du temps avec un volet anti-piraterie car le trafic maritime français s'est beaucoup développé dans cette zone. Enfin, une partie de cette mission a été dédiée depuis deux ans à une nouvelle mission (Mission « Nemo ») de formation des marines africaines. Il s'agit d'une sorte d' « université flottante ».A chaque déploiement d'un bâtiment de la marine dans le Golfe de Guinée, le Commandant en chef pour l'Atlantique, en charge de cette zone, se coordonne avec ses homologues africains pour répondre aux besoins en formation. Dans un contexte budgétaire restreint, ce format nous permet de les former à moindre coût ; et cela fonctionne très bien, à chaque mission, nous formons une dizaine de marines africaines environ. Cependant, l'action ne peut pas venir que des marines, l'action politique est indispensable, c'est tout le principe de l'action de l'État en mer et de la coopération interministérielle. Nous organisons le premier séminaire des Chefs d'états-majors des marines du Golfe de Guinée, avec la participation des chefs d'états-majors du Danemark, de l'Espagne et du Portugal également, les 25 et 26 juin prochains à Brest. Il s'agira de se pencher sur l'appropriation de la zone, et comment mieux fonctionner ensemble, notamment de façon interministérielle.

Le dialogue avec la marine britannique se poursuit, notamment dans le cadre de la CJEF ( Combined  Joint Expeditionary Force ). Pour la première fois, une frégate britannique a pris le rôle de commandement de la protection anti sous-marine du Charles de Gaulle pendant le déploiement « Arromanches ». Compte tenu du contexte budgétaire de la marine britannique c'était un bel effort que je veux saluer. De plus, les Britanniques construisent actuellement deux porte-avions - qui accueilleront des avions de construction américaine à décollage vertical, à la différence du Charles de Gaulle - ce qui nous permettra d'assurer une permanence franco-britannique à la mer. Cela n'arrivera malheureusement pas lors de la prochaine révision du Charles de Gaulle puisque leur premier porte-avions ne devrait être livré qu'en 2020.

Le Nord Atlantique devient à nouveau une zone très fréquentée, notamment sous l'eau, et l'aviation de patrouille maritime, ainsi que les sous-marins, sont donc sollicités. Il convient d'être très vigilant là aussi car, entre le Grand Nord et nous, nous ne pouvons compter que sur les Norvégiens, les Américains, et dans une moindre mesure, les Britanniques - en raison de leur renoncement en termes d'aviation de patrouille maritime.

Concernant la gestion des équipements et du personnel, il est vrai qu'elle n'est pas aisée dans un contexte de contraintes d'effectifs. Une de mes préoccupations actuelles réside dans la formation de mes équipages de FREMM, mais c'est également le cas pour le MCO. Les industriels ont naturellement tendance à se pencher sur le futur, mais je dois également garder les compétences pour faire naviguer les navires anciens.

Les drones sont d'un grand intérêt pour la Marine et nous avons expérimenté un drone sur le patrouilleur l'Adroit. Je suis intimement persuadé que les drones feront partie de l'avenir de la Marine et je pense que toute proposition dans ce sens est la bienvenue. Le drone permettra d'élargir les capacités de connaissance et d'anticipation des futurs patrouilleurs de haute mer. Ils sont moins coûteux et moins difficiles à mettre en place qu'un hélicoptère, cependant ils ne pourront remplacer totalement les hélicoptères. La conjonction des deux matériels, aéronefs habités et drones, sera nécessaire.

Concernant l'IPER (Indisponibilité périodique pour entretien et réparation) du Charles de Gaulle et le lancement du Barracuda, le décalage est technique et non budgétaire, et très léger s'agissant du Barracuda (six mois), compte tenu de la complexité technologique de ce sous-marin d'attaque nucléaire (l'un des objets les plus complexes qui soient au monde). Le programme arrivera à peu près à l'heure et ce décalage ne représente pour moi qu'un aléa limité.

Concernant les associations nationales de professionnelles de militaires, je prends acte de leur création. Toutefois, dans le conseil de la fonction militaire (CFM), je discute de tout avec mon personnel, non seulement des statuts, mais aussi de la vie quotidienne, de la complexité des réformes, et je crois que le personnel de la Marine est content du système de concertation tel qu'il existe aujourd'hui. Ce qui m'importe c'est de ne pas fragiliser cette confiance et ce système de concertation. Le bon moment pour l'introduction des associations dans le CFMM sera donc, à mon sens, quand le conseil de la fonction militaire marine sera lui-même prêt à absorber ces associations. Ce que je demande c'est donc un peu de temps pour que cela se mette en place. Je crois qu'écouter ce que disent les marins est la meilleure méthode.

La réserve opérationnelle et particulièrement importante pour nous. Mes centres d'opérations Marine aujourd'hui ne tourneraient pas sans la réserve opérationnelle. Ce sont également les réservistes qui gardiennent les bâtiments pendant les permissions ce qui permet de libérer les équipages. Nous avons déjà un bon système, mais je crois qu'il faut qu'on le dynamise encore un peu. Aujourd'hui la réserve opérationnelle est beaucoup constituée d'anciens marins et nous devons réfléchir à son élargissement. Mais cela pose d'autres problèmes, notamment pour les entreprises et les employeurs.

La lutte contre les migrations est un vrai sujet. Une des premières missions et obligations du marin c'est, en mer, le secours aux personnes. Mais un des dangers de positionner des bâtiments militaires, c'est que les passeurs y voient la garantie que les victimes seront sauvées et augmentent les flux. Les zones de guerre alimentent le mouvement mais le changement climatique qui pousse les populations vers les côtes également. Il convient d'appliquer une solution globale telle que nous l'avons fait lors de la mission Atalanta. L'action de la marine seule ne résoudra pas l'accroissement des flux de migration. J'espère que la mission de l'Union européenne se calquera sur ce modèle c'est-à-dire : identifier les réseaux de passeurs, conduire des missions de renseignement, mettre en place des outils financiers et trouver des solutions de jugement et d'incarcération des passeurs. La France devrait prendre le poste d'adjoint au commandant italien de l'opération européenne ; et nous verrons quels moyens nous mettrons à disposition en fonction de la génération de forces.

Aujourd'hui, nous continuons les déflations d'effectifs telles qu'elles étaient prévues - initialement 1800, puis 2000 à la suite des analyses fonctionnelles. Les moindres déflations en revanche vont permettre de couvrir les besoins nouveaux, soient la protection des emprises et un certain nombre d'autres besoins tels que la cyber défense qui est une priorité. Les moindres déflations permettront également de soulager les fusiliers marins qui supportent une charge de travail et d'astreinte trop importante.

La piraterie n'a pas cessé, elle a évolué en raison des changements économiques dans les pays européens. La diminution du nombre de raffineries en Europe en est un exemple - en France le nombre de raffineries a été divisé par trois en quarante ans. Cela s'est traduit par une plus grande importation de produits raffinés, plus chers et plus faciles à écouler, qui sont une aubaine pour les pirates. Ces derniers se sont donc recyclés et s'attaquent principalement aux pétroliers transporteurs de produits raffinés, c'est que l'on appelle le bunkering . Dans le golfe de Guinée, nous sommes passés d'un phénomène de coupeurs de route, de brigandage, à de la piraterie professionnelle et violente. Là aussi, le changement climatique joue un rôle dans la piraterie, la misère qui arrive sur les côtes va multiplier les trafics.

Concernant les zones maritimes sous tension, c'est ce que j'ai évoqué sous le terme territorialisation : à mesure que les ressources vont devenir plus rares à terre et que les technologies modernes vont progresser, l'appétence pour le fond des mers va croitre. Cela est déjà très marqué en Mer de Chine. La Chine aujourd'hui y installe son droit. Vous avez raison, on retrouve le phénomène aussi dans l'Est de la Méditerranée avec des gisements autour des nouvelles frontières à la mer et bientôt, j'en suis sûr, nous le retrouverons partout. Nous avons intercepté il y a deux ans, un prospecteur minier à la mer qui prospectait dans notre ZEE dans le canal du Mozambique sans autorisation ; et la semaine dernière dans le Golfe de Gascogne. C'est ici tout l'enjeu des moyens de souveraineté et de surveillance maritime. Au premier rang, les patrouilleurs, les avions de surveillance maritime. Ils doivent être capables de savoir ce qu'il se passe dans notre ZEE car si nous la laissons sans surveillance, cela se saura et elle sera pillée. Dans ces affaires de pillage, il existe également un phénomène qui prend de l'ampleur, c'est la pêche illégale. La démographie galopante mondiale fait qu'il y a de plus en plus de besoins et que certains pays laissent, par défauts de moyens, se développer de la pêche illégale dans leur zone ; c'est quelque chose que nous retrouvons partout en Outre-mer. La surveillance de nos zones maritimes est donc nécessaire.

La coopération avec les Marines européennes se passe bien, dans la limite des moyens de chacun. La France est encore un îlot de verdure dans le paysage des Marines européennes et cette tendance de notre continent tranche assez fortement avec mes propos précédents de « nouvelle redistribution maritime mondiale ». Ce que certains appellent encore les « pays émergents », je vous assure que sur le plan de la puissance maritime, ils ont émergé ! L'Inde, le Brésil, et puis la Chine, les États-Unis, la Russie ont tous des politiques maritimes importantes, à long terme, avec une Europe, qui pardonnez-moi, mais est « à la traîne » dans la prise de conscience de ces enjeux. Tous les pays européens n'ont certes pas la deuxième ZEE au monde mais nous avons des enjeux communs auxquels il faut prendre garde, ne serait-ce qu'en Méditerranée. Certaines Marines européennes ont des bâtiments mais n'arrivent pas à les faire naviguer faute de budget, d'autres n'ont plus de budget. Nous essayons de rassembler toutes les bonnes volontés, c'est ce que nous faisons en Méditerranée. Nos échanges avec les pays de la côte nord et de la côte sud de l'ouest de la Méditerranée nous permettent de bien contrôler les affaires d'immigration illégale dans cette partie du bassin. Nous avions auparavant des contacts assez suivis avec la Libye, aujourd'hui c'est un peu plus compliqué ; ce qui explique aussi que les migrants trouvent là un point d'embarquement assez favorable. Mais le niveau de coopération est bon entre les Marines européennes ; nous essayons également de les impliquer, et singulièrement le Danemark, le Portugal et l'Espagne dans la sécurisation du Golfe de Guinée.

Pour éviter que des bateaux arrivent sur nos côtes, cela passe par la surveillance de nos approches. Notre réseau de sémaphores et notre réseau de surveillance maritime dans les préfectures maritimes permettent de détectent les bâtiments suspects. Aujourd'hui, il existe un système d'identification qui s'appelle l'AIS qui permet de surveiller et de suivre les bâtiments. C'est 10% de la Marine qui est attelée à la tâche de surveillance maritime mais c'est essentiel. Une autre des missions de la Marine est le contre-terrorisme maritime. On a eu les gratte-ciels à New-York, on a eu Charlie Hebdo à Paris, il n'est pas exclu qu'on ait, demain, un attentat à la mer. Il est d'autant moins exclu que parmi les gens qui partent se battre en Syrie, il peut se trouver des gens qui aient des compétences maritimes. Donc, il faut être extrêmement vigilant sur le futur.

Le site de Houilles accueille le commandement de la gendarmerie maritime ainsi que les services déconcentrés du commandement de la marine à Paris (COMAR Paris). Ils seront rejoints prochainement par les gendarmes qui travaillent aujourd'hui à l'Hôtel de la Marine. .

Pour terminer sur l'Albatros, on a trouvé, pour le remplacer, un beau partenariat qui est le premier partenariat interministériel avec les TAAF (Administration des Terres Australes et Antarctiques Françaises). Dans le Sud de l'Océan Indien, l'Astrolabe sera désarmé à peu près en même temps que l'Albatros ; nous avons désormais un partenariat commun qui va se traduire par la construction d'un navire polaire (et non un B2M) qui sera financé par l'administration des Terres Australes et Antarctiques Françaises, et armé et maintenu par la marine nationale. C'est un bâtiment à deux équipages, de façon à compenser au mieux le remplacement de deux bâtiments par un seul. Il couvrira une bonne partie de leurs missions et notre objectif c'est de le maintenir, grâce aux deux équipages, plus de 250 jours en mer par an pour couvrir l'essentiel des besoins, à la fois de l'administration des TAAF et de l'action de l'État en Mer. Les B2M eux sont actuellement construits au chantier Kership-Piriou à Concarneau qui a remporté l'appel d'offre. Le premier sera mis à flot au mois de septembre. C'est un chantier extrêmement compétent qui entretient déjà nos bâtiments école.

M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Merci beaucoup Amiral. Mes chers collègues, nous voyons tout de même dans ces propos la mutation de la Marine qui est devenue vraiment hautement technologique.

L'effort fait pour « Sentinelle » dans l'actualisation de la LPM ne doit pas faire oublier que l'Armée de l'Air et la Marine sont également sous tension.

Merci beaucoup, Amiral, vous pouvez compter sur notre soutien déterminé à vos efforts ;

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