EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 septembre 2015 sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Robert del Picchia et du texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 695 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement.

Après l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je vous remercie pour ce travail de haute technicité et diplomatie.

M. Christian Cambon. - Je remercie à mon tour M. del Picchia pour ce travail approfondi sur un sujet complexe. Ce dossier suscite toutefois un certain nombre d'interrogations.

Il illustre tout d'abord l'état des relations franco-russes. C'est à mon sens une grave erreur que de ne pas considérer la Russie comme un interlocuteur obligé, quelle qu'ait été son attitude en Ukraine, pour le règlement des situations diplomatiques difficiles et des crises, en Syrie et ailleurs. Pour une fois, le sujet ne fait pas consensus - une rareté dans le domaine de la politique étrangère. Les rapports avec la Russie ont toujours été considérés comme un élément essentiel de notre diplomatie. Nous avons rencontré ici un accroc qui a de graves conséquences économiques, notamment dans le domaine agro-alimentaire. Des millions de têtes de porcs, des stocks de pommes qui trouvaient auparavant un débouché dans le marché russe nous restent désormais sur les bras. Vu le retentissement sur toute l'économie nationale, en plein crise des éleveurs, cela en valait-il la peine ?

Notre ministre de la Défense a multiplié les contrats de ventes d'armes. Or les acheteurs potentiels se demanderont désormais si la France leur appliquera les mêmes principes qu'à la Russie. Nous devons être conscients de ce que l'usage de nos armements a toujours des conséquences, parfois sur des civils. L'Égypte ne nous a pas acheté des Rafale uniquement pour les défilés au-dessus du canal de Suez...

Enfin, vous avez mentionné les incertitudes liées à l'hypothétique revente des BPC. La technologie de ces bateaux étant adaptée aux besoins des Russes, il faudra les réadapter. Dans ces conditions, le futur client fera baisser le prix, d'autant que la France est quelque peu prise à la gorge ; la Marine française n'a d'ailleurs pas exprimé le désir de les acheter. Nous risquons également de vendre à des pays désargentés. L'Égypte est-elle déjà en mesure de payer les Rafale ? Quand on est vendeur d'armes, on assume !

En somme, en dépit d'un arrangement commercial bien négocié par Louis Gautier et son équipe, de nombreuses incertitudes demeurent. Mon groupe n'a pas encore délibéré sur la question. Pour l'heure, je m'abstiendrai, en raison des implications très lourdes de la décision de ne pas honorer la vente, et de notre attitude face à un pays dont nous avons besoin pour le règlement des conflits qui perturbent la paix dans le monde. Je suis persuadé que nous ne jouons pas la bonne carte !

M. Daniel Reiner. - Je partage l'avis de M. Cambon quant au caractère difficile de cette affaire, que j'avais qualifiée, lors de l'audition de M. Gautier, de « malheureuse ». J'estime en revanche qu'il fallait nous ôter cette épine du pied afin de retrouver des relations franches et ouvertes avec la Russie. Avoir réglé cette affaire au mieux - ou le moins mal possible - m'apparaît comme un élément positif. En témoigne l'excellent climat des négociations. La Russie semble satisfaite de la solution, puisqu'elle obtient le remboursement de ses dépenses.

Rappelons que la vente de ces navires avait rencontré de très fortes réserves des deux côtés. Les partisans de la transaction dans l'administration russe, notamment le chef d'état-major de la marine et le ministre, ont été limogés. L'état-major français n'y était pas très favorable, un an après la guerre russo-géorgienne, d'autant que le chef d'état-major russe avait déclaré que la guerre aurait été menée plus efficacement si la Russie avait disposé de ces bateaux à l'époque ! C'était une affaire de nature essentiellement commerciale, alors que les chantiers de Saint-Nazaire avaient grand besoin de commandes.

Nous voilà libérés de cette affaire. Il fallait obtenir de la Russie qu'elle n'empêche pas la revente des BPC, c'est le cas. Il est vrai que ces navires seront difficiles à vendre au même prix que nous avions obtenu des Russes, mais nous y parviendrons car ce sont de bons bateaux, même si le budget de l'État en pâtira. Nous veillerons à ce que le programme 146 n'en fasse pas les frais et vérifierons qu'il est abondé, dans le collectif de fin d'année, des sommes avancées.

Au moment de livrer les bateaux, nous avons subi d'importantes pressions des pays d'Europe orientale, sans parler des pays baltes, dans le cadre de l'assemblée parlementaire de l'OTAN. Après l'annexion de la Crimée, il n'était plus possible de traiter cette transaction sous un angle purement commercial.

Quant à l'argument des pertes à l'exportation, nous venons de vendre des hélicoptères à la Pologne.

M. Robert del Picchia, rapporteur. - La Pologne avait en effet menacé d'interrompre les négociations, qui portaient sur cinquante hélicoptères Caracal pour un montant de 2,5 milliards d'euros, si nous livrions les bateaux.

M. Daniel Reiner. - En 2014 et en 2015, nous n'avons eu aucune retombée négative. Notre groupe votera en faveur de ces accords.

M. Alain Joyandet. - Sur le fond, je partage entièrement l'avis de M. Cambon. Ne refaisons pas l'histoire : l'affaire a été négociée à des conditions particulièrement avantageuses grâce à la relation de confiance que nous entretenions avec la Russie. C'était une opération gagnant-gagnant. J'observe également que les Russes étaient de très bons clients, puisqu'ils avaient payé la quasi-totalité de la commande au moment de l'annulation.

Dans cette affaire, il y a trois parties : la Russie, la France et l'entreprise DCNS. Côté russe, on est satisfait : au fond, ils n'ont pas besoin de ces bateaux et pourront utiliser plus opportunément l'argent qui leur est remboursé. Côté français, c'est une erreur stratégique. Le Président de la République semble préparer, petit à petit, un changement d'orientation de notre politique étrangère, car nous avons besoin de la Russie en Syrie. Pour ma part, je reste convaincu que si nous n'avions pas agi dans la précipitation, nous n'aurions peut-être pas bloqué la vente.

Au point de vue juridique, qui est le propriétaire actuel des navires ? En d'autres termes, qui constatera la perte si nous les vendons à un prix inférieur ? Le programme budgétaire, l'entreprise, la Coface ? Je crains qu'en dernière instance l'État ne paie la note. De son côté, l'entreprise perd la marge associée au contrat ; or toutes les entreprises qui travaillent sans dégager de marge finissent par déposer le bilan.

En somme, l'affaire a été gérée en dépit du bon sens ; je ne vise aucunement M. Louis Gautier, qui a bien mené les négociations sur la base d'une mauvaise décision du chef de l'État. Le préjudice est important, non pour nos relations avec la Russie - l'opération a été isolée des autres dossiers en cours - mais pour notre pays et pour l'entreprise.

Sur la forme, nous avons agi dans la précipitation. Je ne reviens pas sur la pratique, désormais courante, qui consiste à demander l'avis du Parlement sur un accord déjà conclu, mais la décision a été prise sans en évaluer les conséquences financières et diplomatiques.

Enfin, je tiens à féliciter le rapporteur pour un exercice difficile. Notre groupe n'a pas encore arrêté sa position ; pour ma part, je m'abstiendrai moi aussi, sans préjuger de mon vote en séance.

M. Robert del Picchia, rapporteur. - La Coface est actuellement l'usufruitière des bateaux, dont la pleine propriété appartient à DCNS. La Coface donnera un mandat commercial à la compagnie pour la négociation et la conclusion du futur contrat de vente. Le produit de cette vente ira directement sur la partie État du compte de la Coface, et reviendra au budget de l'État dans le cadre du prélèvement opéré en fin d'année.

Concernant notre crédibilité, l'exemple du contrat avec la Pologne a été évoqué ; il y en a d'autres. Nous continuons à vendre, plutôt bien...

M. Daniel Reiner. - Plus que jamais ! On peut ne pas en être fiers.

M. Alain Néri. - Il importait de sortir au plus vite de cette épineuse situation. Sur le plan mondial, la Russie est certes un partenaire incontournable, et la France est au premier plan dans les crises dont celle-ci est partie prenante : nous avons ainsi été parmi les nations pilotes de la négociation de Minsk, dans le format Normandie, qui a traité du conflit ukrainien. L'accord conclu ne me semble pas si mauvais, au vu des implications diplomatiques et économiques de la situation. En revanche, il représente un coût réel ; or les sanctions ont été prises à l'initiative de l'Union européenne, n'en déplaise à M. Joyandet. Elles ont de graves conséquences sur le secteur agro-alimentaire, sur nos agriculteurs, sur nos régions. La solidarité ne doit pas être à sens unique. En Auvergne, on a coutume de dire que qui paie commande, et qui commande paie.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Ailleurs aussi !

M. Alain Néri . - Il faut poser le problème de façon générale. Dans un contexte mondial troublé, nous sommes particulièrement engagés. Les Opex nous coûtent 1,6 milliard d'euros par an ; Sentinelle - conséquence indirecte de notre lutte contre Daesh -, 1 million d'euros par jour. Je voterai en faveur de ce rapport, mais je souhaite que nous demandions à l'Union européenne de mettre enfin la main au portefeuille et d'assumer les conséquences des décisions qu'elle nous impose.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - L'annulation de la vente n'est pas liée aux sanctions contre la Russie ; c'est une décision éthique, prise en toute indépendance. Cependant, il est vrai que le peu de considération que l'Union européenne porte à nos efforts militaires - y compris pour la défense de l'Europe - est douloureux.

M. Jean-Pierre Grand . - L'essentiel, ce ne sont pas les chiffres ; c'est le fait que nous ne respectons pas notre signature. Rien ne nous obligeait à prendre une telle décision ; J'ai eu l'occasion de dire à la tribune de l'Assemblée nationale combien notre retour au sein du commandement intégré de l'Otan m'était désagréable. Notre politique étrangère est désormais dirigée par les Américains. Voilà le véritable sujet ; le reste n'est que littérature. L'impact de l'embargo russe sur notre production agricole doit également être évalué : de nouvelles habitudes vont se prendre, nous allons disparaître durablement du marché de l'exportation.

Nous devons retrouver notre souveraineté. C'est pourquoi je demande un véritable débat sur l'opportunité pour nous de rester membre de l'Otan.

M. Joël Guerriau. - Le vote négatif est exclu, car il convient avant tout de nous extraire d'une situation difficile. Le choix est entre l'abstention et le vote positif, après l'excellent exposé de notre rapporteur.

Moi qui représente la Loire-Atlantique, j'ignore les conséquences de l'affaire sur l'employabilité et les contrats futurs pour DCNS ; il demeure que DCNS ne fabrique pas d'hélicoptères. Nous avons subi des pressions pour annuler la vente des Mistral, mais qu'avons-nous obtenu en contrepartie ? Quel soutien de la part de nos partenaires européens ? DCNS récupère le prix de revient de leur fabrication, mais il faut ajouter les coûts de dérussification du bâtiment, d'entretien, de gardiennage, qui seront supportés par l'État. A priori, mon groupe s'abstiendra.

M. Robert del Picchia, rapporteur. - Certes, DCNS n'en tirera pas le profit escompté ; cependant, ce contrat lui a donné du travail pendant trois ans. La marge du fabricant n'est pas publique, mais elle était probablement élevée. Même si la vente se fait à un moindre prix, l'entreprise n'aura pas tout perdu.

Mme Josette Durrieu. - Dans le rapport sur les relations franco-russes que MM. Gorce et del Picchia et moi-même allons bientôt présenter, nous réaffirmons avec force que la Russie doit être un partenaire privilégié de la France et de l'Europe. Je suis quelque peu surprise de certains des arguments avancés.

L'accord a été négocié avec Dimitri Rogozine, un dur entre les durs ! Il satisfait Vladimir Poutine et ne mécontente pas la France. C'est bien qu'il s'agit d'un bon accord.

La Russie est-elle un partenaire obligé, quoi qu'elle fasse ? Non. Quant aux sanctions, au-delà des arguments économiques, elles sont la seule arme légitime. Jamais nous ne serons un partenaire valable de la Russie si nous faisons preuve de faiblesse. Les ventes d'armes ont, elles aussi, une dimension politique. À l'époque, la vente des Mistral - qui arrivait après la guerre russo-géorgienne - relevait avant tout d'un arrangement politique. De même, la rupture est intervenue pendant les événements d'Ukraine.

Sur la question de la revente, évitons les procès a priori. Même si l'Arabie saoudite est derrière l'Égypte pour l'achat des Rafale, il est opportun que ces deux puissances s'impliquent davantage sur le terrain dans un Moyen-Orient en pleine implosion.

La conclusion de notre rapport appellera à un partenariat renouvelé avec la Russie en revenant aux dispositions des accords d'Helsinki de 1975, d'après lesquelles toute modification de frontière ne saurait être actée que par la négociation.

M. Robert del Picchia, rapporteur. - Vaste débat.

M. Gaëtan Gorce. - Ayant de la sympathie pour MM. Cambon et Joyandet, j'éprouve un vif embarras devant les arguments qu'ils se voient contraints d'avancer. Il faut prendre en compte notre intérêt global. L'accord de vente des Mistral était, dit M. Joyandet, particulièrement avantageux. Pourquoi ? La Russie n'a pas vocation de mécène. Il faut se poser la question des contreparties obtenues, ce qui peut être délicat pour notre diplomatie ...

Difficile de contester les avantages de cet accord, compte tenu de la situation : nous revenons à un climat plus serein, nous reprenons la main sur les bateaux que nous pourrons revendre et nous avons obtenu de bonnes conditions financières. Quant à l'opportunité de la livraison, je rappelle que les tensions liées au conflit ukrainien atteignaient leur paroxysme au moment où la décision fut prise.

De manière générale, nous avons pris ces décisions successives - vendre, ne pas vendre - au cas par cas, or il faut mettre en perspective nos relations avec la Russie, partenaire sinon obligé du moins incontournable. La France ne peut pas tout accepter : pour moi, la livraison des Mistral était inenvisageable. En vendant les Mistral, nous n'avons pas suffisamment anticipé le tour que prendrait la politique extérieure russe, avec l'invasion de la Crimée et le conflit ukrainien. Une réflexion stratégique s'impose.

M. Jean-Marie Bockel. - Je n'ai rien à ajouter aux propos échangés. N'ayant pas de machine à remonter le temps, nous sommes contraints d'agir au mieux de nos possibilités. Je m'abstiendrai.

M. Jeanny Lorgeoux. - Notre politique étrangère ne doit pas davantage s'aligner sur le Kremlin que sur Washington ! La Russie doit être partie prenante de toutes les discussions, notamment en Syrie ; cela ne veut pas dire que nous ne pouvons promouvoir une solution politique reposant sur le départ de Bachar el-Assad. L'alliance franco-russe chère au général de Gaulle n'empêche pas les divergences. Pour ma part, je considère cet accord comme un acte d'indépendance de la France.

M. Claude Malhuret. - Je remercie M. del Picchia pour son travail sur ce sujet difficile, qui a suscité des interventions très critiques de ce côté de la table. Pour ma part, je suis favorable à cet accord. L'argument de notre manque de fiabilité commerciale ne tient pas, puisque nous n'avons jamais autant vendu. Quant au supposé suivisme vis-à-vis des Américains, je rappelle que les pressions ne venaient pas tant d'eux mais de nos voisins allemands et surtout des pays d'Europe centrale - on ne prend pas toujours au sérieux les craintes de ceux-ci, mais je comprends l'agitation des Etats Baltes, après cinquante ans de férule soviétique, lorsque les autorités russes mettent en doute la légalité de leur indépendance... Et que diraient les Ukrainiens s'ils retrouvaient nos Mistral en face de Marioupol ?

Sur le fond, j'ai le sentiment que la Russie ressemble de plus en plus à l'ancienne URSS. Or je suis frappé de la tolérance, voire de la sympathie que peut susciter chez certains, même au sein de partis démocratiques comme les nôtres, un dictateur comme Vladimir Poutine, qui conduit son pays dans l'impasse économique, qui à force de gaspiller les richesses de son pays, est en train de le transformer en un nouveau Nigeria...

Un bref rappel de ce qui se passe en Russie depuis dix ans : intervention militaire en Géorgie ; soutien aux sécessions de l'Ossétie du Sud, de l'Abkhazie, du Nagorno-Karabakh, de la Transnistrie ; annexion de la Crimée ; invasion ouverte de l'est de l'Ukraine ; pressions sur la Moldavie et les pays baltes ; violation des espaces aériens norvégien, finlandais, portugais ; envoi de sous-marins dans les eaux territoriales suédoises, de navires de guerre dans les Caraïbes ; menaces contre des navires danois ; affirmation publique que l'utilisation d'armes nucléaires tactiques a été envisagée ; hausse de 30 % du budget militaire ; dénonciation maladive de l'Otan, propagande anti-occidentale et chasse aux ONG de défense des droits de l'homme ; destruction du Boeing de Malaysia Airlines ; emprisonnement d'Alexeï Navalny et de tant d'autres ; exil forcé de Mikhaïl Khodorkovski, de Garry Kasparov et de tant d'autres ; assassinats d'Anna Politkovskaïa, d'Alexandre Litvinenko, de Stanislas Markelov, d'Anastasia Babourova, de Sergeï Magnitski, de Boris Berezovski, de Boris Nemtsov... Je ne parle même pas des récentes élections régionales, à la soviétique, où l'opposition n'a pu présenter plus d'un candidat par circonscription. La Russie de Poutine devient un pays néo-impérialiste, paranoïaque et dangereux.

M. Cambon a raison de dire que la Russie est un interlocuteur obligé, mais c'est aussi un interlocuteur en lequel nous ne pouvons avoir confiance, et avec lequel nous devons discuter en position de force et d'indépendance.

Enfin, aux arguments commerciaux j'oppose ces propos du général de Gaulle : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ».

Je voterai en faveur du rapport.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Le débat est passionnant. Nous avons besoin d'une réflexion renouvelée sur la question des relations avec la Russie. Vous évoquez une absence de confiance ; je vous réponds que la politique étrangère, c'est tout sauf de la confiance ! Même nos alliés, ceux qui ont débarqué en Normandie pour nous libérer, nous ne leur faisions pas aveuglément confiance. L'intérêt prime, tout est rapport de force.

Certes, nous constatons de graves dérives en Russie ; mais prenons garde à ne pas humilier les Russes, car dans ce cas c'est Poutine qui en profite. Quand on les humilie, les pays nationalistes comme la Russie ou la Chine ont le réflexe de se rassembler autour de leur chef. Le rapprochement stratégique en cours entre ces deux pays peut conduire à une réorganisation de notre monde multipolaire. Ajoutons l'Iran, et nous nous trouverons dans une situation où les alliés de l'ancien monde feront face à un nouveau monde qui ne partagera pas nos valeurs et jouira d'une force considérable.

Je conviens avec vous que nous devons penser à l'avenir. La négociation de sortie de la vente a été bonne. Nous ne pouvons vendre d'armes sans conditions associées ; mais ne jugeons pas le passé et l'avenir tout ensemble. La question de la vente des Mistral et celle des sanctions ne sont pas liées. La décision de ne pas livrer les bateaux est un choix politique qui appartient à la France seule, pas à l'Union européenne.

La France doit-elle faire un geste à l'égard de la Russie ? Il faut en tout cas donner une dynamique et une perspective à cette relation, et éviter cette fédération des humiliations : les Russes et les Chinois n'ont peut-être pas grand-chose en commun, sauf la fierté ! Ne laissons pas les Russes penser que leur avenir est sans nous, tendons-leur la main, dans l'équilibre et dans la fermeté.

Pour ma part, je suis favorable à l'abstention, en attendant la réunion de notre groupe le 29 septembre. Cette position envoie le message qu'il s'agit d'un sujet en discussion au sein de la classe politique française - du reste, si la ratification de l'accord avait été menacée, j'aurais voté en faveur de celui-ci.

Mme Éliane Giraud. - Je partage l'essentiel de ces positions. Les explications de vote sont importantes. Dans une période de recompositions importantes, évitons que la voix de la France se retrouve affaiblie. Évitons également de mêler au débat la question de la crise agricole, qui a bien d'autres causes que l'embargo russe.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Une réflexion s'impose aussi sur les sanctions, qui sont le seul vecteur de rapport de force non militaire à notre disposition.

M. Robert del Picchia, rapporteur. - Je rappelle que les Mistral n'étaient pas concernés par l'embargo sur les armes. La présentation de notre rapport sur la Russie, le 7 octobre prochain, sera l'occasion de débattre plus avant de ces sujets.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci pour votre travail. Nous reprendrons ce débat en séance publique le 15 octobre prochain, en présence du ministre. Il me reste à mettre aux voix le rapport.

Mme Michelle Demessine. - Nous sommes deux à voter contre.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport ainsi que le projet de loi précité.

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