EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission est saisie de la proposition de loi n° 437 (2014-2015), déposée le 12 mai 2015 par notre collègue Catherine Troendlé et plusieurs de ses collègues, visant à rendre effective l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu'une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur 1 ( * ) .

Cette initiative législative fait suite à deux récentes affaires médiatisées de pédophilie survenues dans deux établissements scolaires au printemps 2015 2 ( * ) , à l'occasion desquelles il était apparu que deux personnes mises en cause pour des actes pédophiles avaient pu continuer à exercer leurs fonctions professionnelles au contact de mineurs, alors même qu'elles avaient déjà été condamnées en 2006 et 2008 respectivement pour détention d'images pédopornographiques et pour recel de bien provenant de la diffusion d'images pédopornographiques.

Ces affaires avaient conduit les ministres de la justice et de l'éducation nationale à diligenter une enquête administrative, confiée conjointement à l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et à l'inspection générale des services judiciaires, afin d'identifier les éventuelles défaillances organisationnelles des deux ministères et de faire des propositions pour y remédier.

À la suite de la remise d'un rapport d'étape par les inspections, le Gouvernement avait décidé d'introduire par amendement un article 3 ( * ) dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne (DADUE), tendant à remédier aux lacunes de notre législation en matière de transmission d'informations aux autorités administratives de tutelle en cas de condamnation ou de procédure judiciaire en cours pour des infractions sexuelles contre mineur concernant un agent public.

Votre commission s'était cependant opposée à cette démarche, tant pour des raisons de forme, de tels amendements ne présentant pas de lien avec l'objet du texte en discussion, que pour des motifs de fond, le dispositif gouvernemental portant une atteinte substantielle au principe constitutionnel de présomption d'innocence.

Ce désaccord, conjugué au fait que l'Assemblée nationale avait inséré dans le projet de loi de nombreux autres articles additionnels tout aussi dépourvus de lien avec son objet, avait conduit à un échec de la commission mixte paritaire. Lors de sa nouvelle lecture, votre Haute assemblée avait en conséquence rejeté le texte en adoptant une motion, présentée par votre commission, tendant à déclarer l'exception d'irrecevabilité.

Enfin, dans sa décision n° 2015-719 DC du 13 août 2015 sur la loi définitivement adoptée par l'Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel, saisi d'un recours présenté par plus de soixante sénateurs, avait déclaré ces dispositions, à l'instar de 26 autres articles additionnels, contraires à la Constitution au motif qu'elles ne présentaient pas de lien, même indirect, avec l'objet du projet de loi.

Il n'en reste pas moins qu'aux yeux de votre rapporteur la législation pénale relative aux infractions sexuelles commises contre les mineurs pourrait faire l'objet d'améliorations. Telle était d'ailleurs l'opinion défendue dans le rapport 4 ( * ) adopté par votre commission à l'occasion de la nouvelle lecture du projet de loi DADUE, dans lequel votre rapporteur indiquait que le Sénat pourrait utilement discuter, dans les meilleurs délais, de la proposition de loi n° 437 présentée par notre collègue Catherine Troendlé. C'est à la lumière de ces débats et des articles adoptés en lecture définitive par l'Assemblée nationale, ainsi que des nouvelles initiatives prises par les deux ministres le 24 septembre dernier, que votre rapporteur a examiné cette proposition de loi afin de bâtir un dispositif permettant d'améliorer la protection des mineurs contre les actes de pédophilie, dans le respect de nos principes constitutionnels.

I. LES INSUFFISANCES DU CADRE LÉGAL

A. LES DYSFONCTIONNEMENTS EN MATIÈRE DE TRANSMISSION D'INFORMATIONS À L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE

Au-delà de l'émotion légitime suscitée par les affaires dites d'Orgères et de Villefontaine, constat a été dressé que l'organisation des relations entre l'autorité judiciaire et l'administration de l'éducation nationale ne garantissait pas que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent à l'avenir. En outre, le cadre légal applicable est porteur d'incertitudes juridiques pour les parquets, chargés des transmissions d'informations, dès lors qu'une procédure pénale est en cours.

De ce point de vue, votre rapporteur se félicite de la décision prise par les ministres de la justice et de l'éducation nationale d'avoir confié à leurs inspections générales le soin de conduire une analyse des causes de ces dysfonctionnements et de formuler des propositions pour y remédier. Il déplore en revanche la précipitation avec laquelle le Gouvernement a réagi à ces évènements sur le plan législatif, alors même que le rapport définitif des inspections 5 ( * ) , rendu public le 23 juillet dernier, n'avait pas été porté à la connaissance du Parlement.

Ce document contient pourtant une analyse rigoureuse de l'état du droit en vigueur et des lacunes organisationnelles des deux ministères, dont aurait pu bénéficier le législateur en vue de la préparation d'un tel débat. À cet égard, la mission des inspections formule trois constatations principales :

- l'impossibilité d'une consultation fiable de l'application Cassiopée 6 ( * ) interdit d'affirmer que toutes les condamnations concernant des agents en fonction dans des établissements scolaires ont été transmises à l'administration de l'éducation nationale. Le rapport souligne ainsi qu'il « ne peut être exclu que des situations identiques à celles de l'Isère et de l'Ille-et-Vilaine se reproduisent » ;

- les incertitudes liées au cadre légal relatif aux transmissions d'informations à l'autorité administrative concernant des procédures pénales en cours rendent aléatoires de telles communications. Quand les jugements ont été prononcés, les obstacles sont en revanche « essentiellement liés à des problèmes organisationnels et à une inadaptation des moyens informatiques mis à disposition des parquets » ;

- les défauts de fluidité dans la transmission de l'information sont enfin imputables à l'organisation territoriale de l'administration de l'éducation nationale (les personnels du premier degré sont placés sous le contrôle des directions académiques des services de l'éducation nationale et ceux du second degré sous celui des rectorats), au manque d'interlocuteurs bien identifiés, avec des responsabilités claires, au sein des rectorats et à l'absence de dispositif d'alerte structuré de nature à occasionner des « pertes » d'information entre la justice et l'éducation nationale.


* 1 Une proposition de loi poursuivant le même objectif (n° 392/2014-2015), dont l'examen n'a pas été joint au présent texte, a été déposée par notre collègue Sylvie Goy-Chavent le 2 avril 2015.

* 2 Survenues à Villefontaine (Isère) et à Orgères (Ille-et-Vilaine).

* 3 Devenu l'article 30 de la loi.

* 4 Rapport n° 647 (2014-2015) de M. François Zocchetto sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne.

* 5 Propositions pour une amélioration de la communication des informations entre la justice et l'éducation nationale - Rapport conjoint de l'inspection générale des services judiciaires (n° 15-36) et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale (n° 2015-056) - Juin 2015.

* 6 L'application Cassiopée (Chaîne Applicative Supportant le Système d'Information Orienté Procédure pénale Et Enfants), déployée par le ministère de la justice depuis 2011, est une chaîne informatique dont l'objectif était de remplacer les anciennes applications pénales équipant les tribunaux de grande instance. Elle a été élaborée afin de permettre aux tribunaux de suivre le déroulement des procédures pénales de leur introduction à leur issue.

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