B. LES DÉCLARATIONS FORMULÉES PAR LA FRANCE AU MOMENT DE LA SIGNATURE DE LA CHARTE

Comme le précise l'encadré ci-après, à ce jour, 33 États ont signé la Charte et 25 seulement l'ont ratifiée.

L'état des ratifications de la Charte dans les autres États membres du Conseil de l'Europe

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été adoptée par le comité des ministres du Conseil de l'Europe le 25 juin 1992. Elle a été ouverte à la signature des États membres du Conseil de l'Europe le 5 novembre 1992 à Strasbourg.

L'entrée en vigueur de la Charte était conditionnée par une ratification par au moins cinq États. Elle est ainsi entrée en vigueur le 1 er mars 1998.

À ce jour, sur les 47 États membres du Conseil de l'Europe, 25 ont ratifié la Charte et 8 l'ont signée sans l'avoir ratifiée 12 ( * ) .

Ont ratifié la Charte : Allemagne, Arménie, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, Hongrie, Liechtenstein, Luxembourg, Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et Ukraine.

Se trouvent dans la même situation que la France d'une signature sans ratification : Azerbaïdjan, Islande, Italie, Macédoine, Malte, Moldavie et Russie.

N'ont pas signé la Charte : Albanie, Andorre, Belgique, Bulgarie, Estonie, Géorgie, Grèce, Irlande, Lettonie, Lituanie, Monaco, Portugal, Saint-Marin et Turquie.

L'Italie est en voie de ratifier la Charte, avec l'examen d'un projet de loi de ratification. La Grèce pourrait prochainement s'engager dans un tel processus. En Russie, le processus de ratification, engagé en 2001, est actuellement interrompu, en raison des difficultés pratiques d'application de la Charte résultant du nombre de langues régionales.

Pour d'autres États, la Charte est considérée comme sans objet, soit en raison de l'absence de langue régionale ou minoritaire reconnue sur leur territoire (Andorre et Malte), soit en raison de l'absence de nécessité de protéger une langue régionale peu utilisée (Monaco).

Dans certains cas (Irlande, Bulgarie, Lettonie, Belgique et Macédoine), la protection et la promotion des langues régionales sont déjà assurées par la Constitution ou par la loi, la Charte paraissant alors peu utile. Dans d'autres, elle pourrait aussi être jugée inopportune, compte tenu des velléités de certaines minorités (Grèce, Turquie, Azerbaïdjan et Russie). Dans d'autres encore, la Charte est jugée incompatible avec la Constitution (Lituanie et Portugal). L'absence de ratification de la Charte n'est pas à l'origine de débats politiques particuliers dans ces États et ne semble pas être à l'origine de revendications particulières de la part des minorités qui pourraient s'en prévaloir.

Source : site du Conseil de l'Europe et auditions du rapporteur

À l'occasion de la signature de la Charte, le 7 mai 1999, à Budapest, le gouvernement français a remis deux déclarations au secrétaire général du Conseil d'Europe : la première pour indiquer les termes de la déclaration interprétative que la France envisageait de formuler lors de la ratification et la seconde pour énumérer les mesures que la France envisageait de s'engager à appliquer, sans préciser cependant les langues régionales ou minoritaires susceptibles d'être concernées, la liste de celles-ci étant renvoyée à la déclaration devant être formulée ultérieurement, lors de la ratification.

À cet égard, votre rapporteur déplore qu'aucune de ces déclarations ni la liste des langues envisagées comme devant bénéficier des stipulations de la Charte n'ait été formellement jointe au projet de loi constitutionnelle, lors de son dépôt sur le Bureau du Sénat, d'autant que l'exposé des motifs n'apporte que peu d'éléments d'information et que l'obligation d'établir une étude d'impact ne s'étend pas aux textes constitutionnels. L'information du Parlement pour statuer de façon éclairée s'en trouve amoindrie.

1. Une déclaration interprétative destinée à préserver les principes de la République

La déclaration interprétative envisagée par la France est consultable sur le site internet du Conseil de l'Europe, comme les déclarations formulées par les autres États signataires ou parties 13 ( * ) . Le texte de la déclaration figurant sur ce site est repris dans l'encadré ci-après.

Déclaration remise par la France lors de la signature de la Charte le 7 mai 1999

« La République française envisage de formuler dans son instrument de ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires la déclaration suivante :

« 1. Dans la mesure où elle ne vise pas à la reconnaissance et la protection de minorités, mais à promouvoir le patrimoine linguistique européen, et que l'emploi du terme de « groupes » de locuteurs ne confère pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires, le Gouvernement de la République interprète la Charte dans un sens compatible avec le Préambule de la Constitution, qui assure l'égalité de tous les citoyens devant la loi et ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.

« 2. Le Gouvernement de la République interprète l'article 7-1, paragraphe d, et les articles 9 et 10 comme posant un principe général n'allant pas à l'encontre de l'article 2 de la Constitution selon lequel l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics.

« 3. Le Gouvernement de la République interprète l'article 7-1, paragraphe f, et l'article 8 en ce sens qu'ils préservent le caractère facultatif de l'enseignement et de l'étude des langues régionales ou minoritaires, ainsi que de l'histoire et de la culture dont elles sont l'expression, et que cet enseignement n'a pas pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements du territoire aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci.

« 4. Le Gouvernement de la République interprète l'article 9-3 comme ne s'opposant pas à ce que seule la version officielle en langue française, qui fait juridiquement foi, des textes législatifs qui sont rendus accessibles dans les langues régionales ou minoritaires puisse être utilisée par les personnes morales de droit public et les personnes privées dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi que par les usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics. »

Source : site du Conseil de l'Europe

Votre rapporteur rappelle que la formulation de cette déclaration est antérieure à la décision du Conseil constitutionnel n° 99-412 DC du 15 juin 1999 portant sur la Charte.

La déclaration formulée par le gouvernement français en 1999 porte sur l'emploi de l'expression « groupes de locuteurs » dans l'ensemble de la Charte, qui renvoie à l'esprit général de cet instrument international selon votre rapporteur, ainsi que sur certaines dispositions du paragraphe 1 de l'article 7 et certaines dispositions des articles 8, 9 et 10, parmi lesquelles la seconde déclaration formulée en 1999 retient certaines mesures 14 ( * ) .

Cette déclaration interprétative de la Charte soulève une question de potentielle incompatibilité avec la Charte. En effet, si cette déclaration dite interprétative constituait en réalité des réserves, elle serait en contradiction directe avec les termes de l'article 21 de la Charte, selon lesquels des réserves ne peuvent être formulées qu'aux paragraphes 2 à 5 de l'article 7, aucune autre réserve n'étant admise.

La déclaration française concernant d'autres dispositions que ces paragraphes 2 à 5 de l'article 7, il convient de vérifier s'il s'agit bien d'une déclaration interprétative ou s'il ne s'agit pas en réalité de réserves.

Si le droit international distingue la déclaration interprétative et les réserves, les secondes ayant pour objet de restreindre l'application d'un texte tandis que la première ne vise qu'à en préciser la portée pour l'État partie, la distinction n'est pas toujours évidente, tant il existe un continuum pratique entre les deux notions.

La déclaration indique expressément qu'elle veut donner une interprétation de la Charte « compatible » avec les principes constitutionnels français, ainsi que l'ont rappelé le ministère de la justice et le ministère des affaires étrangères, entendus en audition par votre rapporteur. Ainsi, au nom des principes d'égalité des citoyens devant la loi et d'unicité du peuple français, elle précise que le gouvernement français interprète l'emploi par la Charte de l'expression « groupes de locuteurs » comme ne conférant pas de droits collectifs aux locuteurs des langues régionales, dans la mesure où l'objet de la Charte est la protection du patrimoine linguistique et non celle des minorités. S'il en partage la finalité, votre rapporteur juge néanmoins cette interprétation comme restreignant très singulièrement la portée de la Charte.

La déclaration précise également que l'objectif consistant à faciliter l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie privée et publique, qui doit inspirer les politiques conduites par les États parties (article 7, paragraphe 1), de même que les mesures relatives à l'emploi de ces langues dans les relations des locuteurs avec les autorités juridictionnelles et administratives (articles 9 et 10), posent un principe n'allant pas à l'encontre du principe constitutionnel selon lequel l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations. Là encore, votre rapporteur estime qu'il s'agit d'une restriction manifeste apportée à la Charte et donc d'une réserve.

La déclaration précise ensuite que l'objectif de mise à disposition de conditions adéquates d'enseignement des langues régionales ou minoritaires à tous les niveaux (article 7, paragraphe 1), de même que les mesures portant sur l'emploi de ces langues dans l'enseignement (article 8), préservent le caractère facultatif de l'enseignement de ces langues et de leur culture et n'autorisent pas la soustraction des élèves aux obligations du service public de l'éducation. Votre rapporteur concède qu'il s'agit ici davantage d'une interprétation que d'une réserve. On peut d'ailleurs douter de son utilité au regard du contenu de la Charte et de la faculté de choix au sein des mesures relatives à l'enseignement.

Enfin, la déclaration ajoute que la mesure consistant à rendre accessibles dans les langues régionales ou minoritaires les textes législatifs nationaux les plus importants et ceux qui concernent plus spécialement les locuteurs de ces langues (article 9) ne s'oppose pas à ce que seule la version officielle en langue française de ces textes fasse foi juridiquement. Il s'agit là aussi d'une interprétation davantage que d'une réserve, dont l'utilité n'est pas évidente compte tenu des termes de la Charte.

Dans ces conditions, votre rapporteur considère que la déclaration interprétative de 1999 constitue en réalité, pour partie, des réserves, de sorte qu'elle doit être considérée comme partiellement contraire à la Charte, dès lors qu'elle porte, pour partie au moins, sur des dispositions qui ne figurent pas au nombre de celles pour lesquelles l'article 21 de la Charte admet la faculté de formuler des réserves. Les autres États parties seraient amenés à considérer cette déclaration comme des réserves non autorisées.

Au vu des déclarations formulées par les autres États signataires ou parties, votre rapporteur constate qu'aucune ne comporte de restrictions de la nature et de l'ampleur de celles exprimées par la France 15 ( * ) . À cet égard, il relève que Chypre a dû retirer en 2005 une déclaration de 2002 « qui apparaît être incompatible avec les dispositions de la Charte sur les engagements qu'elle doit appliquer », pour lui substituer une nouvelle déclaration.

Au surplus, dans l'hypothèse où cette déclaration interprétative ne serait pas considérée comme contraire à la Charte par les autres États parties, le comité d'experts proposerait vraisemblablement des recommandations demandant à la France d'y renoncer expressément, au motif qu'elle serait contraire aux finalités mêmes de la Charte, visant à reconnaître des droits spécifiques à des ressortissants en vertu de leur appartenance à un groupe linguistique donné, en particulier dans la vie publique.

Ce risque avéré de contrariété entre la déclaration française prévue et la Charte , en cas de ratification de celle-ci, ne manquerait pas de susciter des difficultés structurelles récurrentes pour la France dans le mécanisme de contrôle de l'application de la Charte , qui la placeraient assurément dans une situation politiquement difficile vis-à-vis de ses partenaires européens.

Par ailleurs, votre rapporteur constate qu'aucune réserve n'a été formulée aux dispositions qui pouvaient en recevoir à l'article 7, lesquelles se résument en un engagement à éliminer toute restriction injustifiée sur la pratique d'une langue régionale, à encourager la compréhension mutuelle entre groupes linguistiques par l'éducation et les moyens de communication, à prendre en compte les besoins et voeux des groupes de locuteurs et à appliquer les principes de la Charte aux « langues dépourvues de territoire ». Ces formulations pouvaient pourtant légitimement appeler des réserves, par exemple sur les modalités de prise en compte des voeux des locuteurs ou sur l'application de la Charte aux langues dépourvues de territoire.

2. Une déclaration prévoyant l'application de 39 mesures

Lors de la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, le gouvernement français a fait savoir qu'il entendait retenir 39 des 98 engagements proposés par la Charte, au-delà du minimum des 35 engagements que les États signataires doivent s'engager à appliquer au titre de la partie III de la Charte. Dans sa décision du 15 juin 1999 précitée, le Conseil constitutionnel a jugé que ces 39 engagements étaient conformes à la Constitution, en ce qu'ils se bornaient à reconnaître des politiques en faveur des langues régionales déjà appliquées en France.

Les engagements retenus s'organisent autour de trois thématiques : principalement l'enseignement (article 8 de la Charte) et la promotion des langues régionales ou minoritaires dans le cadre des activités et équipements culturels et de communication (articles 11 et 12), ainsi que diverses mesures plus ponctuelles dans la vie économique et sociale ou les services publics (articles 9, 10, 13 et 14). Ils sont énumérés dans l'encadré ci-après.

Liste des 39 engagements souscrits par la France au titre de la partie III
de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en 1999

Article 8 - Enseignement

1. En matière d'enseignement, les Parties s'engagent, en ce qui concerne le territoire sur lequel ces langues sont pratiquées, selon la situation de chacune de ces langues et sans préjudice de l'enseignement de la (des) langue(s) officielle(s) de l'État :

1.a. (III) À appliquer l'une des mesures visées sous I et II ci-dessus au moins aux élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant

[I. à prévoir une éducation préscolaire assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

ou II. à prévoir qu'une partie substantielle de l'éducation préscolaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées]

1.b. (IV) À appliquer l'une des mesures visées sous I à III ci-dessus au moins aux élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant

[I. à prévoir un enseignement primaire assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

ou II. à prévoir qu'une partie substantielle de l'enseignement primaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

ou III. à prévoir, dans le cadre de l'éducation primaire, que l'enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées fasse partie intégrante du curriculum]

1.c. (IV) À appliquer l'une des mesures visées sous I à III ci-dessus au moins aux élèves qui le souhaitent - ou, le cas échéant, dont les familles le souhaitent - en nombre jugé suffisant

[I. à prévoir un enseignement secondaire assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

ou II. à prévoir qu'une partie substantielle de l'enseignement secondaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires ;

ou III. à prévoir, dans le cadre de l'éducation secondaire, l'enseignement des langues régionales ou minoritaires comme partie intégrante du curriculum]

1.d. (IV) À appliquer l'une des mesures visées sous I à III ci-dessus au moins aux élèves qui le souhaitent - ou, le cas échéant, dont les familles le souhaitent - en nombre jugé suffisant

[I. à prévoir un enseignement technique et professionnel qui soit assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

ou II. à prévoir qu'une partie substantielle de l'enseignement technique et professionnel soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées

ou III. à prévoir, dans le cadre de l'éducation technique et professionnelle, l'enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées comme partie intégrante du curriculum]

1.e. (I) À prévoir un enseignement universitaire et d'autres formes d'enseignement supérieur dans les langues régionales ou minoritaires

Ou 1.e. (II) À prévoir l'étude de ces langues, comme disciplines de l'enseignement universitaire et supérieur

1.f. (II) À proposer ces langues comme disciplines de l'éducation des adultes et de l'éducation permanente

1.g. À prendre des dispositions pour assurer l'enseignement de l'histoire et de la culture dont la langue régionale ou minoritaire est l'expression

1.h. À assurer la formation initiale et permanente des enseignants nécessaire à la mise en oeuvre de ceux des paragraphes a à g acceptés par la Partie

1.i. À créer un ou plusieurs organe(s) de contrôle chargé(s) de suivre les mesures prises et les progrès réalisés dans l'établissement ou le développement de l'enseignement des langues régionales ou minoritaires, et à établir sur ces points des rapports périodiques qui seront rendus publics

2. En matière d'enseignement et en ce qui concerne les territoires autres que ceux sur lesquels les langues régionales ou minoritaires sont traditionnellement pratiquées, les Parties s'engagent à autoriser, à encourager ou à mettre en place, si le nombre des locuteurs d'une langue régionale ou minoritaire le justifie, un enseignement dans ou de la langue régionale ou minoritaire aux stades appropriés de l'enseignement

Article 9 - Justice

3. Les Parties s'engagent à rendre accessibles, dans les langues régionales ou minoritaires, les textes législatifs nationaux les plus importants et ceux qui concernent particulièrement les utilisateurs de ces langues, à moins que ces textes ne soient déjà disponibles autrement

Article 10 - Autorités administratives et services publics

2. En ce qui concerne les autorités locales et régionales sur les territoires desquels réside un nombre de locuteurs de langues régionales ou minoritaires qui justifie les mesures ci-après, les Parties s'engagent à permettre et/ou à encourager :

2.c. La publication par les collectivités régionales des textes officiels dont elles sont à l'origine également dans les langues régionales ou minoritaires

2.d. La publication par les collectivités locales de leurs textes officiels également dans les langues régionales ou minoritaires

2.g. L'emploi ou l'adoption, le cas échéant conjointement avec la dénomination dans la (les) langue(s) officielle(s), des formes traditionnelles et correctes de la toponymie dans les langues régionales ou minoritaires

Article 11 - Médias

1. Les Parties s'engagent, pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires, sur les territoires où ces langues sont pratiquées, selon la situation de chaque langue, dans la mesure où les autorités publiques ont, de façon directe ou indirecte, une compétence, des pouvoirs ou un rôle dans ce domaine, en respectant les principes d'indépendance et d'autonomie des médias :

1.a. (III) À prendre les dispositions appropriées pour que les diffuseurs programment des émissions dans les langues régionales ou minoritaires

1.b. (II) À encourager et/ou à faciliter l'émission de programmes de radio dans les langues régionales ou minoritaires, de façon régulière

1.c. (II) À encourager et/ou à faciliter la diffusion de programmes de télévision dans les langues régionales ou minoritaires, de façon régulière

1.d. À encourager et/ou à faciliter la production et la diffusion d'oeuvres audio et audiovisuelles dans les langues régionales ou minoritaires

1.e. (II) À encourager et/ou à faciliter la publication d'articles de presse dans les langues régionales ou minoritaires, de façon régulière

1.f. (II) À étendre les mesures existantes d'assistance financière aux productions audiovisuelles en langues régionales ou minoritaires

1.g. À soutenir la formation de journalistes et autres personnels pour les médias employant les langues régionales ou minoritaires

2. Les Parties s'engagent à garantir la liberté de réception directe des émissions de radio et de télévision des pays voisins dans une langue pratiquée sous une forme identique ou proche d'une langue régionale ou minoritaire, et à ne pas s'opposer à la retransmission d'émissions de radio et de télévision des pays voisins dans une telle langue. Elles s'engagent en outre à veiller à ce qu'aucune restriction à la liberté d'expression et à la libre circulation de l'information dans une langue pratiquée sous une forme identique ou proche d'une langue régionale ou minoritaire ne soit imposée à la presse écrite. L'exercice des libertés mentionnées ci-dessus, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles, ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

3. Les Parties s'engagent à veiller à ce que les intérêts des locuteurs de langues régionales ou minoritaires soient représentés ou pris en considération dans le cadre des structures éventuellement créées conformément à la loi, ayant pour tâche de garantir la liberté et la pluralité des médias.

Article 12 - Activités et équipements culturels

1. En matière d'activités et d'équipements culturels - en particulier de bibliothèques, de vidéothèques, de centres culturels, de musées, d'archives, d'académies, de théâtres et de cinémas, ainsi que de travaux littéraires et de production cinématographique, d'expression culturelle populaire, de festivals, d'industries culturelles, incluant notamment l'utilisation des technologies nouvelles -, les Parties s'engagent, en ce qui concerne le territoire sur lequel de telles langues sont pratiquées et dans la mesure où les autorités publiques ont une compétence, des pouvoirs ou un rôle dans ce domaine :

1.a. À encourager l'expression et les initiatives propres aux langues régionales ou minoritaires, et à favoriser les différents moyens d'accès aux oeuvres produites dans ces langues

1.b. À favoriser les différents moyens d'accès dans d'autres langues aux oeuvres produites dans les langues régionales ou minoritaires, en aidant et en développant les activités de traduction, de doublage, de post-synchronisation et de sous-titrage

1.c. À favoriser l'accès dans des langues régionales ou minoritaires à des oeuvres produites dans d'autres langues, en aidant et en développant les activités de traduction, de doublage, de post-synchronisation et de sous-titrage

1.d. À veiller à ce que les organismes chargés d'entreprendre ou de soutenir diverses formes d'activités culturelles intègrent dans une mesure appropriée la connaissance et la pratique des langues et des cultures régionales ou minoritaires dans les opérations dont ils ont l'initiative ou auxquelles ils apportent un soutien

1.e. À favoriser la mise à la disposition des organismes chargés d'entreprendre ou de soutenir des activités culturelles d'un personnel maîtrisant la langue régionale ou minoritaire, en plus de la (des) langue(s) du reste de la population

1.g. À encourager et/ou à faciliter la création d'un ou de plusieurs organismes chargés de collecter, de recevoir en dépôt et de présenter ou publier les oeuvres produites dans les langues régionales ou minoritaires

2. En ce qui concerne les territoires autres que ceux sur lesquels les langues régionales ou minoritaires sont traditionnellement pratiquées, les Parties s'engagent à autoriser, à encourager et/ou à prévoir, si le nombre des locuteurs d'une langue régionale ou minoritaire le justifie, des activités ou équipements culturels appropriés, conformément au paragraphe précédent.

3. Les Parties s'engagent, dans leur politique culturelle à l'étranger, à donner une place appropriée aux langues régionales ou minoritaires et à la culture dont elles sont l'expression.

Article 13 - Vie économique et sociale

1. En ce qui concerne les activités économiques et sociales, les Parties s'engagent, pour l'ensemble du pays :

1.b. À interdire l'insertion, dans les règlements internes des entreprises et les actes privés, de clauses excluant ou limitant l'usage des langues régionales ou minoritaires, tout au moins entre les locuteurs de la même langue

1.c. À s'opposer aux pratiques tendant à décourager l'usage des langues régionales ou minoritaires dans le cadre des activités économiques ou sociales

1.d. À faciliter et/ou à encourager par d'autres moyens que ceux visés aux alinéas ci- dessus l'usage des langues régionales ou minoritaires.

2. En matière d'activités économiques et sociales, les Parties s'engagent, dans la mesure où les autorités publiques ont une compétence, dans le territoire sur lequel les langues régionales ou minoritaires sont pratiquées, et dans la mesure où cela est raisonnablement possible :

2.b. Dans les secteurs économiques et sociaux relevant directement de leur contrôle (secteur public), à réaliser des actions encourageant l'emploi des langues régionales ou minoritaires

2.e. À rendre accessibles dans les langues régionales ou minoritaires les informations fournies par les autorités compétentes concernant les droits des consommateurs

Article 14 - Échanges transfrontaliers

Les Parties s'engagent :

a. À appliquer les accords bilatéraux et multilatéraux existants qui les lient aux États où la même langue est pratiquée de façon identique ou proche, ou à s'efforcer d'en conclure, si nécessaire, de façon à favoriser les contacts entre les locuteurs de la même langue dans les États concernés, dans les domaines de la culture, de l'enseignement, de l'information, de la formation professionnelle et de l'éducation permanente ;

b. Dans l'intérêt des langues régionales ou minoritaires, à faciliter et/ou à promouvoir la coopération à travers les frontières, notamment entre collectivités régionales ou locales sur le territoire desquelles la même langue est pratiquée de façon identique ou proche.

Or, ainsi que ses auditions l'ont clairement montré, votre rapporteur observe que les politiques conduites en faveur des langues régionales par la France satisfont déjà, pour l'essentiel, ces 39 mesures .

Sans opérer un recensement complet des politiques ou actions que la France a conduites depuis 1999, on peut citer, en reprenant certains exemples présentés dans le rapport réalisé en 2013 par le comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne :

- en matière d'enseignement : apprentissage des langues régionales dans treize académies métropolitaines, développement d'enseignements bilingues et mise en place de conseils académiques des langues régionales chargés d'organiser ces enseignements dans la concertation ;

- en matière de culture et de médias : les actions engagées portent notamment sur les domaines du livre et des bibliothèques, du cinéma, des musées et archives et du spectacle vivant, par le biais de crédits déconcentrés gérés par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et par l'action de la délégation générale à la langue française et aux langues de France ; soutien à l'édition en langues régionales, à travers le programme « Librairie des langues du monde », et octroi d'aides à la production des films en corse et en occitan ;

- dans les domaines de la vie sociale, économique et des services publics : « La législation française ouvre de larges possibilités juridiques. En effet, le cadre juridique français, et plus particulièrement l'article 2 de la Constitution [...] prescrit l'usage du français, mais ne proscrit pas d'autres langues, et notamment les langues régionales, dans la mesure où les contenus sont clairement intelligibles par les parties prenantes. L'article 2 exclut que quiconque [...] puisse se prévaloir d'un droit à user d'une langue autre que le français ou se voir contraint à cet usage. Il rend ainsi impossible l'usage d'une langue autre que le français lorsqu'il est indispensable que l'information soit comprise sans ambiguïté par tous, soit pour des raisons d'intérêt général [...], soit parce qu'il s'agit d'énoncer des règles, de notifier une norme de droit, de publier une instruction générale. » 16 ( * )

Force est de constater que le bilan des politiques mises en oeuvre en France en faveur des langues régionales est loin d'être négligeable.

Selon le rapport précité, le comité a d'ailleurs estimé que « la Charte a constitué un cadre incitatif, qui a contribué à une meilleure reconnaissance des langues régionales en France, et a inspiré une action publique soutenue ». En outre, si ces efforts méritent assurément, selon votre rapporteur, d'être amplifiés, tout progrès peut « s'appuyer sur un socle déjà solide » selon ce rapport.

À titre d'illustration, l'annexe 2 du présent rapport recense les dispositions législatives adoptées depuis 1999 en faveur de l'enseignement et de la promotion des langues régionales.

3. L'absence de déclaration énumérant les langues régionales ou minoritaires susceptibles d'être prises en compte

Si le gouvernement français a bien fait savoir, dès la signature de la Charte en 1999, les mesures qu'il entendait souscrire parmi les 98 proposées par la partie III de la Charte, il n'a pas indiqué la liste des langues concernées par chacune de ces mesures ou par les principes et objectifs de la partie II.

Cette absence de déclaration laisse en suspens l'interrogation sur le périmètre des langues régionales ou minoritaires sur le territoire français. Pour autant, des travaux prospectifs ont été conduits, en 1999 puis en 2013, pour recenser les langues susceptibles d'être concernées.


* 12 L'état des ratifications est consultable à cette adresse sur le site du Conseil de l'Europe :

http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/ChercheSig.asp?NT=148&CM=8&DF=&CL=FRE .

* 13 La liste de ces déclarations est consultable à l'adresse suivante :

http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/ListeDeclarations.asp?NT=148&CM=1&DF=2/27/2008&CL=FRE&VL=0 .

* 14 Voir infra.

* 15 Seules des déclarations formulées par la Slovaquie en 2002 s'y apparentent, mais avec un caractère plus nettement interprétatif de dispositions ponctuelles de la Charte et surtout sans présenter un degré de contradiction avec la Charte équivalent à la déclaration française.

* 16 « Redéfinir une politique publique en faveur des langues régionales et de la pluralité linguistique interne », rapport à la ministre de la culture et de la communication, comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, juillet 2013.

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