TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITIONS PRÉPARATOIRES

A. AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES (28 MAI 2015)

Réunie le jeudi 28 mai 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur la certification des comptes d'Etat - Exercice 2014 - et sur le rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l'exercice 2014.

Mme Michèle André , présidente . - Je souhaite la bienvenue à Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes ainsi qu'aux magistrats qui l'accompagnent pour cette audition que nous avons dû décaler par deux fois en raison des cérémonies d'hier au Panthéon.

Le Premier président va nous présenter, comme chaque année, deux documents précieux pour la préparation de l'examen du projet de loi de règlement, auquel la commission des finances est très attachée : l'acte de certification des comptes de l'État pour 2014 et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'exercice 2014.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes . -Comme chaque année, je suis très heureux d'être entendu par votre commission, au moment de la publication des travaux que la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) commande à la Cour des comptes de produire pour le Parlement, en amont de la discussion du projet de loi de règlement. Ces travaux portent respectivement sur les comptes et le budget de l'État en 2014.

Consacrés uniquement à l'État pour le dernier exercice clos, ces travaux ne portent pas sur les autres administrations publiques. Ils vous apporteront un matériau utile pour l'analyse des comptes et du budget de l'État. Le rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui couvre l'ensemble des administrations publiques et sera public fin juin, vous apportera des informations complémentaires et actualisées. L'exercice est parfois frustrant mais ce décalage dans le temps est nécessaire.

Je suis accompagné pour vous présenter ces rapports de Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation inter-chambres chargée de leur préparation, et Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public et des programmes. Les travaux sur lesquels s'appuient ces documents ont été réalisés, pour l'acte de certification, par des équipes animées respectivement par Dominique Pannier, conseiller maître, Lionel Vareille, conseiller référendaire, et Laurent Zérah, expert, et, pour le rapport sur le budget de l'État et 2014, par les équipes animées par Catherine Périn, conseiller maître, Sébastien Justum, auditeur, et Louis-Paul Pelé, rapporteur. Les contre-rapporteurs étaient respectivement Jean-Pierre Laboureix et Christian Charpy, conseillers maîtres.

Je vais vous présenter le contenu de ces deux documents, qui synthétisent chacun un travail très riche, avant de répondre à vos questions. Auparavant, je souhaite mentionner devant vous une innovation ayant accompagné la publication de ces travaux. En effet, pour la première fois, la Cour des comptes a profité de cette occasion pour mettre en ligne sur son site des données publiques, répertoriées sur la plateforme « data.gouv.fr », notamment relatives à l'exécution budgétaire, de 2012 à 2014, mission par mission, programme par programme, action par action, mais aussi du bilan et du compte de résultats, de 2006 à 2011. Cette mise en ligne permet à chacun d'accéder à ces informations dans un format numérique directement et librement réutilisable, afin de réaliser des infographies ou encore refaire les calculs de la Cour des comptes! Cela s'inscrit dans une démarche globale de l'État de plus grande ouverture des données publiques et d'une gouvernance publique plus transparente, en cohérence avec les articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Depuis 2006, en application des dispositions de la LOLF, la Cour des comptes a procédé, à neuf reprises, à un examen approfondi des comptes de l'État. Arrêtés par le ministre des finances, ces comptes sont intégrés dans le projet de loi de règlement qui vous est soumis par le Gouvernement.

L'acte de certification porté à votre connaissance a pour objet de vous fournir une information, une opinion motivée sur la régularité, la sincérité et la fidélité de l'image que donnent les documents produits par l'État sur sa situation financière.

Trois chiffres-clés permettent d'appréhender synthétiquement le bilan de l'État au 31 décembre 2014. Premièrement, le passif total s'élève à environ 2 000 milliards d'euros. Deuxièmement, le total des actifs atteint presque 1 000 milliards d'euros - la situation nette de l'État est donc négative d'environ 1 000 milliards d'euros. Enfin, les engagements hors bilan de l'État dépassent 3 000 milliards d'euros.

En 2014, pour la neuvième fois depuis 2006, la Cour des comptes assortit de réserves la certification des comptes de l'État, dont, en particulier, cinq réserves substantielles ayant le même libellé que l'an dernier.

Trois d'entre elles présentent ainsi un caractère systémique.

Premièrement, le système d'information financière de l'État, constitué de Chorus et de plus de trois cents autres applications informatiques, reste complexe, coûteux, peu sûr et exposé à des risques d'erreur.

Deuxièmement, les ministères peinent encore à organiser et à piloter de manière satisfaisante leurs dispositifs ministériels de contrôle interne et d'audit interne.

Troisièmement, la comptabilisation des produits régaliens, c'est-à-dire du produit des impôts, pâtit des insuffisances des données fiscales et des contrôles qui leur sont appliqués.

Les deux autres réserves concernent, d'une part, les actifs et passifs du ministère de la défense et, d'autre part, les immobilisations financières de l'État.

S'agissant des actifs et passifs du ministère de la défense, des incertitudes persistent sur les inventaires de stocks et de matériels, sur l'évaluation de ces biens, et sur le recensement et l'évaluation par le ministère de ses actifs immobiliers.

Pour ce qui est des immobilisations financières de l'État, il n'est pas possible de se prononcer sur la fiabilité de l'évaluation d'un grand nombre de participations financières.

La synthèse de l'acte de certification comporte un tableau retraçant l'évolution des réserves dans le temps et met ainsi en évidence les efforts réalisés par l'administration depuis 2006, premier exercice soumis à la certification, qui ont permis la levée progressive de réserves substantielles. Au départ, nous avions treize réserves dont onze étaient substantielles.

Le fait que les réserves substantielles pour l'exercice 2014 soient, comme l'année dernière, au nombre de cinq et qu'elles aient le même libellé ne veut pas dire que rien n'a changé sur le fond, ni qu'aucun progrès n'a été enregistré, ni qu'aucun constat d'audit nouveau n'est apparu.

La stabilité globale apparente cache en réalité une poursuite de la dynamique d'amélioration de ce que l'on appelle parfois la « qualité comptable ». La Cour des comptes a ainsi constaté de multiples évolutions qui vont dans le bon sens. Tout d'abord, trente-sept parties de réserves font l'objet d'une levée dans l'acte, dont près de la moitié (dix-sept levées) porte sur la réserve n° 4 concernant les actifs et passifs du ministère de la défense, notamment l'évaluation des stocks de munitions, des biens mis à la disposition d'industriels et des coûts de démantèlement des réacteurs des sous-marins nucléaires, et du porte-avions Charles-de-Gaulle.

D'autres levées interviennent sur des sujets anciens et sensibles, tels que l'évaluation de la quote-part de la France au FMI ou la comptabilisation des contrats de désendettement et de développement.

Nous sommes conscients et attentifs au fait que la production des comptes certifiés demande un effort aux administrations, qui paraît toutefois particulièrement utile car, d'une part, il permet d'accroître la fiabilité des comptes, sous le regard attentif du certificateur, et, d'autre part, il est un levier décisif de modernisation de l'organisation et du fonctionnement des administrations.

Une publication de la Cour des comptes, prévue pour sortir d'ici la fin de l'année 2015 ou le début de 2016, devrait dresser le bilan, dix ans après, de la mise en place de la comptabilité générale de l'État ainsi que des perspectives d'évolution suggérées pour tirer pleinement partie de cette innovation, en particulier dans la gestion publique.

S'agissant maintenant du rapport sur le budget de l'État en 2014, il apporte un éclairage sur les finances de l'État, par l'analyse de l'exécution budgétaire sous deux perspectives : par rapport à l'exécution de l'année précédente, en l'occurrence 2013, d'une part, au regard des prévisions qui figurent dans la loi de finances initiale de l'année, d'autre part. Assorti de cinquante-neuf analyses de la gestion des missions budgétaires, de deux analyses de l'exécution des recettes, fiscales et non fiscales, et, ce qui est nouveau de cette année, d'une analyse des dépenses fiscales, soit plus de 2 000 pages au total, il devrait vous apporter une information riche, dans la perspective de l'examen du projet de loi de règlement. Le rapport mis en ligne sur le site de la Cour des comptes comportera des liens directs vers chacune de ces analyses, pour en faciliter l'exploitation.

Ce rapport ne traite que du seul budget de l'État en 2014 et non de l'ensemble des finances publiques. Celui de juin sur la situation et les perspectives des finances publiques apportera un regard portant sur l'ensemble des administrations publiques et reviendra de façon détaillée sur les risques qui pèsent sur l'exercice 2015, en dépenses et en recettes.

Dans son rapport sur le budget de l'État en 2014, la Cour des comptes a dressé quatre constats : la réduction du déficit budgétaire a été interrompue ; la dette de l'État a continué de progresser à un rythme soutenu ; les recettes fiscales se sont à nouveau révélées inférieures aux prévisions ; les dépenses de l'État ont été stabilisées, moyennant des opérations budgétaires parfois contestables.

En premier lieu, s'agissant de la réduction du déficit budgétaire, amorcée depuis 2010 et interrompue en 2014, celui-ci s'élève ainsi à 85,6 milliards d'euros, soit une hausse de 10,7 milliards d'euros par rapport à 2013 et ce qui représente plus de 3 mois de dépenses du budget général.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce ne sont pas les dépenses exceptionnelles, notamment le lancement du deuxième programme d'investissements d'avenir, qui seraient responsables de cette hausse puisque, même retraité de ces dépenses, le déficit augmente de 5,5 milliards d'euros par rapport à 2013.

La croissance et l'inflation, plus faibles que prévu, ont affecté fortement l'exécution du budget.

D'une part, les prévisions de recettes ont certainement été calculées de façon trop optimiste. Les recettes totales nettes, après remboursements et dégrèvements d'impôts, ont diminué de 6 milliards d'euros par rapport à 2013. C'est une situation inhabituelle puisqu'il s'agit de la première baisse observée depuis 2009.

D'autre part, les ajustements en dépenses ont été trop tardifs et insuffisants pour contenir le dérapage du solde budgétaire, les dépenses nettes du budget général ayant ainsi augmenté de 4,2 milliards d'euros.

En deuxième lieu, la dette de l'État a continué de progresser à un rythme soutenu en 2014. Elle a, en effet, atteint 1 528 milliards d'euros à la fin de l'année, contre 1 457 milliards d'euros fin 2013, soit une augmentation de 71 milliards d'euros en seulement un an. En conséquence, compte tenu du renouvellement des emprunts arrivant à échéance, l'État a connu un besoin de financement total de 179 milliards d'euros, ce qui représente un montant supérieur aux prévisions.

Le besoin de financement en 2015 devrait atteindre un montant encore plus élevé, avec 188 milliards d'euros, ce qui s'explique notamment par l'arrivée à échéance des emprunts contractés au plus fort de la crise.

La charge de la dette, qui s'est élevée à 43,2 milliards d'euros en 2014, continue de baisser, avec 1,7 milliard d'euros de moins qu'en 2013, grâce à des taux d'intérêt exceptionnellement bas. Toutefois, ces taux d'intérêt nominaux très bas ne garantissent pas la soutenabilité de la dette. En effet, en 2014, la seule stabilisation du poids de la dette dans le produit intérieur brut (PIB) aurait nécessité de limiter le déficit à 11 milliards d'euros, soit un montant sept à huit fois moins élevé que celui constaté (85,6 milliards d'euros).

En outre, il existe un risque que ces taux d'intérêt bas n'agissent comme des anesthésiants, empêchant l'État de prendre les décisions propres à redresser les comptes publics. Le réveil n'en serait que plus douloureux.

En troisième lieu, la Cour des comptes a observé qu'en 2014, les recettes fiscales nettes se sont à nouveau révélées inférieures aux prévisions, avec 274,3 milliards d'euros, soit 9,7 milliards d'euros de moins que prévu. Ce constat s'explique avant tout par plusieurs mesures importantes de diminution des recettes fiscales adoptées par le Parlement.

Ainsi, plusieurs mesures ont réduit le rendement de l'impôt sur le bénéfice des sociétés de 11,3 milliards d'euros, notamment l'entrée en vigueur du crédit d'impôt pour la compétitivité et de l'emploi (CICE), pour un montant de 6 milliards d'euros.

En outre, la réduction de l'impôt sur le revenu issue de la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014 a engendré un coût de 1,3 milliard d'euros.

Par ailleurs, les prévisions de recettes fiscales en loi de finances initiale restent toujours aussi fragiles. En effet, pour la troisième année consécutive, la croissance spontanée des recettes fiscales a été inférieure à la prévision initiale, les hypothèses économiques retenues par le Gouvernement ayant été trop optimistes et l'estimation de l'élasticité des recettes par rapport à la croissance fixée à un niveau trop élevé, puisqu'elle avait été prévue à 1,3 et qu'elle a finalement été constatée à - 0,1. La Cour des comptes formule donc, à nouveau, la recommandation de continuer à renforcer la qualité et la transparence des prévisions de recettes fiscales, même si quelques pas en ce sens ont été réalisés.

La Cour des comptes relève deux points a priori positifs s'agissant des recettes fiscales, pour malgré tout les nuancer.

D'une part, en matière de lutte contre la fraude fiscale, le nouveau service de traitement des déclarations rectificatives a permis d'encaisser 1,7 milliard d'euros, soit 300 millions d'euros de plus que prévu en loi de finances initiale. Cette bonne nouvelle doit toutefois être nuancée puisque ce surcroît de recettes n'a pas permis, contrairement aux prévisions, de compenser le coût de la réduction forfaitaire d'impôt sur le revenu adoptée dans la loi de finances rectificative pour 2014 du 8 août 2014.

D'autre part, s'il est positif, par rapport à la tenue des recettes, que les dépenses fiscales aient été revues à la baisse, en raison du moindre coût du CICE, avec 6,5 milliards d'euros constatés au lieu des 9,8 milliards d'euros prévus, il convient de relever que le montant des dépenses fiscales, hors CICE, avait été revu à la hausse à l'occasion du projet de loi de finances pour 2015. Plus généralement, la Cour constate que la maîtrise des dépenses fiscales reste déficiente, l'évaluation de l'efficience de ces dépenses continuant à relever de l'exception et étant rarement le fait des administrations.

Enfin, en quatrième lieu, les dépenses de l'État ont été stabilisées en 2014, ce qui constitue un progrès même si la Cour des comptes n'obtient pas tout à fait les mêmes résultats que l'exécutif qui constatait pour sa part une baisse des dépenses. Toutefois, cette stabilité a été obtenue au prix parfois d'opérations budgétaires contestables.

D'un point de vue méthodologique, je rappelle que, pour apprécier l'effort réalisé en termes de maîtrise de la dépense, il est nécessaire de raisonner sur des périmètres comparables. Plusieurs retraitements sont donc nécessaires, à l'instar des dépenses exceptionnelles qui doivent en être exclues, telles que les programmes d'investissements d'avenir (PIA) et le financement du mécanisme européen de stabilité et de la Banque européenne d'investissement. De manière symétrique, il faut réintégrer les décaissements réalisés par les opérateurs pour le compte de l'État dans le cadre des PIA.

Si la Cour constate la stabilité des dépenses de l'État entre 2013 et 2014, grâce à une charge de la dette en recul de 1,7 milliard d'euros entre ces deux années, il convient d'être conscient que certains postes de dépenses croissent de nouveau. Ainsi en est-il des dépenses de personnel qui augmentent globalement de 1 %, ce qui reste raisonnable par rapport à certaines hausses constatées par le passé, pour atteindre un montant de 80,6 milliards d'euros. La masse salariale connaît une légère progression en 2014, alors qu'elle avait été stabilisée en 2012 et 2013, et la contribution de l'État employeur au CAS « Pensions » continue, elle aussi, à augmenter de près de 3 %.

Les normes de dépenses, plus strictes, ont été respectées, moyennant toutefois des opérations budgétaires parfois contestables. Ainsi, si le plafond de la norme « 0 valeur » a été abaissé de 3,3 milliards d'euros, ce qui était ambitieux, la définition restrictive du périmètre de cette norme de dépense a conduit à l'exclusion de certaines dépenses, notamment celles issues des décaissements réalisés dans le cadre des PIA, soit 3,3 milliards d'euros.

Le dispositif dérogatoire mis en place pour les PIA a d'ailleurs été largement utilisé pour combler des insuffisances de crédits budgétaires, en particulier au profit du ministère de la défense à hauteur de 2 milliards d'euros.

Ces opérations de débudgétisation et de substitution de crédits dérogent aux principes fondamentaux d'annualité, d'universalité et d'unité budgétaires et peuvent fausser l'appréciation des résultats de l'exécution.

Par ailleurs, comme les années précédentes, la dépense a davantage été contenue par l'effet de la régulation infra annuelle que par des mesures pérennes. La réserve de précaution a ainsi atteint un montant inégalé de 9,3 milliards d'euros alors que la Cour des comptes constate in fine que les annulations, hors charge de la dette, se sont élevées à 4,3 milliards d'euros, soit un montant quasi identique à celui de 2013 (4,4 milliards d'euros). Les reports de charges sur 2015 sont, quant à eux, croissants, comme en atteste l'augmentation de la dette de l'État à l'égard de la sécurité sociale.

S'agissant des conditions de l'exécution du budget de l'État en 2014, la Cour a observé, comme les années précédentes, des sous-budgétisations persistantes, notamment pour les opérations extérieures de la défense, l'hébergement d'urgence, les aides personnelles au logement, l'allocation adulte handicapé (AAH), l'aide médicale d'État (AME) ou encore le revenu de solidarité active (RSA).

Dans ce contexte, la Cour observe plusieurs incertitudes sur l'exécution du budget en 2015, par exemple l'évolution des recettes fiscales, avec la montée en charge du CICE et du pacte de responsabilité et de solidarité. La Cour constate également que la dette de l'État envers les organismes de sécurité sociale augmente, s'élevant ainsi à 368 millions d'euros à la fin de l'année 2014 contre 249 millions d'euros fin 2013. Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques qui sera remis en juin prochain reviendra de façon détaillée et complémentaire sur ces risques, pas seulement pour l'État mais bien sur le périmètre « toutes administrations publiques ».

S'agissant de la performance, la Cour des comptes remarque que la qualité des indicateurs s'améliore mais que les outils d'analyse font toujours défaut. Les résultats des indicateurs de performance devraient être rapprochés des coûts afin d'éclairer au mieux les choix budgétaires. C'est notamment le cas du suivi de la performance des missions prioritaires « Enseignement scolaire » et « Travail et emploi », dont les indicateurs n'ont pas été complétés pour mesurer les effets des moyens supplémentaires attribués.

Avant de conclure cette présentation, je veux évoquer le compte-rendu du suivi des recommandations contenues dans les précédents rapports sur le budget de l'État qui fait l'objet d'un développement détaillé à la fin du rapport.

Ce suivi met en évidence une meilleure mise en oeuvre des recommandations, y compris pour celles formulées dans le rapport sur le budget de l'État en 2013 : en moins d'un an, près de deux tiers d'entre elles ont été totalement ou partiellement mises en oeuvre.

La démarche de la Cour des comptes est donc bien comprise par l'administration : il s'agit à la fois d'un contrôle de l'exécution du budget de l'État et d'un accompagnement dans le sens de son amélioration continue. Je souhaite que ces échanges, positifs pour l'intérêt général, se poursuivent pour les recommandations n'ayant pas encore été mises en oeuvre.

En conclusion, en 2014 comme en 2013, nos travaux mettent en évidence l'intérêt de faire des hypothèses prudentes pour l'appréciation des recettes, notamment fiscales. Nous constatons aussi les limites de la politique du « rabot » qui peut produire des effets pervers sur le fonctionnement de certains services régaliens. Elle illustre aussi l'absence de choix ou de priorités fortes fixés au niveau de l'État.

La soixantaine d'analyses par mission, qui sont jointes au rapport, sont riches en informations. Ainsi, la note portant sur la mission « Défense » détaille la sous-budgétisation ou l'absence de budgétisation de dépenses récurrentes et prévisibles, comme les opérations extérieures ou Louvois. L'analyse de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » conclut à la suppression de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), ce qui constitue une recommandation récurrente de la Cour des comptes. S'agissant de la mission « Justice », la Cour des comptes observe une sous-exécution des crédits accordés, alors même qu'elle est considérée par le Gouvernement comme prioritaire et que, dans le même temps, certaines réformes structurelles, comme la mise en place de la plateforme des interceptions judiciaires, n'ont pas toujours produit les effets escomptés.

En conclusion, lorsque la Cour des comptes a publié son rapport public annuel 2015, son premier message portait sur le décalage observé entre les annonces, les engagements et les résultats réellement obtenus au niveau de beaucoup de politiques publiques, et je sais que c'est une préoccupation que partage votre commission des finances. Qualité du service public ne rime pas forcément avec quantité de dépense publique.

L'examen du projet de loi de règlement constitue probablement la meilleure occasion pour le Parlement de vérifier la mise en oeuvre effective des décisions prises et l'atteinte des objectifs fixés. Par ses travaux, la Cour des comptes souhaite vous apporter son éclairage et contribuer à ce qu'une attention plus grande soit accordée à la performance réelle de l'action publique.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'analyse de la Cour diffère parfois de celle du Gouvernement sur certains points : serait-elle plus objective ?

Certains des problèmes relevés sont récurrents : je pense par exemple aux sous-budgétisations chroniques de certaines missions ou à l'optimisme du Gouvernement quant aux prévisions de recettes fiscales. D'autres éléments, que Didier Migaud vient de souligner, sont nouveaux et extrêmement inquiétants, comme l'interruption de la diminution du déficit de l'État qui entraîne l'augmentation importante de l'encours de la dette. La maîtrise de la dépense, comme la Cour l'indique, a reposé sur des artifices comptables et sur l'augmentation des reports de charge et de la réserve de précaution : en d'autres termes, aucune réforme de structure n'a été entreprise.

Les dépenses de personnel, vous l'avez indiqué, ont augmenté - quoique faiblement - en 2014, à hauteur de 1 %. Pendant plusieurs années, la hausse des crédits de titre 2 a été contenue grâce aux efforts du ministère de la défense, qui a contribué à 80 % aux efforts de réduction de postes pour permettre des créations d'emplois dans d'autres ministères comme celui de l'éducation nationale. Il me semble qu'un sujet d'inquiétude découle du changement de contexte intervenu depuis le début d'année, avec une priorité désormais claire sur les questions de sécurité intérieure et extérieure et de récentes annonces en matière d'emploi militaire. Quels leviers vont-ils subsister pour maîtriser les dépenses de personnel ? Identifiez-vous un risque de dérapage ?

Vous avez souligné le caractère anesthésiant des faibles taux d'intérêt sur la dette souveraine que nous connaissons aujourd'hui. Or on ne peut exclure une remontée des taux. Disposez-vous d'une évaluation de l'impact budgétaire éventuel résultant d'une augmentation des taux d'intérêt de 1 % ?

Ma dernière question concerne la norme de dépenses : le projet de loi de finances pour 2014 prévoyait, à ses articles 25 et 26, que soient transférées aux collectivités territoriales, en remplacement de subventions budgétaires, de nouvelles recettes fiscales. Dès lors que ces affectations n'ont pas pour contrepartie un transfert de compétences, il s'agit bien de remplacer des dotations budgétaires par des ressources fiscales, sans que cela n'ait d'impact sur la dépense. Les montants en jeu sont considérables et s'élèvent au total à plus de 1,7 milliard d'euros. Étrangement, ces dispositifs n'ont pas fait l'objet de mesures de périmètre pour neutraliser leur impact sur la norme de dépenses. Quelle est votre appréciation sur ces transferts de subvention budgétaire à ressource fiscale, non pris en compte dans la norme de dépenses ? S'agit-il, à vos yeux, d'une irrégularité pouvant remettre en cause la sincérité de la norme de dépenses ?

M. Serge Dassault . - Je voudrais vous dire bravo pour votre action, la sincérité de vos propos et votre clairvoyance, qui n'est malheureusement pas partagée par le Gouvernement. Comme vous le montrez, il n'y a actuellement aucune maîtrise des dépenses mais au contraire une permanente augmentation. L'État ne cesse d'inventer des dépenses et des recettes nouvelles, pour faire plaisir aux syndicats ou pour faire de l'action sociale, ce qui apparaît difficile dans le contexte budgétaire tendu que nous connaissons. La prime d'activité en fournit un bon exemple. Concernant le droit d'asile, pourquoi donner de l'argent aux gens qui viennent chez nous ? Qu'ils viennent chez nous, pourquoi pas, s'ils se tiennent bien - mais pourquoi leur donner des revenus ? On ne vend pas de bateau aux Russes pour des raisons politiques et, dans le même temps, on augmente les dépenses. L'aide aux entreprises, c'est très bien, mais là aussi, il s'agit d'augmenter la dépense.

En somme, la dette s'accumule et, si les taux d'intérêt venaient à augmenter, nous serions foutus ! Nous pourrions connaître la cessation de paiement, comme les Grecs. La France est en risque de faillite.

M. Philippe Dallier . - La Cour des comptes a relevé que cet exercice 2014 marquait un coup d'arrêt à la réduction du déficit. Il me semble que l'exercice 2014 est marqué par une seconde caractéristique : jamais l'écart à la prévision n'a été aussi important par rapport à la dernière loi de finances rectificative. L'exécution est souvent analysée au regard de l'écart avec la loi de finances initiale. Je voudrais pour ma part évoquer les deux lois de finances rectificatives qui ont été votées en 2014. La Cour des comptes indique que les ajustements des dépenses aux moins-values de recettes ont d'abord été insuffisants, en première loi de finances rectificative, puis assez largement excessifs lors de la loi de finances rectificative de fin de gestion. Ainsi, les prévisions étaient beaucoup plus noires que le résultat : on annonçait en décembre un déficit de 4,4 % du PIB, qui finalement s'est élevé à 4 % du PIB - c'est mieux, mais cela reste mauvais.

Estimez-vous qu'au-delà d'inévitables difficultés de prévision, d'autres facteurs plus opportunistes ont pu intervenir pour expliquer ce soudain revirement en fin de gestion ? A-t-on essayé de fabriquer une fausse bonne nouvelle ? Il est tout de même surprenant que de telles imprécisions subsistent dans des prévisions associées à une loi votée fin décembre ! Peut-être l'administration de Bercy a-t-elle été en mesure de vous expliquer ces écarts lors de vos échanges ?

S'agissant du logement, comme chaque année - j'ai parfois l'impression de me répéter... - des sous-budgétisations sont manifestes sur les aides personnelles au logement et conduisent notamment à une nouvelle augmentation de la dette de l'État à l'égard du FNAL, pour des sommes désormais considérables. Au total, quel est selon la Cour des comptes le montant des reports de charges qui pèseront directement sur l'exercice 2015 et qui devraient d'ores et déjà être ajoutés aux dépenses prévues en loi de finances initiale ?

M. Vincent Delahaye . - Quand le Gouvernement ou l'opposition bataillent sur les chiffres, l'un comme l'autre peuvent être accusés d'un parti pris : ce n'est pas le cas de la Cour des comptes, et cela contribue à l'intérêt de vos travaux. Ces rapports devraient être connus de tous les Français et constituer la base de leur jugement sur la situation financière et budgétaire du pays.

Les réserves associées à la certification des comptes de l'État perdurent, mais plusieurs améliorations sont identifiées. À quelle échéance peut-on s'attendre à la levée des réserves au vu de la rapidité des progrès constatés ? La France est un des rares pays dont l'État fait certifier ses propres comptes, et cela constitue déjà un gros effort qui doit être reconnu, mais la levée des réserves serait une bonne garantie de la fiabilité des comptes pour le citoyen.

Par ailleurs, je rejoins Philippe Dallier sur les écarts de prévision : je suis effaré par leur ampleur, que ce soit par rapport à la loi de finances initiale ou au regard de la loi de finances rectificative - et ce d'autant plus que celle-ci est préparée et votée en fin d'année. Dans nos collectivités, les prévisions de décembre sont proches du résultat final.

M. Michel Bouvard . - Les analyses de la Cour des comptes me semblent particulièrement intéressantes en ce qu'elles permettent de porter un regard sur des séries et de regarder ce qui s'est passé dans la durée.

J'aimerais connaître votre point de vue sur l'évolution du rapport entre l'actif et le passif de l'État. Sur l'actif de l'État et ses engagements hors bilan, dispose-t-on d'une vision satisfaisante du côté des opérateurs ? Des engagements avaient été pris et des instructions données par le Premier ministre il y a quelques années pour mieux suivre leur parc immobilier et leur endettement : ces travaux ont-ils pleinement porté leurs fruits ?

Par ailleurs, quelle est votre appréciation quant au retour sur investissement des systèmes d'information de l'État ? Leur mise en place a entraîné des coûts. Quand ils ont été déployés, des engagements avaient été pris devant le Parlement : les systèmes d'information devaient permettre des économies en termes de fonctionnement et d'effectifs. Je pense en particulier à Chorus. Qu'en est-il réellement ?

S'agissant de l'exécution 2014, vous évoquez la démarche de performance. C'est un sujet qui appelle à l'humilité, car il a traversé plusieurs années et plusieurs majorités... Avez-vous constaté une amélioration de la procédure budgétaire en matière de performance ? Les conférences budgétaires et les conférences de performance sont-elles enfin conjointes, ou restent-elles différenciées ?

Concernant les sous-budgétisations chroniques sur les OPEX, l'aide médicale d'État (AME), l'hébergement d'urgence, j'aimerais savoir si elles ont tendance à se réduire ou au contraire à augmenter. Le Gouvernement tend-il vers plus de sincérité ou bien laisse-t-on « filer » la dépense ?

M. Didier Guillaume . - Entendre la Cour des comptes présenter ses observations présente l'avantage de placer chacun devant ses responsabilités. Depuis des années, ses analyses sont globalement les mêmes, qu'elles visent d'ailleurs un gouvernement de gauche ou un gouvernement de droite. Quelle que soit la politique conduite, l'objectif reste de réduire les déficits, la dette et les impôts tout en conservant notre modèle républicain. Cette double contrainte ne facilite pas le respect des observations de la Cour des comptes. On souhaite maintenir ou augmenter le budget de la défense, celui de la justice, celui de la police, celui de l'éducation nationale : ce sont des choix politiques. De même, je suis d'accord avec François Baroin qui s'exprimait à la radio ce matin : il faut être vigilant concernant les dotations aux collectivités territoriales.

S'agissant des dépenses de personnel, une hausse de 1 % en 2014 doit être considérée comme un exploit. C'est impossible de faire mieux à moins de réduire soit les rémunérations soit, de manière forte, les effectifs de fonctionnaires. Nous connaissons bien les contraintes liées aux dépenses de personnel dans les collectivités territoriales : y sont transférées des compétences croissantes en matière de routes, de revenu de solidarité active, de handicap, mais sans adjoindre à ces nouvelles compétences les dotations et les effectifs nécessaires. Ces collectivités sont ensuite pointées du doigt car leurs dépenses augmentent, mais comment pourraient-elles faire autrement ?

Vous avez dit que les taux d'intérêt bas jouaient un rôle anesthésiant et que les écarts favorables dans les prévisions pouvaient conduire à nous contenter de la situation. Personne dans cette commission ne s'en contente. Nous avons la volonté d'avancer. Les performances de l'État vont-elles, selon vous, s'améliorer, compte tenu des orientations budgétaires prises ? Le pire serait que les choses n'avancent pas en termes d'efficacité économique. On ne peut pas laisser le pays dans cet état. Il n'est pas certain qu'une amélioration de la situation économique ait des effets positifs sur les finances publiques mais le citoyen, lui, en bénéficierait.

M. Richard Yung . - Je relève un paradoxe : les outils d'évaluation et de mesure s'améliorent, avec la création du Haut Conseil des finances publiques ou la certification des comptes de l'État. Mais cela ne suffit pas à éviter de traditionnelles querelles sur les chiffres, comme le montre votre dernier rapport. En dépit de cela, et c'est positif, vous avez certifié les comptes de l'État, certes avec cinq réserves substantielles mais qui évoluent à la baisse. Cela montre que les gouvernements, l'actuel mais pas seulement, tiennent compte de vos réserves pour améliorer la gestion publique.

Les systèmes d'information de l'État ne fonctionnent pas correctement, comme en témoigne l'une des réserves. Je pense à l'exemple des applications de gestion du ministère des affaires étrangères, que je connais bien : soit les outils sont développés en interne par l'administration qui n'est pas équipée pour le faire, soit ils sont confiés à des prestataires extérieurs et les résultats ne sont bien souvent pas meilleurs. Comment doter l'État de systèmes d'information rationnels et qui fonctionnent de manière satisfaisante ?

La réserve de précaution et les « rabots » me choquent profondément. Nous discutons savamment, chaque année, pendant trois semaines, d'un projet de loi de finances qui n'a pas de portée réelle à ce sujet : les réserves sont fixées à un taux de plus en plus important et sont souvent annulées. La Cour des comptes ne devrait-elle pas proposer des recommandations afin d'éviter ce mode de gestion qui, certes, vise à faire des économies mais qui place les administrations dans des situations difficiles ?

Le déficit structurel a été ramené à 2,1 %, soit le niveau le plus bas jamais enregistré depuis l'an 2000. Nous nous souvenons des critiques formulées devant notre commission par le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis, ancien Premier ministre letton, qui disait avoir amélioré la situation de son pays en réduisant les salaires de 20 %. Qui osera baisser les salaires en France ? Nathalie Kosciusko-Morizet demande une baisse de 100 milliards d'euros d'impôts dès l'année prochaine, ce qui laisse admiratif. La Cour des comptes peut-elle nous dire si nous atteindrons l'objectif de 0 % de solde structurel en 2017 ?

M. Bernard Lalande . - Je souhaite faire part de mon étonnement devant les cinq réserves substantielles émises par la Cour des comptes. Deux en particulier me surprennent : la réserve relative à la comptabilisation des produits régaliens, dont on pourrait imaginer qu'ils font l'objet d'un suivi attentif, ainsi que celle ayant trait aux immobilisations financières. L'évaluation de ces dernières repose largement sur des données extérieures à l'État, telles que celles de grandes entreprises publiques comme EDF, GDF ou encore la Banque de France. Les informations fournies par ces entités ne sont-elles pas fiables ?

Mme Michèle André , présidente . - Nous constatons dans nos activités de contrôle le maintien de difficultés liées au progiciel Chorus. Comment améliorer la fiabilité de cet outil et son utilisation ?

Par ailleurs, les engagements hors bilan restent insuffisamment évalués. Un rapport de la Cour des comptes demandé par notre commission a donné lieu à la formulation de recommandations en mai 2013 : des progrès ont-ils, selon vous, été accomplis depuis et quelles faiblesses subsistent-elles ?

En outre, nous partageons avec vous une certaine réserve quant aux débudgétisations que constituent ces investissements d'avenir. Un troisième programme est annoncé à l'horizon 2017, appelé de ses voeux par Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement. Quelles caractéristiques ce « PIA 3 » devra-t-il présenter pour ne pas encourir les mêmes critiques que celles que vous avez adressées au « PIA 2 » ?

M. Didier Migaud . - Merci Madame la Présidente, je vais m'attacher à répondre à vos nombreuses questions et le président Raoul Briet, qui m'accompagne, pourra vous fournir des précisions complémentaires.

Tout d'abord, il est utile de préciser que la certification des comptes de l'État et le contrôle de l'exécution des comptes de l'État sont deux exercices qui ont des logiques et des finalités différentes. La France n'est pas le seul pays en Europe à certifier ses comptes, le Royaume-Uni aussi, et il me semble qu'il a d'ailleurs formulé six réserves sur le dernier exercice. Aux États-Unis, la certification existe mais ils s'estiment dans l'incapacité de certifier leurs comptes, en raison principalement du budget du Pentagone... En ce qui concerne l'Allemagne, elle ne pratique pas la certification, mais il est vrai que ses comptes sont plus robustes et que la nécessité de maîtrise de la dépense y fait davantage consensus !

Il y a tout de même des progrès réalisés depuis quelques années, puisque la Cour des comptes ne formule plus que cinq réserves contre treize lors de la première certification.

S'agissant des systèmes d'information, vous avez été plusieurs à vous interroger sur Chorus. Le basculement sur Chorus est plutôt globalement positif : la difficulté principale réside dans le fait que les administrations ont du mal à utiliser toutes les potentialités du logiciel. Il faudrait donc investir davantage, tout en étant attentif à l'efficacité des investissements réalisés. La question des relations avec d'autres systèmes d'information existant devra du reste aussi être examinée. Il est vrai, en tout cas, que des problèmes se posent, notamment en ce qui concerne l'évaluation des immobilisations financières que nous avons toujours du mal à identifier correctement.

Plusieurs de vos questions seront développées dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, notamment les risques qui pèsent sur l'exercice 2015 mais aussi l'impact budgétaire des taux. À l'évidence, une augmentation des taux a une incidence budgétaire, même si elle n'est pas immédiatement perceptible du fait de l'échelonnement de différentes durées ou échéances. Mais nous avions déjà calculé qu'une augmentation des taux de 100 points de base aurait un impact de 2,5 milliards d'euros sur le budget de l'État, ce qui n'est pas rien.

En ce qui concerne les collectivités territoriales, nous aurons l'occasion d'aborder ce sujet plus précisément en juin et en octobre dans le rapport sur la situation des finances locales. Ce que nous constatons en 2014, c'est que les transferts de l'État en direction des collectivités territoriales n'ont pas diminué et ont même légèrement augmenté, contrairement à ce que l'on entend !

M. Didier Guillaume . - Exactement.

M. Didier Migaud . - Vous le savez en 2014, la réduction des dotations aux collectivités territoriales a représenté 1,5 milliard d'euros mais elle a été, de différentes façons, plus que largement compensée. En 2015, la situation sera peut-être différente.

S'agissant de l'efficacité de l'action publique, vous êtres plusieurs à partager les préoccupations de la Cour des comptes sur la démarche de la performance. Bien évidemment, je le dis à nouveau, la Cour des comptes n'a pas à juger l'opportunité des choix politiques, qui vous appartiennent en tant qu'élus, mais il nous revient d'apprécier l'écart entre les engagements pris et la réalité. La France a fait le choix d'un redressement des comptes publics progressif, plus lent que certains pays, et s'il ne nous appartient pas de commenter cette décision politique, nous devons, en revanche, vérifier si la trajectoire fixée est respectée. On a pu constater par le passé que la France a rarement respecté ses objectifs, presque jamais pourrais-je dire !

L'équilibre structurel dont a parlé Richard Yung n'est plus un objectif pour 2017 : il a été reporté en 2019. Le respect de ces engagements tiendra beaucoup à la capacité de la France à maîtriser ses dépenses. C'est le sujet fondamental et il rejoint vos interrogations sur l'efficience et l'efficacité de l'action publique. Par rapport à la plupart des autres pays, nous sommes bien obligés de constater que la France consacre davantage de moyens à la mise en oeuvre de ses politiques publiques pour de moindres résultats.

Sur les dépenses de personnel, là encore, nous raisonnons sur les engagements pris et l'on observe de légers dépassements. Il est vrai que lorsque nous prenons en compte le temps long, ces dépenses ont été contenues mais si l'on veut respecter les engagements, il faudra aller au-delà, ou mettre en place des redéploiements et se poser la question des effectifs dans la fonction publique.

Vous avez évoqué les conférences budgétaires, les conférences de performance, les conférences fiscales... Mais il n'y a aucune coordination entre ces différentes conférences. On voit bien que la démarche de performance imprègne insuffisamment les administrations publiques françaises, d'où le rôle essentiel de contrôle que doit jouer le Parlement, aussi bien en matière de dépenses (y compris fiscales) que de recettes. Leurs niveaux dépendent certes des décisions que vous prenez, mais aussi d'un certain nombre de facteurs comme le calcul de l'élasticité ou les hypothèses de croissance. L'an dernier, on a constaté davantage de prudence dans les hypothèses économiques, que par le passé. Vraisemblablement, la loi de finances initiale avait été construite sur des hypothèses très optimistes, et les ajustements opérés par la première loi de finances rectificative n'ont pas été suffisants, nonobstant les remarques de la Cour des comptes. La deuxième loi de finances rectificative a, en revanche, mis en place des ajustements que je qualifierais d'excessivement prudents. Pourtant, au moment de l'examen du collectif de fin d'année, nous disposons déjà d'éléments suffisamment précis pour apprécier la réalité, sinon des recettes, avec un bémol pour l'impôt sur les sociétés ou la TVA, au moins de la dépense.

Les sous-budgétisations sont, comme nombre d'entre vous l'ont souligné, récurrentes. En ce qui concerne les dépenses liées aux opérations extérieures (OPEX), c'est en 2012 que l'écart entre prévisions et exécution était le plus faible, mais l'amélioration ne s'est pas poursuivie. Il faut noter que le décalage entre la budgétisation et les besoins réels est parfois voulu, car il permet de porter une certaine pression sur les gestionnaires. Les reports de charges suscitent évidemment de l'inquiétude : des risques réels pèsent sur l'exécution 2015.

Les investissements d'avenir sont un des principaux sujets de discussion entre la Cour et le Gouvernement. Ils étaient initialement conçus comme tout à fait exceptionnels, ce qui pouvait justifier un traitement budgétaire dérogatoire. Mais nous savons désormais que les programmes d'investissement d'avenir se suivent, comme certaines séries télévisées américaines ou françaises qui peuvent connaître de longs développements : plus la série s'allonge, plus les investissements d'avenir deviennent ordinaires, et plus leur traitement budgétaire différencié posera problème. Est-il impossible de financer des investissements d'avenir sur le budget de l'État ? S'il s'agit de les préserver de la régulation budgétaire, la sortie du budget n'est pas nécessaire : l'État peut changer ses propres règles de régulation et décider qu'elles ne s'appliquent pas aux dépenses d'investissement ! Si la débudgétisation des PIA se justifie par le fait que les règles relatives au budget de l'État ne sont pas efficaces, changeons ces règles ! La débudgétisation des PIA produit des effets très pervers, en particulier du point de vue du contrôle parlementaire et votre réaction devrait être vigoureuse...

Mme Michèle André , présidente . - Et elle l'a été depuis l'origine !

M. Didier Migaud . - La Cour des comptes mène actuellement des travaux sur les investissements d'avenir, qui devraient être publiés avant la fin de l'année. Il apparaît que le PIA sert parfois de moyen de substitution pour pallier le manque de crédits budgétaires.

J'espère avoir répondu à vos questions.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - J'aimerais revenir sur mes interrogations relatives à la prise en compte, dans la norme de dépenses, du transfert de recettes fiscales aux collectivités locales intervenu en projet de loi de finances pour 2014. N'est-il pas surprenant que ce transfert n'ait pas été pris en compte dans la norme de dépenses ?

M. Didier Migaud . - Ces transferts altèrent le suivi et la lisibilité de l'évolution des dépenses. Ils sont, pour nous, une source de préoccupation.

M. Serge Dassault . - Quel est votre sentiment sur le danger de l'augmentation des taux d'intérêt, compte tenu du fait que la politique française n'est pas conforme aux orientations données par Bruxelles ?

M. Didier Migaud . - Bruxelles semble avoir validé le programme national de réforme français. Dans notre rapport de juin sur la situation et les perspectives des finances publiques, nous essaierons de chiffrer le risque associé à une remontée des taux. La politique menée par la BCE laisse espérer une relative stabilité financière, mais l'augmentation des taux de moyen et court terme ces derniers mois incite à la prudence. L'incertitude sur les évolutions du marché financier renforce la nécessité, pour le Gouvernement, de respecter les engagements pris en matière de redressement des comptes publics.

M. Raoul Briet . - Concernant vos interrogations sur les dépenses de personnel, j'attire votre attention sur le fait que la Cour a entrepris, à la demande de la commission des finances, une étude sur la masse salariale de l'État : nous pourrons certainement vous apporter des éléments détaillés à cette occasion.

M. Didier Migaud . - Sur ce sujet, il est d'ailleurs intéressant de noter que si les effectifs du ministère de la défense ont connu une évolution très négative, point auquel la commission des finances accorde beaucoup d'intérêt, la masse salariale n'a pas, quant à elle, décru dans les mêmes proportions.

M. Raoul Briet . - S'agissant des erreurs d'estimation sur les prévisions fiscales, celles-ci découlent au moins pour partie de difficultés techniques évidentes : l'appréciation de l'élasticité n'est pas une science exacte. Notre souhait est celui d'une plus grande transparence, à la fois ex ante et ex post . Des progrès ont été réalisés avec la présentation des hypothèses de prévision dans l'annexe « Voies et Moyens » annexée au projet de loi de finances pour 2015, mais il est possible d'aller plus loin.

Quant à la perspective d'une levée des réserves, toutes ne sont pas dans la même situation : trois réserves sont « dures », systémiques et font l'objet d'une démarche d'amélioration programmée, qui prendra du temps. Deux autres (les réserves 4 et 5) ont vocation à être levées si l'administration déploie toute l'énergie souhaitable pour y parvenir. 10 % des constats d'audit ont été levés sur les comptes 2014, tandis que d'autres apparaissent : il ne s'agit pas d'un stock fini qu'il faudrait petit à petit écouler.

La réserve sur les produits régaliens, sur laquelle certains d'entre vous se sont interrogés, est liée à la nécessité de prendre en compte les droits constatés dans la comptabilité générale. Or la direction du budget n'est pas outillée pour cela et la chaîne d'information devra sensiblement évoluer pour que cette réserve puisse être levée.

M. Raoul Briet . - Les difficultés rencontrées au cours de la certification des produits régaliens résident principalement dans le fait que l'administration peine à les comptabiliser en droits constatés car les chaînes d'information de Bercy ne sont pas adaptées à cette logique comptable. Ces réserves, qui sont lourdes, prendront du temps pour être levées.

Sur Chorus, la bascule a demandé beaucoup d'efforts financiers de la part des administrations mais on a le sentiment qu'aujourd'hui on se satisfait d'un certain statu quo . Il serait souhaitable que l'on essaie de tirer le meilleur parti de cet investissement initial lourd en réfléchissant aux améliorations possibles, c'est-à-dire la modernisation et la fiabilisation des chaînes d'informations mais surtout de meilleurs retours pour les gestionnaires. C'est d'ailleurs l'objet du rapport que nous préparons sur le bilan de la mise en place de la comptabilité générale de l'État.

Sur les opérateurs, pour répondre à Michel Bouvard, il y a, en effet, dans les entités contrôlées par l'État, des réserves importantes sur les valorisations immobilières, c'est un point de faiblesse récurrent chez la plupart des opérateurs. S'agissant du hors bilan des opérateurs, il n'est pas recensé dans la comptabilité générale de l'État, il reste donc de nombreuses améliorations potentielles.

Sur les immobilisations financières, il est important de savoir que, lorsque des commissaires aux comptes émettent des réserves voire refusent de certifier les comptes d'entités contrôlées par l'État, cela rejaillit automatiquement sur l'écriture du compte général de l'État qui retrace la valorisation de ses participations financières.

Enfin, pour répondre à la présidente, toujours au sujet du hors bilan, nous avons remis un rapport il y a deux ans dans lequel nous formulions douze recommandations. Une a été totalement mise en oeuvre fin 2014, cinq le sont aujourd'hui partiellement. Il reste des progrès à accomplir et nous y veillerons année après année.

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